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Sociétés : autonomie des sociétés mère et filiales, à chacune sa responsabilité. Elf Aquitaine à l’ADEME : « elle c’est elle ; moi c’est moi ». Le créancier de la filiale n’est pas celui de la mère (Cass. Com. 26 mars 2008, inédit).



Sociétés : autonomie des sociétés mère et filiales, à chacune sa responsabilité. Elf Aquitaine à l’ADEME : « elle c’est elle ; moi c’est moi ». Le créancier de la filiale n’est pas celui de la mère (Cass. Com. 26 mars 2008, inédit).
Le monde capitaliste fonctionne sur quelques principes juridiques assez simples. L’un deux est celui de l’autonomie de la personne morale, donc des sociétés de capitaux dans lesquelles la responsabilité des actionnaires se limite à leur apport.

Elf Aquitaine, en étant actionnaire (probablement) majoritaire en créant Esys, devenue Elipol, une filiale, n’avait pas d’autre responsabilité que son apport. Ce qui est vrai pour Elf Aquitaine, qui a cent, mille, ou plus ? sociétés filiales. C’est aussi vrai pour l’entrepreneur qui de son fonds de commerce passe à une exploitation en SA, SAS ou SARL…

Avec la morale qui fuit, la cupidité qui monte, la règle (le principe) vient à poser problème. Les filiales sont de plus en plus le bras armé des basses œuvres de groupes de sociétés qui, dominés par une holding, paradent sur le thème de la « responsabilité sociale de l’entreprise » tout en étant, jugeront certains, totalement irresponsable (voire pire) à travers leurs filiales.

L’arrêt précité (et ci-dessous reproduit) rappelle le principe selon lequel sociétés filiales et sociétés mère sont autonomes. On peut « conjuguer » le mot autonomie sur tous les registres du droit des sociétés :
- autonomie des personnes juridiques,
- autonomie du patrimoine social de chaque société,
- autonomie de la responsabilité, contractuelle, délictuelle, quasi-délictuelle…
- autonomie de la politique sociale,
- autonomie des dirigeants de chacune… c’est le droit en vigueur.

Certes il y a des atténuations importantes qui permettent de parler de « groupe de sociétés… ». Pour la commodité de la gestion des groupes, le droit des sociétés comporte des dispositions avantageuses.

Ainsi, en droit, les groupes existent tantôt, tantôt pas.

On le voit en lisant la presse. Les holdings savent crier à cor et à cri être un groupe qui pèse « x milliards de chiffre d’affaires ». Mais à côté de cette symphonie médiatique et commerciale, les sociétés mères savent, en chambre judiciaire, jouer la petite musique de l’autonomie : la holding n’est pas responsable de la filiale.

Le Bulletin Rapide de droit des affaires (BRDA), des éditions Fr. Lefebvre, fait donc bien de mentionner l’arrêt de la Chambre commerciale du 26 mars 2008 ci-dessous reproduit (arrêt non publié au bulletin », soit dans la terminologie « inédit », mot qui va désormais mal quand l’arrêt est en ligne…).

Pour des problèmes environnementaux, il est jugé que la société mère n’est pas responsable de « l’ardoise » laissée par sa filiale.

Le pourvoi de l’Agence visait d’abord la responsabilité de la mère en tant qu’associée de sa filiale ; si, avec nous, on veut bien considérer que l’associé est en lien contractuel, c’est au fond une sorte de responsabilité contractuelle que l’on recherche en essayant de mettre en cause l’associé. On peut aussi y voir une sorte de responsabilité pour autrui. Mais ces spéculations ne sont que cela, non des règles de droit.

Le pourvoi visait ensuite la responsabilité délictuelle, soit 1382. Mais Elf aura pu dire, plus fort ici que pour une autre réplique, « elle c’est elle, moi c’est moi ».

La solution, en somme un classique, est peut être en voie d’extinction. Le BRDA souligne le projet de loi « Borloo » déposé le 30 avril dernier et visant à changer les choses. Il faut savoir évoluer

Il faut aussi bien comprendre les implications des évolutions sur les domaines voisins ou les questions parallèles. Il est facile de souhaiter plus de « responsabilité environnementale et sanitaire pour les sociétés filiales (les sociétés contrôlées : C. com. art. L. 233-3), il est plus difficile de savoir ce que cette brèche ouverte donnera (si la loi est votée) dans un Droit rôdé au principe de l’autonomie.

A toute mode politique doit correspondre une recherche juridique ample, profonde et ouverte.

Jeunes plumes, à vos cahiers !




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Arrêt extrait de la base publique Legifrance
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Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du mercredi 26 mars 2008
N° de pourvoi: 07-11619
Non publié au bulletin Rejet

Mme Favre (président), président
SCP Laugier et Caston, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique, pris en ses troisième et quatrième branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 décembre 2006), que la société Esys, filiale de la société Elf Aquitaine (la société Elf), a pris en 1987 une participation dans la société Déblais Services, devenue Elipol, qui exploitait une décharge de déchets ménagers et industriels de classe I ; que cette prise de participation était assortie d'une option d'achat dont le prix de vente dépendait du chiffre d'affaires réalisé au cours des deux derniers exercices ; qu'afin d'accroître ce chiffre d'affaires, les dirigeants de la société Elipol ont augmenté l'activité de la décharge de façon intensive au point que, devenant une telle source de gênes pour les riverains, elle a été fermée définitivement par décret du 20 octobre 1989 ; que tenue d'assurer la réhabilitation du site, la société Elipol a procédé aux deux premières phases des travaux qui se sont déroulés jusqu'en 1996 ; que, privée des ressources provenant de son activité essentielle d'exploitation de la décharge, elle a bénéficié pour ce faire du soutien financier de son actionnaire majoritaire, la société SSIG, filiale de la société Elf, auquel ses actions avaient été transférées ; qu'en octobre 1996, les associés de la société Elipol ont décidé de sa dissolution amiable ; que son liquidateur a déposé une déclaration de cessation des paiements, laquelle a conduit au prononcé de sa liquidation judiciaire par jugement du 23 décembre 1996 ; que le 13 mai 2001, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (l'ADEME) qui avait reçu de l'Etat la mission de procéder à la troisième phase des travaux de réhabilitation, pour suppléer la défaillance de la société Elipol, a poursuivi en réparation les sociétés Elf et VGF SA, venant aux droits de la société SSIG ;

Attendu que l'ADEME fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation dirigée contre la société Elf et la société VGF, alors, selon le moyen :

1°/ que les juges ne sauraient méconnaître les termes du litige tels que fixés par les parties dans leurs conclusions ; qu'en retenant, au titre de la responsabilité délictuelle de la société Elf, que l'activité de la filiale ne peut engager la société mère «sauf confusions de patrimoines ou immixtion dans la gestion de sa filiale ce qui n'est pas soutenu en l'espèce», quand l'ADEME fondait notamment son argumentation sur «l'immixtion de la maison mère», la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que le caractère dangereux de l'activité économique assurée par une filiale doit contraindre un groupe de sociétés disposant des capacités financières à soutenir ladite filiale, lorsque celle-ci n'a pas les moyens de respecter l'obligation légale de réaliser des travaux de nature à empêcher un dommage écologique ; qu'en décidant, au contraire, qu'il n'existe pas d'obligation pour une société mère de financer sa filiale pour lui permettre de remplir ses obligations même si celle-ci était chargée d'un service public pouvant présenter un risque pour l'intérêt général, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant écarté l'existence d'une faute résultant de l'intervention de la société Elf aux côtés de la société Elipol, postérieurement à la commission par cette dernière de la faute ayant nécessité l'intervention de l'ADEME et de la décision de procéder à sa liquidation, la cour d'appel n'encourt pas le grief du moyen ;

Attendu, d'autre part, qu'après avoir relevé, d'un côté, que la société Elipol avait grâce aux divers financements obtenus, notamment auprès de ses actionnaires, pu mener les deux premières phases de la réhabilitation du site, de l'autre, que la décision de liquidation reposait sur des éléments objectifs, ce dont il résultait que la société Elf n'avait pas commis de faute dans les suites qu'elle avait réservées à sa prise de participation dans la société Elipol, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu qu'une société mère n'est pas tenue de financer sa filiale pour lui permettre de remplir ses obligations même si celle-ci est chargée d'un service public pouvant présenter un risque pour l'intérêt général ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu que le moyen pris en ses deux premières branches ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'ADEME aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Elf Aquitaine la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille huit.


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