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Quand l'action de société de l’État devient une "action spécifique" : la loi Macron de 2015 réforme l'ordonnance de 2014



Les actions de sociétés ont parfois un régime spécial, ce qui amène à parler sinon d'action ordinaire. On prend prétexte d'une disposition pour le rappeler à quelques jeunes lecteurs. En principe, ce régime spécial résulte des statuts qui comportent la mention d'émissions de titres spéciaux.

Mais il y a aussi la raison d’État qui peut justifier de transformer les actions de sociétés, la raison et le procédé étant il est vrai exceptionnels.

La protection des intérêts essentiels du pays en matière d’ordre public, de santé publique, de sécurité publique ou de défense nationale peut exiger qu’une action ordinaire de l’État soit transformée en une action spécifique. On note les quatre mamelles du protectionnisme de bon aloi, qui est en deçà d'une autre expression médiatique (le patriotisme économique). L'article 44 de la loi Macron indique ce processus de "transformation".

L'action spécifique est donc une catégorie d'action spéciale dont le régime juridique se distingue de celui des actions ordinaires.

On note au passage que l'ordonnance de 2014 est complétée quelques mois après son adoption : doit-on poser en sujet de thèse "le dialogue juridique schizophrénique de l’État à travers ses textes de lois" (entendez, pour le mot loi, "ses textes normatifs") ?

Le président de la République se moquait lui-même des institutions, publiquement, en disant "En France tout commence par une loi...", il affichait alors un net sourire puis, il poursuivait "...on ne sait pas comment ça se termine, mais tout commence par une loi" (COP21 - Sommet mondial «Climat et Territoires» - Discours de M. François Hollande, président de la République, Lyon, 01/07/2015).

Discours de F. Hollande

Comme si l'autodérision de l’État était devenue la meilleure arme contre la prolifération magmatique des textes normatifs...


N.B. En illustration, une action de jouissance, action ordinaire devenue un peu spéciale à raison de son remboursement.

Article 44

I. – Le chapitre III du titre III de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 précitée est complété par un article 31-1 ainsi rédigé :

« Art. 31-1. – I. – Après la publication du décret mentionné aux I et II de l’article 22 et préalablement à la réalisation de l’opération, si la protection des intérêts essentiels du pays en matière d’ordre public, de santé publique, de sécurité publique ou de défense nationale exige qu’une action ordinaire de l’État soit transformée en une action spécifique assortie de tout ou partie des droits définis aux 1° à 3° du présent I, un décret prononce cette transformation et en précise les effets.

« Les droits pouvant être attachés à une action spécifique, définis dans chaque cas de façon à être nécessaires, adéquats et proportionnés aux objectifs poursuivis, sont les suivants :

« 1° La soumission à un agrément préalable du ministre chargé de l’économie du franchissement, par une personne agissant seule ou de concert, d’un ou de plusieurs des seuils prévus à l’article L. 233-7 du code de commerce, précisés dans le décret qui institue l’action spécifique prévu au premier alinéa du présent I et calculés en pourcentage du capital social ou des droits de vote. Un seuil particulier peut être fixé pour les participations prises par des personnes étrangères ou sous contrôle étranger, au sens de l’article L. 233-3 du même code, agissant seules ou de concert. Cet agrément ne peut être refusé que si l’opération en cause est de nature à porter atteinte aux intérêts essentiels du pays qui ont justifié la création de l’action spécifique ;

« 2° La nomination au conseil d’administration, au conseil de surveillance ou au sein de l’organe en tenant lieu, selon le cas, d’un représentant de l’État sans voix délibérative, désigné dans les conditions fixées par le décret qui institue l’action spécifique ;

« 3° Le pouvoir de s’opposer, dans des conditions fixées par voie réglementaire, aux décisions de cession d’actifs ou de certains types d’actifs de la société ou de ses filiales ou d’affectation de ceux-ci à titre de garantie qui seraient de nature à porter atteinte aux intérêts essentiels du pays.

« L’institution de cette action spécifique produit ses effets de plein droit. Hormis les cas où l’indépendance nationale est en cause, l’action spécifique peut à tout moment être définitivement transformée en action ordinaire par décret.

« II. – Lorsque des prises de participation ont été effectuées en méconnaissance du 1° du I, les détenteurs des participations acquises irrégulièrement ne peuvent exercer les droits de vote correspondants tant que la prise de participation n’a pas fait l’objet d’un agrément par le ministre chargé de l’économie.

« Le ministre chargé de l’économie informe de l’irrégularité de ces prises de participation le président du conseil d’administration ou le président du directoire de l’entreprise ou l’organe en tenant lieu, selon le cas, qui en informe la prochaine assemblée générale des actionnaires.

« En outre, s’agissant des entreprises dont l’activité relève des intérêts essentiels de la défense nationale ou de ceux mentionnés à l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les détenteurs de participations acquises irrégulièrement doivent céder ces titres dans un délai de trois mois à compter de la privation de leurs droits de vote.

« À l’expiration de ce délai, le constat que les titres acquis irrégulièrement n’ont pas été cédés est notifié par le ministre chargé de l’économie au président de la société.

« Sous le contrôle de l’Autorité des marchés financiers, la vente forcée des titres est effectuée sur le marché réglementé où ils sont admis aux négociations. Elle peut être échelonnée sur une durée n’excédant pas deux mois s’il apparaît que la vente en une seule fois peut influencer anormalement les cours. Si les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, la vente est faite aux enchères publiques par un prestataire de services d’investissement, dans le respect des règles applicables au contrôle des investissements étrangers. Tous les titres ou droits issus des titres sont compris dans la vente.

« Le produit net de la vente des titres est tenu à la disposition de leurs anciens détenteurs.

« III. – Les I et II s’appliquent également aux entreprises du secteur public mentionnées au V de l’article 22 lors du transfert de la majorité de leur capital au secteur privé, si les conditions prévues au I du présent article sont remplies.

« IV. – Lorsqu’une société dans laquelle a été instituée une action spécifique fait l’objet d’une scission ou d’une fusion, un décret procède à la transformation de cette action spécifique en une action ordinaire et, le cas échéant, institue, dans les dix jours de la réalisation de la scission ou de la fusion et en application du I, une nouvelle action spécifique dans la société issue de l’opération qui exerce l’activité ou détient les actifs au titre desquels la protection a été prévue. Les droits attachés à cette action spécifique ne peuvent excéder ceux attachés à celle qu’elle remplace. »

II. – Les actions spécifiques instituées en application des dispositions législatives applicables à la date de publication de la présente loi restent en vigueur.

III. – À l’article L. 111-69 du code de l’énergie, la référence : « les dispositions de l’article 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations » est remplacée par la référence : « l’article 31-1 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique ».

IV. – À la seconde phrase du cinquième alinéa de l’article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 (n° 2001-1276 du 28 décembre 2001), la référence : « de l’article 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relatives aux modalités des privatisations » est remplacée par la référence : « et le V de l’article 31-1 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique ».

V. – L’article 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations est abrogé. Toutefois, le II du même article reste applicable aux sociétés dans lesquelles ont été instituées des actions spécifiques en application du I dudit article.

VI. – L’article 3 de la loi n° 70-575 du 3 juillet 1970 portant réforme du régime des poudres et substances explosives est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « mentionnée au premier alinéa » sont remplacés par le mot : « SNPE » ;
2° Le deuxième alinéa est supprimé ;
3° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« L’article 31-1 de la même ordonnance est applicable aux filiales transférées au secteur privé en application du premier alinéa du présent article. »

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