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La consultation juridique, un aspect de la guerre du Droit (Cass. com. 12 fév. 2013)



Les avocats se battent contre de multiples acteurs qui exercent la consultation (le conseil juridique sans en avoir les qualifications ou qui, carrément, rédigent pour autrui des actes juridiques contre rémunération. C'est le contexte passionné du début de l'année 2014 lié à une réforme de l'article 1861 du Code civil sur la cession des parts sociales de SCI, qu'une précédente note de ce site relate, qui fait souligner un arrêt du 12 février 2013 qui a appliqué les règles en vigueur en rejetant un pourvoi.

En l'espèce, c'est la cliente qui a agi en justice et non des professionnels du droit.

Une société donnait des conseils - dans le domaine de la gestion - après une analyse juridique précise de la situation de ses clients. Un de ces clients a attaqué cette société qui "faisait commerce du Droit" pourrait-on dire. On note le type d'action en cause, au civil, alors que la loi de 1971 comporte également des dispositions pénales réprimant les "braconniers du droit". La demanderesse fut entendue devant la cour d'appel et la convention fut annulée.

La Chambre commerciale la suit et l'approuve en rejetant le pourvoi et en explicitant ce qu'elle aurait souhaité que le juge du fond dise plus clairement au lieu de simplement le "faire ressortir", comme elle l'écrit dans son attendu :

"cette préconisation emportait la réalisation d'une véritable consultation excédant la seule vérification d'une situation juridique ou un simple avis, et cela au regard tant des conséquences juridiques et sociales supportées par la société en cas d'acceptation, que des propres engagements de la société Cap2e consistant à superviser et accompagner sa cliente dans la mise en oeuvre jusqu'à la réalisation effective des économies, et donc notamment l'obtention de l'agrément des représentants du personnel et des salariés concernés par l'envoi à ces derniers d'une lettre type qui était annexée au rapport de mission ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations faisant ressortir que la vérification, au regard de la réglementation fiscale en vigueur, de la situation des salariés de la société, constituait en elle-même une prestation à caractère juridique réalisée à titre principal en infraction aux dispositions des articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971".

Vérifier une situation juridique est une chose, l'analyse juridique en est une autre ; cette dernière est réservée par la loi de 1971 aux personnes habilitées, dont les avocats parmi de nombreux autres. On ne commente pas ici le dispositif de l'article 60 qui permet l'exercice du droit à titre accessoire et dans des conditions réglementaires et son inapplication dans l'espèce, bien que cette question importe puisque divers professionnels peuvent exercer le droit à titre accessoire, et dans ce cas aucune nullité de la convention ne saurait prospérer.

Le plus marquant dans cette décision est l'approbation de la nullité de ce qui était une convention de services juridiques. Elle appelle une digression : si une société a pour objet social une activité illicite, son problème n'est pas seulement de voir annuler les conventions conclues avec les clients ou d'être poursuivie au pénal, c'est son objet social qui se trouve être illicite, et le contrat de société lui-même a vocation à être annulé. L'entreprise doit fermer !




Texte emprunté à la base publique Legifrance

Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du mardi 12 février 2013
N° de pourvoi: 12-12087
Non publié au bulletin Rejet

M. Espel (président), président
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 23 novembre 2011), que la société Velfor Plast a confié à la société Centre d'analyses patronal pour les économies d'entreprise (société Cap2e), conseil en gestion d'entreprises, une mission portant sur la réduction des coûts et tous remboursements susceptibles d'être obtenus sur diverses charges sociales et fiscales ; que la société Cap2e a remis à la société Velfor Plast un rapport préconisant l'application de la déduction forfaitaire spécifique pour le calcul des cotisations de sécurité sociale sur la rémunération de ses agents commerciaux et l'a fait assigner en paiement de ses prestations ; que la société Velfor Plast s'est prévalue de l'illicéité de la convention ;

Attendu que la société Cap2e fait grief à l'arrêt d'avoir annulé la convention conclue avec la société Velfor Plast et d'avoir en conséquence rejeté l'ensemble de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ; que ne constitue pas une consultation juridique la prestation fournie en l'espèce par la société Cap2e à la société Velfor Plast consistant à auditer les postes de charges en vue d'en réduire l'importance ; qu'en déclarant nulle la convention par laquelle la société Cap2e s'était engagée à analyser en vue de les optimiser les postes de charges énumérés dans les conventions conclues avec les sociétés du groupe Velfor Plast, la cour d'appel a violé les articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée ;

2°/ que dès lors qu'elles participent à la réalisation de leur objet social, les consultations juridiques que délivrent une société de conseil en gestion disposant d'un agrément ministériel entrent nécessairement dans le champ de compétence que leur reconnaît l'article 60 de la loi du 31 décembre 1971, lequel texte dispose que "Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité" ; qu'en jugeant que la prestation de consultation juridique accomplie par la société Cap2e, dès lors qu'elle tendait, au moyen d'une vérification de la situation de l'entreprise au regard de la législation sociale et fiscale, à l'établissement d'avis juridiques tendant à parvenir à une réduction des coûts, était illicite comme ayant été réalisée "à titre principal" puisque l'objet social de cette société était précisément la "réduction des coûts", la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, le texte susvisé ;

3°/ que les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée agréée pour laquelle elles justifient d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité ; qu'en l'espèce la cour d'appel a constaté que la société Cap2e est détentrice depuis 2005 d'un certificat de qualification professionnelle OPQCM délivré pour les activités de "finances-audit, conseil et gestion des risques financiers et d'assurances-achats", comprenant selon la nomenclature de cet organisme agréé tous les aspects ayant trait aux problèmes financiers de l'entreprise, dont notamment l'optimisation des coûts en matière sociale ; que la cour d'appel a encore constaté que la société Cap2e, dont l'objet social est l'optimisation des dépenses des entreprises, avait été chargée par la société Velfor Plast de procéder à l'examen des postes charges sociales, taux AT, taxe foncière, taxe professionnelle et énergie, en vue de les optimiser notamment par toute réduction de coût de biens, de marchandises, de prestations, constituant une charge ou une immobilisation ; que l'arrêt constate que cette mission a conduit la société Cap2e à remettre à son client un "rapport de mission n° 1" ayant pour objet la "recherche d'économies sur les charges sociales", et préconisant une option pour la déduction forfaitaire des frais professionnels, de nature à permettre des économies de charges patronales ; que, pour déclarer nul le contrat en exécution duquel la société Cap2e avait rempli cette mission, la cour d'appel retient que la société Cap2e avait dû, pour remplir sa mission, examiner la situation concrète de chaque salarié au regard de la législation sociale et de droit du travail, afin de vérifier si les critères permettant de bénéficier du droit à la déduction forfaitaire étaient remplis, ce qui correspondait à la réalisation d'une "véritable consultation juridique" que la société Cap2e avait réalisée à titre principal ; qu'en se déterminant de la sorte, sans faire ressortir en quoi la mission de la société Cap2e, dont l'arrêt ne relève pas qu'elle aurait inclus l'introduction de recours amiables ou contentieux pour le compte de l'adhérent, et encore moins l'assistance, pour les mener à bien, de conseils, experts juridiques ou avocats, aurait excédé le domaine d'activité en considération duquel la société Cap2e disposait d'un agrément ministériel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 54 et 60 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, ainsi que de l'arrêté du 19 décembre 2000, modifié par l'arrêté du 28 février 2001 conférant l'agrément prévu par l'article 54-I de la loi du 31 décembre 1971 aux consultants ou ingénieurs-conseils qui exercent leur activité dans les secteurs du conseil pour les affaires et la gestion ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que pour réaliser sa mission et préconiser la déduction, la société Cap2e avait dû nécessairement vérifier la situation des salariés de la société et leurs conditions de travail au regard de la législation et de la jurisprudence sociale applicables, quant aux critères permettant à certaines professions de bénéficier du droit à la déduction fiscale de 30 %, et à leur employeur de pratiquer ainsi la déduction forfaitaire spécifique sur l'assiette des cotisations sociales, l'arrêt retient que cette préconisation emportait la réalisation d'une véritable consultation excédant la seule vérification d'une situation juridique ou un simple avis, et cela au regard tant des conséquences juridiques et sociales supportées par la société en cas d'acceptation, que des propres engagements de la société Cap2e consistant à superviser et accompagner sa cliente dans la mise en oeuvre jusqu'à la réalisation effective des économies, et donc notamment l'obtention de l'agrément des représentants du personnel et des salariés concernés par l'envoi à ces derniers d'une lettre type qui était annexée au rapport de mission ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations faisant ressortir que la vérification, au regard de la réglementation fiscale en vigueur, de la situation des salariés de la société, constituait en elle-même une prestation à caractère juridique réalisée à titre principal en infraction aux dispositions des articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, en second lieu, que dans ses conclusions d'appel, la société Cap2e soutenait qu'elle était autorisée à donner des consultations à titre accessoire, et qu'elle exerçait cette compétence à titre accessoire ; que le moyen ne peut à présent soutenir une thèse contraire ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Cap2e aux dépens ;



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