Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE
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La convention de centralisation de trésorerie, la déclaration de créance et la valeur juridique des chèques (Cass. com., 12 mars 2025)



La nouvelle édition se prépare... pour la fin de l'année.
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L'arrêt du 12 mars 2025 est publié au Bulletin des arrêts, et, il se déduit de son "titrage" (cf. ci-dessous) que la publication est justifiée pour la solution qu'il donne s'agissant du fonctionnement d'une convention de trésorerie conclue entre deux sociétés d'un même groupe de sociétés. On a du mal à comprendre cette publication car le moyen n'était en réalité pas sérieux, et la Cour sait à l'occasion se servir de cet argument, outre le fait qu'elle peut ne pas examiner le pourvoi.

On parle donc d'une solution manifeste qui n'apporte rien, mais qui donne l'occasion de parler de la convention de trésorerie, enfin, à peine.

L'arrêt n'enseigne pas grand chose mais, de surcroît, la version qu'il donne de la déclaration de créance à travers la version qu'il ne donne pas du chèque - vous suivez ? - est moins que pauvre.

Groupe de sociétés. Dans un groupe de sociétés (il faut qu'il existe ! Passons ce point...*), une société centralisatrice peut notamment récupérer les liquidités des autres sociétés du groupe et accorder les financements utiles aux sociétés du groupe qui en ont besoin. En un mot, qui n'est qu'une image, une société du groupe sert de banque aux autres. Cela évite de demander un financement bancaire ou de trouver un autre financement (affacturage ou cession Dailly) alors que la trésorerie du groupe est positive.

Cette société centralisatrice est parfois la société mère (ou holding) ou une société spécialisée dans ces opérations de centralisation et de distribution de crédits (son objet social le mentionnera).

Le fait que des entreprises puissent se financer de cette façon est prévu par le CMF. C'est une dérogation à ce que l'on appelle, à tort, car l'expression est littéralement fausse, "le monopole bancaire" ; il n'y a en effet aucun monopole quand la concurrence joue à plein entre banque et quand les banques sont concurrencées par des dizaines d'acteurs et pour des dizaines de sortes de financement.

Le juge du droit vise naturellement la disposition qui pose cette dérogation qui n'est, en réalité et surtout, une application de la liberté contractuelle (art. 511-7, 1, 3°, CMF)*. Ce point est une affaire et une solution anciennes. Les autorités monétaires avaient décidé ainsi (en 1941, après des discussions, et en l'absence de dérogation légale expresse) que les entreprises avaient le droit de se financer entre elles. La loi bancaire de 1984 avaient suivi cette doctrine : les entreprises doivent pouvoir le plus facilement possible se financer. La loi de 1984 avait donné à cette solution la forme d'une dérogation à l'interdiction de fournir des crédits. Le CMF la comporte encore à l'article précité.

Le litige. L'arrêt résume les faits à son n° 6. Une société centralisatrice avait payé pour une société du groupe, ce qui n'est pas exactement ce que l'on peut appeler un financement classique (malgré la subrogation...). Certain chèques furent impayés ! Le porteur des chèques déclara sa créance à la faillite de la société centralisatrice "en invoquant la convention centralisée de trésorerie conclue le 13 avril 2018 entre ces deux sociétés" ; ce résumé de la prétention est édifiant : l'idée est creuse.

Premier point. La situation mérite quelques explications. Par hypothèse même, les deux sociétés ne confondent ni leurs activités ni leur patrimoine ! La convention de centralisation vise justement à ce que ce ne soit pas le cas : elle entend assurer la transparence des opérations. En outre, chaque financement fait usuellement l'objet d'un contrat. Invoquer pour un effet inverse n'a donc aucun sens, sinon celui du contre-sens. La dette de la société du groupe et la dette de la société centralisatrice sont deux dettes distinctes. Le refus d'inscription de la créance au passif de la société centralisatrice de la société du groupe financée est donc justifiée.

Le pourvoi qui critique cette solution est donc rejeté.

L'arrêt cite la disposition du CMF qui autorise ces opérations, dites "opérations de trésorerie". L'expression est originale voire inédite. Sa définition mériterait d'être discutée, d'autant qu'elle semble un peu étriquée, "opération de trésorerie" a une connotation restrictive que l'on comprend mal.

En effet, les règles bancaires donnant une exclusivité aux établissements de crédit sont essentiellement une titanesque législation de protection du public. La disposition visée ne fonde donc pas la convention de trésorerie, comme le formule la Cour de cassation un peu vite ; c'est la liberté contractuelle qui fonde le droit d'une société centralisatrice d'accorder un crédit.

Second point. Il tient dans les chèques. Le problème est que trois des chèques tirés par la société centralisatrice furent impayés. Or la société centralisatrice fut à son tour mise en procédure collective.

On répète que le créancier voulut déclarer la créance, comme l'on dit, "à la faillite de cette société" centralisatrice. Le tribunal de commerce rejeta la créance. D'où le pourvoi. Une convention de trésorerie n'est pas un titre de créance, c'était le premier point.

Mais le chèque ?!

N'est-il pas un titre de créance ? Une créance qui a deux réalités. En la forme, le porteur est créancier au titre de la créance cambiaire, et au fond, au titre de la cession de la créance créance de la provision opérée par le tirage du chèque (au jour du tirage du chèque, la provision est acquise au porteur).

Sans faire des investigations sur ce cas d'espèce, on éprouve le besoin de signaler que la société centralisatrice qui utilise un chèque donne un titre de créance au porteur. Tel ne serait pas le cas d'un ordre de virement. Le chèque est en lui même un titre valant reconnaissance de créance. Une déclaration de créance n'était-elle pas possible ? L'arrêt n'avait pas à statuer sur ce point. On apprécierait parfois qu'un arrêt comporte une phrase incidente.



____________________________

* La question se pose parfois : Cass. commerciale, 5 février 2025, n° 23-10.953, Publié, l'arrêt est cependant publié pour un point de droit relatif au secret des affaires, entendez il n'apporte rien à l'entendement de la convention de trésorerie entre sociétés.


** L'article L. 511-7,1, 3 du CMF permet à une entreprise de : « procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ».




Texte emprunté à la base publique Légifrance.


COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 mars 2025
Rejet
M. PONSOT, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 127 F-B
Pourvoi n° V 23-23.961

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 MARS 2025

...

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 octobre 2023), le 6 septembre 2017, un tribunal de commerce a condamné la société Europe Asset AG, dirigée par M. [V], à payer certaines sommes à M. [X], l'un de ses associés, au titre du compte courant d'associé.

2. M. [V] a, en sa qualité de dirigeant de la Société investissement immobilier européen (la société SIIE), filiale de la société Europe Asset AG, et sur le fondement d'une convention centralisée de trésorerie conclue le 13 avril 2018 entre ces deux sociétés, autorisé la société SIIE à payer la somme due par la société Europe Asset AG à M. [X] au titre du compte courant d'associé.

3. La société SIIE a émis des chèques à cette fin, dont trois sont revenus impayés.

4. Le 28 janvier 2020, la société Europe Asset AG a été mise en liquidation judiciaire.

5. Le 18 mai 2021, la société SIIE a été mise en liquidation judiciaire, la SELAFA MJA étant nommée mandataire liquidateur.

6. M. [X] a déclaré la créance qu'il détient à l'encontre de la société Europe Asset AG aux organes de la liquidation judiciaire de la société SIIE en invoquant la convention centralisée de trésorerie conclue le 13 avril 2018 entre ces deux sociétés.

Examen du moyen

Sur le moyen

Enoncé du moyen

7. M. [X] fait grief à l'arrêt de rejeter sa créance, alors « qu'une société, quelle que soit sa nature, peut procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ; que la convention centralisée de trésorerie du 13 avril 2018 conclue entre la société SIEE, représentée par M. [V] et la société Europe Asset AG, représentée aussi par M. [V], constituant une unité économique", stipulait que les parties avaient entendu se rapprocher et établir une convention centralisée de trésorerie entrant dans le champ d'application de l'article L. 511-7 du code monétaire et financier dans le but de couvrir leurs besoins de trésorerie au moyen de remises en compte courant à vue, la société SIEE ayant mandat de gérer la trésorerie du groupe ; qu'en rejetant la créance de M. [X] au motif que l'existence d'une convention de trésorerie ne pouvait constituer le fondement juridique d'une transmission d'une obligation de paiement entre la société Europe Asset AG et la société SIEE en raison de l'article 6 stipulant que les parties étaient indépendantes et continuaient d'assumer de façon autonome la direction et la gestion de leurs obligations, après avoir constaté que M. [V], qui présidait à la fois la société Europe Asset AG et la société SIEE, avait autorisé cette dernière à rembourser les comptes courants de divers associés, dont M. [X], la cour d'appel a violé l'article L. 511-7 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article L. 511-7 du code monétaire et financier, une entreprise peut procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres.

9. Après avoir relevé que la convention de trésorerie versée aux débats stipule que les parties restent indépendantes et continueront d'assumer de façon autonome la direction et la gestion de leurs responsabilités et de leurs obligations, l'arrêt retient que l'existence d'une telle convention de trésorerie ne peut constituer le fondement juridique de la transmission d'une obligation de paiement entre les sociétés Europe Asset AG et SIIE à l'égard de M. [X].

10. Ayant, en outre, retenu qu'aucun autre élément n'est versé aux débats rapportant la preuve d'une transmission de l'obligation de paiement entre la débitrice originelle, la société Europe Asset AG, et la société SIIE, l'arrêt en déduit exactement que la demande d'admission de la créance au passif de la société SIIE doit être rejetée.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [X] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq. ECLI:FR:CCASS:2025:CO00127
Analyse

b[Titrages et résumés
Cassation civil - CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES
]b

Ayant relevé que la convention de trésorerie, conclue sur le fondement de l'article L. 511-7 du code monétaire et financier, stipule que les parties restent indépendantes et continuent d'assumer de façon autonome la direction et la gestion de leurs responsabilités et de leurs obligations, c'est à bon droit que l'arrêt en déduit que cette convention ne peut constituer le fondement juridique de la transmission d'une obligation de paiement entre les sociétés parties à cette convention

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