La blockchain, les ICO, les tokens, l'intelligence artificielle... ou quand les sujets impossibles deviennent possibles - vraiment ?



La question du sujet impossible est une question... possible ! Il est des cas où l'on se dit que le sujet est impossible à réaliser avec les standards de traitements usuels, soit impossible avec l'état des connaissances actuelles et les méthodes disponibles.

Mal traiter - maltraiter - un sujet est sinon toujours possible...

Un mauvais traitement du sujet est utile à la collectivité : on voit ce qu'il ne fallait pas faire. A force de voir les portes à fermer, on trouve celles à ouvrir. Ce sujet mal traité pourra mal servir son auteur. Il suffit de trouver le candidat qui traitera le sujet impossible : le sacrifié (mais le sacrifié peut être consentant).

En droit, la domination des sujets classiques l'emporte nettement, le sujet impossible est rare ; les directeurs de recherche donnent parfois un sujet très / trop large : il est simplement impossible en quatre ou cinq ans, l'impossibilité est relative.

Au fond, le sujet impossible peut tenir à la nature de la science juridique. Les chercheurs en droit sont aussi des praticiens au service du droit positif, le droit actuel ; ils servent donc, peu ou prou, la doctrine d'Etat qui pousse à sa conservation (1) - et à sa célébration. Le juriste dépiaute les lois pour dire ce que le juge dira, lequel dira ce que la loi et le décret ont dit. Ajoutons dans la boucle le phénomène de régulation, il faut dire ce que le régulateur dit.

Mais voilà des sujets neufs, et certains esprits juridiques s'inquiètent d'être rangés sur l'étagère des vieilleries. Ils veulent être de leur temps ! Ils sont jeunes. Surtout, ils voient que les autres sont vieux qui, parfois, ne produisent rien... Une partie de chaque génération veut aussi, simplement, et sincèrement, participer aux débats sur les questions les plus brûlantes de la société. Ils veulent, animer le discours d'une âme et d'une flamme, rénover le domaine juridique. Problème !

Problème : le droit n'incorpore pas encore la chose à la mode. Par exemple les monnaies dites virtuelles, puis crypto-monnaies puis cybermonnaies. Les diverses choses émises de la même façon n'existent pas davantage.

Il n'existe pas en droit, la chose, le domaine, le service ou le contrat faisant la modernité. On parle partout d'une technique qui n'existe pas en droit, dans la loi, dans un code, un règlement européen et encore moins dans une série de décisions de justice majeures.

La blockchain est un exemple de sujet impossible ; pour un point d'ordre, notre article : Jetons et tokens créés par ICO : réalités fondamentales et pratiques de l'émission, Lexbase, Hebdo Edition Affaires, n° 549, 12 avril 2018, Publication dans un Dossier n° spécial ICO & Blockchain) ; on effleure la question de la qualification en introduisant le concept d'émission et en renvoyant ; c'est être fidèle à certaines conceptions développées en matière d'émissions de titres (lesquelles ont toujours dépassé les émissions de sociétés).

Un récent article de M. MEKKi n'aura échappé à personne au Recueil Dalloz (2017).

On voit la difficulté. L'auteur invite à la qualification mais il ne qualifie ni la blockchain ni le jeton (ou token) pour lequel il rapporte les discussions sur leur qualification qui, selon nous, demeurent désordonnées . En effet, il n'y a pas une qualification du jeton ou token, mais diverses qualifications à retenir, malgré les discussions actuelles qui confondent des espèces d'ores et déjà très différentes. La conséquence est un mélange de qualification dépourvu de tout bon sens, de toute rigueur et de tout intérêt.

La qualification de la blockchain est à peine évoquée dans dix autres publications depuis 18 mois (en dernier lieu : E. Caprioli, Etudes en la mémoire de Philippe Neau-Leduc, 2018).

La question se purgera peut-être d'elle-même d'ici 2 ou 3 ans. Voilà de quoi est fait, à nouveau, le sujet impossible : du temps nécessaire à sa métamorphose en sujet possible. On l'a dit plus bas, à propos de la définition creuse du projet de loi PACTE, dont on a dit les non-dits : la loi n'apporte rien. Le sujet reste fondamentalement impossible.

Bref, si moi, jeune chercheur, je veux étudier la blockchain je constate qu'il n'y a rien dans la loi. L'entreprise est-elle possible ? La réponse est non. Clairement non, nettement non.

Pourquoi ? Parce que les juristes n'ont ni l'expérience de ce type de recherche, ni la matière à disséquer. Le droit, dans le cas d'espèce, se limite à une pratique, pas même dite contractuelle ! C'est sans doute une erreur, mais qu'importe. Je parle au plan global, mondial. Mais la situation n'aura pas beaucoup changé après le vote de la loi PACTE (si la partie ICO et jetons arrivent jusqu'au JO, on l'a expliqué il y a quelques jours ici même).

Si la recherche était, en droit, collective, avec des directeurs de recherche qui toutes les jours échangeraient avec les étudiants, le sujet impossible serait parfois possible. Vous, jeune chercheur, vous voilà dans une équipe de recherche où 5 ou 6 auteurs ont publié sur la blockchain ces derniers mois, un projet collectif traite le sujet et votre sujet de thèse est la blockchain. L'équipe de recherche est en contact avec dix entreprises qui développent des projets de blockchain et dix institutions publiques suivant de près l'affaire. Alors peut-être aurez-vous la matière, les connaissances techniques et les bonnes questions pour écrire une thèse sur le sujet.

Autre exemple. Voyez la crise financière. Un fait, économique et social, peu juridique. C'était chaud et urgent. Aucun manuel n'avait jamais dit que la politique de régulation pouvait laisser dubitatif, je dirai même au contraire. On l'a parfois étudiée sous l'aspect des... marchés publics ?! Que ne ferait-on pas pour (avoir l'air de) sauver la maison du droit public... Mais comment analyser la crise financière quand les ouvrages de droit bancaire et même les ouvrages de droit financier ne tentent pas de définir... la finance. Etudier la crise de la finance sans savoir ce qu'est la finance... Bon, dans ce cas, le législateur a été prolifique et l'on a pu traiter le sujet.

Les temps changent, en fait la vie change (le temps demeure une illusion). Les sujets impossibles, on dirait, deviennent possibles. Disons que des directeurs de recherche (ou responsable de cours ou de formations) commence à donner des sujets impossibles. La vieille garde en a les bras qui tombent. Moi, qui suis un vrai sage (ça vous étonne), je comprends la génération qui monte et celle qui s'achève.

L'informatique partout, l'électronique qui rebondit encore et encore et voilà : le numérique.


Cent sujets impossibles !

Surgit alors l'interdisciplinarité, mais avouons que, sauf exception, pour quelques juristes, elle est impraticable. Sociologie, philosophie et science économique sont déjà délaissées par les juristes, alors l'électronique... Bon, on peut collaborer en simplifiant à l'extrême. Mais on est à l'extrême de chaque matière, presque en dehors.

L'internet pose cette question et de façon fondamentale depuis 20 ans.

On ne répond fondamentalement pas à la question. On l'évite, avec des slogans qui sonnent le commercial : les robots doivent avoir la personnalité juridique. La dématérialisation... quoi ? ...rien ! Les systèmes... on en est resté aux systèmes experts quand la loi en présente dix ! Le juriste ne suit même plus le droit positif. La monnaie, personne n'en a parlé depuis l'euro (et c'était assez plat), et soudain tout le monde explique ce qu'est une monnaie... non, une cybermonnaie.

Cet enthousiasme ne saurait être réprimandé mais il peut étonner. Car la méthode traditionnelle est oubliée. Et la méthode nouvelle n'est pas présentée...

Alors, oui, la blockchain est probablement, en l'état actuel, un sujet impossible. La définition du projet de loi PACTE le confirme. On ne croit pas que les ajouts de l'AMF, pour un régime facultatif, qu'on peut approuver, donnera du grain à moudre au chercheur en droit. On a déjà vu que l'AMF avait du mal à définir les titres financiers que les ICO rappellent au bon souvenir de tous.

La blockchain, ou le sujet impossible, parce qu'il y a en application de cette pratique technologique 4 ou 5 situations juridiques qui sont différentes, quoiqu'elles soient mélangées dans la plupart des discours et, qu'en outre, certaines situations puissent se cumuler ou se confondre (la question est un point de débat).

Sans compter l'aspect fiscal, plutôt autonome, où l'on avoue parfois honnêtement que l'on va sur des terres inconnues (Crypto-monnaies et Initial Coin Offerings : voyage en terre inconnue, par V. Renoux et S. Bernard, Revue de droit fiscal, 2018).

Les recherches sur la blockchain peuvent donc tourner au journalisme : soit en des propos qui n'ont d'effet sur aucun plan, dont celui du droit. On peut du reste se demander si le journalisme n'est pas une méthode pour le juriste, pour attaquer les sujets impossibles. Mais quand le sujet est celui d'un mémoire ou d'une thèse, il nous semble que cette méthode interrogera violemment le jury.






En conclusion, les sujets impossibles peuvent exister, on le savait.

Nouveauté, on le savait moins, ils peuvent être donnés !

Si les chercheurs du domaine parviennent à bien assimiler la technologie, en faisant du droit le plus pur, tout en considérant quelques autres points (sociologie, science politique, économie...), eh bien la recherche en droit aura fait un bond en avant.

Un pronostic ? Non aucun. Question de sagesse.




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1) Le juriste est un chercheur de la conservation, un serviteur de l'ordre établi et non un chercheur de l'innovation, laquelle pourrait remettre en cause cet ordre. Tout juriste est un conservateur. Sur ce propos de Georges Ripert, le Blog de Daniel Mainguy

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