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Evasion fiscale ou optimisation fiscale : E. MACRON versus J.-J. BOURDIN / E. PLENEL



Après avoir parlé devant les évêques de l'Eglise catholique, Emmanuel MACRON a hier au soir discuté avec deux évêques médiatiques, Jean-Jacques BOURDIN et Edwy PLENEL.

Malheureusement, après cette émission, on ne pourra rien dire sur l'Université ; on se conforte dans le sentiment donné dans un billet ci-dessous. L'Université est oubliée, les jeunes avec nous semble-t-il.

La question de l'Université a été oubliée, réduite à la question des déblocages, on ignore les difficultés de l'institution et des étudiants. Le président n'a pas été bien préparé à cette question, car sa performance et son acuité sont remarquables.

Sur le fiscal, l'insistance du journaliste à vouloir imposer son mot d'évasion n'était pas utile. Avoir choisi ce terme suffisait sans avoir à l'imposer et à débuter une discussion creuse sur le sens des mots, du moins dans cet exercice ; essayons de remplir le creux.


Quel était l'enjeu de cette querelle sur la terminologie ?

Il est simple : optimisation évoque aujourd'hui la technique et le juridique, le mot évasion, lui, évoque des manipulations du droit peu honnêtes. On doit dire que les dictionnaires juridiques cèdent parfois, mais délicatement, à cette dernière idée, et les dictionnaires juridiques ne sont pas toujours édifiants.

L'étymologie latine des deux termes pousse dans le sens de valeurs différentes qui expliquent la querelle :

- evasio de evadere (1) évoque la cavale, la fuite qui semble par nature peu orthodoxe voire illégale ;

- l'optimisation, elle, qui vient du latin optimus (2), évoque le très bon ou même ce qui est excellent ; par exemple : Jupiter optimus maximus (3).

En somme, les journalistes auraient dû parler du point de vue des citoyens qui peuvent pratiquer l'optimisation fiscale, et le président de l'évasion quand il voit, au nom de la République, des recettes fiscales s'évanouir.

Mais, on avait choisi d'altérer le débat et donc, d'une part, d'amplifier le sujet, et, de l'autre, de l'amoindrir. Vingt siècles de sens tenant aux racines latines, cela vaut son pesant d'or ; même si on l'ignore, le latin nous marque jusqu'à BFM TV.

Le président de la République s'en sort bien en disant que c'est finalement pareil, l'optimisation aboutit à de l'évasion. Intelligent. C'est adopter la position de Maurice Cozian qui tenait l'évasion pour de l'optimisation, ce qui peut être contesté (4).

C'est tirer partie du fait que l'optimisation peut-être vue comme l'activité de défiscalisation et, l'évasion, comme en étant le résultat, l'effet.


Mais quel est le problème au fond ?

Dans le vaste sujet, la différence juridique notable qui soit à faire, bien qu'évidente (pardon cher lecteur), est celle entre l'évasion ou l'optimisation fiscales et la fraude fiscale. Soit une mesure de défiscalisation illégale que le contribuable, personne physique ou morale, pratique.

Le droit est en effet un système binaire : ou vous avez le droit, ou vous ne l'avez pas (autre chose étant le fait de l'incertitude, car un jour la solution sera donnée). Ou le procédé ou le contrat est légal, ou bien il ne l'est pas. D'où le côté scientifique de la matière juridique et ses applications méthodologiques de logique formelle.

Peut-être que la recherche en science juridique fiscale a produit des idées sur ce sujet... On tient à renvoyer à la revue Droit & Affaires précitée qui a publié l'analyse de Mme Dufau qui démarre logiquement sur la question de la sécurité juridique...

En tout cas, le problème posé semble être celui d'une zone grise ou des redressements seraient possibles même si le procédé d'évasion ou d'optimisation semble légal.

Je peux me souvenir alors de multiples réflexions (dont celles suscitées par un fameux Droit budgétaire, en illustration) et d'un colloque sur le sujet, avec le Master Droit des Affaires de Clermont, il y a quelques années, et aussi de quelques lignes publiées.

Mais là aussi, sur la zone grise, le sujet semble traité. L'abus fiscal est consacré en droit français !

Le mécanisme de l'abus est en effet un peu cette zone grise qui, servie par la théorie générale de l'abus en droit (sans loi !), devient un processus administratif dont le célèbre Comité des abus fiscaux (dont le célèbre Rapport annuel). Au fond du droit, l'administration fiscale peut juger les manipulations juridiques comme lui étant inopposables.

Ainsi, l'évasion douteuse tombe dans l'illégalité fiscale car l'administration fiscale a le pouvoir de redresser.

Autrement dit et sur un plan politique, en matière fiscale, le légal est du légal dur. En effet, quand elles existent, l'évasion et l'optimisation reposent sur des opérations juridiquement solides, sinon l'abus de droit les rattraperait.

Le problème, plus que difficile, n'est donc peut-être donc ni dans le vocabulaire, ni dans le droit français. Il est probablement dans les rapports internationaux. L'émission n'a pas permis de mettre le doigt sur le sujet, sans doute trop difficile, qu'il s'agisse de l'envisager au plan de l'UE, de l'EEE ou des rapports avec les "paradis fiscaux".

Comme pour le sujet de l'Université, on doit dire : dommage.




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1) Quoique, dans un premier sens, evadere signifie seulement sortir de, et, dans un troisième, à l'inverse, devenir ou parvenir à (oratores evadere, devenir enfin orateur, Ciceron)

2) Optime est le superlatif de bene (très bien) et optimus le superlatif de bonus (très bon) ; l'optimisation évoque donc ce qui est très bien ou très bon pour le... contribuable.

3) Ajout malicieux ; optimus qualifiait Jupiter chez les romains... Jupiter qui est bienfaisant et puissant : Jupiter optimus maximus.

4) Rev. Droit & Affaires, 12e éd., 2015, p. 200 : E. Dufau, sous la direction de P.-J Douvier, Optimisation, évasion et fraude fiscale : le nécessaire maintien de frontières au tracé délicat. On peut renvoyer à la bibliographie de cette étude.



Evasion fiscale ou optimisation fiscale : E. MACRON versus J.-J. BOURDIN / E. PLENEL

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