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Pratique de l'écriture : une pratique de la théorie ; écrire un mémoire ou une thèse, ou autre chose.



Pratique de l'écriture : une pratique de la théorie ; écrire un mémoire ou une thèse, ou autre chose.
L'écriture est une pratique et l'écriture suppose des pratiques. Le milieu académique n'est cependant pas toujours très pratique : il oublie de se qualifier de professionnel (et notamment de professionnel de la théorie), et de souligner que les exercices théoriques supposent la maîtrise et le déploiement de diverses pratiques (ces questions peuvent être traitées dans un enseignement de méthode(s), souvent dit de méthodologie, à travers ou non les problématiques de la recherche qui considèrent le fond de la matière, mais aussi les sources - de leur trouvaille jusqu'à leur citation en passant par leur usage).

La théorie a sa part de pratique

L'écriture est donc pratique : elle exige des pratiques et un certain sens pratique. La chose n'est plus à démontrer en droit, durant toute sa vie pratique le juriste écrira ; mais, plus précisément, l'écriture juridique pure qui conduit à la publication (et donc au regard des autres) suppose un expertise professionnelle qui est finalement assez rare. Même l'université ne cultive plus systématiquement l'exigence de l'écriture que ce soit dans les diplômes ou dans les recrutements, elle perd ses valeurs et son art qui seuls permettent une visibilité aux plans national et international.

Mais revenons au cœur du propos. Outre le besoin de s'exprimer, l'envie de publier parfois, le besoin d'exprimer des idées, l'écriture exige une organisation pratique et une méthode pratique. La tâche n'est pas facile, du moins pas toujours, surtout lorsque l'on entend aller (sincèrement et honnêtement) au fond des choses et produire une analyse d'au moins quelques dizaines de pages.

La preuve peut en être administrée en notant que nombre d'étudiants ou de juristes devenus des professionnels du droit se sont essayés, sans y parvenir, à écrire une thèse... ? Le directeur de thèse a beau être vigilant et impliqué, le nombre de personnes qui ne parviennent pas à embrayer sur l'écriture témoigne de la difficulté. Même le nombre limité d'inscriptions, du moins dans certaines universités, ne permet pas d'éviter l'admission de candidats qui n'arrivent pas à écrire. La difficulté surgit parfois dès le début de la thèse (ou du mémoire).

Ecrire suppose... d'écrire !

Les difficultés à écrire supposent, pour les réduire, de développer quelques moyens pratiques. Aussi recommandera-t-on vivement d'écrire dès la première année de thèse afin de s'y mettre et même si ces premières dizaines de pages seront largement refaites. Pourquoi en 7 mois de réflexion, durant un master 2, un étudiant produirait-il 70 pages de mémoire (parfois très bonnes) et pourquoi l'année suivante, en première année de thèse, ne produirait-il rien du tout...?

L'écriture est une pratique. Pour bien écrire ou au moins être capable d'écrire aisément il faut écrire souvent et régulièrement. "Penser" toute sa thèse pendant trois ans et l'écrire en six mois, cela n'existe pas (cela n'existe pas au plan statistique : sans doute quelques génies y parviennent-ils, mais nous n'écrivons pas ici pour les candidats géniaux qui se débrouillent toujours). Les étudiants, surtout eux, car leur avenir en dépend, doivent avoir conscience de divers aspects pratiques de l'exercice qu'est l'écriture. On parle ici de l'écriture qui comporte un peu de créativité et non de celle qui se limite au reporting (d'une décision de justice, d'une loi que l'on résume en 10 pages alors qu'elle en fait 150 ; cette écriture purement technique ne présente pas la difficulté du traitement approfondi d'un sujet).

En clair et simple : être perdu dans ses pensées et réflexions sans écrire, quand on a à écrire un mémoire ou une thèse, en se privant du support des premières dizaines de pages, c'est souvent être perdu tout court. Les réflexions, pensées et idées ne doivent pas perdre l'auteur. Car si elles perdent l'auteur, il perdra ses pensées, s'embrouillera, et finalement et probablement ne produira rien, n'écrira rien.

L'écriture, une forme de pensée

Au fond et en méthode, penser sans écrire est en partie un leurre ; sauf exception, les penseurs laissent des écrits, sinon ils ne sont pas connus comme des penseurs. Ecrire est plus qu'une condition historique. On peut considérer qu'écrire est une forme aboutie de la pensée ; sans écrit qui permet de reprendre les idées, leurs articulations, on manque souvent de pouvoir approuver ou désapprouver. En somme, penser c'est écrire. On le constate au pied du mur. Au moment d'écrire on réalise que c'est finalement à chaque paragraphe, toutes les dix lignes, qu'on doute du propos que l'on imaginé simple, vrai voire cinglant. Ecrire conduit à réexaminer la moindre de ses pensées, ce qui prend alors du temps.

Voilà pourquoi une thèse ne s'écrit généralement pas en quelques mois. Il faut déjà de nombreux mois pour exécuter matériellement l'écriture mais, de surcroît, poser ses idées renvoient à des doutes qui appellent des vérifications ou approfondissements auxquels on n'avait pas... pensé. Tout est dit. L'écriture prend du temps parce qu'elle est, en soi, une forme de pensée. Une pensée concrète, appliquée à la page.

L'échec de l'écriture est connu qui confirme la difficulté de l'exercice. Nombre de projets se terminent au motif que des documents ont été perdus, ou que le projet lui-même à été détruit, ce qui devient peu crédible avec la multiplication des supports dont le ciel (cloud) lui-même, mais il ne s'agit que du ciel numérique. L'abandon d'un projet d'écriture est généralement une défaite douloureuse. Il faut en retirer que le métier de la pensée écrite (formule) ne convient pas à tous, c'est tout. OU, plus exactement, c'est que l'écriture suppose des forces intellectuelles mais également le sens pratique de les organiser.

L'écriture, fruit de pratiques concrètes

Ces remarques amènent à notre propos final : certains échecs d'écriture tiennent à une mauvaise organisation sachant que les recherches supposent des pratiques régulièrement observées... . Lire vite et de nombreux documents. Les annoter ou résumer aussi vite. Ne pas perdre ses écrits, ne pas perdre ses sources, ne pas perdre ses photocopies, ne pas perdre ses bouquins et leurs annotations. Si possible classer le tout, ou en tout cas savoir qu'on les a, même mal classés, pour les retrouver.

Il faut avoir les pieds sur terre pour pouvoir avoir le nez pointé vers le ciel et l'esprit dans les hautes sphères.

L'organisation de la journée, non moins que celle des mois, est essentielle : se lever le matin (même les astrophysiciens ne veillent plus la nuit pour observer le ciel) pour exécuter une journée organisée. On sait qu'on ira en BU retirer un livre et en prendre la substantifique moëlle.

L'observation est aujourd'hui naïve puisque la documentation est en ligne ; mais nombre de sources anciennes ne sont pas en ligne et supposent de se déplacer. Connaître les rayons de bibliothèques demeure une nécessité. Ils permettent parfois mieux que Google de trouver un angle de la matière. Rechercher de la documentation c'est encore souvent rechercher en BU.

La pratique de la lecture est ensuite déterminante. Il faut lire vite et surtout trouver dans les ouvrages les points essentiels pour le sujet à traiter. Celui qui lit de A à Z les documents qu'il retire se condamne, sauf s'il a une capacité de lecture exceptionnelle (laquelle est généralement meilleure chez les femmes) et qu'il va à la vitesse de la lumière. En général, le chercheur qui va se transformer en auteur doit trouver les pages qui l'intéressent et purger en quelques heures l'intérêt d'un document.

Cela ne vaut pas si le document fait 500 pages et qu'il est en plein cœur de votre sujet : celui-là, vous y dormirait plusieurs fois dessus au cours des mois qui suivent.

Ce travail de recherche doit se compléter d'un travail "administratif" : renseigner sa bibliographie et voir à quel endroit on citera la première fois la source retirée et traitée. Cela ne sera plus à faire. On peut même introduire à cet instant un résumé qui sera ensuite éclaté au gré des besoins ou lui-même encore résumé de 15 lignes à 3 lignes. La recherche exige une grande capacité de synthèse, bien plus grande que celle des notes de synthèse pratiquées pour les examens et concours.

Le fond alimentera en permanence la forme du document. En découvrant un auteur original et récent, vous serez amené à créer et écrire un "d)", une nouvelle page en trois paragraphes, après les trois autres auteurs (a, b, c,) dont vous avez exposé l'opinion pour, ensuite, discuter et trancher à votre tour le problème exposé. Pareillement, les nouvelles lois supposent d'être si possible visibles tout en se fondant dans votre discours (la loi qui change tout pose un problème de fond d'envergure qui n'est plus une question de pratique de l'écriture).

Le fond influence aussi l'écriture : dans les sciences sociales, la plupart des recherches se réalisent en découpant le sujets en divers thèmes. Il faut donc établir un plan provisoire pour dégager quelques thèmes sur lesquels écrire. A nouveau, même si ces lignes sont provisoires, elles permettent de s'approprier le sujet, de l'ancrer dans sa pensée.

Ce lourd travail doit enfin être "managé" pour donner un planning. Il faut s'imposer des délais pour traiter un thème, pour écrire la section ou le chapitre en question. Ainsi, de mois en mois, les pratiques donnent des lignes, des pages et des parties d'ouvrages. L'écriture est un construit.

Dans ce cheminement, les idées seront un phénomène accélérant ou dynamisant l'écriture. Mais sur elle, c'est le silence, du moins en droit... voilà de quoi un nouveau billet à... écrire !



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