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Le compte financier électoral de Marine Le Pen, le flocage de 12 bus et la Commission nationale des comptes de campagne.



Les 12 bus de campagne de Marine Le Pen ont-ils été un lieu et l'occasion d'un affichage électoral interdit par le code électoral ?

Le flocage de bus : un affichage ?!

La Commission nationale des comptes de campagne et du financement de la vie politique (CNCCFP) surprend ! Elle considère ces habillages de bus comme des affichages (sauvages) apprend le journal Le monde, en "appliquant strictement l’article L51 du code électoral", selon lequel « tout affichage relatif à l’élection (…) est interdit en dehors [des panneaux officiels d’affichage et] des panneaux (…) d’expression libre » ! Floquer un véhicule est analysé en un affichage !?

Lien vers l'article du journal Le Monde

Voyez les 4 alinéas de l'article 51 en cause (image ci-dessous) ; cette disposition est vieille de plusieurs décennies malgré la date mentionnée (ces dates trompent les étudiants 3 fois sur 4...).

En la forme, le recours est un recours exclusivement personnel du candidat*, ce recours n'a rien à voir avec la validité du scrutin. Ce recours concerne la validation de ce compte financier des recettes et dépenses électorales, compte dont le pilier technique est un compte bancaire original car exclusivement et nécessairement affecté aux opérations financières à la candidature, dont les dons qui sont une technique de financement (Droit bancaire et financier, p. 595, n° 1216).

Au fond et en l'espèce est en cause le concept d'affichage. Mais qui dans le monde d'aujourd'hui peut penser que floquer un véhicule c'est procéder à un affichage ? Réponse : une commission nationale en exercice et faite d'anciens magistrats tous plus éminents les uns que les autres.

Le compte financier électoral de Marine Le Pen, le flocage de 12 bus et la Commission nationale des comptes de campagne.
Il y a de quoi sourire quoique la Commission reprenne une position déjà adoptée. Contrairement à ce qu'écrit Le Monde, ce n'est pas d'une application stricte de la loi dont il s'agit : c'est d'une application extensive que certains jugeront extravagante !

L'alinéa 3 de l'article 51 (ci-dessous en image) évoque bel et bien les affiches, apposées un peu partout dans les villes et villages, et l'alinéa 4 évoque les pouvoirs de police pour combattre ces affichages illicites. Il le fait pour imposer le seul affichage admis...

Dieu merci aucun maire ou préfet n'a songé à demander à Marine Le Pen à défloquer son bus ni n'a songé à le faire lui-même en appliquant l'alinéa 4 de cet article 51, lequel alinéa autorise cette exécution forcée. On constate donc doublement que l'affichage est bien celui qui se fait sur les murs, poteaux, ponts, routes... au lieu de se faire sur les panneaux électoraux.

Les véhicules terrestres à moteur (VTAM) ne sont pas visés ; l'objet de ce texte est d'éviter l'affichage sauvage qui du reste banalise l'affichage sur les panneaux officiels en pourrissant un peu tous les murs. Cela n'a strictement rien à voir avec un flocage de quelques VTAM. La loi claire s'applique sans avoir à l'interpréter.

En outre, autre argument, général cette fois, la politique est encore dominée par la liberté d'expression ! Sauf les limites explicites et expresses de la loi, au demeurant notables dans cette matière. On peut le dire en rappelant que les exceptions (ici à la liberté d'expression) s'interprètent strictement (voire restrictivement). En belle langue : "les exceptions sont de droit étroit" .**

En termes plus simples, l'interdiction de floquer les véhicules n'étant pas interdite, l'interdiction d'affichage s'entend comme tout le monde l'entend...

La définition du terme affiche donne ce sens et, en elle-même, la solution (v. infra, la définition du Larousse encyclopédique) ; la seule terminologie régule cet alinéa 3 ; ce dont il s'agit, ce qui est interdit, c'est bien des feuille de papiers imprimées, et collés aux murs.

Et... et... collés au bus ? Alors ? Me direz-vous ! Et bien c'est une publicité mais non un affichage publicitaire. L'article 51 n'interdit pas toutes les publicités quoique le le Conseil d'Etat semble le penser.*** Vous pouvez donc, avec deux panneaux de cartons et deux affiches, de Marine Le Pen ou d'un autre, vous promener en homme sandwich dans la rue. Vous, nous, les candidats, la rue, nous tous restons libres de nos expressions diverses et variées !

L'article L 51 est vieux comme la Ve République et cette interdiction d'affichage n'a jamais voulu signifier ni porté une interdiction de toute publicité.****

Il en est ailleurs de même : l'affichage publicitaire commercial des entreprises, très réglementé dans les villes, car c'est un affichage (un vrai), n'a rien à voir avec les voitures commerciales des entreprises, très souvent floquées. La comparaison confirme qu'afficher et floquer sont deux faits et situations différentes.

Marine Le Pen a donc sans doute eu raison d'exercer le recours devant le Conseil constitutionnel duquel, on le sait, on peut tout attendre. Y compris une décision digne de la loi, de son interprétation (vraiment stricte) et des institutions de la République. Elle exerce ce recours car le prix de ce flocage ne peut pas rentrer, selon la CNCCFP dans son compte financier de campagne validé et, qu'alors, elle ne sera pas remboursée de ces frais de flocage. Pour la candidate, cette décision est financièrement neutre : le parti politique (le RN) peut légalement la financer. On espère ainsi que ce recours est - au moins un peu - exercé pour le droit et le bon sens.

Cette décision de la CNCCVP, d'inspiration manifestement financière, tend à faire économiser une somme à l'Etat, mais elle tord trop le cou à la liberté d'expression qui doit encore régner pendant les campagnes électorales. A peine pourrait-on suggérer au Conseil constitutionnel de faire une réserve. 12 bus pour une campagne électorale nationale semble un outil raisonnable de travail et, de fait, de communication ; on pourrait donc réserver le cas de l'abus : 12 bus n'est pas 120 bus...

Cela dit, il ne faut pas parler d'affichage car les juges auront l'air de prendre les gens pour des imbéciles. Rien n'interdit aux élites, il est vrai, de prendre les Français pour des imbéciles. Mais, dans ce cas, il ne faut pas regretter ou se plaindre de ce que plus aucune institution juridictionnelle n'inspire confiance.



_________________________

* Le paragraphe II de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 impose aux candidats à l’élection du Président de la République de déposer un compte de campagne. Le sixième alinéa de ce paragraphe dispose : « La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve, rejette ou réforme, après procédure contradictoire, les comptes de campagne ». L'alinéa 3 du paragraphe III du même article, prévoit que les décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques peuvent faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel .

** P. L'EPINE, Maximes du droit, p. 337, n° 102, in Recueil des publications de la société havraises des études diverses, 1894, 3e trim. Dans leur célèbre ouvrage (Locutions latines du droit français, Litec, 1993), Roland et Boyer ne citent pas la maxime mais ils citent le principe d'interprétation au verbo "Striti sensu".

*** Dans un arrêt inédit du 30 décembre 2021, N° 450527 :
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-12-30/450527

**** Voyez toutefois :
Décision CC, n° 2007-3751 / 3886 du 22 novembre 2007, mais il s'agissait d'un affichage sur les véhicules (sans doute des affiches électorales...), ce qui est spécial, surtout dans la période des trois mois avant le scrutin.

Décision CC, n° 2022-5775/5782 AN du 23 janv. 2023, il s'agissait d'un véhicule ayant a priori été, également, l'objet d'affichage des affiches électorales : "L’utilisation par M. TELLIER, candidat élu, d’un véhicule comportant un affichage électoral, ainsi que l’apposition d’affiches électorales sur des locaux utilisés pour sa campagne électorale, dénoncées par le requérant, sont constitutives d’une irrégularité. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que cette irrégularité aurait revêtu un caractère massif, prolongé ou répété. Elle ne peut dès lors avoir altéré la sincérité du scrutin"" ; et la question est alors non pas le remboursement des frais de campagne s'étalent sur plus de trois mois.



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