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Prescription de l'action en paiement contre l'associé de société dissoute (C. civ., art. 1859) (Cass. com. 13 déc. 2011, n°11-10008)



Prescription de l'action en paiement contre l'associé de société dissoute (C. civ., art. 1859) (Cass. com. 13 déc. 2011, n°11-10008)
L'associé de société civile est un associé susceptible d'être poursuivi sur son patrimoine ("personnel") pour les dettes de la société, dites dettes sociales (C. civ;, art. 1858). Certes une action en paiement ne s'envisage qu'après de vaines poursuites. Mais cet obstacle n'existe quasiment pas ou plus lorsque la société est en liquidation puisque, par nature, les poursuites (mesures d'exécution) ne s'envisagent plus. La question de l'action en paiement contre l'associé, ne fait pas par nature fi de la réalité de la personne morale puisque cette dette est subsidiaire. La disparition de la personne morale, que signale sa liquidation, laisse intact ce caractère subsidiaire mais en donnant à la poursuite de l'associé un intérêt majeur : si la société n'existe plus le créancier est pratiquement contraint d'agir contre les associés.

La question plus précise encore de la prescription de cette action a donc, elle aussi, d'autant plus d'intérêt. Pendant combien de temps un créancier oublié, négligé ou négligent peut-il rechercher les associés ?

L'objet même de l'article 1859 du Code civil est de répondre à cette question qui se purge donc a priori aisément. On notera que ce même dispositif constitue l'article L. 237-13 du Code de commerce, disposition générale des sociétés commerciales : son intérêt est alors net pour les associés en nom (de SNC ou de SCS) ; il est moins grand pour les associés de SARL et SA/SAS qui n'ont qu'une "responsabilité limitée", mais il peut exister si ces associés ont eu retour de leur apport et encaissé un boni de liquidation.

En visant les "associés non liquidateurs", la disposition établit une prescription de cinq ans "à compter de la publication de la dissolution de la société". Outre le liquidateur qui a des responsabilités et un statut propres, les associés ne peuvent plus êtres mis en cause. La disposition use du concept d'action en justice, pour la frapper de prescription, sans évoquer la créance en cause ; elle est une créance sur la société.

Ce dispositif clair fait donc se demander comment le juge d'appel, ici censuré pour violation de la loi, arrive à ne pas appliquer le texte correctement. Les faits présentent l'affaire sous un jour exagéré : la société civile en cause avait été dissoute, dissolution régulièrement publiée, en 1991. Or elle n'avait été définitivement condamnée par une décision définitive qu'en 2004. Alors mis en cause par le créancier (un syndicat de copropriété), les associés avaient invoqué l'article 1859 : un tel délai ne pouvait faire oublier la question de la prescription !

Ces faits extrêmes donnaient une situation ubuesque : comment ne accepter une action en 2004 contre les associés quand la créance a été définitivement fixée à cette époque... malgré un dissolution en 1991 ?! Cela pouvait manquer de "bon sens" ! Un ouvrage qui fait autorité indique d'ailleurs "lorsque la dette est née en cours de la liquidation, il semble que la prescription court à partir de la naissance de cette dette" (Mémento Pratique F. Lefebvre, 2012, n° 88102). C'est dire que la naissance de la créance est parfois (dans cette phrase pour la période de liquidation) remise dans la discussion.

Il faut pourtant objecter que considérer la "condition" de la créance pour régler cette question de prescription dépasse les prévisions de l'article 1859. Outre la date de naissance de la créance, l'article 1859 prive le créancier d'une action en justice cinq ans après la dissolution. Considérer la créance revient à ajouter au texte : l'ajout fonctionne alors comme un cas supplémentaire de mise en cause. C'est en définitive comme si l'article 1859 était écrit ainsi "Toutes les actions contre les associés non liquidateurs ou leurs héritiers et ayants cause se prescrivent par cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société..." avec pour ajout "...sauf si la créance est née après la dissolution". Comme cette fin de phrase n'existe pas, le juge d'appel ne pouvait pas déclarer recevable la demande. L'irrecevabilité de la demande ne considère pas l'existence de la créance mais la prescription de l'action en justice.

Ce discours sophistiqué ne convaincra pas également. Et la question pratique reste posée, comment parer à cette prescription qui peut apparaître injuste ? La réponse se trouve sans doute sur le plan procédural : tout en mettant en cause la société (ici une "SCI"), il faut mettre dans la cause les associés avant que ne s'écoule le délai quinquennal. Il convenait en l'espèce de les appeler en garantie avant le 23 décembre 1996 (date de la formalité de la publication de la dissolution). Rien dans l'arrêt ne permet de dire que cela a été fait et il est donc probable que l'action ait été tentée trop tard...



Extrait de Legifrance (base publique du droit) :

Cour de cassation chambre commerciale

Audience publique du mardi 13 décembre 2011
N° de pourvoi: 11-10008
Publié au bulletin Cassation
Mme Favre (président), président
SCP Laugier et Caston, SCP Lesourd, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1859 du code civil ;

Attendu que toutes les actions contre les associés non liquidateurs se prescrivent par cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que MM. X... et Y... étaient associés de la société civile immobilière Le Don Juan (la SCI) qui a été dissoute le 11 décembre 1991 et dont la publication de la dissolution est intervenue le 23 décembre 1991 ; que par arrêt irrévocable de la cour d'appel de Montpellier du 17 février 2004, le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Don Juan (le syndicat des copropriétaires) et la SCI ont été condamnés à réparer le préjudice subi par M. et Mme A... consécutivement à l'édification d'une construction sur une servitude de passage ; qu'aux termes de cet arrêt, la SCI a été également condamnée à relever et garantir le syndicat des copropriétaires de toutes les condamnations prononcées à son encontre ; qu'en exécution de cet arrêt, le syndicat des copropriétaires a demandé que MM. Y... et X... soient condamnés chacun au paiement d'une certaine somme ; que ces derniers ont soulevé la prescription de l'action dirigée contre eux ;

Attendu que pour dire l'action non prescrite, l'arrêt retient que la prescription de l'article 1859 du code civil n'a pu commencer à courir avant la naissance de la créance du syndicat des copropriétaires envers la SCI, qui résulte seulement de l'arrêt du 17 février 2004 ayant condamné cette dernière à relever et garantir le syndicat des copropriétaires de toutes les condamnations prononcées à son encontre ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 septembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne le syndicat des copropriétaires Résidence Le Don Juan aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande, et le condamne à payer à MM. Y... et X... la somme globale de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize décembre deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lesourd, avocat aux Conseils pour MM. Y... et X....

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR rejeté l'exception de prescription et d'AVOIR condamné M. X... et M. Y... à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence Le Don Juan, chacun, la somme de 25 197, 13 € avec intérêts au taux légal à compter du 17 février 2004, majoré de 5 points à compter du 17 avril 2004 et ordonné la capitalisation des intérêts ;

AUX MOTIFS QU'aux termes des dispositions de l'article 1844-8 alinéa 3 du code civil, « la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de sa liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci » ; que, toutefois, lorsqu'une dette sociale apparaissait postérieurement à la clôture, la personnalité morale de la société subsistait tant que les droits et obligations à caractère social n'étaient pas liquidés ; que contrairement à ce que soutenait M. X..., la créance du syndicat des copropriétaires à l'égard de la SCI ne résultait pas de l'éviction de M. et Mme A... mais de la condamnation de la SCI à le relever et le garantir des condamnations prononcées à son égard et notamment sa condamnation in solidum avec la SCI à payer aux époux A... la somme de 50 000 €; que la prescription de cinq ans instituée par l'article 1859 du code civil ne pouvait donc avoir commencé à courir avant la naissance de la dette invoquée qui résultait du seul arrêt du 17 février 2004 qui, après avoir condamné in solidum le syndicat des copropriétaires et la SCI « Le Don Juan » à payer aux époux A... la somme de 50 000 €, avait condamné également la SCI à relever et garantir le syndicat des copropriétaires de toutes les condamnations prononcées à son encontre ; que l'action du syndicat des copropriétaires « Le Don Juan » à l'encontre de la SCI «Le Don Juan » et de MM. X... et Y... qui avait été introduite dans les cinq ans suivant l'arrêt de la cour d'appel n'était donc pas prescrite;

ALORS 1°) QUE, aux termes de l'article 1859 du code civil, toutes les actions contre les associés non liquidateur ou leurs héritiers et ayants-cause se prescrivent par cinq ans à compter de publication de la dissolution de la société ; que cette prescription de l'article 1859 du code civil ne peut être écartée lorsque la créance dont le paiement est demandé est née postérieurement à la publication de la dissolution de la SCI ; qu'en l'espèce où la publication de la dissolution de la SCI a été effectuée le 23 décembre 1991, la prescription de l'action à l'encontre de MM. X... et Y... était acquise à compter du 23 décembre 1996 ; qu'ainsi l'action engagée contre les anciens associés de la SCI par exploit des 24 et 27 avril 2007, soit onze ans après l'expiration du délai de prescription, était irrecevable comme prescrite; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour a violé, par refus d'application, l'article 1859 du code civil ;

ALORS 2°) QU'aucune disposition légale ne prévoit un point de départ du délai de prescription différent selon que le créancier a ou non un titre contre la société débitrice principale ; que, par conséquent, la circonstance que l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier condamnant le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Don Juan et la SCI Le Don Juan à payer aux époux A... une somme de 50 000 € était en date du 17 février 2004 est inopérante pour justifier le rejet de l'exception de prescription soulevée par MM. X... et Y...; que ce motif inopérant ne donne aucune base légale à l'arrêt attaqué au regard de l'article 1859 du code civil.

Publication :

Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier du 7 septembre 2010

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