« Il est admis que la notion de monnaie est double en ce qu'elle recouvre les instruments monétaires et l'unité monétaire » (Yves Chaput)



Et, pour référencer son propos, le professeur Yves Chaput s'est pleinement appuyé sur une phrase de Jean Carbonnier. Cette phrase, et, ou, citation, compte double, elle vaut pour le fond et la méthode (1) (cf. image ci-dessous). Cette pensée est sinon structurée par les idées de fond, l'abstraction, et de forme, la concrétisation.

Le propos de Carbonnier précisait le fond en désignant deux choses (l'instrument monétaire physique qu'est la monnaie et aussi l'unité idéale qu'est la même monnaie) ; quant à la conjonction de coordination "et", qui articule la phrase, elle valait méthode marquée par la volonté nette et franche de l'appréhension du concret et de l'abstrait.

Il semblerait que cela fut en vain. On a perdu et le fond et la méthode.

Il est vrai que la méthode n'est qu'une manière d'aborder le fond, ce que les maniaques des examens, des plans et de la méthodologie oublient souvent. Mais enfin, quand la méthode attendue pose problème il faut poser la chose et la traiter. L'oubli de la méthode, après diverses publications, est ici net et formel (la notion d'instrument monétaire est parfois totalement oubliée) et, l'oubli est agrémenté d'une confusion (avec les idées d'instruments de paiement et celle, non légale, de "support monétaire").

Comment a-t-on pu oublier la notion d'instrument monétaire ou (le pluriel est de mise) d'instruments monétaires ?

Pire, comment a-t-on pu, à l'occasion, et parfois dans de grandes occasions, la déformer en la confondant avec d'autres notions pourtant légales et relativement claires ? Notamment celle d'instrument de paiement, notion formellement récentes (on parlait encore il y a moins de trois décennies d'effets de commerce).

On ne répondra pas à la question qui exigerait de reprendre le long fil d'une dérive, ce que les deux auteurs précités signalent, si du moins on veut s'arrêter et méditer leurs propos, sachant qu'un troisième au moins est dans le même sens : Cornu. Et ce dans un ouvrage qui est une sorte de patrimoine commun des juristes.

La notion d'instrument monétaire (ou d'instruments monétaires, le pluriel est prégnant on le répète) a été confirmée et précisée par la définition d'un autre esprit lumineux, Gérard Cornu. Définition (doctrinale) du Vocabulaire Juridique Cornu (2) ; définition sans équivoque aucune. Dans ce dictionnaire, que certains se permettent de ne pas citer, "instrument monétaire" existe en verbo principal, depuis au moins l'édition de 1987.

Les mots et expressions juridiques, actuellement, sont ici passés trop vite aux oubliettes. Carbonnier, Cornu, Chaput...

L'expression "instrument monétaire" apparaît aujourd'hui comme idéale puisqu'elle se distingue de celles d'instruments de paiement (spécialement légale depuis 2007/2009) et de celle d'instruments financiers (spécialement légale depuis 1993/1996).

Bref les instruments monétaires ne sont pas des titres (ou des contrats) parce que, à leur différence, ils incorporent idéalement et radicalement, par un effet légal (ou effet lege), une valeur abstraite reconnue par l'autorité publique et largement fondée...

La fiction ne l'est plus quand on crée des instrument monétaires physiques (et demain informatique, ce qui est encore de la physique et donc du physique). Car il y une fiction reposant sur le système numérique, en l'espèce décimal.

Cette incorporation légale réalise une union radicale et définitive, en cela il n'y a pas de titre (s) dans le processus monétaire : la notion majeure de monnaie chasse celle mineure de titre, et ce depuis de longues décennies ; titres dans lesquels ont admet aujourd'hui (j'ai milité en ce sens) qu'il n'y a pas incorporation du droit au titre ; la formule "incorporation du droit au titre", pédagogique, ne tenant pas avec une analyse approfondie des valeurs mobilières ou effets de commerce (je parle volontairement : le problème est ancien).

Ainsi, il n'existe aucun titre(s) de monnaie, le billet n'étant lui-même pas un titre : il est monnaie et cette qualification suffit et se suffit à elle-même. Il est instrument monétaire, désignation plénifiante, édifiante et suffisante. Le billet n'est pas un titre qui "représente" la valeur, qui serait ailleurs. Il ne représente pas la valeur, le billet est la valeur puisque cette dernière est purement abstraite, sinon fictive. En effet, une monnaie se fonde sur cent réalités sociales et économiques et si peu sur le bilan de son institut d'émission qui reflète mal ces cent réalités. Il y a des expériences monétaires qui vont prochainement le prouver à nouveaux frais...

On le voit, le sujet pousse tout de suite assez loin : on le reprendra dans une étude plus précise et référencée, plus ordonnée et substantielle.

Oublier cette belle réalité de l'incorporation de la valeur à l'instrument, en matière de monnaie, est devenu un confort. Ce point est en effet de nature à constituer le critère de distinction de la monnaie à défaut duquel on peut pérorer à l'infini sur la nature de monnaie de tel ou tel machin : vive donc les débats qui tournent en rond sur les monnaies virtuelles ou cryptomonnaies... Sans chercher un critère et l'appliquer, toute doctrine est bâtie sur du sable.

L'impasse conduit à ne pas pouvoir proposer une définition de la monnaie (clin d’œil à mes étudiants de ces 3 dernières années, j'ai tenté en cours de réparer la lacune de mon livre... et d'autres).

Certes cette belle réalité est à coordonner au droit monétaire et financier actuel du Code monétaire financier qui, ajoutant sans cesse des mots aux mots, aura favorisé d'interminables et embrouillés débats sur les cryptomonnaies.

Comment peut-on écrire sur la monnaie sans relater la notion d'instruments monétaires ? Je dois avouer ma profonde incompréhension. Oublier la consécration légale de la notion, quoique mal fichue, par le Code des instruments monétaires et des médailles de 1952.

Nous avions préféré innover en nous expliquant sur les notions traditionnelles (voyez, pour notre tentative : Droit bancaire et financier, mare & martin, 2015, n° 32, n° 379, n° 404, n° 501), ou du moins sans les ignorer : l'état de l'art exigeait de traiter le sujet, donné par la doctrine, de ces fameux "instruments monétaires" ; et l'ouvrage mentionne aussi ce qu'on appelle "instruments de la politique monétaire" et qui vise les procédés de la BCE (et / ou de la BDF).

Comment oublier cette notion ― "instrument monétaire" ― et, de ce fait, ne pas la comparer aux autres instruments ? Qui ne ne sont que de paiement ou de crédit. Ou instrument d'autres choses. Comment négliger une notion traditionnelle et tant de fois évoquée pour celle de "support monétaire" qui n'a jamais été employée dans la loi ou posée au quotidien en doctrine. Nous ne sommes plus sur de la mollesse de fond mais bien sur une étrangeté de méthode, travers plus grave. Le juriste ne peut pas choisir ses mots et expressions tout en délaissant ceux de la loi, ceux traditionnels, sauf à faire de l'opération son propos principal (et sa conclusion), c'est-à-dire une démonstration.

On attend des études concordantes qui expliciteraient que les instruments monétaires n'existent pas et les raisons pour lesquelles, selon les diverses sources du droit, on doit raisonner en termes de "supports monétaires".

Une doctrine audacieuse peut exister au-delà de la loi, de ses mots, mais faut-il encore la poser en considérant les mots anciens et les ranger aux rebuts si on entend les écarter (rien n'interdit de démonter que l'expression instruments monétaires n'a aucun sens et aucune pertinence, mais il faut le démontrer).

Comment, sans cette démonstration, peut-on qualifier "instruments monétaires" les divers effets traditionnels ― chacun a son appellation légale et un régime spécial... chèque, lettre de change, billet, etc ? Cela n'a ni sens ni utilité. Et cette désignation ou qualification (?) n'est évidemment pas légale et n'a jamais été esquissée par le législateur.

Comment peut-on se dispenser de lire les commercialistes qui ont quand même, pour certains, une idée de la monnaie et notamment une idée construite par la confrontation de la monnaie avec les instruments négociables (negociable instruments, ça, ça va impressionner !) ; qu'il s'agissent des titres civils ou de commerce, mais tous étudiés depuis des siècles ?

Comment peut-on à ce point abandonner la science commerciale, le droit commercial ? Et sa base, les considérations des civilistes les plus notables ?

Comment ? On ne le sait pas. Mais on comprend que lé débat sur les crypto-monnaies ait pu tourner en eau de bouillie et qu'il en reste là puisque, déjà, sur le seul droit traditionnel de la monnaie, les juristes ont perdu le nord.

Il est donc aussi compréhensible que l'Union européenne en vienne, elle aussi, à mélanger des concepts majeurs. Cette fois l'affaire est grave car les autorités monétaires ont trempé dans l'équivoque terminologique toute leur politique monétaire, laquelle va pâtir à l'Union européenne et à chaque pays. Les doctrines juridiques mal fondées n'ont souvent que pour effet d'embrouiller les esprits ; en revanche, si le SEBC et la BCE (avec toutes les banques centrales de l'UE...), dans leur propre doctrine et avec les autres autorités de l'UE, confondent monnaie et instruments monétaires avec instruments de paiement, moyens de paiement, modes de paiement, procédés de paiement etc., alors les conséquences pourraient être sérieuses.



A un moment donné, dans un conflit majeur, le juge pourrait limiter les pouvoirs de l'institution (la BCE) en reconnaissant des possibilités inattendues et non voulues aux acteurs privés (banques ou autres...). Avec ou sans blockchain... La monnaie est publique, les instruments de paiement sont une affaire privée ! Même s'il y a une surveillance des activités des IP (ce qui est du Droit des services de paiement mâtiné de pur Droit monétaire - et non pas "Droit bancaire" - au passage...).

La maladresse des autorités monétaires est en quelques exemples stupéfiante et ne doit pas uniquement tenir à la difficulté des diverses langues (à concilier, et ce n'est pas facile). Ce qui est en cause c'est la négligence langagière, la négligence de la langue juridique et, pour tout dire, la négligence du droit.

Les banquiers, centraux ou autres, peuvent cependant répliquer : c'est vous, juristes, qui les premiers et de la façon la plus nette confondez la monnaie, dont les instruments monétaires, avec les instruments de paiement...

Un WEBINAIRE sur ce sujet serait une bonne idée !





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(1) Yves Chaput, Effets de commerce, chèques et instruments de paiement, PUF, Droit commercial, coll. Droit fondamental, 1992, p. 11, n° 4.

(2) Vocabulaire juridique, dir. G. Cornu, PUF, 1987, V° Instruments monétaires, p. 426 : "signes monétaires matérialisés (billets de banque, pièces métalliques qui, représentant une certaine quantité d'unités monétaires (...) ; s'opp. à *monnaie scripturale." Pour aller plus loin : on peut travailler l'aspect "instrument monétaire" de la monnaie scripturale, débat à notre sens jamais réellement entamé, mais la remarque dépasse le propos principal de la présente analyse.

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Vocabulaire Juridique Cornu, PUF, 1987.
« Il est admis que la notion de monnaie est double en ce qu'elle recouvre les instruments monétaires et l'unité monétaire » (Yves Chaput)

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