Spécialité de l'innovation, la Futurique aurait pu sauver la France (Chronique de 2085)



Mont-Pelié
Le 29 octobre 2085
Province de Langue-Doc annexe de l'Etat Souverain de Catalogne

Article publié dans le Midi-Soumis du 30 octobre 2085

J'écris devant la statue de Louis, là, juste là où Jean Moulin a été photographié "en 40". Mon père m'a confirmé que cette histoire de photographie est vraie, il la tenait de mon grand-père qui avait fait ses études à l'école Jean-Moulin (à l'époque où Montpellier était une ville sous administration autonome, vers 1970 je crois). Son directeur d'école, qui ressemblait encore à un hussard de la République, qui portait la blouse grise, avait invité la soeur de Jean Moulin qui leur avait raconté cela, je veux dire l'histoire de la photo, entre deux "chants des partisans" que la classe de CM2 avait interprété avec coeur.

J'écris là, devant ce mur qui est aujourd'hui peint aux couleurs de la Catalogne.

Six ans après c'est encore un choc, même si les gens sont plus heureux, et même si la citoyenneté européenne a encore été renforcée. En effet, la République Européenne n'est encore vue que comme une République sur le papier. L'identité poltique pose encore problème ici, dans le Midi soumis.

La recherche des Nouvelles Lumières, il y a quelques décennies, a permis de redonner aux zones économiques qui le voulaient, en Europe, un essor économique, social et culturel. Le renouveau de ces zones économiques confirma que l'économie était devenue la matrice du tout - on rappellera que 5% de croissance du PIREB pendant 25 ans c'était inimaginable au début du siècle - le PIREB : produit intérieur régional et écologique brut.

Paradoxalement, ou plutôt évidemment, cet essor n'a pas profité à la France, on ne le sait que trop. Sur des ronflements creux relatifs à la République, échos d'une soumission à une doctrine creuse du républicanisme, mâtinée d'un pragmatisme qui n'a jamais été précisé, la France a cédé au choc de l'intégration européenne et au choc pétrolier final de 2060.

Le tranquille démantèlement de la France, au profit des quatre Etats voisins et de l'émergence des quatre Provinces autonomes a trop été étudié, dans ses causes, pour que l'on ne s'y attarde une nouvelle fois. La faiblesse de la République, autant gangrénée par ses conformismes et ses couardises, que par ses extrémismes, ne pouvaient pas raisonnablement résister.

Rétrospectivement, tous les historiens contemporains l'énoncent comme une évidence, mais ils ont manqué de le dire il y a un demi-siècle.

Toutefois, le fait que la France soit réduite à Paris (officiellement la Province de la Seine) et quelques anciens départements voisins (départements supprimés trop tard, on le sait, par "l'acte légal du 13 février 2068 d'échappement à la faillite générale"), rappelle le comté de Vermandois (avec ses quelques domaines royaux), aux aubes de la royauté. Ce retour en arrière est souvent dit. Mais on ne va pas plus loin que cette simple observation.

Or, si les causes du déclin sont connues, les voies et conditions qui auraient pu l'éviter ne le sont pas.

Certes on sait que le paradoxe français, seul cas au monde de l'effondrement d'un système étatique qui paraissait en bonne santé (ça se discute), a pu être favorisé par ses "amis" européens trop heureux de s'emparer de son arme atomique à prix symbolique et de son réseau diplomatique international (autant fait de la francophonie que de sa position à l'ONU).

Les forts ont bon compte de s'allier avec les médiocres pour exterminer tout ce qu'il y a entre les deux... Les dirigeants français, administrateurs sourcilleux, n'avaient semblent-ils pas appris cela dans leurs écoles administratives et d'administration... Et les élus, eux, étaient concentrés sur leur territoire ou fief... A quoi tient un Etat ?! A un polycopié mal fait d'un cours mal ficelé ?

Mais, à nouveau, ce sont les causes de l'échec qu'on discute, et non les conditions qui auraient pu être celles du redressement.

Pareillement, on croit comprendre et on dit qu'il aurait suffit de réussir la politique d'innovation pour que la France demeure. C'est aujourd'hui acquis, prouvé par toutes les études de sciences sociales ; mais cela est agaçant car rien ne dit, dans ce discours habituel, comment cette politique de l'innovation aurait pu être mise en place.

Il fallait la réussir ! Dit-on.

Oui, mais c'était la même exigence pour tous les domaines, en France, de 2000 à 2060. Il fallait tout réussir mais rien n'a marché, ni l'école, ni l'université, ni les entreprises, ni la culture, ni les grands travaux, ni la science... jusqu'à ce que l'administration, pléthorique, appauvrie et envahissante, passe à la corruption pour maintenir son niveau de vie.

Il fallait tout réussir, mais rien n'a réussi, nous n'avons rien réussi.

Qu'aurions-nous dû faire ?

Aucun président ou ministre en 50 ans ne semble avoir apporté une idée, une force, une vision. Tout n'a été que chamailleries, pinailleries de principes futiles... ou parfois moins futiles, apparitions médiatiques, légèreté d'esprit, copinage plus ou moins coupable, petites considérations de son petit intérêt.

Et puis les "intellectuels" de l'époque (qui, de façon presque monopolistique, "pensaient" dans les hebdomadaires) aidèrent au mouvement en renouvelant les dissertations sur les problèmes anciens sans identifier les problèmes du moment.

Et voilà. La République est tombée comme l'était la royauté trois siècles plus tôt : précieuse et ridicule.

Pourtant, il eût fallu suivre ceux qui n'était ni précieux ni ridicule.

Il y en avait, ils existaient, et c'est l'objet de notre plume. A travers un cas qui est plus qu'anecdodique.

Ainsi, une vielle thèse soutenue devant l'université d'Auvergne, en 2016, donnait plus qu'une piste. Cette thèse avait été soutenue pour proposer une nouvelle matière : la futurique. Dans sa préoccupation, l'auteur dégageait la nouvelle discipline de façon empirique, et non dogmatique ou académique. Sans répondre aux "canons" universitaires du moment, encore qu'elle les respectât dans l'intelligence des principes posés, elle fut délaissée.

Les quelques lecteurs parisiens qui en prirent connaissance se gaussèrent de l'idée d'une nouvelle matière : vous pensez, une science sociale appréhendant les sciences exactes sources principales des innovations, cela échappait aux esprits formatés et récitateurs des exactitudes d'hier ; dans un haussement d'épaules plein de vanité, de dédain et de bêtise, on conserva seulement les anciennes matières. On a souvent dit qu'il avait été stupéfiant que les Grandes Ecoles soient autant au service de Petites Idées.

On conserva donc le passé. Le passé devint le présent.

L'auteur de cette thèse avait été dirigé par trois professeurs de "disciplines de sciences sociales" différentes, mais également suivi par un professeur de mathématique expert des probabilités. Quand on relit ce document, assez bref, de 380 pages, sans fioriture, doté d'une bibliographie utile mais non titanesque, on est étonné de voir que l'auteur avait prévu l'avenir sombre de notre ancienne République française. Tel n'était pas son sujet, mais il avait, en 30 pages serrées, montré comment le cumul des facteurs négatifs pouvaient pousser à la disparition de la France. Il avait notamment acculé le bon peuple de France dans sa pauvreté intellectuelle du moment qui consistait à ressasser le passé - ce qui était à l'époque une distinction d'esprit en soi ! - sans jamais mot dire du futur.

Comme tout ce qui se faisait d'intelligent dans cette période, cette première thèse de Futurique (et non plus futurique)n'a jamais été publiée, ni beaucoup citée. On pense même que l'auteur, ses directeurs de thèses et les membres du jury ont dû être moqués par la nomenklatura parisienne qui, les études l'ont montré, dominait alors le pays dans son seul intérêt. Ce fut d’ailleurs l’un des facteurs de l’arrivée au pouvoir des "néo-fascistes démocrates" qui ne firent qu’aggraver la situation en provoquant la première revendication de sécession de Province (illusoire en 2022) tant la honte fut grande dans une partie de la population.

Malgré les réticences des "responsables" de ces trois décennies (dites en France "Les trente fallacieuses"), les Nouvelles Lumières ont cependant été construites, notamment en Belgique et en Allemagne, sur le "postulat de l'innovation centre d'équilibre des relations sociales". Elles ont sauvé l'Europe à défaut de sauver la France. Or cette thèse défendait, la première, le principe d'innovation qui allait être le second principe de la plupart des organisations politiques (Etats, Régions et Provinces, partis politiques...), en en faisant un principe juridique, économique, de gestion et scientifique... donc un principe politique !

Divers auteurs prennent désormais le soin, maintenant que tous ces acteurs sont morts, de citer cet ouvrage comme l'acte initial qui a fondé la futurique. Mon grand-père m'a raconté qu'on n'avait même pas donné la trsè modeste décoration de l'Education nationale - les "Palmes académiques" - à cet auteur : il ne devait pas être dans le bon syndicat ou le bon club...


Dans leur dernier Traité de Futurique, les honneurs sont rendus trois auteurs consacrent une page entière à cette vieille thèse de l'Université d'Auvergne qui, pour la première fois, rabrouait les disciplines de sciences sociales d'alors : l'histoire (qui empêche d'avancer), le droit (qui congèle les choses), la sociologie (qui les photographie), l'économie (qui les mesure, ou plutôt qui les mesurait)... Le Traité cite même dix lignes de l'ouvrage de 2016, écrit dans le cadre d'une fusion d'universités qui avaient été l'occasion, en Auvergne, de mélanger les sciences, croiser les compétences et oser une authentique néo-science.

On sait ce que la Futurique a apporté, à partir des années 2050 à divers pays européens. On sait le prestige des Professeurs de futurique et des nouvelles Facultés de futurique qui ont poussé partout en Europe, sauf en France. L'octroi de 9 Prix Nobel, dans toutes les anciennes matières, à des professeurs de Futurique dit tout de l'affaire. Mais ici, en France, on n'a jamais voulu que maintenir l'ordre ancien, la République du 19e siècle ! Alors qu'il fallait donner aux entreprises (privées) le choix de la futurique pour l'innovation et l'économie de qualité. Rien de net n’a été fait.

C'est cela que je voulais dire : si la France avait fait confiance à "ses" sciences sociales (mathématisées bien entendu pour les upgrader), au lieu de se laisser diriger par son administration, aussi creuse que trop pleine, la futurique (mouvement d'esprit et social), avec ses chercheurs en Futurique et ses professeurs, aurait ici aussi, prouvé que l'innovation (utile et de qualité) était la clé de la survie.

Alors oui le premier ministère aurait été celui de la futurique et l'ensemble de la population se serait portée sur l'avenir, cessant de regarder le passé ou le présent de leur nombril.

Voyant le péril, le France aurait sans doute échappé à son funeste sort.

Ainsi la République est morte de ne parler que d'elle, de son présidentialisme, de son parlementarisme, de son bicamérisme, de son unité... Quand elle est morte, elle n'existait déjà plus. En fait, elle n'est pas morte, elle s'est dissipée au fil des ans, que dis-je, de minute en minute pendant 30 ans. Tout le monde lui a pris quelque chose, le néo-fascisme démocratique bien sûr, mais le socialisme aussi, le libéralisme bien sûr, le communisme, même le social-libéralisme... les « élites » lui ont pris tout le reste.

Il lui a manqué le solidarisme raisonné et l'innovationnisme débridé.

On imagine alors ce qu'aurait pu être des classes, en primaire comme en secondaire, et à l'Université, de professeurs de futurique qui, résumant les innovations d'hier en quelques minutes, auraient appris les projets d'innovation en cours.

Ils auraient appris aux jeunes têtes les méthodes de la recherche actuelle pour toucher du doigt l'avenir.

Ils aurait appris le nom et les gestes de ces inconnus qui forgent le futur chaque matin, sans jamais avoir le moindre égard de quiconque.

Ils auraient pu rencontrer ceux qui parlent simplement de choses complexes en pointant les points sombres, ceux de la méconnaissance : les trous noirs du savoir.

Mais les chercheurs et les docteurs ont été oublié, il n'y a jamais eu la moindre politique, culture ou le moindre enseignement de l'innovation.

C'était l'époque folle où l'on donnait des millions à de jeunes gens qui couraient après un ballon au prétexte stupide que certains d'entre eux parvenaient mieux que d'autres à lui faire franchir une ligne blanche marquée au sol... au mépris des seigneurs de l'innovation qui, quelques décennies plus tard, ont sauvé le monde, sans devoir se vendre à l'industrie privée. La refonte totale des principes sur la propriété intellectuelle a permis de récompenser les innovateurs, en supprimant les rentes injustifiées et colossales de quelques artistes populaires qui, eux-aussi, percevaient des millions de droit d'auteur pour des morceaux de 3 minutes qui, on s'en est rendu compte, ne faisaient que polluer l'espace de communication.


Oui alors on peut dire, mais surtout pour souligner la force des faits, contre les idées creuses, ainsi que pour souligner le sort merveilleux des idées justes et fortes, comme celle de la Futurique, la République est morte d'avoir négligé une thèse, un auteur et quelques docteurs-professeurs.

La République est morte de n'avoir pas accueilli l'innovation.

En refusant l'examen d'idées pour demain, en refusant l’avenir, la France s’est refusé tout avenir.

En refusant la discipline qui allait encadrer l'innovation, c'est l'innovation qui était refusée, la régression pouvait prospérer.

Je ne sais si c'est une leçon d'histoire ou de futurique, en tout cas ce n'est pas une loi très démocratique, mais il me semble que le monde est toujours sauvé par quelques génies contre la masse des autres. Enfin, "toujours"...


Vive l'Etat de République de Catalogne !
Vive la République Européenne !
(Mentions conformes à la Directive européenne républicaine du 19 mai 2078 (Journal Officiel de la République Européenne du 20 mai 2078) relatives aux publications politiques ayant trait à l’ancien Etat dit "République française").




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Dédicace aux amis qui se reconnaîtront : A. R.

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