Le nom de la société. Raison sociale et dénomination sociale des sociétés civiles ou commerciales (C. civ., art. 1835 ; C. com. art. L. 210-2).



Le nom de la société. Raison sociale et dénomination sociale des sociétés civiles ou commerciales (C. civ., art. 1835 ; C. com. art. L. 210-2).
Le principe est la liberté du choix écrivions-nous il y a quelques années pour entamer ce modeste texte qui aura eu un certain succès de lecture. Les associés appellent donc la société comme ils le veulent, sauf que choisir un nom n'est pas en choisir plusieurs, ce qui est interdit (et le greffe et les formulaires ne laissent pas de place pour deux noms). En revanche, une société peut adopter un nom "officiel" et mentionner dans les statuts, en outre, un "nom commercial" sous lequel elle exercera (mieux vaudra faire deux clauses pour ne pas créer d'équivoque). Cela l'obligera néanmoins à indiquer dans ses documents (factures) sa dénomination, accompagnée de sa forme (SA CAUSSE Informatique ; CAUSSE Informatique SA) ; la forme abrégée (en acronyme) est de droit pour les SNC, SA, SARL mais pas pour les autres sociétés où il faut indiquer, par exemple, "société civile" et non SC (il faut examiner la question pour chaque type de société au vu de leurs textes propres). Toutes les libertés ont cependant des limites, ce que l'on peut voir sous deux bornes.



Première borne, l'existence d'un droit sur l'appellation


La première borne tient à la propriété des tiers, qu'il convient de respecter. Le nom chois ne peut pas être un mot – ou autre – objet d'une propriété d'un tiers. L'exemple le plus simple est celui de la marque règlementée par le Code de la propriété intellectuelle (CPI), un autre sera donné ensuite.

Un mot qui a été approprié par le dépôt d'une marque (à l'INPI) ne peut pas être utilisé comme nom. Dans ce cas, le mot fait l'objet d'un droit de propriété du titulaire de la marque ; son emploi après le dépôt de ladite marque à l'INPI, constitue un délit civil et pénal. L'auteur de l'infraction sera assigné sur le fondement d'un droit de propriété (l'action en contrefaçon), la Cour de cassation parle alors de la défense et de l'existence d'un droit privatif et exclusif (il existe diverses sortes d'actions en contrefaçon fondées, à chaque fois, sur une disposition légale particulière).

L'appropriation peut aussi résulter, c'est autre chose, d'une pratique : le choix, par un commerçant, d'un nom commercial qu'il utilise de façon notoire crée une propriété incorporelle (et non intellectuelle du CPI). Une société qui se crée ne saurait donc en disposer librement, singulièrement si l'appellation crée un risque de confusion. Ainsi, celui qui croit parfois être le premier à s'être appelé d'un nom libre est dans le faux : le nom n'est pas libre quand il a constitué sa société (Cass. Com 18 juin 1996, n° de pourvoi : 94-19606, arrêt Boole) (1) ; il attaque pour interdire l'usage d'un nom auquel c'est lui qui devra renoncer ! Quand le Code de la propriété intellectuelle n'est pas violé, l'auteur de l'infraction ne sera pas assigné sur le fondement d'un droit de propriété car il n'a pas de droit privatif et exclusif au titre de cette propriété incorporelle ; il assigne donc en responsabilité civile (C. civ., art. 1382 et 1383), ce qui se confond souvent avec une action en concurrence déloyale (voyez pour ce mélange où les faits ne sont pas totalement clairs concernant des entreprises de sécurité et une action en concurrence déloyale fondée sur un nom ressemblant, un arrêt de la Cour de cassation commerciale 10 mai 2006, toutefois inédit et non titré : Entreprise de sécurité : action en concurrence déloyale fondée sur un nom ressemblant ).

Aussi fort ou même plus fort que le droit de la marque, le droit d'une collectivité de personnes sur une "appellation d'origine" (par exemple "Champagne", "Bleu des Causses"), interdit d'utiliser cette dénomination. Les droits des producteurs sont allés crescendo : touche pas à mon produit s'écrient-ils, au nom du Code rural (art. 641-2). Ce droit sur un nom, qui résulte du droit des appellations d'origine, n'a rien à voir avec les labels ou autres certifications qui ne sont que des inventions administratives privées de l'âme qui fait l'appellation d'origine.

Tout cela pousse à l'originalité : inventer un nom qui ne ressemble… à rien ? Nombre de sociétés ont pris cette voie, à grands frais d'agence de communication, mais en se fondant souvent sur des racines étymologiques : par exemple, la Compagnie générale des eaux est devenue Vivendi (SA) (une s'appelle Thalès du nom du penseur). Le premier nom (Générale des Eaux) mordait déjà dans l'objet social, évoquait l'industrie, l'équipement de la Nation ; désormais, le groupe industriel dispose d'une autre image, plus fuyante, flexible, lisse, qui semble désigner la vie, le bonheur et la dynamique éternelle...



Seconde borne, l'exigence du nom des associés


La seconde borne tient à la différence faite entre sociétés de personnes et les autres. Ces deux catégories imposent d'évoquer, respectivement, la différence traditionnellement faite entre "raison sociale" et "dénomination sociale". Ces deux expressions désignent chacune l'appellation des personnes morales.

Pour les premières – les sociétés de personnes, de tradition, le nom des associés devait figurer comme nom de la société, on parlait de "raison sociale" et non de "dénomination sociale". Voilà qui marquait d'emblée, à la face de tous, le caractère personnel de ces sociétés : la société s'annonçait par le nom des associés. Ainsi, pour les SNC, la société pouvait s'appeler "SNC Turpin, Jarnevic et Causse" si on était trois associés ou, sinon, "SNC Causse et Compagnie". Les lois du 11 juillet 1985 et du 31 décembre 1989 ont supprimé cette exigence de "raison sociale" pour seulement exiger une "dénomination sociale". Cette exigence continue d'exister pour les sociétés civiles professionnelles ; dans ce cas de figure, le nom ne devient donc pas la propriété de la société (cela amène certains cabinets d'avocats choisir la forme d'association, laquelle conserve indéfiniment le patronyme de leur illustre ou de leurs illustres fondateurs). Pour les sociétés civiles classiques, le Code civil n'impose pas une raison sociale mais une simple dénomination en sorte que le choix est libre.

Pour les autres sociétés, notamment les sociétés commerciales (SA, SARL), l'emploi d'un nom, d'un patronyme, en guise de dénomination sociale, fait problème. La société a un grand intérêt à le conserver après que l'associé qui le lui a donné est sorti de ladite société (cession de ces titres). En effet, pour la plupart des sociétés, qui n'ont ni "nom commercial", ni marque d'exploitation, leur appellation sociale est leur principal moyen de s'identifier sur le plan commercial (notamment lors de publicités).

Ce dernier fait, légitime, a conduit à la solution de la "jurisprudence Bordas"(Cass. Com. 12 mars 1985) : la Haute Juridiction considère que les caractères du nom (inaliénabilité et imprescriptibilité) ne s'opposent pas à ce qu'il soit l'objet d'un accord (le pacte social, contrat de société) pour en faire une dénomination sociale (ou même un nom commercial, ce qui est un autre problème). Voyez en dernier lieu et à propos d'une EURL : Com. 12 juin 2007, n° 06-12244).

Dans des circonstances voisines, le juge du droit a atténué la portée de cette décision pour les associés qui, alors qu'ils donnent leur nom à une société, disposent déjà d'un nom notoirement connu (Cass. Com 6 mai 2003, affaire dite Ducasse) ; dans ce cas, le nom de l'associé fondateur ne se détache pas de la personne pour devenir la propriété de la société… quelle cuisine !


A titre de conclusion
, on notera que la dénomination est parfois confondue avec le nom commercial, y compris le cas échéant par des professionnels du droit qui ont à faire un acte de procédure (assignation, appel, pourvoi). Dans une affaire récente, qui posait une question de procédure (validité d'une déclaration d'appel), le juge du droit a été indulgent. Il considère que le nom commercial permet d'identifier la personne morale et que l'appel n'est donc pas irrégulier (Cass. Civ. 2, 24 mai 2007, n° de pourvoi : 06-12454). Cela rejoint l'observation faite plus haut, le nom commercial est parfois plus connu que le nom "administratif" qu'est la dénomination sociale ; cette situation ressemble un peu au pseudonyme : si Johnny signe Halliday, le contrat signé est-il nul car il n'a pas signé Jean-Philippe SMET ? Le juge du fond est souvent moins ouvert d'esprit que le juge du droit… Mais c'est un autre débat.




(1) "Attendu, d'autre part, que l'arrêt retient qu'il est démontré que, la société Boole et Babbage faisait usage de son nom commercial, notamment à l'occasion de la conclusion de contrats avec plusieurs sociétés et que ce nom commercial était notoirement connu par les administrations et les grandes entreprises; qu'après en avoir déduit, que la société Boole et Babbage faisait usage du nom commercial Boole et Babbage antérieurement à l'inscription au registre du commerce de sa dénomination sociale par la société Boole, la cour d'appel a pu rejeter la demande de la société Boole tendant à faire interdire à la société Boole et Babbage l'utilisation de sa dénomination sociale alors même que la dénomination Boole et Babbage n'avait fait l'objet d'une inscription au registre du commerce que postérieurement à celle de la société Boole "

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