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L'obligation de ne pas contracter (après un colloque à Montpellier)



L'obligation de ne pas contracter (après un colloque à Montpellier)
De retour de colloque (voyez la note ci-dessous avec son programme), je voulais dire à mes fidèles lecteurs, en quelques mots, le sens de mon intervention sur le sujet "Droit financier : le véritable départ du droit de la consommation ?", au cours du colloque, à Montpellier le 30 octobre 2012, qui avait pour thème les 40 ans du droit de la consommation. Près de 20 ans après un premier colloque, à l'époque à Reims, me voilà de nouveau avec Jean-Calais AULOY sur cette matière qu'il a portée.

Je l'ai croisée avec le droit financier.

Outre le symbole que la première loi sur le démarchage est celle du 3 janvier 1972, et non celle du 22 décembre plus généraliste, le sujet appelle en vérité à une comparaison des deux matières ou des deux codes – car le Code monétaire et financier n’est pas, lui contesté (v. F. Terré, in D. Fenouillet & F. Labarthe dir., Faut-il recodifier le droit de la consommation ?, Economica, Paris, 2002). Au sortir du déjeuner de ce colloque, j’ai proposé à l’auditoire un plat et un café gourmand.

Au titre du plat de résistance j’ai évoqué la situation de l’investisseur après avoir mis en garde (…) que, dans cette matière de droit financier (pour nous le droit bancaire et financier), les clients se voient appliquer des blocs de règles assez différents selon qu’ils sont, et sans être exhaustif, emprunteurs, titulaires de comptes, mandants pour de la gestion d’un portefeuille ou acheteurs d’instruments financiers auprès d’un intermédiaire, ce dernier cas servant l’illustration.

I . Sur la protection de l'investisseur, j'ai expliqué pourquoi il existait en matière de services d'investissement une véritable obligation de ne pas contracter, du reste évoquée explicitement à l’article L. 533-13, I, al. 2, du CMF (cf. ci-dessous). Même pour ce secteur, la loi ne proclame pas de façon générale et en forme de principe une « obligation de ne pas contracter ».

L’expression « obligation de ne pas contracter » demeure donc doctrinale mais nous avons pu en dégager la source et la problématique il y a quelques mois (voyez notre analyse, au Recueil Dalloz 2011, n° 23, Un « contrat de conseil" invite à redéfinir l’obligation de conseil, sous Cass. 22 mars 2011). Cette obligation fut ainsi l'occasion de penser, de retour de colloque, que le droit de la consommation est parfois dépassé quand il s'agit de protéger le client, notamment le client d'établissements de crédit ou de prestataires de services d'investissement.

La protection de l’investisseur est plus forte et en tout cas innovante, ce pour quoi on demandait aux juges de mieux appliquer les textes (Mélanges J. Calais-Auloy ; Mélanges D. Schmidt), surtout au vu de l’exubérance des pratiques commerciales qui ont conduit au blocage du système financier et, de la crise financière, à la crise économique et à une crise des finances publiques. Allait en ce sens ne situait pas alors dans le sens général…

Dans cette demande, il y avait l’idée générale de renforcer l’obligation de conseil et ce fut la mise en garde qui fut étendue sous trois aspects en 2008. A ce stade, et je l’ai bien précisé vendredi dernier à Montpellier, une obligation de ne pas contracter, que j’ai dû ici même laisser filtrer demande à être dégagée et donc expliquée. Cette idée résulte des obligations très fortes du PSI dès la rédaction de 1996 de l’article L. 533-4 sur lequel j’ai dû publier une vingtaine de fois (Chronique de droit bancaire, JCP E). En effet, quand un texte impose des obligations aussi fortes au professionnel (équité, honnêteté, loyauté, professionnalisme donc compétence, intérêts du client, étude des compétences et besoins du client), il faut alors dire que le professionnel prend quasiment totalement en charge le client.

La "philosophie" de ces obligations est déontologique, ce qui a pu distraire, mais leur nature est civile et appelle une sanction sur le fondement de l’article 1147 du Code civil.

Ainsi, le professionnel ne doit parfois pas contracter car il n’est point en l’état de le faire au vu de ses obligations civiles : nulle information ou mise en garde ne peut lui éviter d’engager sa responsabilité si les investissements tournent mal. S’il contractait malgré ce, il est certain qu’il engagerait sa responsabilité à l’égard de ce client (voyez ma note au Dalloz, précitée, note 20). De ce fait se déduit, si l’on parle en termes d’obligations du prestataire, l’idée d’une « obligation de ne pas contracter ». Cela rappelle l’obligation de l’avocat qui ne doit ni assigner pour prendre livraison de la lune, ni assigner sur la lune… le procès serait perdu.

Telle quelle, cette obligation n’a jamais été nettement formulée en droit de la consommation.

A nouveau, ce qui vaut pour les services d’investissement ne vaut pas pour tous les contrats des établissements de crédit ou prestataires de services d’investissement. Les banquiers sont aujourd’hui face au danger de la diffusion de cette idée, mais surtout de sa propagation par un effet de mode qui pourrait être dévastateur : il y a des idées qui fonctionnent comme des souricières. Or, par intuition, on préférerait que le banquier garde sa souveraineté en matière d’octroi de crédit, mais les modifications de divers textes pourraient amener à s’incliner.

II. Au titre du café gourmant proposé à l’auditoire, j’ai survolé quelques techniques qui jouent directement sur les professionnels, sur la personne morale ; je ne citerai ici que la médiation bancaire qui impose à tout établissement de crédit de disposer d’un médiateur « interne » quand le consommateur devra aller, pour espérer une médiation, au Palais de Justice… Les fonds de garantie témoignent également d’une forme de protection originale obligeant une profession, collectivement, à garantir par anticipation la défaillance d’un professionnel. Sans doute ces techniques ne sont pas toutes transposables au droit de la consommation, elles n’en stimulent pas moins la réflexion pour concevoir l’avenir de ce dernier.

En conclusion, s’il a été le départ du droit de la consommation, le droit financier, souvent occulté, est pour quelques techniques en avance sur le droit de la consommation qui, peut-être, n’a déjà plus la vigueur d’un nouveau droit. Dans sa conclusion, Jean-Calais AULOY, craignait pour l’efficacité du droit de la consommation qui pourrait donc ne pouvoir survivre qu’à force d’innovations ?


Extrait de la base publique Legifrance, Code monétaire et financier

Article L533-10
• Modifié par Ordonnance n°2007-544 du 12 avril 2007 - art. 4 JORF 13 avril 2007 en vigueur le 1er novembre 2007
Les prestataires de services d'investissement doivent :
1. Mettre en place des règles et procédures permettant de garantir le respect des dispositions qui leur sont applicables ;
2. Mettre en place des règles et procédures permettant de garantir le respect par les personnes placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte, des dispositions applicables aux prestataires eux-mêmes ainsi qu'à ces personnes, en particulier les conditions et limites dans lesquelles ces dernières peuvent effectuer pour leur propre compte des transactions personnelles. Ces conditions et limites sont reprises dans le règlement intérieur et intégrées au programme d'activités du prestataire ;
3. Prendre toutes les mesures raisonnables pour empêcher les conflits d'intérêts de porter atteinte aux intérêts de leurs clients. Ces conflits d'intérêts sont ceux qui se posent entre, d'une part, les prestataires eux-mêmes, les personnes placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte ou toute autre personne directement ou indirectement liée à eux par une relation de contrôle et, d'autre part, leurs clients, ou bien entre deux clients, lors de la fourniture de tout service d'investissement ou de tout service connexe ou d'une combinaison de ces services. Lorsque ces mesures ne suffisent pas à garantir, avec une certitude raisonnable, que le risque de porter atteinte aux intérêts des clients sera évité, le prestataire informe clairement ceux-ci, avant d'agir en leur nom, de la nature générale ou de la source de ces conflits d'intérêts ;
4. Prendre des mesures raisonnables en utilisant des ressources et des procédures appropriées et proportionnées pour garantir la continuité et la régularité de la fourniture des services d'investissement, notamment lorsqu'ils confient à des tiers des fonctions opérationnelles importantes ;
(…)

Article L 533-13
• Modifié par Ordonnance n°2007-544 du 12 avril 2007 - art. 4 JORF 13 avril 2007 en vigueur le 1er novembre 2007
I.-En vue de fournir le service de conseil en investissement ou celui de gestion de portefeuille pour le compte de tiers, les prestataires de services d'investissement s'enquièrent auprès de leurs clients, notamment leurs clients potentiels, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d'investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d'investissement, de manière à pouvoir leur recommander les instruments financiers adaptés ou gérer leur portefeuille de manière adaptée à leur situation.
Lorsque les clients, notamment les clients potentiels, ne communiquent pas les informations requises, les prestataires s'abstiennent de leur recommander des instruments financiers ou de leur fournir le service de gestion de portefeuille pour compte de tiers.
II.-En vue de fournir un service autre que le conseil en investissement ou la gestion de portefeuille pour le compte de tiers, les prestataires de services d'investissement demandent à leurs clients, notamment leurs clients potentiels, des informations sur leurs connaissances et leur expérience en matière d'investissement, pour être en mesure de déterminer si le service ou le produit proposés aux clients ou demandés par ceux-ci leur conviennent.
Lorsque les clients, notamment les clients potentiels, ne communiquent pas les informations nécessaires ou lorsque les prestataires estiment, sur la base des informations fournies, que le service ou l'instrument ne sont pas adaptés, les prestataires mettent en garde ces clients, préalablement à la fourniture du service dont il s'agit.
III. - Les prestataires de services d'investissement peuvent fournir le service de réception et transmission d'ordres pour le compte de tiers ou le service d'exécution d'ordres pour le compte de tiers sans appliquer les dispositions du II du présent article, sous les conditions suivantes :
1. Le service porte sur des instruments financiers non complexes, tels qu'ils sont définis dans le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
2. Le service est fourni à l'initiative du client, notamment du client potentiel ;
3. Le prestataire a préalablement informé le client, notamment le client potentiel, de ce qu'il n'est pas tenu d'évaluer le caractère approprié du service ou de l'instrument financier ;
4. Le prestataire s'est conformé aux dispositions du 3 de l'article L. 533-10.
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