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Affaire Tapie, une page se tourne : l'arbitrage était irrégulier (Cass. 1re civ., 30 juin 2016), mais le livre n'est pas fini...



Affaire Tapie, une page se tourne : l'arbitrage était irrégulier (Cass. 1re civ., 30 juin 2016), mais le livre n'est pas fini...
Il y existe deux arrêts de la Cour d'appel de Paris qui font que cette fameuse affaire a été en quelque sorte remise à zéro. Le premier a annulé la sentence arbitrale le 17 février 2015. Le second arrêt, du 3 décembre 2015, a jugé que le Groupe TAPIE n'avait aucun droit contre le CDR SA, bref que B. TAPIE n'avait droit à aucune indemnité ; cela implique, d'une manière ou d'une autre, qu'il sera appelé à rendre les 400 M€ perçus au titre de l'exécution de la sentence arbitrale. Ce second arrêt est également l'objet de pourvois en cassation et on note qu'avec lui on est au cœur de l'affaire, à savoir la question de la faute de la banque.

Ce second arrêt a contredit un premier arrêt d'appel rendu 10 ans plus tôt mais lui-même cassé (l'arbitrage avait commencé à partir de là). Cet arrêt de cassation est bien connu des juristes puisque la Haute juridiction en avait profité pour formaliser le principe que nul client n'a droit à un crédit en s'adressant à sa banque.

On rappelle que le litige occupe le CDR SA et les sociétés du Groupe Bernard TAPIE et son célèbre associé. Le CDR SA est une société qui a repris une parti des actifs des banques concernées (SBDO et Crédit Lyonnais) : ce processus de reprise a été dû à une loi spéciale de défaisance suite à la faillite de fait du Crédit Lyonnais. Pour simplifier cette opération, on peut dire que la loi a coupé le Crédit Lyonnais en deux ; ainsi, par cette loi, l'affaire TAPIE n'est pas restée dans le Crédit Lyonnais qui a continué des activités classique, mais étant dévolue au CDR lui-même contrôlé par une structure publique financée par l'Etat (c'est ce que veut dire le communiqué de presse ci-dessous de la Cour de cassation quand il dit que le Crédit Lyonnais est "devenu" le CDR SA).

L'arrêt qui vient d'être rendu l'a été par la première chambre civile de la Cour de cassation, laquelle statue fréquemment sur les questions d'arbitrage. A sa suite, on doit dire qu'il valide l'arrêt d'appel attaqué par B. TAPIE puisque la Cour de cassation rejette les critiques contenues dans le pourvoi ; le Groupe TAPIE et son principal associé perdent ainsi le bénéfice de l'arbitrage : l'annulation de l'arbitrage devient définitive.

La Cour de cassation applique le droit en vigueur à partir d'éléments de faits constatés par la cour d'appel. Ces faits sont à l'origine des enquêtes policières et de l'instruction pénale et ont été révélés par ces initiatives judiciaires. On ne sait pas si un jour Bernard TAPIE sera condamné pénalement pour cet arbitrage, mais civilement, avec ce nouvel arrêt, c'est déjà fait.

L'immense publicité faite à cette affaire, médiatique et politique, conduit la Cour de cassation à mettre cet arrêt en ligne sur son site internet et à communiquer par la voie d'un communiqué de presse (liens internet ci-dessous). On se permet d'y renvoyer.

Communiqué de la Cour de cassation

Arrêt du 30 juin 2016

La sentence arbitrale est tombée, et c'est le cœur de l'arrêt, à raison des liens entre un des arbitres et M. TAPIE et / ou son conseil. En clair, M. TAPIE a, pour sa part, désigné un arbitre avec lequel il avait des liens ou avait eu des liens, ou lui ou son avocat, ou les deux à la fois. Or un arbitre, s'il est choisi par l'une des parties, doit être dans une situation parfaite d'impartialité. Il est donc avéré désormais, qu'il en ait eu une parfaite conscience ou pas, que M. TAPIE a mal choisi l'arbitre (un ancien magistrat) qu'il avait à désigner. On dira "a mal choisi" ou "a trop bien choisi".

Avec cette affaire, la leçon sur la qualité des arbitres sera entendue par un nombres d'hommes d'affaires et de juristes. L'arbitrage est fréquent, souvent pratique car rapide, et il est licite dans nombre de contentieux même quand des fonds publics son en cause (en l'espèce société privée le CDR SA est financée pour payer les dettes privées des banques en faillite ; sur ce point B. TAPIE a eu gain de cause). L'arbitrage résulte d'une convention qui doit être conclue et exécutée dans le strict respect de ses conditions légales. Pour le public, on ajoutera que ces difficultés d'impartialité des arbitres est récurrent. B. TAPIE perd le bénéfice de l'arbitrage sur une question juridique assez banale, même si les faits sont pour le moins inattendus puisqu'ils impliquent un haut magistrat en retraite qui pratiquait l'arbitrage.

Demain sera un autre jour.

Demain la Cour de cassation devra sans doute statuer sur les pourvois engagés (on les imagine) contre le second arrêt d'appel qui juge que le groupe TAPIE n'a droit à rien et qu'aucune faute n'a été commise par la ou les banques. Si cet arrêt est validé, il sera alors acquis que B. TAPIE sera ruiné (la seule question que les médias posent, alors on y répond).

Il sera alors définitivement jugé qu'il n'a droit à aucune indemnité. Si tel est le cas, alors, pendant de nombreuses années, avocats et huissiers rechercheront à saisir tous les biens de l'intéressé ou de ses sociétés.

Une page est tournée, une autre sera tournée prochainement.



Affaire Tapie, une page se tourne : l'arbitrage était irrégulier (Cass. 1re civ., 30 juin 2016), mais le livre n'est pas fini...
Il s'agira dans la prochaine étape judiciaire de se prononcer une nouvelle fois sur l'éventuelle faute de la banque.

On rappelle, en citant carrément l'arrêt rendu hier, que l'affaire est partie d'une société holding qui détenait les actions d'Adidas, faisant de B. TAPIE son patron ; il a voulu vendre cette entreprise et a pour cela donné mandat la banque SDBO, opération dans laquelle le Crédit Lyonnais s'est impliqué (terme vague car on ne discute pas de cela ici) :

"... les sociétés GBT, FIBT et BTF SA ont, les 10 et 16 décembre 1992, conclu avec la SDBO un “mémorandum” puis une “lettre d’engagement” aux termes desquels la société BTF SA s’engageait, de manière irrévocable, à vendre, au plus tard le 15 février 1993 et pour un prix fixé à 2 085 000 000 francs, à toutes sociétés désignées par la SDBO et à première demande de celle-ci, la totalité de ses parts représentant 78 % du capital de la société BTF Gmbh...".

Deux petits mois pour vendre la plus belle entreprise allemande !

Si le prochain arrêt de cassation casse l'arrêt d'appel qui refuse toute indemnité à B. TAPIE, l'affaire devrait repartir devant la cour de Paris pour statuer à nouveau et, on imagine, fixer le préjudice.

Si le prochain arrêt de cassation rejette les pourvois (du Groupe TAPIE, de lui et des ses liquidateurs judiciaires...), l'affaire sera finie au plan interne. Mais il est peu douteux que B. TAPIE saisisse alors la Cour européenne des droits de l'homme pour 25 ans de procédure (s) et un pour l'implication de l'Etat français, obligé légalement à la dette desdites banques, dans un litige de droit privé (Lyonnais / Tapie) où d'importants moyens policiers auront été déployés pour que le CDR SA qui engageait finalement les deniers publics ne soit pas condamné.

Une page est tournée.

Une autre sera tournée prochainement.

Mais selon nous le livre est loin d'être fini d'être écrit.






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1.Posté par Fabien le 20/10/2016 00:51
Bonjour
Article intéressant.
Sur le fond, sans être un spécialiste de la question, je vois mal comment on pourrait considérer que Bernard Tapie n'a pas été "escroqué" par le crédit lyonnais.
A titre d'exemple, si je donne un mandat de vente à un agent immobilier pour vendre ma maison 200 000€ et que ce dernier se met d'accord, sans m'en informer, avec un acquéreur à 400 000€ puis que cet agent immobilier, en se cachant derrière une société opaque, m'achète lui-même à 200 000€ pour revendre le jour même à 400 000€ ; je pense qu'effectivement ce professionnel m'aurait arnaqué.

Qu'en pensez-vous ?

Cordialement

Fabien

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