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« Le serment des docteurs relatif à l'intégrité scientifique est le suivant : En présence de mes pairs. Parvenu(e) à l'issue de mon doctorat...»



« Le serment des docteurs relatif à l'intégrité scientifique est le suivant :

« En présence de mes pairs.
Parvenu(e) à l'issue de mon doctorat en [xxx], et ayant ainsi pratiqué, dans ma quête du savoir, l'exercice d'une recherche scientifique exigeante, en cultivant la rigueur intellectuelle, la réflexivité éthique et dans le respect des principes de l'intégrité scientifique, je m'engage, pour ce qui dépendra de moi, dans la suite de ma carrière professionnelle quel qu'en soit le secteur ou le domaine d'activité, à maintenir une conduite intègre dans mon rapport au savoir, mes méthodes et mes résultats.»

Par "[xxx]" entendez : en mathématique, physique, informatique, géographie, psychologie, droit, etc.

Voilà le nouvel article 19 bis de l'arrêté relatif aux études doctorales et plus spécialement relatif à la soutenance ou à l'après soutenance.

L'intégrité scientifique est une question sérieuse et l'on se demande si cette disposition est bel et bien à la hauteur de l'enjeu. Le sujet, du reste, serait parfaitement justifié si l'action du ministère et des universités, en vue de "l'intégrité scientifique", faisait l'objet d'une lutte bien visible et compréhensible (nous n'en avons pas le sentiment). Malheureusement, l'actualité scientifique médicale a plutôt convaincu que l'on peut, pendant des années, publier et à grands profits des études en violation même des règles légales (et non éthiques !) du Code de la santé publique, parfois pénalement sanctionnées.

Nous n'avons rien à prouver : ici même nous avons osé en parler, alors que le thème n'est pas très en vogue chez les juristes. Nous pouvons même convenir que ce moment de solennité (mais la thèse en est déjà un), peut s'entendre. Néanmoins, au premier examen, notre surprise tient en trois points.

I. On notera, goguenard, et déçu, que l'intégrité de la science juridique n'est probablement pas respectée par cet article 17. Le ministère, car la ministre n'est pas seule en cause, même si elle peut refuser de signer un arrêté qui ne lui convient pas, a-t-il pris toutes les précautions juridiques avant d'imposer cette nouvelle obligation ? Obligation qui contient une non-obligation juridique : un seul engagement moral. Je veux dire, toutes les autorités juridiques compétentes en matière de serment ont-elles été consultées ? A-t-on eu tous égards, en rédigeant cette disposition, pour la science juridique ?

II. Ensuite, en droit, pour les études juridiques de droit, ce prétendu "serment", car le mot se discute, pose de nombreuses questions dont il n'est pas certain, néanmoins, qu'elles feront difficulté(s). En premier lieu, le mot "serment" se discute parce que le verbe "jurer" a été évité au profit de celui d'engagement (engagement, cela me rappelle un soutenance de début d'année...). Ce serment semble être un faux serment, on ne jure pas, on s'engage. En second lieu, il est à craindre que ce serment soit en dissonance avec les véritables serments. L'intégrité scientifique c'est important, mais la mission des avocats (assise sur un serment judiciaire et légal), par exemple, est aussi importante ; cette mission est une condition de la Justice et donc de l'existence des sociétés démocratiques. Il se pourrait que l'intégrité scientifique soit une chose à l'intérieur de ce tout juridique - et non au-dessus.

III. Enfin et plus fondamentalement, cet engagement conduit à s'interroger sur la conception que l'on a de la science et, accessoirement, de l'acte scientifique que constitue la thèse. Je crains que la philosophie qui porte ce texte, voire le brin de philosophie des sciences qui porte ce texte, emprunte trop grandement à la naïveté. A la naïveté sociale, il va sans dire ; voilà une contrainte administrative, un machin creux qui n'aura que peu d'effets dans la pratique. A la naïveté scientifique aussi, si l'on devait rayer de la liste tous les génies qui ont, en violant la science établie, désormais prétendument mises à la charge des Ecoles doctorales qui, malheureusement, ressemblent davantage à des boursouflures administratives qu'à des cellules vives. En somme, il y a là, à la source de ce dispositif, une sorte de vue administrative et préalablement ordonnée de la recherche, de la découverte et de l'invention qui me figurent l'ombre d'un doute.

IV. En conclusion, le mieux serait sans doute, hors le cadre étroit de ce serment, que le Parlement traite de l'intégrité scientifique de façon plus complète. Si du moins cela est réellement possible sur un plan général et interdisciplinaire. Rien n'est moins sûr. Et surtout avec un pouvoir exécutif peu capable de faire respecter ses règles (tenez, par exemple, qui fait respecter le titre et la législation sur les professeurs émérites ?). Le Droit ne peut pas tout. Et notamment pas suppléer au vide du discours politique mal accompagné des bons gestes et actes d'administrations. Il est à craindre que ceux qui le rejoignent après de belles et fulgurantes carrières universitaires, évidemment "scientifiques", et quoique parvenus à un âge de maturité, ne le perçoivent pas toujours. Le juriste manque sans doute de savoir, de méthode et de courage pour en convaincre, mais, redisons-le néanmoins après d'autres, on ne change pas la société par décret, et moins encore par arrêté ministériel.


Post scriptum
En l'état, c'est-à-dire en l'absence de dispositions disant qui reçoit le serment, qui le consigne, et qui signe l'acte juridique attestant de sa prestation, il me semble que les universitaires ne peuvent pas le recevoir.
Cette nouvelle obligation à la charge des universitaires, qui leur impose d'établir un acte juridique inédit, inédit dans la communauté scientifique comme ailleurs dans la société, mérite d'être posée parmi les obligations légales (et non seulement réglementaires) des universitaires.
On le voit d'autant mieux alors que, à la faveur de ce texte, cette obligation est fulminée sans en connaître exactement les récipiendaires.
Du reste que se passe-t-il si le candidat refuse de prêter serment ?
A défaut de loi, il est possible que l'arrêté subisse des attaques juridiques. Une demande de retrait pourrait intervenir avant même que la pratique du serment ne débute...



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