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Une publicité du CIVB pour les vins de Bordeaux qui ne laisse pas indifférent (Cass. civ., 1er juillet 2015, n°14-17368)



Les bordelais boivent en amateurs l'attendu de la Cour de cassation qui rejette les critiques faites à l'arrêt d'appel d'avoir validé une publicité du Comité interprofessionnel du vin de Bordeaux (un Etat dans dans l'Etat avec le Comité interprofessionnel des vins de Champagne, v. infra).

Lisons cet attendu qui décide de l'affaire :

"les personnages figurant sur les affiches, expressément désignés comme des membres de la filière de production ou de commercialisation des vins de Bordeaux, ne sont pas assimilables au consommateur et se rattachent, comme ayant participé à cette production ou à cette commercialisation, au facteur humain visé par l'article L. 115-1 du code de la consommation, auquel fait référence l'article L. 3323-4 du code de la santé publique, que la seule représentation de personnages ayant un verre à demi plein à la main ne dépasse pas les limites fixées par le texte susvisé qui exige une représentation objective du produit, telle que sa couleur ou son mode de consommation, que l'impression de plaisir qui se dégage de l'ensemble des visuels ne dépasse pas ce qui est nécessaire à la promotion des produits et inhérent à la démarche publicitaire proprement dite, laquelle demeure licite, et que l'image donnée de professions investies par des jeunes, ouvertes aux femmes et en recherche de modernité, est enfin pleinement en accord avec les dispositions légales autorisant une référence aux facteurs humains liés à une appellation d'origine ; que la cour d'appel a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, qu'était remplie la prescription de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique relative au caractère objectif et informatif de la publicité...".

L'attendu est très riche qui part de la qualité des "personnages" des affiches qui ne sont pas des consommateurs (ou consommatrices), mais des professionnels. Il est vrai que sur la photo, le (ou la) Maître de chaix photographiée (la photo reproduite ci-dessus n'est certes qu'un exemple) était une personne dont le charme n'échappait à personne.

Cela a sans doute ulcéré l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme et addictologie (ANPAA) qui a engagé l'action en justice ; elle pouvait penser avoir procès gagné puisqu'une cassation d'un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux semblait fixer les choses.

Un premier arrêt (Cass. 1re civ., 23 février 2012, Bull. n° 37, pourvoi n° 10-17.887) avait jugé :

" alors qu'il résulte de ces constatations que lesdites affiches comportaient des références visuelles étrangères aux seules indications énumérées par l'article L. 3323-4 du code de la santé publique et visaient à promouvoir une image de convivialité associée aux vins de Bordeaux de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés, la cour d'appel a violé le texte susvisé").

Mais l'issue du litige n'aura pas été celle que l'on pouvait entrevoir ; le juge de Versailles, la cour de renvoi après cassation, a repris à nouveaux frais le litige pour débouter l'ANPAA.

Pour connaître cette association vous pouvez usez des liens juste ci-dessous).

Vers le site de l'ANPAA
Vers le site de l'ANPAA et le débat actuel

On note l'engagement total de l'ANPAA contre l'arrêt d'appel : son pourvoi le critique en cinq branches pour violation de la loi, à savoir l'article précité du Code de la santé publique. Chaque branche est l'occasion pour l'association de signifier le caractère concrètement contraire à la loi qui interdit les publicités conviviales et, au total de ces arguments, du caractère manifestement contraire à la loi de cette campagnepublicitaire.

Mais enfin, et d'une première part, une publicité reste une publicité ; sauf exception, une publicité ne fait ni peur ni n'écoeure, nonobstant les termes du Code de la santé publique qui invitent à la sobriété des publicités en la matière. Si tel devrait être le cas, il faudrait alors que le législateur soit honnête et qu'il interdise carrément toute publicité.

En outre, et de seconde part, la publicité avait d'autres vertus en affichant la place des femmes dans la filière du vin ainsi que celle des jeunes, arguments que la Cour de cassation reprend pour montrer qu'elle contrôle l'application de la loi par le juge versaillais.

Est plus remarquable encore la référence aux facteurs humains de l'article L. 115-1 du code de la consommation, que la première chambre civile met à un endroit au singulier (le facteur humain étant probablement et ainsi réduit à l'art professionnel de la filière qui est ici explicite). Cela signe le retour des "facteurs humains" devant le juge juidiciaire ; on se souvient que la définition légale sert à déterminer quels sont les produits qui peuvent bénéficier d'une appellation d'origine et, ainsi, profiter de la procédure administrative de protection (art. L. 115-2, C. cons.).

Cette question aboutit devant le juge administratif alors que, historiquement, l'appellation a été initiée et de la compétence du juge judiciaire (art. L. 115-8).

L'action intentée est un échec sur toute la ligne, au-delà de ce procès perdu, ce qui n'est pas neutre, notamment en termes de vigueur de l'état d'esprit de certains professionnels de la filière viti-vinicole, dans le bordelais ou ailleurs. Soyons clairs : il peut y avoir après un tel arrêt des initiatives publicitaires audacieuses.

Avec cet arrêt, la jurisprudence redonne aussi des lettres de noblesse à l'appellation d'origine (peu important qu'elle soit contrôlée ou pas), souvent considérée et confondue avec les "labels", en allant puiser dans sa définition légale mais aussi historiques.

Enfin, certains jugeront que la jurisprudence interprète ici restrictivement l'interdiction du Code de la santé publique ; mais on rappellera que cette publicité n'était pas le fait d'une entreprise privé mais d'une organisation interprofessionnelle qui a une légitimité propre ( voyez notre exposé récapitulatif sur l'une de ces organisations, le CIVC : La gouvernance de la Champagne viticole par le Comité interprofessionnel du vin de Champagne, in Les spécificités juridiques de la Champagne viticole, Colloque, Mare & Martin, 2012).

Cela peut néanmoins avoir une influence dans la pratique des publicités, sur les juges du fond voire dans la sphère politique. Cette dernière n'est jamais à l'aise quand il s'agit, d'une façon ou d'une autre, de porter atteinte au patrimoine viti-vinicole (on rappelle que la Champagne, avec donc le Champagne, vient d'être inscrit au patrimoine de l'UNESCO). Il n'est donc pas certain qu'une loi puisse venir combattre la ligne jurisprudentielle que la première chambre civile vient de dégager.






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Vers Mare et Martin

Arrêt emprunté à la base publique Legifrance

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 1 juillet 2015

N° de pourvoi: 14-17368
Publié au bulletin Rejet

Mme Batut (président), président
SCP Odent et Poulet, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)


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Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 avril 2014), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 23 février 2012, Bull. n° 37, pourvoi n° 10-17.887), que le 15 avril 2005, puis courant décembre 2005, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) a mis en oeuvre une campagne publicitaire d'affichage ; que soutenant que celle-ci contrevenait aux dispositions de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique relatives à la publicité en faveur des boissons alcooliques, l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme et addictologie (ANPAA) a assigné le CIVB en interdiction des affiches litigieuses et condamnation au paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que l'ANPAA fait grief à l'arrêt attaqué de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur de boissons alcooliques est autorisée dans les seules conditions strictement et limitativement définies par l'article L. 3323-4 du code de la santé publique, lequel n'autorise que l'indication des caractéristiques objectives et techniques du produit, seules propres à ne pas inciter à la consommation d'alcool ; que cette publicité ne doit pas présenter le produit sous un aspect favorable ou convivial, celui-ci ne pouvant se traduire que par une incitation à la consommation de boissons alcooliques ; qu'en énonçant qu'il « résulte du texte susvisé art. L. 3323-4 du code de la santé publique » que « la présentation du produit à promouvoir suppose (¿) que ce dernier, et sa consommation, soient présentés sous un jour favorable et de façon attractive », la cour d'appel a violé ce texte ;

2°/ que la publicité autorisée pour les boissons alcooliques, strictement encadrée, est limitée à la représentation des caractéristiques objectives et techniques du produit et ne doit pas inciter à la consommation d'alcool ; qu'en énonçant que les personnages sont représentés « sans invite, en particulier, à un partage du produit avec le public » et qu'est « absente toute référence à une ambiance de convivialité entre consommateurs (...) de même que toute évocation de circonstances favorables à la consommation », tandis qu'elle constatait que les personnes représentées sur les affiches avaient « un verre à demi plein à la main », dans un but de « dégustation », donc de consommation, circonstances outrepassant les limites légales, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 3323-4 du code de la santé publique ;

3°/ que la publicité autorisée pour les boissons alcooliques, strictement encadrée, est limitée à la représentation des caractéristiques objectives et techniques du produit ; qu'une telle publicité ne doit pas promouvoir une image de convivialité associée au produit ni tendre à le valoriser ; qu'en décidant qu'était « remplie la prescription de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique relative au caractère objectif et informatif de la publicité », tout en relevant « l'impression incontestable de plaisir (...) liée à l'éclat de la couleur du breuvage, et à l'expression de satisfaction des personnages », la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

4°/ que la publicité autorisée pour les boissons alcooliques ne peut comporter que des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine telles que définies à l'article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés, ainsi que des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ; que les facteurs humains ne peuvent donner lieu à la représentation de personnages, même professionnels de la filière, sous couvert de référence à l'appellation d'origine ; qu'en l'espèce, en relevant que « la représentation de personnages ayant un verre à demi plein à la main, ne dépasse pas les limites fixées par le texte susvisé qui exige une représentation objective du produit », et que les personnages sont « expressément désignés comme des membres de la filière de production ou de commercialisation des vins de Bordeaux », et ainsi « se rattachent (...)
directement au facteur humain visé par l'article L. 115-1 du code de la consommation », la cour d'appel a violé l'article L. 3323-4, alinéa 2, du code de la santé publique ;

5°/ que la publicité pour les boissons alcooliques n'est licite que si elle se borne à reproduire les éléments strictement définis par la loi ; qu'un l'espèce, à l'examen « de l'ensemble des visuels » mis en cause, la cour d'appel a constaté « l'impression incontestable de plaisir » qui s'en « dégage » et « qui est liée à l'éclat de la couleur du breuvage et à l'expression de satisfaction des personnages » ; que les éléments ainsi relevés manifestaient sans équivoque que le message publicitaire litigieux, loin de se borner aux indications objectives et techniques légales, tendait, par la couleur et l'expression des personnages, à susciter une émotion chez le consommateur, liée à la consommation du breuvage, et qu'il atteignait efficacement ce but ; qu'en jugeant pourtant que cette publicité était conforme à la loi, la cour d'appel a violé l'article L. 3323-4 du code de la santé publique ;

Mais attendu que l'arrêt relève que les personnages figurant sur les affiches, expressément désignés comme des membres de la filière de production ou de commercialisation des vins de Bordeaux, ne sont pas assimilables au consommateur et se rattachent, comme ayant participé à cette production ou à cette commercialisation, au facteur humain visé par l'article L. 115-1 du code de la consommation, auquel fait référence l'article L. 3323-4 du code de la santé publique, que la seule représentation de personnages ayant un verre à demi plein à la main ne dépasse pas les limites fixées par le texte susvisé qui exige une représentation objective du produit, telle que sa couleur ou son mode de consommation, que l'impression de plaisir qui se dégage de l'ensemble des visuels ne dépasse pas ce qui est nécessaire à la promotion des produits et inhérent à la démarche publicitaire proprement dite, laquelle demeure licite, et que l'image donnée de professions investies par des jeunes, ouvertes aux femmes et en recherche de modernité, est enfin pleinement en accord avec les dispositions légales autorisant une référence aux facteurs humains liés à une appellation d'origine ; que la cour d'appel a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, qu'était remplie la prescription de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique relative au caractère objectif et informatif de la publicité ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt


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