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Fusionner des 'Organes Centraux' bancaires (C. mon. fin., art. L. 511-30 à -32) ? Fusion des Caisses d’épargne et des Banques populaires : difficile au vu du code monétaire et financier, la loi de la République. Coopératives et Mutuelles.



Les tenants des réseaux bancaires coopératifs et mutualistes s'interrogent. Ils voient arriver une fusion alors que les réseaux se portent bien et que, a priori, les deux organes centraux (voir ci-dessous les textes) se portent également bien (déclaration du Président du Directoire de la CNCE devant la Commission des finances de l'Assemblée nationale le 7 octobre). Ce projet fait difficulté et il faut repartir de la base, comme le prouve le Président MILHAUD du réseau des caisses d'épargne qui, au cours de cette audition, a indiqué être la tête d'un groupe "mutualiste", formule qui est discutable.

Ce réseau est coopératif et non mutualiste, encore que la CNCE ne soit pas a priori elle-même une société coopérative... ce qui est curieux... quand on a pour mission d'être le "surveillant général" d'un réseau de sociétés coopératives soumise à la loi de 1947. Le statut juridique n'est pas le même, une société anonyme coopérative (SaC) n'est pas une mutuelle, laquelle est une personne morale soumise au Code de la mutualité (sauf exceptionnelle assimilation, voyez infra l'art. 512-1 du C mon. et fin.). Ce flottement traduit une politique laxiste des réseaux voire des "groupes" de l'économie sociale qui, pourtant, ont assez souvent bien marché : pourquoi vouloir les assimiler à de simples sociétés commerciales ?

Ces réseaux bancaires de SaC ont à leur tête un "organe central" (Code mon. et fin., art. L. 511-30 à -32). Ce dernier a des missions règlementaires qui semblent aujourd'hui oubliées pour se limiter à dire que la CNCE et la Banque Fédérale des Banques Populaires ne sont que des sociétés anonymes. or tout le problème vient de là, elle ne sont pas que cela. Organe central, chacune est visée par la loi avec des missions légales détaillées. Tel est le contexte de la fusion, et cela ne nous apparaît pas, sauf précision ultérieure, neutre.

Au moment où on touche le fond à cause du libéralisme tous azimuts, où l'on parle des excès du capitalisme et où l'on reparle de la valeur de l'économie sociale, on se demande pourquoi les Caisses d'épargne et la Banques populaires quitteraient ce giron pour celui du capitalisme pur et simple qui expose les déposants et clients à des risques excessifs et souvent dissimulés. C'est tout de même un comble. Voilà des caisses coopératives qui vont être obligées de fusionner parce que deux organes centraux l'ont décidé, peut-être en raison de pertes (je ne sais) de leur filiale commune Natixis ? Couper la tête qui a mal marché se comprendrait, maltraiter le corps qui a bien marché ne se comprendra guère. Mais bon, tout cela est en partie politique...

Avoir une politique financière passe d'abord, pour l'Etat, par le fait d'avoir une politique juridique cohérente dans le domaine, sinon la gestion capote. Voyons le problème posé qui du reste risque de tourner court puisque les Caisses d'épargne semblent avoir perdu la confiance du président de la République après une perte exceptionnelle de ses traders (600 M€), démontrant au passage que la CNCE est devenue un "casino" comme les autres banques qui "jouent" au lieu de travailler penseront certains... Voyons les nombreuses difficultés juridiques de ce projet de fusion que la presse présente comme une évidence ou un projet confirmé, ce en quoi nous ne croyons guère


La logique de l'organisation bancaire rejoint ici la politique. Fusionner ces deux organes centraux revient à nier l'autonomie et l'identité des deux réseaux
de banques régionales après l'avoir admise encore dans des réformes législatives récentes : ou sera la ratio legis ? Donner un seul organe central à deux réseaux différents nie les caractéristiques juridiques et économiques de ces réseaux. Or la loi, jusqu'à aujourd'hui, a maintenu des originalités fortes à ces deux réseaux, reconnaissant ainsi explicitement à ces caisses régionales, à ces personnes morales, une raison supplémentaire à l'autonomie juridique de toute société. L'autonomie pour arriver à terme à une fusion des caisses régionales... il n'y aurait que incohérence.

Une loi est nécessaire. On revient ici à du pur droit. Un accord de fusion entre les deux SA (CNCE et BFBP) ne suffit pas. Les deux ''Organes Centraux'' , comme le dit la loi (Code mon. et fin., art. L. 511-30), ont chacun des missions qui se ressemblent mais qui ne s'assimilent pas (Code mon. et fin., art. L. 512-11 et L. 512-95). C'est du reste pour cela qu'il y a deux articles principaux sur les pouvoirs de chacun de ces organes (précités), et non pas un seul. Il n'y a qu'une logique de l'organe central (une définition à L. 511-30 ; Th. BONNEAU, Droit bancaire, 2007, p. 94), mais il y a diverses modalités d'organe central pour chaque réseau bancaire, selon sa spécificité. Faire un organe à la place de deux suppose donc de changer ces articles du code monétaire et financier. A défaut, on ne saurait pas quels pouvoirs ce nouvel organe central dispose : ceux de la CNCE ou ceux de la BFBP ? Car on ne pourrait, au motif d'une fusion, réunir les deux séries de dispositions légales qui donnent des pouvoirs exceptionnels sur une nouvelle personne que le législateur n'aurait pas visée ! Une loi est bien nécessaire, et non pour du détail, mais pour l'essentiel.

Une loi difficile à imaginer. Comment donner une tête à deux corps ? C'est aussi difficile en chirurugie qu'en droit, surtout quand deux corps existent déjà avec deux têtes. Ce projet industriel qui existe sans réelle préparation législative paraît bien difficile à mener à bien, alors surtout que l'on a modifié au moins cinqu fois les textes sur les organes centraux, et sur la CNCE et la BFBP, depuis 7 ans. Ils peuvent même faire adhérer des établissements hors de leur réseau traditionnel, ce qui est une façon de reconnaître les groupes de société (L. 531-32 : "Ils sont chargés de veiller à la cohésion de leur réseau et de s'assurer du bon fonctionnement des établissements qui leur sont affiliés. "). Le législateur leur a tout accordé... et il faudrait encore maintenant, en pleine crise internationale, inventer dans l'urgence un "machin juridique" pour satisfaire deux managements. Si cela aboutit, d'aucuns penseront qu'il n'y a plus d'organes centraux, mais des organes dictatoriaux. Cela démontrerait que cette institution, dotée de pouvoirs régaliens, est plus redoutable encore qu'une SA classique. Le secteur bancaire coopératif, et probablement mutuel, aurait vécu en France.

La loi, celle applicable aujourd'hui, ne prévoit pas qu'un organe puisse fusionner avec un autre. Le législateur a eu l'occasion de le voter, il n'a jamais voulu cela. En vertu de quels pouvoirs les organes centraux envisagent-ils de fusionner ? Certes des SA peuvent fusionner et les directions générales peuvent le décider ; une règle spéciale a même autorisé la fusion de la carpe mutuelle avec le lapin coopératif en matière bancaire ( Art. L. 512-1(Ord. n°2005-429 du 6 mai 2005 - art. 56 JORF 7 mai 2005) : "Les banques mutualistes ou coopératives sont soumises au régime des fusions scissions et apports des sociétés anonymes prévues par le livre II du code de commerce même si elles ne sont pas constituées sous une forme régie par cette loi".). mais cela n'intéresse pas les organes centraux. Mais les SA de l'espèce sont aussi et surtout "organe central". Leur mission légale, déterminée par la loi, loin de prévoir un cas d'auto-destruction (fusion-absorption), leur impose de continuer à exister ! Si la République consacre de tels organes, ce n'est pas pour que deux présidents de SA en décident autrement, ou bien les lois sont encore moins que ce que je croyais.

Le projet de fusion pose donc problème en droit des sociétés.
Une société a-t-elle le droit de voter en conseil d'administration ou en comité de directoire une fusion que, par nature, sa mission légale et règlementaire interdit. A notre sens la réponse est NON. Le droit des sociétés est un cadre, lequel ne dispense pas de respecter les contraintes légales de tel ou tel métier. L'argument vaut a fortiori quand la SA en cause est nommément désignée par la loi qui va jusqu'à lui donner sa dénomination sociale (CNCE et BFBP). Les résolution de CA ou de Directoire posent donc un problème immédiat.

La seule méthode qui vaille est celle consistant à faire voter une loi ouvrant la voie aux fusions d'organes centraux, et ce de façon générale. Les décisions privées ne doivent que pouvoir suivre (résolutions des SA). A nouveau, une fusion ne peut nier l'identification, les appellations, missions légales, pouvoir de coercition... de deux organes centraux. On comprend d'où vient la crise bancaire : les banques ont trop pris l'habitude de maltraiter et de négliger le droit, ce que nos travaux, singulièrement depuis 7 ans, soutiennent sur divers sujets.

Outre l'opération de fusion...
Faire cette fusion c'est aussi admettre que les banques coopératives régionales ne sont plus fédératives, qu'elles ne se fédèrent plus au plan national. C'est admettre l'inverse : qu'elles sont purement et simplement soumises au management des organes centraux. Ceux-ci se comportent alors comme un ordinaire conseil d'administration de SA unique (et non d'un réseau). Pire, ce conseil d'administration (ou directoire) a des pouvoirs supérieurs à ceux d'une SA capitaliste puisqu'il est une autorité bancaire (autorité de droit et de fait encore plus largement). La SaC (banque régionale) qui n'obéit pas risque les foudres de l'organe central qui dispose d'un véritable pouvoir de police bancaire. A faire cette fusion, il faut être cohérent et mettre un terme à l'existence de ces réseaux afin que d'autres mutuelles et coopératives adviennent à la vie.

Conclusion

Dans ce schéma de fusion, inutile de dire que les coopérateurs sont essentiellement devenus des clients dont on se moque... Pourtant, la loi sur les sociétés coopératives n'est pas un détail du droit français, elle permet d'enrichir le contrat de société du "contrat de coopération". Ce sujet que je suis, spécialement pour le droit bancaire, depuis quelques années (H. CAUSSE, Les pouvoirs des organes centraux des banques coopératives et mutualistes, L’Agefi 29 novembre 2002, p. 2), passionnant, est devenu explosif... alors qu'il explose !


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E-Mail : Prof. Herve CAUSSE

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Textes empruntés à la Base publique Legifrance :

Sous-section 2 : Les organes centraux.
Article L511-30
En savoir plus sur cet article...
Modifié par Ordonnance n°2006-1048 du 25 août 2006 - art. 7 (VD) JORF 26 août 2006 en vigueur le 1er janvier 2008

Pour l'application des dispositions du présent code relatives aux établissements de crédit, sont considérées comme organes centraux :
Crédit agricole S.A., la Banque fédérale des banques populaires, la Confédération nationale du crédit mutuel, la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance.

Article L511-31 En savoir plus sur cet article...
Modifié par Loi n°2006-1770 du 30 décembre 2006 - art. 42 JORF 31 décembre 2006

Les organes centraux représentent les établissements de crédit qui leur sont affiliés auprès de la Banque de France, du comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement et, sous réserve des règles propres à la procédure disciplinaire, de la commission bancaire.

Ils sont chargés de veiller à la cohésion de leur réseau et de s'assurer du bon fonctionnement des établissements qui leur sont affiliés. A cette fin, ils prennent toutes mesures nécessaires, notamment pour garantir la liquidité et la solvabilité de chacun de ces établissements comme de l'ensemble du réseau. Ils peuvent également décider d'interdire ou de limiter la distribution d'un dividende aux actionnaires ou d'une rémunération des parts sociales aux sociétaires des établissements de crédit ou des entreprises d'investissement qui leur sont affiliés.

Les titres visés au dernier alinéa de l'article 19 tervicies de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, détenus directement ou indirectement par un organe central au sens de l'article L. 511-30, ne sont pas pris en compte pour le calcul de la limitation à 50 % du capital des établissements de crédit qui leur sont affiliés, visée à l'article 19 tervicies précité.

Ils veillent à l'application des dispositions législatives et réglementaires propres à ces établissements et exercent un contrôle administratif, technique et financier sur leur organisation et leur gestion. Les contrôles sur place des organes centraux peuvent être étendus à leurs filiales directes ou indirectes, ainsi qu'à celles des établissements qui leur sont affiliés.

Dans le cadre de ces compétences, ils peuvent prendre les sanctions prévues par les textes législatifs et réglementaires qui leur sont propres.

La perte de la qualité d'établissement affilié doit être notifiée par l'organe central au comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, qui se prononce sur l'agrément de l'établissement en cause.

Pour l'application des dispositions de la section 2 du chapitre V du titre II du livre II du code de commerce, les mandats sociaux détenus au sein de l'organe central, au sens de l'article L. 511-30 du présent code, ou des établissements de crédit qui lui sont affiliés doivent être décomptés pour un seul mandat.

Après en avoir informé la commission bancaire et sous réserve des compétences du comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, les organes centraux peuvent, lorsque la situation financière des établissements concernés le justifie, et nonobstant toutes dispositions ou stipulations contraires, décider la fusion de deux ou plusieurs personnes morales qui leur sont affiliées, la cession totale ou partielle de leur fonds de commerce ainsi que leur dissolution. Les organes dirigeants des personnes morales concernées doivent au préalable avoir été consultés par les organes centraux. Ces derniers sont chargés de la liquidation des établissements de crédit qui leur sont affiliés ou de la cession totale ou partielle de leur fonds de commerce.

Les organes centraux notifient toute décision d'affiliation ou de retrait d'affiliation à l'établissement concerné et au Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement.

Peut être affilié à plusieurs organes centraux tout établissement de crédit qui est directement ou indirectement sous leur contrôle conjoint, au sens de l'article L. 233-16 du code de commerce, et dont l'activité est nécessaire au fonctionnement des réseaux de ces organes centraux. Une convention passée entre les organes centraux définit les modalités d'exercice de leurs pouvoirs respectifs sur l'établissement affilié ainsi que de mise en oeuvre de leurs obligations à son égard, en particulier en matière de liquidité et de solvabilité. Les organes centraux notifient toute affiliation multiple au Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, qui peut subordonner l'agrément ou l'autorisation de prendre ou détenir le contrôle conjoint de l'établissement concerné au respect d'engagements pris par les organes centraux sur les principes de mise en oeuvre de l'affiliation.

Article L511-32 En savoir plus sur cet article...
Modifié par Loi 2006-387 2006-03-31 art. 26 VII, X JORF 1 avril 2006
Modifié par Loi n°2006-387 du 31 mars 2006 - art. 26 (V) JORF 1 avril 2006

Sans préjudice des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place conférés à la commission bancaire sur les établissements qui leur sont affiliés, les organes centraux concourent, chacun pour ce qui le concerne, à l'application des dispositions législatives et réglementaires régissant les établissements de crédit.

A ce titre, ils saisissent la commission bancaire des infractions à ces dispositions.

II. - Transféré sous l'article L. 615-1 du code monétaire et financier.
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