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De l’art juridique dans « La Guerre du Droit »



I. - La publication d’une annonce légale devrait justifier une présomption de rédaction de l’acte juridique

La Cour de cassation accepte que le juge du fond considère que les publications légales ne prouvent pas que l’expert-comptable a fait les travaux juridiques en question. « La cour d’appel… a, sans inverser la charge de la preuve, souverainement retenu, indépendamment de la motivation purement illustrative …, que la publication légale de ces actes, laquelle n’était pas, elle-même, reprochée à la société X, ne suffisait pas à prouver, en l’absence d'autre circonstance, que celle-ci les avait rédigés ». Est ici en jeu le mécanisme dit de la présomption du fait de l’homme.

Des faits prouvés, le juge peut en déduire d’autres s’ils résultent de présomptions graves, précises et concordantes. Ce mode de preuve (la présomption du fait de l'homme) est abandonné « aux lumières et à la prudence du magistrat » (C. civ., art. 1353, ce pour quoi seules valent les présomptions graves, précises et concordantes). Ainsi, quand un comptable publie un avis de constitution de société, il n’y a pas lieu d’en déduire qu’il a rédigé les statuts. Il est vrai rien ne le prouve sauf, penseront certains, le bon sens ! Un professionnel qui publie une opération juridique en est dans 99 % des cas l’auteur (ou son initiateur quand l’avis relate un jugement). L’arrêt est donc très discutable pour reposer sur une probabilité que nous nous risquons de juger inexacte et qui, au mieux, est une première simplification regrettable (voyez aussi infra).

Cette phrase et cette position étonnent d’autant plus que la Cour pouvait éluder le problème à l’aide d’une subtilité qui lui aurait évité une seconde simplification. Elle pouvait en effet dire qu’il ne résultait pas de ces publications la preuve d’une « rédaction illicite », ce qui était admissible puisque les comptables peuvent parfois rédiger, alors que, à l’inverse, la paternité de la rédaction de nombreux actes qu’un professionnel a publié n’est pas sérieusement discutable.

Cette double simplification conduisit la Cour à méconnaître la mission de rédaction d’actes en effleurant ostensiblement celle de publication (la « publication légale de ces actes, (laquelle) n'était pas, elle-même, reprochée » ). En effet, en statuant de la sorte, les juges – d’appel et de cassation – statuèrent sur le terrain neutre de la preuve, celui de la présomption du fait de l’homme, véritable arbre juridique qui cache probablement une forêt d’activités (illicites ?).

La formule de l’article 1353 du Code civil (abandon de l’appréciation du fait au juge du fond) implique que les juges du fond apprécient souverainement les déductions qu’une partie opère devant lui à partir d’un fait établi, sans contrôle du juge du droit (et sauf exception : J. et L. Boré, La cassation en matière civile, 2003, n° 60.63). La cassation était donc a priori difficile à obtenir dès lors que la Cour d’appel n’avait rien déduit des publications légales (ni paternité, ni a fortiori caractère illicite de la rédaction).

Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation ne prend même pas le problème à sa base. Elle tait que les comptables ont parfois le droit de rédiger, ce qui lui aurait permis d’en déduire que des publications sont une chose attendue voire normale. Dans ce cas, on aurait mieux compris la solution qui cependant aurait encore manqué de convaincre. En effet, sans connaître tous les faits qui sont très résumés, il est très probable que la demande ait visé de multiples et régulières publications qui alarmèrent les Ordres de comptables eux-mêmes. Autrement dit, les faits étaient remarquables.

Cela présumait des rédactions illicites car l’activité juridique du comptable étant accessoire à un travail comptable, la régularité et l’intensité de travaux juridiques est, en soi, étonnante. Inopérant voire inconnu en droit, l’étonnement marque la difficulté. Comment déterminer l’acte juridique que le comptable a le droit de rédiger et les autres ? Elle poussa parfois les professionnels du droit à désirer ou à chercher une liste d’actes juridiques échappant par nature aux comptables – les actes créateurs de droit ? C’est ignorer au fond le droit positif qui établit un pouvoir universel des comptables de rédiger ou de conseiller dès lors que le travail juridique est l’accessoire d’une tâche comptable. C’est aussi tenter d’instaurer une méthode douteuse : ce serait plutôt aux comptables de citer les circonstances traduisant d’ordinaire un rapport direct entre un acte juridique et leurs travaux comptables. En vérité, l’établissement d’une telle liste ne pourrait s’envisager qu’en réglementant ces activités, ce qui relève d’une autre réflexion. Mais ce sont bien ces imprécisions qui fondent, au plus général mais à tort, l’arrêt. A défaut de pouvoir citer les activités autorisées ou interdites, toutes sont en pratique ouvertes aux comptables ! Une loi mieux faite serait mieux appliquée pensera le juge.

Un autre raisonnement est pourtant possible en observant la situation générale et a l’avantage de permettre l’application de la loi. Universel quand il a un rapport direct avec le travail comptable, le droit de rédiger du comptable se réduit à peu en pratique. C’est la raison pour laquelle l’immense majorité des comptables ne rédigent quasiment aucun acte (subissant du coup la concurrence déloyale de leurs confrères qui eux ne s’en privent pas !). La pertinence du propos se mesure ici à l’émotion des ordres comptables eux-mêmes qui avaient agi contre le comptable en cause ! Les confrères les plus respectables ne comprenaient a priori pas ces activités juridiques (au fait… et les contrôles déontologiques ?). Ainsi, entre les publications et cette émotion ordinale, il était très raisonnable de douter de la régularité de ces activités.

Si cela ne suffisait pas à prouver des rédactions d’actes illicites, cela interpellait suffisamment le juge du fond pour qu’il ne reste pas insensible aux prétentions des demandeurs quand le juge de cassation pouvait peut-être lui aussi réagir.

La cour d’appel aurait dû aller au fond des faits. En effet, l’émotion de l’Ordre des comptables en disait long parce que l’autre hypothèse expliquant ces publications est presque ubuesque du point de vue des statistiques et probabilités. Elle consisterait à présumer qu’il est habituel qu’un professionnel publie des actes dont il n’est pas l’auteur. Mais comme cette curieuse activité (peu important le rédacteur) consisterait à faire une partie des tâches incombant au rédacteur d’acte (notons l’idée), elle pourrait encore être considéré comme de la rédaction ! Ce serait en outre et le cas échéant une publicité indirecte !? Ces projections, en vérité cousues de fil blanc, désignent en pratique des situations exceptionnelles n’autorisant aucune présomption d'activité licite, contrairement à ce qu'est finalement la solution rapportée. Pour cette raison, si le comptable a exceptionnellement publié pour un tiers rédacteur, comme d’ailleurs quand il rédige « en rapport direct », il lui est facile de l’exposer à l’adversaire ou à son Ordre avant tout litige !

A défaut de s’expliquer devant le juge, ce dernier n’a pas à regarder passivement le litige prospérer. En effet, s’en tenir à l’article 1353 qui n’est qu’un « jeu de faits », sans vérifier lesdits faits, exprime une conception étroite de l’office du juge ignorant les mesures d’instructions. Car, si les publications ne prouvent pas une activité illicite, elles suffisent à la suspecter ce qui justifie que le juge ne reste pas passif (nonobstant la trop grande confiance des demandeurs). Les juges ont-ils fait comparaître les experts-comptables pour leur demander, droit dans les yeux, la raison d’être de ces publications ? Les comparutions personnelles sont-elles devenues des anomalies judiciaires ? Les juges ont-ils entendus ces tiers intéressés que sont les clients ? Qu’ont-ils fait pour rendre une bonne justice ? En matière de professions réglementées doit-on souligner ? Les magistrats ont-ils considéré que les organisations professionnelles d’avocats (Ordre et Conférence des Bâtonniers) n’avaient pas à être aidées étant donné leur expertise « personnelle »… ? Cela revient à préjuger, au lieu de juger…

Fût-elle regrettable, l’éventuelle passivité des demandeurs ne dédouane d’ailleurs pas le juge puisque les demandes d’instruction relèvent de son pouvoir souverain, comme l’application de l’article 1353… Les juges de fond devaient donc prendre en charge le litige ! Le pouvoir (judiciaire) d’appréciation souverain implique une plus grande « responsabilité judiciaire » . Car enfin, comment les professionnels du droit se plaindront-ils désormais sinon par la plainte pénale ? Quelle est donc cette solution judiciaire qui pousse à l’aggravation du conflit ? La question se pose d’autant plus que cette application inopportune de l’article 1353 ouvrait la voie à un contrôle de la Cour de cassation. Un contrôle se conçoit si l’application du texte procède d’une dénaturation des faits, question qui impose de saisir la notion de rédaction d’acte de la règle de fond en cause (L. 1971, art. 54 et 59).



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