1, 5 Md € pour l'Intelligence Artificielle, autant et tout de suite pour les Facultés !

L'Université dans le désarroi de la pauvreté, les Grandes Ecoles dans le luxe. L'Etat à la rue, les étudiants dans la rue...



Le juriste, chercheur, qui s'exprime ici, est, comme ses collègues, assez bien placé pour discuter politique publique. Il étudie les réformes incessantes qui montrent l'incapacité des gouvernements à anticiper : à créer des situations stables.

Dans un précédente chronique, "La France le pays où rien ne marche", nous faisions part d'une sorte de sentiment et d'image du pays. Il est vrai, et c'était confessé, on pourrait aisément écrire un billet sur "la France, un pays aux nombreuses réussites". Les choses sont complexes et mélangées.

Mais l'opinion publique existe par-delà Montesquieu qui, naguère, y a mis le doigt dessus. Le sentiment dominant est une réalité, une réalité réelle quand il perdure. Tout le monde connaît le problème de l'Université, comme celui de la surpopulation des prisons.

Tout le monde le connaît parce que tout le monde sait que personne ne le traite, personne n'a un discours global et volontaire. Dominique Reynié avait hier au soir (LCI) un discours d'antan qui embrouillait le problème. Il critiquait, de toute son autorité de professeur à Sciences Po Paris, ceux qui dénoncent la sélection à l'Université ; il s'indignait ainsi de la (prétendue) position de l'élite française (dont les profs !), élite qui par ailleurs envoie ses enfants dans les Grandes Ecoles (au passage il oublie que les bacheliers décident souvent seuls...).

La belle affaire.

Le propos est outrecuidant s'agissant d'un professeur d'une institution élitiste voire prétentieuse qui rejette pauvres et atypiques, et dont le bilan devrait se faire à l'examen des politiques publiques arrêtées par une majorité d'énarques formés à... Science Po Paris. Il n'a en revanche pas dénoncé ceux qui, dans les grandes Ecoles, très bien dotées en professeurs, s'impliquent peu pour le service public au profit d’activités privées (très) lucratives, non plus que le budget de ces institutions.

Mais qu'importe, le problème n’est pas là, il n'est plus dans la sélection, mais dans la gestion des milliers d'étudiants qui existent, et qui arrivent dans l'Université (et non pas rue Saint-Guillaume). Le problème échappe donc à l'élite parisienne - enfin, ainsi nommée soit-elle.

Au bord d'une crise, le problème de l'Université est ignoré !


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Source : Blog du prof. Piketti
Source : Blog du prof. Piketti
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Il faut donc une proposition choc pour réveiller les pouvoirs publics qui n’ont que le mot CRS à l’esprit.

Il faut 1, 5 milliard d'euros de plus pour l'Université, et tout de suite ! La même somme prévue, je simplifie (mais le gouvernement aussi), pour l'intelligence artificielle. La proposition doit encore ramener au fond.

Pourquoi, avec Parcoursup, l'Université est-elle invitée à "un peu" sélectionner les étudiants quand, selon le principe légal (…), seul le Bac devrait valoir ? Parce que les ministres et gouvernements ont laissé le Bac glisser sur du n'importe quoi, comme ils l'ont fait depuis 15 ans sur la licence pour l'Université.

Dans une Université moyenne de province, sur une promotion de 20 étudiants de master, on peut ne plus trouver un étudiant capable d'écrire 80 pages de mémoire en 5e année. Il n'y aura plus de thèse dans 10 ans, sauf à Paris !? Donc pénurie d'universitaires dans 12 ans. 5 ans de Master + 5 ans de thèse (en pratique Bac + 11 ou 12 au mieux), pour être rémunéré 1700 euros en qualité de maître de conférences à ses débuts, ça ne peut pas marcher.

D'autant que la direction de thèse est plutôt gratuite..., on n'a pas pensé à rémunérer la direction de thèse en tant que telle, à l'acte, mais il existe des procédures administratives qui mobilisent pour peu des centaines de personnes...

Les Grandes Ecoles vivent dans le luxe, l'université dans la pauvreté, la situation est donc d'autant plus intenable.
Prenons un exemple. Il faut 1 an pour inventer Science Po Reims (à 90 millions d'euros), il faut dix ans pour trouver la même somme pour les 25 000 étudiants rémois. Vive les élites et les... élus ! L'ancien président de l'Université s'en offusquait...

Il faut briser cette inégalité.

Il faut également briser l'inégalité entre les petites universités et les grandes : assumer 5 ans de droit suppose un minimum de professeurs et de maîtres de conférences et de doctorants rémunérés et de post-doctorants salariés. Depuis 25 ans aucun rééquilibrage n'a été opéré alors qu'on est passé de 1,5 millions d'étudiants à 2, 5 !

Dans 10 ans, l'absence catastrophique de docteurs (en géographie, en biologie, en informatique, en sociologie...) pouvant devenir universitaires imposera un plan de 20 Mds ! Et 20 ans pour refaire des filières, des universitaires (cela prend 10 -12 ans), des foyers intellectuels (facs ou centres de recherche lesquels sont devenus des lignes administratives...).

Donc, 1, 5 Md d'euros tout de suite, pour regarder le problème et le traiter, c'est une bonne affaire publique.

L'université ne peut pas rester immobile face au flot continu d'étudiants qui y arrivent, sans avoir le niveau pour entendre un cours magistral ou un autre du reste ! On en est quand même à dispenser aux étudiants des cours de français et de méthode (français amélioré), alors que l'enseignement scolaire les a eus entre les mains… si longtemps !

Il faut donc créer de nouveaux parcours et faire des recrutements exceptionnels pour accueillir ces étudiants, d'autant plus qu'on est dans le haut d'une vague. La ministre dit 8 millions d'euros pour permettre la sélection en interne via Parcoursup. C'est moins que ce que perçoit un gagnant du loto d’une semaine ordinaire ! C’est moins de 5 % du budget de Science Po qui fabrique les élites qui nous ont mis dans cette situation de crise…

Parcoursup, question réelle à gérer dans l’urgence, n'est pas le réel problème.

Le problème est que les profs d'universités sont payés, en France, à la moitié des bonnes rémunérations étrangères, et sans aucun avantage (pas même un ticket restaurant !). Depuis 50 ans, la SNCF promène des députés à la retraite (en Première, bien sûr) mais, pour aller à un colloque, le professeur d’Université doit payer son billet (en Seconde, bien sûr), et remplir plusieurs papiers s’il a un canal pour se le faire rembourser.

Il faut être un peu fou pour devenir universitaire : l'université va donc mourir.

Si le gouvernement ne prend pas la mesure du problème, il se pourrait que la rentrée soit sa sortie. Il ne suffit pas de nommer quelques ministres ayant été professeurs d'université (…) pour éviter une crise ; ça, c'est la politique d'hier.

Les incidents dans les Universités ne sont pas un retour de la lutte droite-gauche, ils sont liés à des réalités financières et sociales que vivent les étudiants (moins dans la filière du droit que dans d'autres) :

- leurs encadrants sont fatigués, sans assistance administrative réelle tou est administratif : les professeurs d'université sont mal traités (et du reste ils ne sont pas gérés... la LRU a été une blague),

- les Universités sont étouffées financièrement dans une triste spirale : à qui le tour d'être sous la tutelle financière du recteur ? ... ce qui n'interdit pas de dire que certaines universités sont mal gérées !

- et ces mêmes étudiants ressentent qu'ils sont pris pour des imbéciles avec
* un encadrement professoral limité,
* des moyens limités (en ordinateurs, en livres dans les BU...)
* des salles de cours peu propres et un peu équipées,
* une absence d'aide des associations d'étudiants pour les projets des disciplines enseignées,
* l'absence d'une assistance pour trouver des stages par ailleurs rendus obligatoires...
* de jeunes assistants en général de passage puisque les doctorants deviennent rares...
* et des professionnels qui viennent aidés de plus en plus étonnés de leurs contraintes pour 40 € l'heure...

soit des établissements délaissés (la différence entre fac de province est parfois notable du point de vue du nombre des emplois de professeurs d'université et de maîtres de conférences).

La conséquence est que les universitaires, écoeurés, sont poussés à déserter leurs missions, ou bien leurs recherches ou les directions de diplômes ou bien les directions de recherche des meilleurs étudiants, ou bien les liens sociaux et économiques à tisser (dans l'indépendance du service public, soit dit en passant puisque ce n'est presque jamais dit !).



L'impressionnant nombre d'étudiants, vers les 3millions ?
L'impressionnant nombre d'étudiants, vers les 3millions ?
Les universitaires se déchirent entre eux pour les rares promotions (alors que les salaires ne sont pas au niveau international), ou une prime de 1000 euros, quand elle existe, ou pour une carte de 1000 photocopies... Car les universitaires, même ceux du meilleur niveau, n'ont même pas le droit de s'acheter 3 livres par an (normal pour des chercheurs !). On va à la BU, comme les étudiants ! On espère un téléphone portable pour les meilleurs, ... dans 50 ans !

La seule chose dont on n'avait pas besoin, parce que c'est gratuit, c'est une boite email, elle, on l'a !

C'est lamentable. Et quand un gouvernement socialiste signe, dans ses derniers jours d'existence (!), une légère amélioration de la grille indiciaire (MCF et prof de 2e cl), il oublie les professeurs d'expérience.

La situation choque d'autant plus que la masse des connaissances s'accroît et qu'enseigner et chercher est devenu très difficile - et chaque universitaire est devenu secrétaire administratif, ça, c'est un peu tout le monde.

Bon, revenons sur terre.

On a fait Parcoursup, bien ; on a changé une plateforme informatique. Bien. C'est une bonne mesure de gestion peut-on penser. Cela n'a néanmoins presque rien à voir avec une politique universitaire !

Il y a autre chose.

Il faut aussi parler franchement aux étudiants, et pas seulement sur les admissions dans une filière. Etre étudiant exige de s'y consacrer à temps plein et avec beaucoup de force. Là aussi il n'y a aucun discours politique, aucune politique universitaire. Le tourisme universitaire ne sert à rien. Pour moi, avoir ses examens à 10/20, c'est être en situation d'échec et les professionnels comprennent le réel niveau de l'étudiant.

Tous les universitaires doivent être unis dans cette affaire !

Le système de voir quelques universitaire élus faire carrière sur les directions ou présidences d'établissement ne peut plus durer, les responsables universitaires élus ne peuvent plus représenter l'Etat, qui manifestement ne comprend pas l'Université, et ne pas concrètement représenter leurs étudiants, personnels administratifs et collègues universitaires.

Car les grèves viennent de quelque part !

Toutes les entreprises doivent aussi comprendre et soutenir un tel mouvement. Sinon elles devront ouvrir des classes d'élèves pour leurs salariés : ne voit-on pas déjà des cours de français dans les grandes entreprises ? Eh oui, la digitalisation a accru le besoin d'écrire (l'email) de façon compréhensible et, aussi, le besoin de lire de plus en plus vite et de mieux en mieux...

1, 5 Md d'euros pour l'Intelligence Artificielle, moi je dis OK. OK professeur Cédric Villani !

Mais je dis aussi 1,5 Md d’euros pour les Facultés, et notamment de province, pour éviter la concentration parisienne qui, sur tous les plans, tue le pays ! 1, 5 milliard pour quoi ?

Pour un plan de stabilisation des 3 ans à venir.

Lesquels serviront à renégocier la nouvelle politique pour de Nouvelles Lumières.

Il faudrait éviter les opérations creuses du style Grenelle du Supérieur, Assises de la recherche et du supérieur, Etats généraux des Universités ou Pacte pour... Trouvez les idées et les moyens d'élaborer une politique avec les centaines de députés et sénateurs qui existent... et lancez-les !





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A l'usage des journalistes qui ont du mal avec les structures universitaires : les universités sont dirigées par un.e président.e et un CA ; elles comportent des "composantes", Facultés, IUT, Ecoles... qui, elles, sont dirigées pas un directeur et un conseil de gestion ou de faculté ; ce directeur est appelé "doyen" dans certaines Facultés (quelques-unes s'appellent Ecoles) car les universitaires n'ont jamais admis que la loi Faure de 1968 les transforme en Unité de Formation et de recherche (UFR)... Dans les très grandes universités, les UFR sont des entités plus discrètes qu'en province, on n'y trouve aucun doyen.



Contact : hervecausse@hervecausse.info


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