Affaire Bernard TAPIE / Lyonnais : policiers et juges enquêtent sur des faits civils déjà jugés



Bernard TAPIE et ses sociétés (son groupe) ont-ils été trompés quand le Crédit Lyonnais a fait acheter Adidas, à telle somme, pour faire revendre l'entreprise bien plus cher quelques temps après ? Tout le monde a des convictions, y compris ceux qui n'ont jamais vu une pièce du dossier depuis ces dernières années - nombre de pièces sont accessibles sur mon blog et ailleurs sur l'internet.

Le dernier événement de l'affaire, qui est devenue pénale, est un rapport de police qui enquête sur la "transaction" de l'époque et qui figure désormais au dossier pénal (et dans quelques rédactions). Ce rapport est un véritable événement dans le dossier, il mérite une explication juridique et une opinion sur le sens du travail des juges d'instruction.

Ce qui s'est passé entre Tapie et le Crédit Lyonnais, les jugements et arrêts le disent. L'arrêt des juges de la Cour d'appel de Paris, qu'ils mirent 10 ans à rendre, et qui a été cassé et annulé par la Cour de cassation, mais pas sur ce point, avait jugé que le Lyonnais avait trompé le sieur TAPIE.

A partir de ce point dur, les faits civils et commerciaux étaient jugés - et par prudence j'ajouterai pour l'essentiel. Ce qui restait à juger n'était "que" question d'argent et d'évaluation des préjudices, certains diront aussi de causalité ce qui était/est plus ennuyeux pour B. TAPIE. Ces juges-là avaient jugé qu'il y a avait une faute et octroyé 150 M€, d'autres auraient donné moins, d'autres plus... En tout cas, le Crédit Lyonnais a alors eu la possibilité de trouver toute pièce et preuve de sa bonne foi, son attitude loyale, et il n'y est pas parvenu ; et on ajoutera, pour les gens qui n'y penseraient pas que la banque (et pour elle le CDR SA) n'était pas une partie faible qui n'a ni les moyens ni les avocats pour se défendre, ce qui naturellement pourrait tout changer dan le jugement global de l'affaire.

La cassation ne change rien à cette dernière réalité ; elle peut du reste se discuter même si on n'a su guère le faire ; l'avocat général La Fortune était contre : à le suivre cette affaire aurait été bouclée depuis 2005... Voyant que l'affaire avait duré 12 ans sans se boucler, B. TAPIE (en réalité les liquidateurs judiciaires, homme de lois) ont demandé à l'Etat un arbitrage (car les dettes du Crédit Lyonnais sont assumées par l'Etat via le CDR SA, société qui a récupéré les actifs du Lyonnais).

Pour en sortir, un arbitrage a donc été décidé, convenu par convention d'arbitrage comme le prévoit le Code de procédure civile, ce qui a donné une sentence arbitrale avec l'indemnisation record que l'on sait. Tous les recours civils contre cet arbitrage ont échoué, après que nombre de médias aient à chaque fois annoncé qu'ils allaient aboutir. J'ai toujours pronostiqué l'inverse, ce qui explique sans doute qu'aucun journaliste ne jamais mon blog sur cette affaire.

A nouveau, voyez mon blog sur l'affaire TAPIE

L'affaire, civile, est donc venue sur le plan pénal de façon tardive : rien n'était donc évident et notamment pas la commission d'infractions pénales, alors que tout le monde avait regardé cet arbitrage. Les plus hargneux contre cette décision n'ont ainsi jamais esquissé une analyse pénale, et ils sont légion(s), sauf après l'ouverture d'une information pénale.

Un jour tout a donc changé. Nicolas SARKOZY en tête de gondole médiatique, il a été annoncé qu'il y avait une escroquerie (en bande organisée). Voilà 3 juges d'instructions saisis et aussi la Cour de Justice de la République puisque parmi la quinzaine de protagonistes alors suspectés, au moins un est ministre (Christine LAGARDE). On s'étonne, on reste incrédule, mais après tout pourquoi pas. Un aspect pénal peut interférer, et quand on pratique le droit on sait que le pénal écrase le civil.

Mais on pouvait rester incrédule, et on l'explique en citant les nombreux et divers acteurs de cette escroquerie : liquidateurs judiciaires, juges qui ont approuvé l'arbitrage, administrateurs du CDR SA qui gère la faillite du Lyonnais, avocats, administrateurs de l'Etat, arbitres du tribunal arbitral, ministre et Président de la République.

Tous sont alors suspectés d'avoir organisé un arbitrage fantoche, un "simulacre d'arbitrage" se dit-il.

De ce qui est ressorti dans la presse, je n'ai toujours pas été convaincu de cette vaste "escroquerie" en bande organisée, qu'il ne faut pas confondre avec l'audace, la malice et la force déployées par M. TAPIE pour obtenir un arbitrage qui devait lui assurer (espérait-il) une solution rapide. Cela, c'était son droit, il n'est pas interdit de taper à la porte des ministères et de plaider sa cause...

Mais je ne suis pas dans le dossier pénal, et après tout il y a peut-être de quoi appliquer le Code pénal.

Toutefois même avec cette perspective, au plan civil, l'arrêt d'appel (comme le jugement) rendus par des juges judiciaires comporte une réalité non-effacée : Le Lyonnais a violé son obligation de loyauté en tant qu'intermédiaire, mandataire pour vendre.

Tant que cette réalité, qui est judiciaire, et définitivement jugée, reste en place, B. TAPIE a raison en droit contre le Lyonnais et, donc, donc, il y existait fondamentalement une raison d'aller vers un arbitrage : c'est une procédure comme une autre (j'ai purgé cela sur mon blog il y 5 ans je ne vais pas y revenir).

A nouveau, voyez mon blog sur l'affaire TAPIE

Les juges d'instruction ont dû finalement s'en convaincre, j'oserai dire s'en apercevoir un peu tard.

Les juges d'instruction ont donc demandé aux policiers de refaire une enquête sur les faits civils : comment TAPIE a vendu Adidas, quel était l'accord avec le Lyonnais et sa filiale la SDBO (le mandat de vente n'était pas du top niveau juridique, il nous faudra y revenir un jour... B. TAPIE s'est mal ou même pas protégé).

Faire une enquête pour refaire l'histoire qui a été jugée deux fois par la justice judiciaire civile (tribunal de commerce et CA). Cette enquête est au dossier pénal, mais elle est déjà dans la presse et, sans surprise, il paraît que l'on y apprend que le LYONNAIS est l'ange et TAPIE le démon, et c'est écrit dans un titre du Monde : TAPIE n'a pas été lésé dans la vente d'Adidas.

Le Monde

Trente ans après, refaire la vérité civile dans le cadre d'une enquête pénale, c'est sinon inédit au moins assez incroyable ; mais passons sur le spectaculaire pour analyser, pour comprendre, sachant que la réponse de TAPIE à cet événement est courte (il a à peu près dit : ce n'est pas au policier de dire ce qui s'est passé, c'est aux avocats et aux juges) (1).

Plus que le contenu de cette enquête, le fait même de son existence me permet d'en tirer la conclusion, mais je peux me tromper, que les juges ont le sentiment que, sans cela, sans cette thèse civile, leur instruction ne sera pas convaincante. Pourquoi ? Parce que, Je le répète : si le Lyonnais a commis une faute contractuelle, TAPIE avait droit à une indemnité et l'arbitrage se concevait, fût-ce pour un euro.

Certes il n'y a pas de prescription qui vaille ici, puisque les faits pénaux dateraient de 2007/2008, on parle de la présumée escroquerie en bande organisée.

Selon moi, les juges d'instruction espèrent donc avec cette enquête policière démontrer que le Lyonnais a été parfait et que B. TAPIE a accepté de vendre à moindre prix parce qu'il était, selon la thèse du Crédit Lyonnais qui va devenir celle des juges, en "quasi-faillite".

Où veulent-ils en venir ? Là : si TAPIE n'a pas été victime d'une déloyauté du Crédit Lyonnais, il savait n'avoir droit à rien et, donc, pour gagner ce procès il lui fallait :

- une procédure en forme d'arbitrage car les juges judiciaires allaient finir par changer d'avis ;
- un arbitrage avec des arbitres malhonnêtes qui allait lui donner une indemnité record.

"CQFD !" - pensent selon moi les juges d'instruction.

En théorie juridique : De l'art de démontrer l'infraction pénale par... capilarité civile ?!

Dans cette thèse, plus politique (au sens noble) que juridique, Bernard TAPIE avaient donc besoin de déployer un trucage magistral pour gagner ne serait-ce qu'un euro : un simulacre d'arbitrage. Il a commis une infraction pénale parce qu'il n'avait... aucun droit au civil.

Pour faire tomber B. TAPIE, il faudra, plus sobrement, des éléments matériels de l'infraction pénales qui se constateront aisément parce que, sinon, d'autres juges que ceux en charge de l'instruction pourraient ne pas apprécier le caractère trop magistral de cette instruction pénale, et peut-être aussi trop civil.

Mais n'oubliez pas que toute cela est dû à la faillite d'une banque, détenue par l'Etat, le Crédit Lyonnais, aux excès de quelques hauts fonctionnaires qui la dirigeaient :

le sujet majeur des années 1990, le risque de faillite des banques, l'est encore plus aujourd'hui, et je m'en retourne donc tout de suite à mes travaux de droit bancaire et financier car, malgré les 41 actes de régulations européens de ces dernières années, la prochaine crise financière pourrait faire chuter l'Europe définitivement, ce qui curieusement mobilise peu.




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1) En bref, les juges d'instruction ont demandé aux policiers de refaire une enquête sur l'aspect civil du dossier pour savoir si B. TAPIE avait été trompé ou pas par le Crédit Lyonnais. Tout citoyen appréciera de quoi il s'agit : imaginer votre affaire civile, jugée depuis 10 ou 20 ans, être reconsidéré par une enquête policière - donc de nature pénale. Ne seriez-vous pas étonné ?




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