Un arrêt vient de juger que le directeur général ne peut pas par convention déléguer sa direction générale sur un prestataire de services, lequel ne peut donc pas se faire payer pour ces tâches de gestion. L’arrêt fait un certain bruit alors qu’il n’est pas destiné au Bulletin de la Cour de cassation (La Tribune, La justice restreint l’externalisation du mandat social d’un dirigeant, 2 nov. 2010, p. 29, par F. HASTINGS). Les étudiants pourraient le retrouver en fin de semestre (et réciter la présente note ne suffirait pas...!).
L'arrêt est donc un "inédit". Est-ce le signe d’une certaine banalité de la décision ? Quand on voudrait y lire de l’ingénierie du droit des sociétés ? Ingénierie qui serait naturellement l’occasion de conseils judicieux de la part de conseils spécialisés rédigeant des conventions aussi spécialisées… Des conventions d'externalisation inventées à la légère dans de grands ou petits cabinets de conseils et d'audit. Il y a là quelques affaires à faire. Mais est-ce si sûr ?
La décision reproduite ci-dessous dit surtout qu’un dirigeant social (exécutif) doit assumer ses fonctions ! En filigrane, elle rappelle la situation juridique actuelle où l'art de la rédaction des contrats a largement échappé aux juristes, pour le plus grand danger des citoyens. On peut, dans une division souple, dire que l’arrêt rappelle le dirigeant à ses devoirs et remet consubstantiellement l’externalisation à sa place.
Le dirigeant social rappelé à ses devoirs
La décision reproduite ci-dessous dit surtout qu’un dirigeant social (exécutif) doit assumer ses fonctions ! Qui en doutait ? Tout le monde sans doute dans un monde où les élus qui ont bricolé quelques années dans la politique deviennent avocat, les présidents de société professeur de l’enseignement supérieur, dans un monde où l’on gagne sa vie en étant « people » soit en ne faisant de rien un métier… On comprend que ceux qui ont à assumer des fonctions entendent s’en décharger… Puisque ceux qui ne devraient pas faire ce qu’ils font, pourquoi ceux qui ont à faire ce qu’ils ont à faire le ferait ?
Dans ce bricolage général qui caractérise notre société, le dirigeant social peut vouloir avoir le pouvoir, les moyens matériels, les honneurs et invitations, le cas échéant une rémunération et faire faire le travail par un autre : là entre en scène le prestataire de services ! L’objet de la convention ? Diriger la société… !
A cette présentation des faits un étudiant qui réfléchit interrompt le professeur : « …mais monsieur… interroge l’étudiant en droit général des sociétés… je croyais que c’était essentiel que le dirigeant social dirige ?». Votre interrogation est fondée, répond le professeur, le dirigeant social doit assumer ses fonctions à défaut il encourt toute sorte de sanctions civiles (contractuelle ou extra-contractuelle), administratives (retraits d’agrément personnels quand une autorisation administrative est nécessaire pour l’exercice de la profession), pénales et fiscales.
Cette organisation est d’ordre public, elle est de l’essence de la personnalité morale. Cette dernière doit être incarnée par une personne physique, il y a là comme une relativité de la consécration de la personne morale. Certes le dirigeant peut se faire assister. Il se fait ainsi assister par des comptables, par une mission contractuelle, mais c’est juridiquement lui qui établit les comptes en les signant ! Se faire assister est une chose claire, se faire substituer en est une aussi claire. Dans le jargon de la vie des affaires, on appelle cela « externaliser ».
L’externalisation remise à sa place
Comme tous les mots inventés, souvent dans un jargon anglo-américain aussi bête que mimétique, par un pratique sans unité ni corps, le concept écrase les subtilités d’hier, les distinctions que les paresseux et ignorants ne veulent pas retrouver dans d’épais livres ou bases d’arrêts fournies. Et c’est ainsi que, chemin des affaires faisant, on rédige une convention qui « remplace » le dirigeant au lieu de lui rendre une simple prestation de services.
Tout cela en dit long sur la compétence dudit dirigeant, mais aussi du prestataire de services : il prétend aider le dirigeant quand, par la convention même par laquelle ils s’unissent, il lui fait commettre une faute de gestion ! En effet, le dirigeant social ne peut pas prendre en charge une mission – un mandat social » comme il est convenu de le dire – et s’en décharger. Dans l’ordre juridique, le principe de cohérence règne encore (… pour combien de temps ?), il est une condition du respect de tous les principes républicains d’égalité et de liberté. Ils empêchent l’arbitraire : le tout et n’importe quoi du juge en serait une forme. Mais la justice ne fait pas encore tout et n’importe quoi, l’arbitraire et les humeurs des princes et dignitaires restent à sa portent, sur les marches du Palais.
La Cour de cassation rejette donc le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel qui avait annulé la convention en présence pour défaut de cause, sur le fondement de l’article 1131 du Code civil. La convention définissait son objet dans les termes les plus étendus, " l'action commerciale, gestion industrielle, gestion des ressources humaines, gestion administrative et financière, stratégie générale, prestation de direction ", et ce sont en quelque sorte ces derniers mots qui tuent.
Là où, outre la connaissance du droit des sociétés, on notera la carence d’analyse juridique lors de la rédaction du contrat. Les expressions auraient dû être plus précises. Mais, effectivement, ce cumul de prestations désignant in fine une « prestation de direction » équivalait à la direction générale. Il y avait donc « double emploi » : une convention ne peut avoir pour objet la mission d’ordre public que la loi octroie à une personne, à savoir une organe social (le DG) prévu comme une condition essentielle du fonctionnement des sociétés commerciales. Sinon à quand la délégation de sa mission du médecin, de l’avocat… ?
La leçon plus générale est double. A force de tomber, l’art du Droit rebondira bientôt. En outre, l’art nouveau de la gestion ne doit pas chasser la culture juridique millénaire du droit : il y aurait sinon un défaut de « gestion juridique »… quelle expression détestable !
Voilà les gestionnaires, praticiens et théoriciens, renvoyés par la Cour de cassation à quelques réflexions juridiques.
___________________________________________
En illustration l'ouvrage de A. VIANDIER, M. COZIAN et Fl. DEBOISSY qui vient d'être publié et est à jour et qui sera consulté avec profit sur ce sujet.
ARRET de la Base publique LEGIFRANCE (EXTRAITS)
Cour de cassation chambre commerciale
Audience publique du mardi 14 septembre 2010
N° de pourvoi: 09-16084 Non publié au bulletin Rejet
Mme Favre (président), président
SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)
________________________________________
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Samo gestion que sur le pourvoi incident éventuel relevé par la société Sorepla industrie ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 13 mars 2009, rectifié le 12 juin 2009) que le 20 mars 2001, la société Samo gestion, constituée au mois de janvier 2001 par M. X..., qui exerçait depuis 1998 les fonctions de directeur général de la société Sorepla industrie (la société Sorepla), a conclu avec cette dernière société une convention de prestation de services ; qu'aux termes de cette convention, la société Samo gestion s'engageait à fournir à la société Sorepla un ensemble de prestations et mettait à sa disposition M. X..., en contrepartie d'une rémunération fixe assortie d'un intéressement sur le résultat net de la société Sorepla ; que celle-ci ayant cessé d'exécuter la convention, la société Samo gestion a demandé qu'elle soit condamnée à lui payer une certaine somme ; que la société Sorepla a sollicité l'annulation de la convention et la restitution des sommes versées en exécution de celle-ci ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société Samo gestion fait grief à l'arrêt du 13 mars 2009 d'avoir annulé la convention conclue par elle avec la société Sorepla, alors, selon le moyen :
1° / qu'elle faisait valoir que l'assemblée générale du 7 septembre 1998 a constaté la démission de M. X... de ses deux mandats de président directeur général de la société et d'administrateur, le conseil d'administration ayant nommé un nouveau président le 7 septembre 1998, qu'il a pris acte le 19 avril 2000 de la démission de M. X... de ses fonctions d'administrateur, l'assemblée prenant acte de cette démission le 15 juin 2000 ; qu'elle précisait que depuis le 22 juin 2000 jusqu'au 29 juin 2001, M. X... n'a plus eu de mandat, ayant été nommé directeur général de la société le 29 juin 2001 et qu'il résulte du procès-verbal du conseil d'administration du 29 juin 2001 que sur proposition du nouveau président, le conseil d'administration nomme en qualité de directeur général M. Jean-Jacques X... ; qu'en retenant que la société Sorepla établit qu'entre 1998 et le 29 juin 2001, M. X... a conservé ses fonctions de directeur général, que la simple lettre produite par M. X... en date du 22 juillet 1998 qu'il aurait adressée aux administrateurs de la société Sorepla et dans laquelle il indique démissionner de ses fonctions d'administrateur et de directeur général ne peut constituer une preuve qu'il avait effectivement renoncé à ses fonctions de directeur général, que cette renonciation est d'autant moins établie que la société Sorepla verse aux débats deux contrats conclus par M. X... en qualité de directeur général, le 30 juin 2000 avec la société Valorplast et le 20 février 2001 avec la société Eco-emballages, qu'en outre le procès-verbal de l'assemblée générale du 29 juin 2001, lors de laquelle M. X... était scrutateur mentionne que l'assemblée propose la nomination de M. X... " lequel a occupé les fonctions de directeur général jusqu'à ce jour " en qualité d'administrateur, qu'il est ainsi démontré que M. X... exerçait les fonctions de directeur général lorsque la convention a été conclue entre la société Samo gestion et la société Sorepla cependant que dans les rapports internes à la société seule la production d'un procès-verbal du conseil d'administration permet de vérifier que M. X... avait la qualité de directeur général au moment où a été conclue la convention litigieuse, la cour d'appel, qui s'est prononcée par une motivation inopérante, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 225-53 et suivants du code de commerce dans leur rédaction applicable à l'espèce ;
2° / qu'en affirmant que si le conseil d'administration de la société Sorepla, lors de sa réunion du 27 février 2001, sous le visa de l'article 101 de la loi de 1966 a autorisé la signature de la convention conclue avec la société Samo gestion c'est parce que M. X... était directeur de la société Sorepla, l'article 101 de la loi de 1966 concernant les conventions conclues entre la société et l'un de ses mandataires cependant que le directeur général est nommé par le conseil d'administration sur proposition du président, la cour d'appel qui n'a pas constaté qu'était produite la délibération ayant désigné M. X... à cette fonction, se prononce par des motifs inopérants et elle n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 225-38 et suivants, L. 225-53 et suivants du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
3° / qu'en affirmant que la convention aux termes de laquelle la société Samo gestion s'engageait envers la société Sorepla à lui fournir un ensemble de prestations et mettait M. X... à la disposition de la société Sorepla faisait double emploi avec l'exercice de ses fonctions de directeur général, la convention définissant son objet dans les termes les plus étendus, " l'action commerciale, gestion industrielle, gestion des ressources humaines, gestion administrative et financière, stratégie générale, prestation de direction ", que cette convention revenait à rémunérer des prestations d'ores et déjà accomplies par M. X... sans relever quelles étaient, dans le cadre interne à la société, les missions du directeur général, la cour d'appel qui décide que lorsque deux débiteurs, en l'espèce, la société Samo gestion et M. X..., en sa qualité de directeur général, sont en fait une personne unique, et si les prestations sont identiques, la convention de prestation est nulle pour défaut de cause, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1131 et suivants du code civil ;
4° / qu'ayant constaté, ce qui n'était pas contesté, que la convention a été conclue non pas entre M. X... et la société Sorepla mais entre la société Samo gestion et la société Sorepla, la cour d'appel qui décide que cette convention revenait à rémunérer des prestations d'ores et déjà accomplies par M. X... en qualité de directeur général, que lorsque deux débiteurs, en l'espèce la société Samo gestion et M. X..., en sa qualité de directeur général, sont en fait une personne unique et si les prestations sont identiques, la convention de prestation est nulle pour défaut de cause sans relever les éléments lui permettant d'affirmer que la société Samo gestion était une société fictive, la cour d'appel qui lui dénie sa personnalité juridique se prononce par voie d'affirmation et elle a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5° / qu'en affirmant qu'il est indifférent de rechercher si M. X... a été rémunéré en sa qualité de directeur général dès lors qu'un mandataire ne peut réclamer aucune rémunération s'il n'a pris soin de saisir à cette fin le conseil d'administration et qu'il ne peut se faire rémunérer pour ses fonctions de directeur général par une convention conclue avec un tiers dès lors que la rémunération du directeur général est déterminée par le conseil d'administration tout en décidant que M. X... et la société Samo gestion constituaient une seule personne et en relevant que la convention conclue avec la société Samo gestion avait été approuvée par le conseil d'administration, ratifiée et exécutée par la société Sorepla, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses constatations dont il résultait que le conseil d'administration avait approuvé la convention et donc la rémunération de M. X... et elle a violé les articles L. 225-53 et suivants et L. 225-38 du code de commerce, ensemble les articles 1131 et suivants du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve produits et sans avoir à faire la recherche visée par les deux premières branches, qui ne lui était pas demandée, que la cour d'appel a estimé qu'il était établi que M. X... exerçait les fonctions de directeur général de la société Sorepla lors de la conclusion de la convention du 20 mars 2001 ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé que cette convention définissait son objet en des termes dont il résultait qu'elle faisait double emploi avec l'exercice par M. X... de ses fonctions de directeur général, et retenu qu'elle revenait ainsi à rémunérer la société Samo gestion pour des prestations qui étaient accomplies par M. X... au titre de ses fonctions sociales, l'arrêt en a déduit à bon droit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la quatrième branche et sans avoir à faire la recherche non demandée visée par la troisième branche, que ladite convention était dépourvue de cause ;
Et attendu, en troisième lieu, que l'arrêt retient exactement que la rémunération du directeur général est déterminée par le conseil d'administration et ne peut être fixée par une convention conclue avec un tiers, peu important à cet égard que cette convention ait été autorisée par le conseil d'administration ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal :
…
…
Et attendu que le premier moyen du pourvoi principal n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Samo gestion aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette ses demandes et la condamne à payer à la société Sorepla industrie la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
(…)
L'arrêt est donc un "inédit". Est-ce le signe d’une certaine banalité de la décision ? Quand on voudrait y lire de l’ingénierie du droit des sociétés ? Ingénierie qui serait naturellement l’occasion de conseils judicieux de la part de conseils spécialisés rédigeant des conventions aussi spécialisées… Des conventions d'externalisation inventées à la légère dans de grands ou petits cabinets de conseils et d'audit. Il y a là quelques affaires à faire. Mais est-ce si sûr ?
La décision reproduite ci-dessous dit surtout qu’un dirigeant social (exécutif) doit assumer ses fonctions ! En filigrane, elle rappelle la situation juridique actuelle où l'art de la rédaction des contrats a largement échappé aux juristes, pour le plus grand danger des citoyens. On peut, dans une division souple, dire que l’arrêt rappelle le dirigeant à ses devoirs et remet consubstantiellement l’externalisation à sa place.
Le dirigeant social rappelé à ses devoirs
La décision reproduite ci-dessous dit surtout qu’un dirigeant social (exécutif) doit assumer ses fonctions ! Qui en doutait ? Tout le monde sans doute dans un monde où les élus qui ont bricolé quelques années dans la politique deviennent avocat, les présidents de société professeur de l’enseignement supérieur, dans un monde où l’on gagne sa vie en étant « people » soit en ne faisant de rien un métier… On comprend que ceux qui ont à assumer des fonctions entendent s’en décharger… Puisque ceux qui ne devraient pas faire ce qu’ils font, pourquoi ceux qui ont à faire ce qu’ils ont à faire le ferait ?
Dans ce bricolage général qui caractérise notre société, le dirigeant social peut vouloir avoir le pouvoir, les moyens matériels, les honneurs et invitations, le cas échéant une rémunération et faire faire le travail par un autre : là entre en scène le prestataire de services ! L’objet de la convention ? Diriger la société… !
A cette présentation des faits un étudiant qui réfléchit interrompt le professeur : « …mais monsieur… interroge l’étudiant en droit général des sociétés… je croyais que c’était essentiel que le dirigeant social dirige ?». Votre interrogation est fondée, répond le professeur, le dirigeant social doit assumer ses fonctions à défaut il encourt toute sorte de sanctions civiles (contractuelle ou extra-contractuelle), administratives (retraits d’agrément personnels quand une autorisation administrative est nécessaire pour l’exercice de la profession), pénales et fiscales.
Cette organisation est d’ordre public, elle est de l’essence de la personnalité morale. Cette dernière doit être incarnée par une personne physique, il y a là comme une relativité de la consécration de la personne morale. Certes le dirigeant peut se faire assister. Il se fait ainsi assister par des comptables, par une mission contractuelle, mais c’est juridiquement lui qui établit les comptes en les signant ! Se faire assister est une chose claire, se faire substituer en est une aussi claire. Dans le jargon de la vie des affaires, on appelle cela « externaliser ».
L’externalisation remise à sa place
Comme tous les mots inventés, souvent dans un jargon anglo-américain aussi bête que mimétique, par un pratique sans unité ni corps, le concept écrase les subtilités d’hier, les distinctions que les paresseux et ignorants ne veulent pas retrouver dans d’épais livres ou bases d’arrêts fournies. Et c’est ainsi que, chemin des affaires faisant, on rédige une convention qui « remplace » le dirigeant au lieu de lui rendre une simple prestation de services.
Tout cela en dit long sur la compétence dudit dirigeant, mais aussi du prestataire de services : il prétend aider le dirigeant quand, par la convention même par laquelle ils s’unissent, il lui fait commettre une faute de gestion ! En effet, le dirigeant social ne peut pas prendre en charge une mission – un mandat social » comme il est convenu de le dire – et s’en décharger. Dans l’ordre juridique, le principe de cohérence règne encore (… pour combien de temps ?), il est une condition du respect de tous les principes républicains d’égalité et de liberté. Ils empêchent l’arbitraire : le tout et n’importe quoi du juge en serait une forme. Mais la justice ne fait pas encore tout et n’importe quoi, l’arbitraire et les humeurs des princes et dignitaires restent à sa portent, sur les marches du Palais.
La Cour de cassation rejette donc le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel qui avait annulé la convention en présence pour défaut de cause, sur le fondement de l’article 1131 du Code civil. La convention définissait son objet dans les termes les plus étendus, " l'action commerciale, gestion industrielle, gestion des ressources humaines, gestion administrative et financière, stratégie générale, prestation de direction ", et ce sont en quelque sorte ces derniers mots qui tuent.
Là où, outre la connaissance du droit des sociétés, on notera la carence d’analyse juridique lors de la rédaction du contrat. Les expressions auraient dû être plus précises. Mais, effectivement, ce cumul de prestations désignant in fine une « prestation de direction » équivalait à la direction générale. Il y avait donc « double emploi » : une convention ne peut avoir pour objet la mission d’ordre public que la loi octroie à une personne, à savoir une organe social (le DG) prévu comme une condition essentielle du fonctionnement des sociétés commerciales. Sinon à quand la délégation de sa mission du médecin, de l’avocat… ?
La leçon plus générale est double. A force de tomber, l’art du Droit rebondira bientôt. En outre, l’art nouveau de la gestion ne doit pas chasser la culture juridique millénaire du droit : il y aurait sinon un défaut de « gestion juridique »… quelle expression détestable !
Voilà les gestionnaires, praticiens et théoriciens, renvoyés par la Cour de cassation à quelques réflexions juridiques.
___________________________________________
En illustration l'ouvrage de A. VIANDIER, M. COZIAN et Fl. DEBOISSY qui vient d'être publié et est à jour et qui sera consulté avec profit sur ce sujet.
ARRET de la Base publique LEGIFRANCE (EXTRAITS)
Cour de cassation chambre commerciale
Audience publique du mardi 14 septembre 2010
N° de pourvoi: 09-16084 Non publié au bulletin Rejet
Mme Favre (président), président
SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)
________________________________________
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Samo gestion que sur le pourvoi incident éventuel relevé par la société Sorepla industrie ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 13 mars 2009, rectifié le 12 juin 2009) que le 20 mars 2001, la société Samo gestion, constituée au mois de janvier 2001 par M. X..., qui exerçait depuis 1998 les fonctions de directeur général de la société Sorepla industrie (la société Sorepla), a conclu avec cette dernière société une convention de prestation de services ; qu'aux termes de cette convention, la société Samo gestion s'engageait à fournir à la société Sorepla un ensemble de prestations et mettait à sa disposition M. X..., en contrepartie d'une rémunération fixe assortie d'un intéressement sur le résultat net de la société Sorepla ; que celle-ci ayant cessé d'exécuter la convention, la société Samo gestion a demandé qu'elle soit condamnée à lui payer une certaine somme ; que la société Sorepla a sollicité l'annulation de la convention et la restitution des sommes versées en exécution de celle-ci ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société Samo gestion fait grief à l'arrêt du 13 mars 2009 d'avoir annulé la convention conclue par elle avec la société Sorepla, alors, selon le moyen :
1° / qu'elle faisait valoir que l'assemblée générale du 7 septembre 1998 a constaté la démission de M. X... de ses deux mandats de président directeur général de la société et d'administrateur, le conseil d'administration ayant nommé un nouveau président le 7 septembre 1998, qu'il a pris acte le 19 avril 2000 de la démission de M. X... de ses fonctions d'administrateur, l'assemblée prenant acte de cette démission le 15 juin 2000 ; qu'elle précisait que depuis le 22 juin 2000 jusqu'au 29 juin 2001, M. X... n'a plus eu de mandat, ayant été nommé directeur général de la société le 29 juin 2001 et qu'il résulte du procès-verbal du conseil d'administration du 29 juin 2001 que sur proposition du nouveau président, le conseil d'administration nomme en qualité de directeur général M. Jean-Jacques X... ; qu'en retenant que la société Sorepla établit qu'entre 1998 et le 29 juin 2001, M. X... a conservé ses fonctions de directeur général, que la simple lettre produite par M. X... en date du 22 juillet 1998 qu'il aurait adressée aux administrateurs de la société Sorepla et dans laquelle il indique démissionner de ses fonctions d'administrateur et de directeur général ne peut constituer une preuve qu'il avait effectivement renoncé à ses fonctions de directeur général, que cette renonciation est d'autant moins établie que la société Sorepla verse aux débats deux contrats conclus par M. X... en qualité de directeur général, le 30 juin 2000 avec la société Valorplast et le 20 février 2001 avec la société Eco-emballages, qu'en outre le procès-verbal de l'assemblée générale du 29 juin 2001, lors de laquelle M. X... était scrutateur mentionne que l'assemblée propose la nomination de M. X... " lequel a occupé les fonctions de directeur général jusqu'à ce jour " en qualité d'administrateur, qu'il est ainsi démontré que M. X... exerçait les fonctions de directeur général lorsque la convention a été conclue entre la société Samo gestion et la société Sorepla cependant que dans les rapports internes à la société seule la production d'un procès-verbal du conseil d'administration permet de vérifier que M. X... avait la qualité de directeur général au moment où a été conclue la convention litigieuse, la cour d'appel, qui s'est prononcée par une motivation inopérante, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 225-53 et suivants du code de commerce dans leur rédaction applicable à l'espèce ;
2° / qu'en affirmant que si le conseil d'administration de la société Sorepla, lors de sa réunion du 27 février 2001, sous le visa de l'article 101 de la loi de 1966 a autorisé la signature de la convention conclue avec la société Samo gestion c'est parce que M. X... était directeur de la société Sorepla, l'article 101 de la loi de 1966 concernant les conventions conclues entre la société et l'un de ses mandataires cependant que le directeur général est nommé par le conseil d'administration sur proposition du président, la cour d'appel qui n'a pas constaté qu'était produite la délibération ayant désigné M. X... à cette fonction, se prononce par des motifs inopérants et elle n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 225-38 et suivants, L. 225-53 et suivants du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
3° / qu'en affirmant que la convention aux termes de laquelle la société Samo gestion s'engageait envers la société Sorepla à lui fournir un ensemble de prestations et mettait M. X... à la disposition de la société Sorepla faisait double emploi avec l'exercice de ses fonctions de directeur général, la convention définissant son objet dans les termes les plus étendus, " l'action commerciale, gestion industrielle, gestion des ressources humaines, gestion administrative et financière, stratégie générale, prestation de direction ", que cette convention revenait à rémunérer des prestations d'ores et déjà accomplies par M. X... sans relever quelles étaient, dans le cadre interne à la société, les missions du directeur général, la cour d'appel qui décide que lorsque deux débiteurs, en l'espèce, la société Samo gestion et M. X..., en sa qualité de directeur général, sont en fait une personne unique, et si les prestations sont identiques, la convention de prestation est nulle pour défaut de cause, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1131 et suivants du code civil ;
4° / qu'ayant constaté, ce qui n'était pas contesté, que la convention a été conclue non pas entre M. X... et la société Sorepla mais entre la société Samo gestion et la société Sorepla, la cour d'appel qui décide que cette convention revenait à rémunérer des prestations d'ores et déjà accomplies par M. X... en qualité de directeur général, que lorsque deux débiteurs, en l'espèce la société Samo gestion et M. X..., en sa qualité de directeur général, sont en fait une personne unique et si les prestations sont identiques, la convention de prestation est nulle pour défaut de cause sans relever les éléments lui permettant d'affirmer que la société Samo gestion était une société fictive, la cour d'appel qui lui dénie sa personnalité juridique se prononce par voie d'affirmation et elle a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5° / qu'en affirmant qu'il est indifférent de rechercher si M. X... a été rémunéré en sa qualité de directeur général dès lors qu'un mandataire ne peut réclamer aucune rémunération s'il n'a pris soin de saisir à cette fin le conseil d'administration et qu'il ne peut se faire rémunérer pour ses fonctions de directeur général par une convention conclue avec un tiers dès lors que la rémunération du directeur général est déterminée par le conseil d'administration tout en décidant que M. X... et la société Samo gestion constituaient une seule personne et en relevant que la convention conclue avec la société Samo gestion avait été approuvée par le conseil d'administration, ratifiée et exécutée par la société Sorepla, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses constatations dont il résultait que le conseil d'administration avait approuvé la convention et donc la rémunération de M. X... et elle a violé les articles L. 225-53 et suivants et L. 225-38 du code de commerce, ensemble les articles 1131 et suivants du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve produits et sans avoir à faire la recherche visée par les deux premières branches, qui ne lui était pas demandée, que la cour d'appel a estimé qu'il était établi que M. X... exerçait les fonctions de directeur général de la société Sorepla lors de la conclusion de la convention du 20 mars 2001 ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé que cette convention définissait son objet en des termes dont il résultait qu'elle faisait double emploi avec l'exercice par M. X... de ses fonctions de directeur général, et retenu qu'elle revenait ainsi à rémunérer la société Samo gestion pour des prestations qui étaient accomplies par M. X... au titre de ses fonctions sociales, l'arrêt en a déduit à bon droit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la quatrième branche et sans avoir à faire la recherche non demandée visée par la troisième branche, que ladite convention était dépourvue de cause ;
Et attendu, en troisième lieu, que l'arrêt retient exactement que la rémunération du directeur général est déterminée par le conseil d'administration et ne peut être fixée par une convention conclue avec un tiers, peu important à cet égard que cette convention ait été autorisée par le conseil d'administration ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal :
…
…
Et attendu que le premier moyen du pourvoi principal n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Samo gestion aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette ses demandes et la condamne à payer à la société Sorepla industrie la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
(…)