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"Le pied dans l'avion" et les décisions du parquet tunisien : d'une application fictive à l'application effective des règles sur le blanchiment.



"Le pied dans l'avion" et les décisions du parquet tunisien : d'une application fictive à l'application effective des règles sur le blanchiment.
L'annonce d'un contrôle en vérité spécial sur les avoirs du président Ben Ali pouvait étonner (note ci-dessous). Il semblait attaché à une condition originale : "Le pied dans l'avion". Rien n'avait été fait depuis vingt ans (non ?) et, d'un coup d'un seul, parce que l'intéressé avait un pied dans l'avion, voilà les règles qui s'appliquaient. Surtout, les services administratifs compétents s'animaient. Cette hypocrite versatilité devait être notée pour s'interroger sur le sérieux des administrations et autorités publiques à l'égard de la loi, parfois curieusement suspendue - la suspension, magnifique concept et technique juridique.

Les choses ont assez vite changé et permettent de compléter l'analyse. Les autorités tunisiennes viennent, à travers le procureur, d'ouvrir des enquêtes pour divers "trafics" de biens et valeurs, ce que l'on appelle des "avoirs". Avec ces décisions, et leurs significations à tous les services chargés de lutter contre le blanchiment dans le monde, le service TRACFIN dispose désormais d'un motif plus sérieux pour justifier la volte-face opérée au niveau ministériel. Naturellement, il ne redorera pas le blason de la diplomatie française mais, au moins, la volte-face trouve-t-elle un réel fondement juridique.

Selon l'excellent figaro.fr on a appris en effet que :

"Le chef du parquet tunisien a ouvert une enquête pour «acquisition illégale de biens mobiliers et immobiliers», «placements illicites à l'étranger» et «exportation illégale de devises». Sans attendre de connaître la liste des personnes visées par les sanctions internationales, enfin, Paris dit avoir pris «les dispositions nécessaires»" (Cyrille Louis, journaliste).

Vers l'article précité du Figaro cliquez ici

La volte-fac va permettre des batailles juridiques interminables. Pour le moment, on parle des familles "Ben Ali et Trabelsi" mais ce langage convient pour le journalisme mais non en droit. On peut seulement saisir les avoirs de personnes précisément identifiées, ce qui sera probablement fait d'ici quelques jours ; mais la véritable situation de révolution tunisienne permettra sans doute de critiquer ces identifications en raison de la précipitation et du relatif désordre dans lesquelles elles auront été prises. Qui va dresser cette liste de personnes physiques au vu de quels moyens et de quelles informations ?

Dans chaque pays, le gel des avoirs pourrait être suivi du dégel... Dans chaque pays, les juges chargés de protéger la propriété des citoyens (sur leurs "avoirs") sont en effet scrupuleux : il n'est généralement pas question de bloquer les biens d'une personne qui a "certains liens" avec cette famille sans qu'on puisse dire lesquels, depuis quand et pour quelles opérations... Opérations qui rendraient les biens en leur possession, les avoirs, manifestement illicites. Les lendemains de révolution ne sont pas toujours que "chantants" et justes, l'injustice d'hier, en se retournant, est susceptible de faire quelques autres injustices... Tous les membres des deux familles visées, et les proches qui ne sont pas de la famille, crieront à l'injustice face à des gels qu'ils jugeront injustes.

Toutefois, la saisie conservatoire de ces biens (le "gel des avoirs") place toutes les personnes visées dans une position inconfortable sur le plan judiciaire. Au plan procédural, en effet, les mécanismes administratifs conduisent au blocage des sommes et autres biens et, notamment, les banques n'obéissent plus aux ordres de ces clients. Pour ces derniers il y a urgence quand, pour les autorités, le temps peut-être une arme - pas systématiquement parce que certaines mesures sont provisoires. Très généralement, ce sont les personnes en cause qui ont ainsi à assigner en justice pour recouvrer l'exercice de leurs droits (le gel n'est pas une expropriation ou une restitution d'office, bien qu'il puisse en être la première phase juridique).

Sur la route des saisies et gels divers, de multiples écueils se dresseront. L'inaction durant des décennies ne peut pas être rattrapée. Pour le faire, il faudrait qu'il existe une mesure de faillite internationale frappant directement une série de personnes. C'est-à-dire une mesure de dessaisissement général. A défaut, si effectivement 5 milliards sont en cause, dans une longue chaîne d'amis, de relations, d'avocats, de notaires, d'entreprises, de sociétés financières ou de gestion, de banques... une bonne part restera acquise à leurs actuels détenteurs. Le droit international public et privé est ainsi fait : un chef d'Etat - dans de nombreux pays - peut se constituer un patrimoine gigantesque dans une relative indifférence internationale.

Dans les méandres juridiques de sociétés, associations et groupements qui doit exister, même les tunisiens les plus tenaces ne pourront retrouver tous les avoirs en cause. On en a dit la raison, il faudrait une sorte de "faillite internationale" visant les personnes physiques, ce qui supposerait un procès international...

Il faut toutefois mentionner qu'en l'espèce la volte-face aura été d'autant plus rapide et visible que les départs de Tunisie ont pu s'accompagner de transactions notables depuis des semaines...

Au fond, il ne faut point trop en faire même dans l'accumulation des richesses. On voudrait ainsi noter tout ce qui a pu justifier le changement d'attitude de la France et de l'Europe, outre le manque de courage que nous avons déjà dénoncé.

Divers pays auront noté des mouvements qui auront précédé la fuite en avion, agaçant les diplomaties car, ajouter à une crise diplomatique des question d'argent cela peut ulcérer même quelques amis.

La volte-face se comprend aussi si les départs ont été faits les valises chargés... sans aucune élégance... sans la moindre discrétion... Dans ce cas, les contrôles douaniers auront pu poser des problèmes très concrets et qui ne sont plus "administratifs" si divers contrôleurs tombent sur des sommes, bijoux, lingots... Le pouvoir politique peut plus facilement fermer les yeux sur un compte bancaire que sur des valises trop lourdes qui auront retenu l'attention de plusieurs personnels habitués à saisir le moindre sac Louis Vuitton ou Hermès contrefait...

Finalement, si l'ex-président est parti avec un avion chargé d'or, comme il se dit, alors, ce seul événement aura pu confirmer les deux précédents faits donnant des motifs concrets de contrôles renforcés.

Voilà donc que commence, avec la révolution tunisienne, un longue saga juridique dont l'expression la plus belle pourrait être des propositions de règles financières (on dit de transparence) auxquelles tous les chefs d'Etat se soumettent au nom de la Souveraineté nationale qui est l'âme des pays qu'ils représentent.

Le vent de la révolution souffle-t-il assez fort sur le drapeau tunisien pour qu'il devienne le sens d'une nouvelle page du droit international ?

Hervé Causse
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