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La Fable de l'entreprise de sécurité qui licencie un salarié au casier judiciaire redevenu vierge. Réhabilitation… Les affres de la loi du 12 juillet 1983 sur les activités de sécurité privée.



La Fable de l'entreprise de sécurité qui licencie un salarié au casier judiciaire redevenu vierge. Réhabilitation… Les affres de la loi du 12 juillet 1983 sur les activités de sécurité privée.

Chambre sociale 28 novembre 2006, pourvoi n°05-43016, inédit.

Affaire classique… ou presque. La loi de 1983 pose de nombreux problèmes aux acteurs : préfets, employeurs, salariés, syndicats… L'article 6 de la loi du 12 juillet 1983 règlementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transports de fonds exige des salariés – disons les choses vite – un casier judiciaire propre.

Quel que soit les secteurs d'activités que cette loi régit (depuis peu également les agents de recherche dits "détectives privés"), il est assez logique que les pénalement condamnés soient écartés. Ils le sont ab initio, au moment de l'embauche, ils le sont en cours d'exécution du contrat de travail quand ils écopent d'une condamnation pénale définitive. Dans ce dernier cas, l'employeur, averti (...), doit licencier. A défaut, il commet un délit pénal. Les employeurs n'hésitent doc pas.

L'espèce est topique de cette loi de 1983 si mal comprise, encore que l'affaire affleure sur le point, très spécial, de la réhabilitation. Eh oui, le bon juriste est celui qui navigue de codes en codes… sans s'enterrer dans l'un d'eux : il fallait ici naviguer vers la fin du code de procédure pénale qui traite de la réhabilitation pour finalement surfer sur le code pénal.

Un salarié était au service d'une entreprise de sécurité, Forces Méditerranée de sécurité. La rupture de son contrat de travail lui a été "signifiée pour force majeure" par son employeur le 21 décembre 2002. Pourquoi ? Parce que le préfet de l'Aude lui avait signalé qu'il était frappé d'une incapacité prévue par l'article 6 de la loi du 12 juillet 1983 règlementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transports de fonds et qu'il devait donc procéder sans délai à son licenciement (on reviendra un jour sur ce thème : il faut un licenciement en bonne et due forme !

Le salarié ne s'en est pas laissé conter. Il avait quelque chose à raconter.

Il a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à voir juger son licenciement irrégulier et abusif et d'ainsi obtenir le paiement de diverses sommes à titre d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement abusif. Complétons, mais ce n'est que de l'espèce qui ne touche pas au principe, il demandait aussi la reconnaissance du statut de cadre et des sommes à titre de rappel de salaire, notamment pour heures supplémentaires

Le salarié ne sera pas entendu par la Cour d'appel… pourtant il n'était que question de droit.


Du fait de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transports de fonds en sa rédaction applicable au litige , le licenciement du salarié ne remplissant pas les conditions fixées par l'article 6 de ladite loi est fondé sur un motif réel et sérieux et ouvre toutefois droit aux indemnités prévues aux articles L. 122-8 et L. 122-9 du code du travail.


Mais le juge doit, pouvoir résultant de l'article L. 122-14-3 du code du travail, vérifier le motif de licenciement, fût-il strictement et seulement légal.

Le juge, même du travail, doit aussi connaître tout le Droit. Il ne peut ignorer ce qu'est la réhabilitation, le code de procédure pénale ou encore les articles 133-13 et 133-16 du code pénal : la réhabilitation de plein droit existe en droit français, elle est le mécanisme qui efface toutes les incapacités et déchéances qui résultent de la condamnation.

C'est pourtant ce que firent les juges du fonds. Ils ignorèrent que, par un effet légal, effet automatique pour le lecteur profane, le salarié avait été réhabilité.

Or, pour rejeter les demandes du salarié, l'arrêt d'appel énonce seulement que "c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la décision du préfet de l'Aude d'imposer à la société Forces Méditerranée de sécurité de congédier le salarié sans délai constituait un fait du prince assimilable à un cas de force majeure et qu'en l'espèce, la force majeure constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement" (passons ici, ce n'est pas le problème traité par l'arrêt, sur le point de savoir s'il y a ou pas, dans ce cas d'incapacité, de la force majeure… de tradition la réponse est non, ce qui explique la formule alambiquée reprise de la cour d'appel et peut-être aménagée par la cour de cassation pour la rendre plus conforme à sa propre jurisprudence…).

En vérité, le prétendu fait du prince n'existait plus et le licenciement était dépourvu de toute cause : entendez bien, le salarié avait bénéficié d'une réhabilitation de plein droit vingt mois avant – rien que cela – la rupture de son contrat de travail ! Ni le préfet, ni la cour d'appel saisie, ni l'employeur, ne furent capable de juger avec pertinence la situation.

La Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier au motif d'un défaut de "base légale au regard des textes susvisés" ; cassation douce par rapport à la cassation pour violation de la loi ; les juges d'appel n'ont pas légalement apprécié le motif de ce licenciement en… violant la notion de réhabilitation et son effet : la purge du casier judiciaire.

Vive la Cour de cassation !

Cour qui ici la joue trop modeste. Cet arrêt méritait d'être publié… mais on sait que les "inédits" de la Cour sont aujourd'hui "publiés en ligne". Rien n'est simple dans ce bas monde.

Post scriptum : Secteur professionnel de la sécurité privée recherche (bon) juriste désespérément…

L'arrêt, emprunté à la base publique LEGIFRANCE.

Chambre sociale 28 novembre 2006
N° de pourvoi : 05-43016
Inédit
Président : Mme MAZARS conseiller
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que M. X... a été engagé le 1er octobre 1996 par la société Forces Méditerranée de sécurité en qualité de secrétaire ;
que la rupture de son contrat de travail lui a été signifiée pour force majeure par son employeur le 21 décembre 2002, le préfet de l'Aude lui ayant signalé qu'il était frappé d'une incapacité prévue par l'article 6 de la loi du 12 juillet 1982 réglementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transports de fonds et qu'il devait procéder sans délai à son licenciement ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à voir juger son licenciement irrégulier et abusif et d'obtenir en conséquence le paiement de diverses sommes à titre d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement abusif ainsi qu'à voir reconnaître son statut de cadre et verser des sommes à titre de rappel de salaire, notamment pour heures supplémentaires ;

Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal du salarié :
Attendu qu'il n' y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal du salarié, pris en sa première branche :
Vu l'article 18 de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transports de fonds en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article L. 122-14-3 du code du travail et les articles 133-13 et 133-16 du code pénal ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, le licenciement du salarié ne remplissant pas les conditions fixées par l'article 6 de la loi du 12 juillet 1982 est fondé sur un motif réel et sérieux et ouvre droit aux indemnités prévues aux articles L. 122-8 et L. 122-9 du code du travail ;
Attendu que, selon le deuxième de ces textes, il appartient au juge d'apprécier la réalité du motif invoqué par l'employeur ;
Attendu qu'il résulte des articles 133-13 et 133-16 du code pénal que la réhabilitation de plein droit efface toutes les incapacités et déchéances qui résultent de la condamnation ;
Attendu que pour rejeter les demandes de M. X... à titre de dommages-intérêts en indemnisation du licenciement, l'arrêt énonce que c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la décision du préfet de l'Aude d'imposer à la société Forces Méditerranée de sécurité de congédier le salarié sans délai constituait un fait du prince assimilable à un cas de force majeure et qu'en l'espèce, la force majeure constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le salarié avait fait valoir que son licenciement, qui ne pouvait qu'être un licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, était en fait dépourvu de toute cause puisqu'il avait bénéficié d'une réhabilitation de plein droit vingt mois avant la rupture de son contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les deux moyens du pourvoi incident de l'employeur :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a décidé que le licenciement de M. X... , motivé par un cas de force majeure, avait une cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 30 mars 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société Forces Méditerranée de sécurité aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de la société Forces Méditerranée de sécurité, la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille six.
________________________________________
Décision attaquée : cour d'appel de Montpellier (chambre sociale) 2005-03-30

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