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"Droit du marché" ? Ou le besoin de retrouver la voie d'un "Droit économique".



Chaque crise socio-économique montre ce que l'on appelle la crise de l'Etat (que l'on imagine trop vite, depuis quelques siècles, comme fort et omnipotent...). Dans ces circonstances, le pouvoir politique est alors légitime à réagir, à adopter des lois plus sévères ou qui seront mieux respectées - du moins le pense-t-on.

On veut l'Etat et la liberté - d'autres pays sont plus cohérents ou clairs...

La crise financière de 2007-20011 a été l'occasion pour l'Etat de reprendre quelques pouvoirs sur le secteur de la finance. Quoique l'on puisse ne pas en être convaincu... des milliers de règles dans lesquelles toute le monde se perd...

La même chose se produit avec la crise sanitaire : l'Etat va s'arranger pour qu'on fabrique plus de médicaments en France ou en Europe, que des applications informatiques soient disponibles en cas de virus plus violents, on va refaire des lits d'hôpitaux publics, renforcer le système scolaire pour qu'il puisse faire face au cas où, etc.

Chaque fois que l'Etat reprend des forces, il contraint le secteur privé notamment à travers le marché - ou prétend le faire. Il s'arroge des pouvoirs d'intervention dans ou sur le marché.

En 2004, deux auteurs prévoyaient le recul définitif de l'Etat et donc, selon eux, du droit économique (Cl. Lucas de Leyssac et G. Parléani, PUF). Ce point n'était pas central dans leur ouvrage. Il faisaient néanmoins alors une place de roi au marché en insistant sur le "Droit du marché", l'intitulé de l'ouvrage.

Les premières lignes de l'ouvrage enterrent l'hypothèse sophistiquée, profonde et riche du "Droit économique" de Gérard Farjat (1919-2012). Ils ne citent toutefois pas cette idée de droit économique dans le détail, mais la référence s'entend et, au moins, suggère ce lien.

Le Droit du marché que présentent les professeurs Lucas de Leyssac et Parléani est conventionnel qui contient le droit de la concurrence et le droit de la consommation, ce qui correspond à la première et à la seconde partie du livre. Il est donc une version positiviste d'une question qui, néanmoins, a un côté triomphe du capitalisme libéral (faudrait-il dire autrement ?).

En majorité, les juristes sont conservateurs et penchent du côté du droit positif. Nombre de progressistes sont encore conservateurs, l'expérience politique de la gauche l'a montré. Les juristes penchent du côté des puissances (pouvoir politique, puissances de l'argent, pouvoir économique, courants intellectuels dominants, pouvoir de justice). Sans doute le clivage droite / gauche et d'autres nuancent-ils ces appartenances ou soutiens.

La propension du juriste à pencher du côté du pouvoir n'est pas une affaire individuelle mais plutôt collective. Il y a là un phénomène structurel (culturel ?), sociologique, qui dépasse l'aspect personnel - outre les ralliements manifestes pour des relations d'affaires pour ne pas dire d'argent.

En somme, le droit est du côté du pouvoir. Du reste, le pouvoir tient généralement son existence du droit (la Constitution !). Le couple est diabolique. Ainsi, le droit usuel vient du pouvoir. Sert au pouvoir. Est du pouvoir. Soumet au pouvoir. Reflète le pouvoir. Ceux qui prétendent résister à cette tendance le font de plusieurs manières mais ils peuvent vite exclus du débat juridique conventionnel, positiviste.

Dans le combat que l'on relate, les fondements du droit économique de Gérard Farjat sont puissamment juridiques et ancrés dans la technique. C'est tout à fait remarquable. Toute excommunication secrète, discrète ou d'opérette ne pouvait être prononcée.


Le courant du droit du marché l'a emporté nettement ces 20 dernières années mais, désormais, les questions sont nouvellement posées. Le droit économique devrait refaire surface dans un monde qui a plusieurs raisons d'évoluer : le système financier et bancaire et monétaire qui est toujours une terreur pour le monde, le système médical et sanitaire insuffisant face à un seul virus et, enfin, le système écologique de la terre. On pourrait ajouter le système stratégique nucléaire mondial.

Tout cela se fait sur fond numérique, on dira simultanément informatique. Le pouvoir numérique, en à peine vingt ans, montre que les oppositions privé / public, particuliers/entreprises, structures privées / structures étatiques sont vaines. La puissance numérique contraint tout le monde, et sans ménagements.

Un moment juridique autre s'ouvre peut-être, rien n'est jamais sûr. La liberté du commerce et de l'industrie actuellement connue, dite liberté d'entreprendre, et largement fondée sur le contrat et la propriété, pourrait être infléchie. La perspective d'un droit des affaires, qui a accouché d'un droit des marchés ou d'un droit du marché, inspire peu. Ce nouveau moment ne se fera que dans une conception générale efficace des activités économiques, privées, publiques et mixtes : il faudra bien toujours et encore produire des richesses, ne serait-ce que pour refaire le monde !

Ce projet appelle d'imaginer un "Droit économique" qui reprendra à nouveaux frais les vieilles figures. Il faudra notamment fixer plus visiblement et nettement les limites et abus des libertés. Les deux ont toujours existé et peu servi.


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Cette brève note poussera les esprits curieux à trouver les nombreuses sources qui, probablement riches, peuvent éclairer le débat.

"Droit du marché" ? Ou le besoin de retrouver la voie d'un "Droit économique".

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