Les clauses de hiérarchie des documents, des documents contractuels, se retrouvent souvent dans les contrats industriels. Nous nous permettons de les appeler les "Contrats lourds", notion que nous n'avons pas renoncé à affiner (..., un jour !). La lourdeur vient de causes, faits ou situations juridiques multiples ; un contrat qui réunit quelques milliers de personnes à toute raison d'échapper au droit général (ce qui manque d'être accepté, l'atteinte à la théorie générale des obligations étant toujours mal vécue). La lourdeur vient souvent, également, de la pluralité des cahiers des clauses et de leur longueur, les documents contractuels consistant souvent en plus d'une centaine de pages.
On soulignera ici la difficulté spéciale née de la pluralité de ces documents - ainsi les appelle-t-on sans souvent plus de réflexion, tous sont ne part du contrat.
Il convient alors de préciser la nature et la valeur de chacun de ces documents et de les classer, soit rationaliser ces documents. On peut appeler "clause de hiérarchie des documents contractuels" (c'est notre appellation) la disposition conventionnelle que l’on trouve dans des contrats complexes - très complexes : lourds. Ces contrats se rencontrent souvent dans le secteur industriel et dans ce qu’on peut donc appeler, par facilité de la pratique, les "contrats industriels".
Ces contrats comprennent principalement "de la" vente, "de la" prestation de service (installations, constructions ; prestations d’ingénierie), des licences d’exploitation et accessoirement d’autres actes juridiques (notamment du mandat). Cette pluralité peut perdre le lecteur qui, d'une façon ou d'une autre, doit appliquer le contrat.
Cette clause établit une priorité dans la valeur à donner aux divers documents contractuels. Autrement dit, cette clause prétend définir la force juridique de chaque document par rapport aux autres. Elle est a priori l’œuvre de la force obligatoire des conventions : les parties modulent cette force selon les documents. En vérité, fondamentalement (…), cette clause s'assimile en partie à une clause d’interprétation des documents en présence (elle supplée à la carence, sur ce point, des articles 1156 et s. du Code civil, lesquels constitue un petit guide-âne pour l’interprétation des conventions). En effet, notre vieux code civil ne connaît pas le grand phénomène de la décomposition du contrat en divers documents contractuels.
Il n’est pas dit que cette distinction (clause déterminant la force ou clause d’interprétation) soit déterminante. Ce qui est essentiel c’est que la clause permette effectivement d’aboutir à une interprétation assez sûre des mentions des diverses clauses de divers actes.
Il est en revanche intéressant de souligner que la clause sert à interpréter ; devant un juge, en effet, cette idée peut le placer dans un état d’esprit lui permettant de regarder les clauses avec moins de rigidité. Nous n’en dirons pas ici davantage, cela pousserait trop loin. L’objectif est ici de décrire ces clauses de hiérarchie au plus générale. Une telle clause part d’un besoin manifeste de clarification. La complexité vient, elle, de la diversité des documents contractuels. Rappelons pour le domaine industriel de quoi on parle à propos de ces documents : un bulletin de vente/prestation ; un contrat principal (il sera signé et comprendra la clause de hiérarchie qui en préalable vise les documents) ; des conditions générales ; un cahier des conditions administratives générales (CCAG) ; un cahier des conditions administratives particulières (CCAP) ; un cahier des conditions techniques particulières (CCTP). La clause vise donc les cinq « gros documents » ci-dessus cités. Les autres documents qui existent ont plutôt tendance à être oubliés par les rédacteurs de contrats. Pour des raisons diverses, les annexes et les modèles ne sont généralement pas visées par la « clause de hiérarchie ». Il y a une bonne raison pour qu’il en soit ainsi. Ces documents sont en effet dans la dépendance de l’un des cinq « gros documents » précités. Pour s’y rattacher, la clause de hiérarchie n’a donc pas besoin de les citer. Cependant, les choses deviennent souvent compliquées en pratique. Une annexe du contrat de vente peut relater un élément technique précis ; or, c’est parfois après coup qu’un élément technique sera véritablement précisé. Le client, assisté d’un cabinet d’ingénierie ne définira ledit élément technique que dans le CCTP. Il y aura ainsi une contradiction entre le plus « haut » document contractuel (annexe du contrat principal) et le plus « petit » ou « bas ». La clause de hiérarchie vise les divers documents en précisant, justement, la hiérarchie qui existe entre eux. Souvent la clause se retrouve dans le CCAP ou CCPT, ce qui suppose de bien vérifier que les deux sont pareillement rédigées… On trouvera ainsi dans divers contrats industriels, comme clause la plus simple :
« Le présent marché est réglementé par les documents contractuels ci-après cités, le premier cité prévalant sur le deuxième et ainsi de suite en cas de contradiction de leurs termes :
Un contrat principal – le présent document – signé par les représentants légaux des parties ; Un bulletin de vente/prestation comprenant notamment les quantités ;
Les conditions générales de l’acheteur, celles du vendeur étant expressément écartées ;
Un cahier des conditions administratives générales (CCAG) ;
Un cahier des conditions administratives particulières (CCAP) ;
Un cahier des conditions techniques générales (CCTG) ;
Un cahier des conditions techniques particulières (CCTP) ».
Il ne semble pas utile d’ajouter que la clause, ayant pleine valeur contractuelle, s’applique et s’impose aux parties et au juge qui ne peuvent ni l’écarter ni la dénaturer. On est là sur une idée générale tenant à l’application de l’article 1134 du Code civil. La Cour de cassation veille à ce que les clauses ne soient pas dénaturées pour, finalement, ne pas être appliquées : elle opère un contrôle du travail du juge du fond (il interprète souverainement la clause mais seulement la clause obscure, mais même dans ce cas il ne peut l’interpréter jusqu’à la dénaturer en la jugeant).
On peut en revanche ajouter, car les juges sont parfois surprenants d'audace quand, naturellement, on ne le leur demande pas... :
« La présente clause est impérative et s’applique préalablement à toute technique d’interprétation des contrats, et si besoin est en écartant les articles 1156 et suivants (i[anciens...) qui ne sont pas d’ordre public]i ». En effet, il y a quelques dispositions dans ce guide-âne qui sont de nature à faire échec à la clause. Autant que le rédacteur de l’acte montre, et souligne, qu’il en a eu conscience et que, en toute science, il a choisi cette clause de hiérarchie qui facilite l’interprétation.
A l'inverse, les articles peuvent être visés pour fonder l'interprétation sous condition première de respecter la hiérarchie des documents contractuels, et donc le coeur de la clause de hiérarchie. On purra nuancer en supprimant par exemple la technique d'interprétation consacrée à l'un des articles 1156 et suivants parce qu'elle apparaît inopportune. Prenons un exemple : "L'interprétation selon l'article 1162 qui impute la rédaction du contrat à l'un ou à l'autre n'aura pas cours ; les parties déclarent clairement avoir négocié le contrat et ses termes et clauses ne sont que la rédaction commune".
L’inconvénient de la clause est évidemment son apparente rigidité. Il est peut être souhaitable d’insérer une limite à cette technique d’interprétation. En effet, la prévalence qui est très généralement valable parce que le contrat est bien maîtrisé par le rédacteur de l’ensemble peut aboutir, dans des cas marginaux, à des résultats que les parties n’ont pas raisonnablement ou manifestement voulus. Où l’on voit la faiblesse de la clause : elle-même peut être interprétée. Mais, de tradition, on interprète seulement ce qui n’est pas clair.
Réédition février 2009
Mercredi 28 Juin 2006
Prof. H. CAUSSE
Source :
http://www.hervecausse.info
On soulignera ici la difficulté spéciale née de la pluralité de ces documents - ainsi les appelle-t-on sans souvent plus de réflexion, tous sont ne part du contrat.
Il convient alors de préciser la nature et la valeur de chacun de ces documents et de les classer, soit rationaliser ces documents. On peut appeler "clause de hiérarchie des documents contractuels" (c'est notre appellation) la disposition conventionnelle que l’on trouve dans des contrats complexes - très complexes : lourds. Ces contrats se rencontrent souvent dans le secteur industriel et dans ce qu’on peut donc appeler, par facilité de la pratique, les "contrats industriels".
Ces contrats comprennent principalement "de la" vente, "de la" prestation de service (installations, constructions ; prestations d’ingénierie), des licences d’exploitation et accessoirement d’autres actes juridiques (notamment du mandat). Cette pluralité peut perdre le lecteur qui, d'une façon ou d'une autre, doit appliquer le contrat.
Cette clause établit une priorité dans la valeur à donner aux divers documents contractuels. Autrement dit, cette clause prétend définir la force juridique de chaque document par rapport aux autres. Elle est a priori l’œuvre de la force obligatoire des conventions : les parties modulent cette force selon les documents. En vérité, fondamentalement (…), cette clause s'assimile en partie à une clause d’interprétation des documents en présence (elle supplée à la carence, sur ce point, des articles 1156 et s. du Code civil, lesquels constitue un petit guide-âne pour l’interprétation des conventions). En effet, notre vieux code civil ne connaît pas le grand phénomène de la décomposition du contrat en divers documents contractuels.
Il n’est pas dit que cette distinction (clause déterminant la force ou clause d’interprétation) soit déterminante. Ce qui est essentiel c’est que la clause permette effectivement d’aboutir à une interprétation assez sûre des mentions des diverses clauses de divers actes.
Il est en revanche intéressant de souligner que la clause sert à interpréter ; devant un juge, en effet, cette idée peut le placer dans un état d’esprit lui permettant de regarder les clauses avec moins de rigidité. Nous n’en dirons pas ici davantage, cela pousserait trop loin. L’objectif est ici de décrire ces clauses de hiérarchie au plus générale. Une telle clause part d’un besoin manifeste de clarification. La complexité vient, elle, de la diversité des documents contractuels. Rappelons pour le domaine industriel de quoi on parle à propos de ces documents : un bulletin de vente/prestation ; un contrat principal (il sera signé et comprendra la clause de hiérarchie qui en préalable vise les documents) ; des conditions générales ; un cahier des conditions administratives générales (CCAG) ; un cahier des conditions administratives particulières (CCAP) ; un cahier des conditions techniques particulières (CCTP). La clause vise donc les cinq « gros documents » ci-dessus cités. Les autres documents qui existent ont plutôt tendance à être oubliés par les rédacteurs de contrats. Pour des raisons diverses, les annexes et les modèles ne sont généralement pas visées par la « clause de hiérarchie ». Il y a une bonne raison pour qu’il en soit ainsi. Ces documents sont en effet dans la dépendance de l’un des cinq « gros documents » précités. Pour s’y rattacher, la clause de hiérarchie n’a donc pas besoin de les citer. Cependant, les choses deviennent souvent compliquées en pratique. Une annexe du contrat de vente peut relater un élément technique précis ; or, c’est parfois après coup qu’un élément technique sera véritablement précisé. Le client, assisté d’un cabinet d’ingénierie ne définira ledit élément technique que dans le CCTP. Il y aura ainsi une contradiction entre le plus « haut » document contractuel (annexe du contrat principal) et le plus « petit » ou « bas ». La clause de hiérarchie vise les divers documents en précisant, justement, la hiérarchie qui existe entre eux. Souvent la clause se retrouve dans le CCAP ou CCPT, ce qui suppose de bien vérifier que les deux sont pareillement rédigées… On trouvera ainsi dans divers contrats industriels, comme clause la plus simple :
« Le présent marché est réglementé par les documents contractuels ci-après cités, le premier cité prévalant sur le deuxième et ainsi de suite en cas de contradiction de leurs termes :
Un contrat principal – le présent document – signé par les représentants légaux des parties ; Un bulletin de vente/prestation comprenant notamment les quantités ;
Les conditions générales de l’acheteur, celles du vendeur étant expressément écartées ;
Un cahier des conditions administratives générales (CCAG) ;
Un cahier des conditions administratives particulières (CCAP) ;
Un cahier des conditions techniques générales (CCTG) ;
Un cahier des conditions techniques particulières (CCTP) ».
Il ne semble pas utile d’ajouter que la clause, ayant pleine valeur contractuelle, s’applique et s’impose aux parties et au juge qui ne peuvent ni l’écarter ni la dénaturer. On est là sur une idée générale tenant à l’application de l’article 1134 du Code civil. La Cour de cassation veille à ce que les clauses ne soient pas dénaturées pour, finalement, ne pas être appliquées : elle opère un contrôle du travail du juge du fond (il interprète souverainement la clause mais seulement la clause obscure, mais même dans ce cas il ne peut l’interpréter jusqu’à la dénaturer en la jugeant).
On peut en revanche ajouter, car les juges sont parfois surprenants d'audace quand, naturellement, on ne le leur demande pas... :
« La présente clause est impérative et s’applique préalablement à toute technique d’interprétation des contrats, et si besoin est en écartant les articles 1156 et suivants (i[anciens...) qui ne sont pas d’ordre public]i ». En effet, il y a quelques dispositions dans ce guide-âne qui sont de nature à faire échec à la clause. Autant que le rédacteur de l’acte montre, et souligne, qu’il en a eu conscience et que, en toute science, il a choisi cette clause de hiérarchie qui facilite l’interprétation.
A l'inverse, les articles peuvent être visés pour fonder l'interprétation sous condition première de respecter la hiérarchie des documents contractuels, et donc le coeur de la clause de hiérarchie. On purra nuancer en supprimant par exemple la technique d'interprétation consacrée à l'un des articles 1156 et suivants parce qu'elle apparaît inopportune. Prenons un exemple : "L'interprétation selon l'article 1162 qui impute la rédaction du contrat à l'un ou à l'autre n'aura pas cours ; les parties déclarent clairement avoir négocié le contrat et ses termes et clauses ne sont que la rédaction commune".
L’inconvénient de la clause est évidemment son apparente rigidité. Il est peut être souhaitable d’insérer une limite à cette technique d’interprétation. En effet, la prévalence qui est très généralement valable parce que le contrat est bien maîtrisé par le rédacteur de l’ensemble peut aboutir, dans des cas marginaux, à des résultats que les parties n’ont pas raisonnablement ou manifestement voulus. Où l’on voit la faiblesse de la clause : elle-même peut être interprétée. Mais, de tradition, on interprète seulement ce qui n’est pas clair.
Réédition février 2009
Mercredi 28 Juin 2006
Prof. H. CAUSSE
Source :
http://www.hervecausse.info