Il me faudrait publier (republier en open science) un vingtaine d'analyses approfondies... notamment sur HAL... mais écrire à temps plein empêche de faire autre chose. Pour une fois je le fais.
I. La lecture d'un arrêt de la chambre criminelle confirme - rien d'étonnant - que le dépôt bancaire peut être vue en "placement" et permettre d'appliquer le délit de blanchiment. Le pénal entend largement (placement) ce que le droit bancaire et financier entend étroitement - bon, je vais vite, mais il y a de ça. Toute la difficulté est de distinguer un simple dépôt d'un placement qui a une vocation rémunératrice et encore plus un investissement La question n'a pas toujours passionné... Cet arrêt du 19 juin 2024 est à relever pour une autre raison mais il est publié avec pour référence ce point précis :
"Sur la caractérisation d'une opération de placement par le simple dépôt ou virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte bancaire y compris lorsqu'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine :Crim., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-85.542, Bull. crim. (rejet)." Cet arrêt est cité dans notre analyse, il en est la cause (voir note 8).
Je vous laisse donc lire mon analyse contra, ci-dessous, d'environ 24 pages... le plan est dans le texte... il faut y rentrer.
II. Sinon l'arrêt est publié au Bulletin pour ceci, c'est le début du résumé officiel :
"Le seul manquement d'une banque aux obligations de vigilance, imposées par les articles L. 561-5 à L. 561-10-2 du code monétaire et financier, ne constitue pas un concours apporté à une opération de blanchiment du produit des infractions commises par son client. En revanche, la mise à disposition par une banque d'un compte bancaire..." Je vous laisse lire la suite.
La cour d'appel avait quasiment transformé le défaut de vigilance de la LCB-FT en infraction pénale de blanchiment. Le juge de cassation corrige le juge d'appel sans cassation, l'arrêt avait par ailleurs justifié le fameux délit de blanchiment. On se demande si les juges ne se laissent pas emporter par quelques formations professionnelles sur la compliance. Comme au civil, la LCB-FT est vue en une sorte de recyclage de tout le droit. Mais le droit classique, civil, commercial et pénal est en place et ne va pas être aboli par les discours sur la compliance et la croyance que le droit commence et se termine avec une organisation de conformité. La substance des règles de droit demeure.
III. Je signale un troisième point, plus pointu et subtil. J'ai rentré cette idée dans ma future édition de Droit bancaire et financier. Je me contente de citer ce numéro de l'arrêt dans lequel j'estime le juge fait un sort à l'opposition grossière et commode faite entre le principe de non-immixtion et la vigilance (je ne détaille pas) ; et cela dans mon esprit ne vise pas à dilater la vigilance, mais à mieux la comprendre (il y 20 notes sur le sujet sur ce site... utilisez la barre "recherche"). Il faut arrêter de dire sans nuance que la vigilance a pour limite le principe de non-immixtion, la correspondance n'est pas systématique. Le juge pénal le dit ici.*
Bon, l'arrêt est encore plus riche quand je vois que la banque n'a pas vérifier un statut de "conseil en investissement"... cela me conforte dans l'idée que le droit bancaire est inséparable du financier, et en vérité du monétaire. Notamment toutes les professions et agréments doivent être connus du moindre conseiller clientèle... Ne pas reconnaître un confrère du Code monétaire et financier, ce sera en principe jugé impardonnable (entendez on y verra une faute grave). D'où le droit bancaire et financier...
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* "...la banque insiste sur le fait qu'elle n'a pas les moyens d'investigation des officiers de police judiciaire et qu'elle ne peut s'immiscer dans la vie privée de ses clients ou dans la gestion des entreprises, l'étude minutieuse des documents contractuels remis, et les investigations sur les taux susceptibles d'être pratiqués dans le Sud-Est asiatique entraient dans les pouvoirs de l'établissement sans constituer une atteinte au droit au respect de la vie privée du client..."
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L'arrêt de la chambre criminelle publié sur Légifrance est reproduit après mon article.
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I. La lecture d'un arrêt de la chambre criminelle confirme - rien d'étonnant - que le dépôt bancaire peut être vue en "placement" et permettre d'appliquer le délit de blanchiment. Le pénal entend largement (placement) ce que le droit bancaire et financier entend étroitement - bon, je vais vite, mais il y a de ça. Toute la difficulté est de distinguer un simple dépôt d'un placement qui a une vocation rémunératrice et encore plus un investissement La question n'a pas toujours passionné... Cet arrêt du 19 juin 2024 est à relever pour une autre raison mais il est publié avec pour référence ce point précis :
"Sur la caractérisation d'une opération de placement par le simple dépôt ou virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte bancaire y compris lorsqu'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine :Crim., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-85.542, Bull. crim. (rejet)." Cet arrêt est cité dans notre analyse, il en est la cause (voir note 8).
Je vous laisse donc lire mon analyse contra, ci-dessous, d'environ 24 pages... le plan est dans le texte... il faut y rentrer.
II. Sinon l'arrêt est publié au Bulletin pour ceci, c'est le début du résumé officiel :
"Le seul manquement d'une banque aux obligations de vigilance, imposées par les articles L. 561-5 à L. 561-10-2 du code monétaire et financier, ne constitue pas un concours apporté à une opération de blanchiment du produit des infractions commises par son client. En revanche, la mise à disposition par une banque d'un compte bancaire..." Je vous laisse lire la suite.
La cour d'appel avait quasiment transformé le défaut de vigilance de la LCB-FT en infraction pénale de blanchiment. Le juge de cassation corrige le juge d'appel sans cassation, l'arrêt avait par ailleurs justifié le fameux délit de blanchiment. On se demande si les juges ne se laissent pas emporter par quelques formations professionnelles sur la compliance. Comme au civil, la LCB-FT est vue en une sorte de recyclage de tout le droit. Mais le droit classique, civil, commercial et pénal est en place et ne va pas être aboli par les discours sur la compliance et la croyance que le droit commence et se termine avec une organisation de conformité. La substance des règles de droit demeure.
III. Je signale un troisième point, plus pointu et subtil. J'ai rentré cette idée dans ma future édition de Droit bancaire et financier. Je me contente de citer ce numéro de l'arrêt dans lequel j'estime le juge fait un sort à l'opposition grossière et commode faite entre le principe de non-immixtion et la vigilance (je ne détaille pas) ; et cela dans mon esprit ne vise pas à dilater la vigilance, mais à mieux la comprendre (il y 20 notes sur le sujet sur ce site... utilisez la barre "recherche"). Il faut arrêter de dire sans nuance que la vigilance a pour limite le principe de non-immixtion, la correspondance n'est pas systématique. Le juge pénal le dit ici.*
Bon, l'arrêt est encore plus riche quand je vois que la banque n'a pas vérifier un statut de "conseil en investissement"... cela me conforte dans l'idée que le droit bancaire est inséparable du financier, et en vérité du monétaire. Notamment toutes les professions et agréments doivent être connus du moindre conseiller clientèle... Ne pas reconnaître un confrère du Code monétaire et financier, ce sera en principe jugé impardonnable (entendez on y verra une faute grave). D'où le droit bancaire et financier...
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* "...la banque insiste sur le fait qu'elle n'a pas les moyens d'investigation des officiers de police judiciaire et qu'elle ne peut s'immiscer dans la vie privée de ses clients ou dans la gestion des entreprises, l'étude minutieuse des documents contractuels remis, et les investigations sur les taux susceptibles d'être pratiqués dans le Sud-Est asiatique entraient dans les pouvoirs de l'établissement sans constituer une atteinte au droit au respect de la vie privée du client..."
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L'arrêt de la chambre criminelle publié sur Légifrance est reproduit après mon article.
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Article publié dans les Mélanges multicolores offerts à Deen GIBIRILA
Ed. Université de Toulouse
Le placement, technique à la botte de l’infraction de blanchiment, À l’ombre du « Droit de la finance »
Hervé CAUSSE,
Professeur des universités à l’École de Droit,
Université Clermont Auvergne, CMH EA 4232
L'homme peut donner un nom aux choses mais pas le leur ôter.
Victor Henry
Des mots et d’une matière. Les mots et expressions d’une matière signent son identité : ses traits, ses manques, ses originalités, parfois son retard sur les réalités. Les intitulés des matières n’échappent pas à la loi des langues. La langue juridique dit l’identité, les qualités et difficultés d’une matière juridique. Pourtant, l’époque (juridique) est peut-être au reflux de l’intérêt prêté au langage juridique, aux mots et de proche en proche, là est le problème, aux notions et concepts. On cède à l’ingénierie juridique jusqu’à s’y perdre (l’exception de l’exception de l’exception…), ingénierie dont les châteaux sont faits de cartes légères et non de concepts en forme de briques solides, lourdes et bien taillées. Des mots d’une matière juridique aux mots de l’alinéa de la loi, le chemin est parfois court. Un exemple pris de l’actualité peut le démontrer. Si la vie des particuliers et des familles exige des placements, en vue d’épargne et investissements, la notion est pourtant inconnue du Code civil (1). Le droit civil ne profite pas toujours des nouveautés des matières spéciales.
D’une matière. Depuis le début des années 1970, l’affichage du « Droit bancaire » demeure pour les ouvrages ou chroniques. Nous avons rendu hommage aux auteurs de manuels portant cette expression qui inventèrent la matière (2). Le meilleur hommage ne consiste cependant pas à perpétuer mais à continuer à construire. Ce choix méthodologique et de fond (distinction solide ?) axé sur l’idée « bancaire » perdure. Il continue de laisser de côté des mots et expressions initialement oubliés, parfois des sections nouvelles de codes ou de lois. On nous lira ailleurs sur la composition du droit bancaire (une dizaine de services européens : la matière ne repose plus sur les divers contrats, sur le contrat…) (3). Le jeu de cette matière juridique se note à partir d’un seul terme. Une recherche rapide des thèses soutenues ne semble pas indiquer une recherche juridique sur le placement – ni sur l’épargne (4). Si tout citoyen pense (entre autres) à la banque pour réaliser des placements, les ouvrages de droit bancaire ne comportent pas le mot en index, ni en section (sauf les précisions ultérieures). En somme, le placement est un détail.
Un complexe de mots. Après avoir longtemps travaillé la notion d’investisseur, avec de nombreux auteurs (5), on confirme que le placement se voit mal. L’investissement, que renforce l’investisseur, et vice-versa, est plus visible – et dans ce jeu de mots où un mot renforce l’autre, on pense à Camillo José Cela (6). L’ombre du consommateur aura paradoxalement permis quelques coups de projecteurs sur l’investisseur – et donc sur l’investissement. La notion, la technique et l’opération de placement n’ont pas bénéficié de la même attention. Peut-être parce qu’on considère – sans le dire ? – que l’investissement est un placement – et vice-versa. Cette vue ne tient pas car il est un des services bancaires et non d’investissement : ainsi le placement ne figure pas sur l’étagère très fournie des notions inutiles. En somme, l’investisseur a l’investissement, le consommateur a la consommation ; le placement n’a au mieux que l’épargnant, un illustre inconnu. Esquissant le fameux « placement », nous avons pensé (à suivre le législateur) qu’il correspondait à l’épargne, à savoir une mise à l’abri d’argent rémunératrice mais sans risque (7).
Un mot, le juge, un arrêt. Pris dans un maelström de milliers d’affaires aux demandes approximativement calibrées, spécialement quand il s’agit de droit de l’argent, le juge réplique les défauts de l’école. Si la doctrine ignore ou tait le placement, opération économique trop évidente, il ne faut pas compter sur le juge pour le faire. Et si, d’aventure, le concept est proposé ailleurs que dans la pureté civile ou l’impureté commerciale (bancaire), la justice est alors promise à un pur aléa.
Le placement peut alors n’être rien pour être tout. Ainsi vient-il d’être jugé, en matière pénale, que "... l'opération de dépôt ou de virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte, y compris s'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine, qui conduit à faire entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire, constitue une opération de placement caractérisant le délit de blanchiment." (Crim., 18 mars 2020, n° 18-85542, publié : « PBRI ») (8).
Cette position, selon laquelle un dépôt vaut placement, mérite une discussion générale, sans prétendre établir la notion de placement – voilà qui pourrait inspirer des études approfondies. En souligner les traits sera déjà édifiant. On effleurera la question du virement, également vu comme un placement : cela pousserait trop loin et dont l’emploi est a fortiori étonnant (9).
Le mot d’un code. Le terme « placement » est essentiel dans la législation financière : dans le Code monétaire et financier (on passe coupablement sur le domaine fiscal). Un simple arrêt ne peut pas, à notre sens, ramener le placement, à une autre notion légale non moins essentielle du même code, le dépôt. En vérité, il faudrait dire « dépôt bancaire » car ce dernier a des caractéristiques juridiques très spéciales (10). Certes, et après tout, le droit pénal est un domaine spécial, et on pourrait considérer le fait indifférent… l’indifférence permet probablement de statuer ainsi. Cependant, la langue naturelle qui définit le mot placement est pourtant l’instrument de la législation pénale(11). A ce titre, préserver le sens du mot vaut garantie du citoyen.
Cette structure logique élémentaire, et donc fondamentale, dépasse le droit positif exprimé dans un milliard de lignes de lois. On le dit peu car cela ne s’exprime pas dans une philosophie juridique utile. La philosophie du droit traditionnelle, dans son altière position, ne prend en charge que des questions très théoriques. Il faudrait qu’une philosophie juridique opère de façon intermédiaire. Elle rappellerait au juriste que tordre la langue naturelle, confortée et source d’une attente légitime, porte atteinte aux droits de l’homme.
Sans aller aussi loin, on cheminera en tentant de prendre un peu de hauteur, à partir du mot placement, pour mettre en jeu les codes et matières en question. Le jeu de deux législations – droit pénal / « droit bancaire » - doit opérer à égalité tenant à la même source : la même loi de la même République… sauf si on laisse se déployer l’indifférence.
L’axiome des matières. L’idée de matière ou de discipline est constitutive de celle même du droit – la science juridique est elle-même une discipline parmi d’autres. L’analyse juridique en abuse parfois quand il est estimé, derechef, que ceci ou cela n’est pas valable dans telle matière – en droit fiscal, en droit commercial, etc. Le droit français connaît au principal les dispositions légales ; ce sont elles que l’on applique, le cas échéant en les conciliant entre-elles.
Ainsi, les matières sont faites de frontières poreuses. Flexibles. Sinueuses. Néanmoins l’idée de matière a, depuis trente ans, été confortée par de nombreuses codifications – toutes n’ont certes pas la même valeur.
On devrait en convaincre le dédicataire de ces lignes qui a œuvré en droit privé (une discipline), en droit commercial (une spécialité) et sur ses branches (dont le droit des sociétés). Pour une autre, à savoir ce qui était le droit de la faillite, il a su passer à une version moderne de la matière. L’ouvrage Droit des entreprises en difficulté, que le professeur Deen Gibirila a publié chez Defrénois, en 2009, en témoigne. L’ancienne appellation de faillite, même entendue lato sensu car assise sur la cessation des paiements, était une chose. L’idée des « entreprises en difficulté », plus accueillante, en est une autre. Elle propose des notions et champs nouveaux, des mots.
La langue et le droit. A son échelle, le mot « placement », mot employé par de multiples lois et l’arrêt précité, ouvre sur des terres peu parcourues qu’il n’est pas exagéré d’appeler la finance (quelques commodités tendent à l’enfermer dans un droit des marchés). Voilà qui pose, pourrait-on dire, la question de l’essentialisme du droit que le juge voudrait ignorer pour un existentialisme juridique à sa seule main. Le droit est une science du langage et de la langue. Le juge doit la respecter ; à défaut, il renie la fonction qui lui a été confiée justement en considération des principes de cette science ! Sa fonction elle-même, a été conçue au vu de cette science juridique. Dans un système démocratique, le non-respect de cette science juridique atteint mécaniquement la démocratie.
Précisons les charmes du Droit. S’ils font qu’on le situe dans les sciences sociales, il peut illustrer les sciences humaines et s’y s’acclimater : pour l’humain qu’il protège, la langue qu’il manie en pure linguistique, pour l’écriture plus ou moins littéraire qu’il requiert ; Gérard Cornu le rappelle dans son ouvrage Linguistique juridique, « La poésie et le droit entretiennent des liens étroits » – l’océan des adages.
Le propos sur la langue et les matières, loin de la coquetterie intellectuelle, est une condition opérationnelle d’application de la règle. Il discute une condition préalable de toute connaissance juridique et de ses compartiments désignés par des mots. Le plus brillant esprit scientifique du XVIIIe siècle, François Lavoisier, avait explicité le lien irréductible entre langue et science. La question déborde la science juridique – le juriste doit se soucier d’épistémologie. C’est cependant l’abbé Condillac qui sut le mieux dire (encore la langue et les mots !) ce qu’il y avait à dire. Il proclama, que « Toute science est une langue bien faite » : pour sa gloire éternelle et peut-être aussi pour que l’on en retienne l’idée.
Du droit bancaire et financier. La science juridique, et le Droit avec, entendons sa pratique, doivent vérifier périodiquement les cadres dans lesquels ils opèrent. Ces cadres pèsent sur les mots : ils courbent le verbe. Pour le droit de l’argent, disons comme cela à titre provisoire, la vérification du domaine s’impose et l’emploi indifférent du mot « placement » témoigne la difficulté, renouvelée, de saisir le domaine de l’économie.
On ne précise guère ce qu’est le droit bancaire, le droit financier, parfois le droit du crédit (?), le droit des instruments de paiement (qui succéda à l’illustre et séculaire « Droit des effets de commerce » qui mourut dans les années 1990). L’effort n’est pas plus net pour le droit des marchés financiers ou le droit de la monnaie(12). Il y a des thèmes et des mots qui valent à tort évidence, la science n’est parfois qu’une convention grossière sur un domaine et quelques méthodes… or le terme « placement » opère dans tous ces domaines faits de cadres indécis ! Considérer généralement une matière conduit à examiner ses mots, et vice-versa dès lors que la réflexion est un peu sérieuse. Selon nous, rester sur l’idée du droit bancaire aide à rater le terme placement, et d’autres.
Du tout et de l’un. Seule la considération d’un ensemble, celui du code monétaire et financier, celui du droit monétaire et financier, permet de réviser les vues de la matière. Pour composer, on a pu penser l’appeler « droit bancaire et financier », expression pourtant probablement dépassée.
La matière juridique pertinente sort de la loi et du code, lequel divise par son intitulé la monnaie et la finance… La matière, au plan pédagogique et scientifique, doit en être extirpée avec assez d’unité pour ne pas délaisser des notions, mécanismes ou règles majeures. On peut penser que tel a été le cas et le mot placement l’indique.
Comment Thaller peut-il expliquer dans son éternel Traité de droit commercial, en 1904 (p. 470, n° 921), que la bourse au comptant est l’occasion de faire des « opérations de placements » et que l’idée partout propagée pendant des décennies se dissipe en science juridique ? Alors surtout que le terme hante le Code monétaire et financier ? Mal considérer le « tout » fait à l’occasion perdre « l’un ».
Un mot, un fait. Négliger les mots de la loi reflétant la vie revient à négliger les faits sociaux et économiques. Le juge tranche alors les litiges en étant fort éloigné de la vie. Dans ces circonstances, les outils technologiques pourraient offrir des garanties que les biais actuels du juge n’assurent pas. L’analyse des mots de la loi restituera parfois le fait, la vie sociale, les faits. Ce sont ces travers que souligneront les systèmes d’intelligence artificielle qui, quoique biaisés, les seront moins que les esprits juridiques suivant des habitudes ancestrales jamais revues… Quand ces systèmes d’IA repèreront la place éminente des mots dans les lois et codes, ils les mettront en tête de chapitres qui restitueront ainsi le droit positif. Si, dans une affaire, un placement semble constituer un délit de blanchiment, il faut relever la richesse et les nuances de la notion de placement. Le juge n’est pas fondé à la réduire, sans un mot de motivation, à un dépôt bancaire.
Un placement, un blanchiment. Aujourd’hui, le juriste peut encore négliger le mot « placement » quoique reçu dans la langue française et financière comme étant un acte d’épargne ou d’investissement (13). L’occasion en a été donnée à la chambre criminelle de la Cour de cassation en jugeant du délit de blanchiment. Il peut être commis en effectuant une « opération de placement »(14), soit un placement. Répétons la phrase cruciale du juge : "... l'opération de dépôt ou de virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte, y compris s'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine, qui conduit à faire entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire, constitue une opération de placement caractérisant le délit de blanchiment." (Crim., 18 mars 2020, préc.). L’occasion d’une réflexion générale sur le placement est donnée.
Le sens d’un mot. Le dépôt et le virement sont, en vertu de cette décision, des placements. Voilà qui élargit le délit de blanchiment. La solution écarte sans mot dire l’interprétation stricte de la loi pénale. L’interprétation large de la loi est du reste double – avec outre le dépôt le virement. L’arrêt est condamnable à la seule lecture du Vocabulaire juridique de Gérard Cornu et de l’Association Henri Capitant (PUF, Quadrige, 2014, p. 766, V° Placement ; adde : p. 767, V° Placer). « Opération consistant à employer de l’argent pour l’acquisition d’un bien dont on espère qu’il prendra de la valeur » et, par extension, le placement est aussi « le bien acquis ». Un dépôt en banque n’est pas une acquisition mais, en quelque sorte, l’inverse. Il n’y a pas de « placement » avec un (simple) dépôt. Des praticiens ont relevé l’étonnant de cette décision. Sans expliciter la notion de placement, ils voient la difficulté et ont ainsi pu dire qu’il y avait délit pénal de blanchiment sans blanchiment (15).
Des mots économiques. La notion, technique ou opération de placement n’a pas bénéficié de la même attention, on le disait, que celle de l’investissement et de l’investisseur. Le droit économique est fondamentalement en échec, culturellement avorté. Gérard Farjat en avait esquissé une vue qui eût un succès relatif tant elle était pénétrante pour mordre, outre les frontières disciplinaires, notamment sur l’économie et le droit public. Cela indique et implique le dédain des notions économiques – attitude schizophrénique quand toute la société se morfond pour « l’économique »(16). Ignorer une matière conduit à ignorer ses mots, ses concepts. Une hésitation linguistique juridique, économique et commerciale a pu aider la Cour de cassation à négliger la notion de placement, la réalité économique et, hier, celle d’investissement (dans les années 1960-1990). La décision peut aussi tenir au choix de la Haute juridiction d’une politique répressive au détriment de la protection des libertés – quitte à aller au-delà de la loi. En tout cas, la Cour de cassation a publié à raison son arrêt du 18 mars 2020 à son Bulletin tant la décision ajoute au texte d’incrimination.
Le placement, une activité. Détaillons le mot placement mal considéré dans cette question de blanchiment. Il est une notion traditionnelle de droit commercial – du feu « droit boursier » et, désormais, une notion cardinale du droit des services d’investissement. Le placement est l’une des activités des prestataires de services d’investissement (PSI) imposant d’obtenir un agrément leur conférant, justement, cette qualité de « PSI ». Le placement consiste alors, pour un émetteur de titres financiers (SA ou autres personnes, le cas échéant publiques), à confier au PSI la mission de placer les titres auprès de souscripteurs (dits clients, investisseurs, épargnants…). Paul Didier le disait dans son ouvrage « Droit commercial » (t. 3, 1999) en des mots agréables, sans le technolecte européen des services d’investissement : « Le placement des titres consiste dans la collecte des souscriptions. Cette collecte peut-être le fait de la société elle-même. Elle est le plus souvent prise en charge par des banques, des maisons de titres ou des sociétés de bourse, qui prospectent la clientèle de leurs guichets et de leurs services de titres… ». Le placement peut être garanti ou pas : ce qui existait continue d’exister (17).
Réversibilité. Le placement est une forme réversible. L’opération de placement montre un émetteur de titres financiers, un intermédiaire professionnel (PSI) et des souscripteurs (ou clients, investisseurs, épargnants). Le PSI facilite et concrétise l’émission des titres. Il fait le placement. Les souscripteurs aussi : ils font un placement ! L’idée d’une « opération » généralise au-delà du placeur professionnel ; la personne qui souscrit des titres financiers – vous et moi – fait aussi un placement (18). A preuve : sans cette personne le placement n’existerait pas ! Ce que fait la personne du public, c’est souscrire. Le placement, lui, est comme la vente ou le bail, doué de réversibilité : les deux parties le font. L’épargnant ou investisseur fait un placement autant que les PSI font des placements. Unique, l’opération a un sens double. Il n’est pas d’usage de parler de contrat de placement, sauf entre l’émetteur et le PSI. On a historiquement parlé de contrat de souscription (la forme chassait le fond, l’écrit chassait le negotium). La personne qui fait un placement est celle qui souscrit des titres financiers – ou d’autres instruments financiers, ou désormais des actifs numériques… Le concept se distingue d’un dépôt bancaire.
Un acronyme : OPCVM. Un autre aspect titanesque confirme le sens de ce terme. Depuis les années 1970 une politique en faveur des placements du public a donné lieu à l’adoption de diverses lois qui ont inventé et réformé les organismes de placement collectif (c’est le domaine de la « gestion collective », celui des « OPC » dont les « OPCVM »). C’est aujourd’hui une part importante du secteur financier dont l’intérêt dépasse les descriptions techniques infinies qu’on peut en faire.
Cette finance assez nouvelle dénie la classification économique, encore utilisée, qui oppose financements bancaires et financements de marchés. Ainsi, entre investissements et dépôts bancaires, les placements du public dans ces organismes sont devenus une part importante de l’industrie financière, une réalité économique importante pour les Français. Un morceau de choix du droit bancaire et financier – du droit de la finance ! Le choix du mot « placement » est fondé et important : désignant à la fois une technique, une activité, un service…
Ainsi, les « parts ou actions d’organismes de placement collectif » sont devenues une catégorie de titres financiers (CMF, art. L. 211-1, II). Ces organismes sont devenus un inédit et remarquable modèle d’entité, parfois sans personnalité morale (mais autorisé à émettre des titres négociables ; sur le fonds commun de placement, ordinaire ou immobilier, voir CMF, art. L. 211-2, II ; sont également institutionnalisés leurs initiateurs et gestionnaires : les sociétés de gestion de placements collectifs : CMF, art. L. 543-1, II). Le Code monétaire et financier utilise plus de deux mille fois le terme « placement ».
Emplois et remplois. La notion de placement a été confortée : employée et remployée. Parfois, elle se renforce dans un sens significatif (19). Ainsi avec l’idée de « placement financier » qui sert à assimiler à un titre financier de droit français les « instruments » émis sur le fondement d’un droit étranger (CMF, art. L. 211-41, II). D’un intérêt majeur, la règle fait du placement une opération qui ne peut pas être ramenée au simple dépôt. Ainsi encore, la mission de l’Autorité des marchés financiers dépasse les titres pour concerner « tous autres placements » (CMF, art. L. 621-1, II), ce qui ne suggère pas les dépôts bancaires ordinaires. L’AMF n’a pas de compétence en matière de dépôts bancaires (ceux faits au titre d’un service de paiement : on l’a dit, l’idée de droit bancaire succombe faces aux divers services européens). Ces derniers mots distinguent le placement en opération qui rapportera quelque chose au contractant, comme l’entendent les dictionnaires et le Vocabulaire juridique. Langue naturelle et langue juridique sont en harmonie.
L’ombre d’un doute. Toute évidence s’assombrit de la critique honnête. Le placement peut retrouver le dépôt : voilà l’ombre d’un doute. Sans ingénierie financière aucune, la seule idée de dépôt rémunéré pose question. Cependant, la Cour de cassation n’a pas évoqué, dans sa motivation, fruit d’une rédaction qui se veut moderne, claire et transparente, le fait que les dépôts sont un type de placements comme des lois ou pratiques peuvent le suggérer. Le ratio decidendi réside étonnement dans une pure et radicale assimilation du placement au dépôt. L’ombre du doute sera détaillée outre l’idée naïve (quoique constitutive) que donne le code civil du dépôt, loin de son ingénierie dont nous ne donnons qu’un aperçu.
L’ingénierie des dépôts. Le souci de clarté et d’exhaustivité conduit à rappeler trois réalités juridiques. Certaines confirment le doute et rapprochent le dépôt du placement (20). Mais l’identité et la singularité du placement progresse aussi.
En premier lieu, la loi a consacré des dépôts structurés pour distinguer d’importants dépôts de professionnels auprès des banques ; il s’agit alors de les exclure du bénéfice de la protection de l’argent déposé par le public sur un compte (et ce dans le désormais célèbre plafond de 100 000 €). Passons, c’est de la haute finance (21). Cela dit implicitement que le simple dépôt se distingue du dépôt qui vaut placement, notion plus élaborée !
En second lieu, les dépôts les plus classiques peuvent être rémunérés depuis quelques années et, depuis toujours, les dépôts à terme. Les seconds se distinguent par des techniques spéciales (compte bloqué, calcul complexe et conditionnel des intérêts, délais de restitution…) par lesquelles le dépôt devient un placement. Les premiers, les dépôts classiques, à vue se distinguent en revanche mal du placement (c’est à leur sujet que le juge européen avait condamné la jurisprudence du Conseil d’État validant l’interdiction de rémunérer les dépôts à vue). Si la proximité entre dépôts et placements existe, on voit que le second, plus élaboré, s’extirpe du premier.
L’épargne administrée confirme en troisième lieu cette proximité (on sait tous : Livret A, PEL, CEL, Livret jeune…). Le contexte juridique et fiscal est cependant encore très spécial. Ainsi, on a pu écrire, identifiant des « placements spéciaux d’épargne » et des « comptes de placements » – nos expressions – que ces comptes stimulent l’épargne et les placements : « Ils aident à faire des dépôts durables : loi et décret instaurent des avantages civils (bonification des intérêts rémunérateurs, intérêts diminués d’emprunt, droit à un prêt) et fiscaux (exonération d’impôt pour les intérêts produits). La gestion de ces comptes et placements requiert la collaboration du banquier. Ils se distinguent des comptes ordinaires voués aux services de paiement ; le dernier né est le livret d'épargne pour le permis de conduire (art. L. 221-34-2). » En synthèse, le placement est le mot qui vise parfois des dépôts, mais particuliers, ou d’autres contrats ou sinon des titres financiers (ou produits financiers dit-on), l’opération visant une rémunération.
Si riche placement. La Cour de cassation passe sous silence la complexité et la richesse du mot placement – et celle exactement visée par l’incrimination : « l’opération de placement ». Le juge oublie de considérer le législateur qui, pour identifier le blanchiment, emploie le mot « placement » dans son sens usuel. Il n’a pas voulu intégrer la plus complexe ingénierie contractuelle et légale qui révèle une relative proximité dépôt/placement et, ainsi, viser les simples dépôts. Du reste, si un juge demande à son banquier de lui proposer un placement, on se doute que le magistrat ferait une drôle de tête si on lui proposait de laisser son argent sur un compte de dépôt (dit courant). L’incrimination légale se fonde sur le mot placement que le sens commun saisit exactement, en cohérence avec les règles du droit de la finance.
Placement, dissimulation et conversion. Le placement que le législateur vise est une opération spéciale, non le dépôt ordinaire.
Le plus simple argument vaut encore. Si tel n’avait pas été le cas, il aurait ajouté le terme dépôt. C’est autrement que le terme « placement » élargit l’incrimination, en visant ce que l’on imagine être des opérations dans diverses affaires (de l’immobilier, du commerce, des biens divers…). La rédaction de l’alinéa 2 discuté le confirme : « Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. »
Le placement est mis au plan de la « dissimulation » ou de la « conversion » du produit de l’infraction. Le législateur n’était pas à viser le placement en tant que technique contractuelle de dépôt bancaire, mais bien en tant qu’opération à laquelle un tiers prête la main ; ce dispositif est tordu par le juge de cassation pour incriminer ce que les spécialistes de droit pénal appellent l’autoblanchiment, la jurisprudence l’ayant consacré a été citée ; ainsi, une torsion en appelle une autre.
De l’autoblanchiment. En décidant que tout dépôt est un placement, les juges appliquent la jurisprudence de 2004 consacrant l’autoblanchiment, jurisprudence considérée comme illogique (22). On la rappelle brièvement en précisant l’article L. 324-1 du Code pénal instituant le délit de blanchiment (23). L’alinéa 2 dudit article incrimine « le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion… ». C’est un non-sens que de parler du concours que l’on s’apporte à soi-même. Le juge judiciaire ne peut pas transformer un non-sens en rationalité judiciaire( 24). Ainsi, l’infraction de blanchiment est applicable à l’auteur de l’infraction qui lui a procuré les fonds illicites qu’il dépose sur un compte. Des pénalistes reprendront cette question. On comprend l’intérêt d’une infraction élargie, justement pour cela discutable, mais au cas d’espèce le blanchiment reproché était une troisième prévention ce qui montre la limite de l’élargissement.
Le système de régulation. Rédigé avec la nouvelle forme, l’arrêt de la Cour de cassation souligne sa motivation en pétition de principe. Ce qui était hier un attendu dense devient une série de phrases légères égrenées au flanqué d’un numéro. On voit net que le juge manque d’informer sur ce qu'est un placement alors que, par fonction, il doit posséder et expliciter la notion.
Le délit de blanchiment complète la régulation, vaste mouvement juridique de politique législative et institutionnelle. S’agissant de la monnaie et de placements, le juge judiciaire statue sur des réalités intéressant de multiples institutions. Un défaut de motivation pertinente vaut manque de dialogue avec les autorités monétaires, bancaires et financières, nationales et européennes. L’office du juge pénal doit se concilier avec le phénomène de régulation et compliance qui, depuis trente ans, sévit dans le secteur bancaire et financier.
Toutes ces autorités ont intérêt à connaître et comprendre la répression pénale qui garde son empire sans pouvoir à remplacer, en droit positif, la régulation. Elle est un mouvement juridique et vaut « droit de la régulation ». Le législateur l’a compris, sans désormais pouvoir contrer ce véritable quatrième pouvoir institutionnel (25). Il l’a lui-même mis en place avec vingt autorités indépendantes qui concentrent tous les pouvoirs possibles sous l’empire constitutionnel actuel – l’inverse de la séparation des pouvoirs (26).
L’intention législative. L’article 324-1 résulte de la loi n°96-392 du 13 mai 1996(27) : « Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect » dispose l’alinéa 1er. Selon son alinéa 2 : « Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. ». L’interprétation contextuelle des deux alinéas confirme ce qui est en cause : l’assistance qu’une personne apporte à l’auteur ce qu’attestent les mots « faciliter » et « apporter un concours ». Relever une intention législative aussi claire en est presque gênant. On peut pourtant enfoncer le clou. L’alinéa 2 se situe dans la suite (…) du premier alinéa, ce qu’atteste le mot « également ». Or l’alinéa 1er traite explicitement de faciliter la justification de l’origine de fonds « de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit ». L’infraction vise explicitement une facilitation en faveur « de l’auteur », l’un se distingue de l’autre ; on confirme le caractère abusif de l’autoblanchiment et on va plus loin. Le législateur a entendu créer une infraction générale, le rapport au Sénat de Paul Girod assoyant les débats parlementaires en dit le sens (28). Ce caractère général tient à l’indifférence du type d’infraction initiale ayant procuré le produit illicite (vol, escroquerie, trafics divers…), et non à l’indifférence des personnes visées (l’auteur de l’infraction ou celui apportant son concours à un placement, par exemple) (29).
Le virement. Le juge du droit indique encore qu'un virement est une opération de placement au sens de l’incrimination du délit de blanchiment. Si l’on parle de l'ordre de virement, lequel peut être nul ou invalide et n’aboutir à aucun déplacement de sommes, voilà que le placement imaginaire le devient encore plus (cela évoque la tentative, délit autonome, autre sujet). Si l’on parle de l’ordre exécuté, on en revient au dépôt. On comprend donc mal la mention du virement qui affaiblit une motivation déjà frêle, sauf à y voir une pulsion de troisième extension du délit de blanchiment. Pour le juriste, en l’état du droit positif, un virement ou ordre de virement se qualifie mieux en opération de paiement (dans toute l’Union européenne) qu’en placement. La discussion fait perdre l’idée de départ tant est éloignée l’intention législative que le juge voit probablement sous un aspect spécial.
Système financier. L’intention législative semble réapparaître, sans que le juge ne le dise – chose sans doute courante à la Cour de cassation (30). Avant d’énoncer sa solution, la chambre criminelle estime que « L'opération de placement consiste notamment à mettre en circulation dans le système financier des biens provenant de la commission d'un crime ou d'un délit. »
Ainsi, le juge du droit écrase la notion de placement par une réalité plus globale : introduire de l’argent sale dans les systèmes de paiement des établissements agréés. L’idée sera reprise dans la phrase décisive, précitée : la haute juridiction note qu’il s’agissait de faire « entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire ». L’expression floue de « circuit bancaire », utilisée cette fois, est en l’espèce neutre et vaut celle de « système bancaire ».
Cependant, cela indique l’intention du juge est de faire de l’incrimination une barrière à l’introduction d’argent illicite dans les comptes d’un établissement agréé parce qu’il y voit l’intention législative. Or la loi de 1996 porte cet objectif pour les assistants, ceux qui facilitent… Car la barrière pour les dépôts est ailleurs, ex-ante ; les établissements agréés ont toute une organisation pour refuser de tels dépôts, les signaler ou les bloquer ; le tout est régi par cent articles ! Le juge pénal ne voudrait-il pas redorer son blason, consciemment ou pas, lui qui sent que ce que nous appelons le « pouvoir de régulation », le quatrième pouvoir, tient la corde ?
Le piège téléologique. Précisons que l’argument téléologique (31) qui inspire ici la cour, à savoir juger en considérant le but de la loi, n’est pas opportun en droit pénal. Il est de nature à heurter le principe d’interprétation stricte qui garantit la prévisibilité de la règle pénale et assure le respect du principe de la légalité. Il porte purement et simplement atteinte aux droits et libertés fondamentaux.
En visant le « circuit bancaire » ou le « système financier », le juge transforme l’objectif de la loi qui résulte de ses termes : incriminer ceux qui (entre autres dans les banques) vont assister et faciliter le placement. Le fait de l’entrée de la somme dans un bien ne figure pas dans la loi en tant qu’élément matériel. Le « circuit bancaire » ou le « système financier » devient la chose à ne pas pénétrer… C’est vrai dans une analyse globale, de régulation et de compliance, ou sur un plan pédagogique, pour une compréhension contextuelle de la définition (stricte) de l’infraction. C’est faux en droit positif. L’incrimination n’indique pas « quiconque (…) aura, d’une manière ou d’une autre, par un moyen de droit ou de fait, introduit de l’argent consistant dans un produit illicite, dans le système bancaire ». Si tel était le cas, la motivation de l’arrêt du 18 mars 2020 conviendrait.
Un dernier point. La Chambre criminelle considère peut-être le placement comme un fait juridique, non un acte juridique. Que l’incrimination porte sur « l’opération de placement » suggère plutôt une opération valant acte juridique. Il n’y a pas de motivation en ce sens ; elle aurait pu être : « l’opération de placement doit s’entendre non de l’acte juridique mais du fait pratique consistant à introduire des sommes dans le circuit bancaire ». Ce dernier point cherche un peu en vain à comprendre la décision. Si le juge le pensait, il pouvait aisément l’exprimer. Voilà qui aurait affiché la mise à l’écart d’une notion juridique précise pensons-nous – notre cher placement. N’était-ce pas alors une autre façon de malmener le principe d’interprétation stricte de la loi répressive alors que la prévisibilité (32) de ce type de lois interroge ?
Le type d’argument. Le terme « placement » est bien l’essentiel de la question posée par la poursuite pénale et l’arrêt discuté. Il exige de développer l’argument psychologique, technique d’interprétation qui « consiste dans la recherche de la volonté du législateur » (33). C’est ce que nous avons fait en essayant de comprendre le terme sous pas moins de dix aspects (34). Laissons dire aux processualistes et pénalistes avertis comment, demain, entraver l’extension d’un délit en exigeant du juge un raisonnement juridique – id est une motivation.
Du droit pénal des affaires. L’université affectionne l’idée d’un droit pénal des affaires dont divers ouvrages sont une grâce. Ils peuvent souligner le droit économique voire même le droit de l’argent dans une unité que le droit commercial néglige un peu (35). Car, pas plus que le « droit bancaire » ou le « droit financier » d’autres ne prennent bien en charge le placement – sinon en activité de PSI, on l’a dit (36). Ainsi, le monde de l’argent démontre que quatre ou cinq matières qui en traitent traduisent mal le Code monétaire et financier où s’ancre la notion de placement. La doctrine ou le juge peut alors la négliger.
Le placement ne se comprend que si l’on passe aisément des activités bancaires aux activités d’investissements, des activités monétaires aux activités de paiement, des activités de titrisation aux activités d’émissions, des activités de financement aux offres publiques, etc. Comme d’autres notions (ou mécanismes ou règles), le « placement » démontre le besoin d’unité d’une matière – rationalisation qui ne sera pas miraculeuse mais qui sera un progrès, ou une amélioration. Le droit pénal fait réfléchir à la chose. Il est une manière d’appréhender la finance (37).
Voilà où la matière juridique doit puiser son unité, alors même que la codification y invite : dans les faits, dans la réalité sociale, dans ce vaste phénomène que l’on appelle unanimement, « la finance ». Par nature, elle couvre toutes les autres activités économiques, publiques ou privées, et l’idée même d’un « droit bancaire et financier » la traduit insuffisamment. Seule peut désormais le faire, dans l’intérêt de l’appréhension du code monétaire et financier, des juristes et de la Justice, l’idée d’un « Droit de la finance » (38).
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(1) A peine connaît-il, image naïve et fugace, les économies dont il est question dans les dispositions relatives aux régimes matrimoniaux.
(2) Droit bancaire et financier, Mare & Martin, 2016, p. 23, n° 6-1 : « La puissante intermédiation bancaire de l’après-guerre vit les banques concentrer les financements de la reconstruction, d’où allait être tiré le droit bancaire. Christian Gavalda et Jean Stoufflet publient ainsi, en 1970, un ouvrage « Droit de la banque » (éd. PUF) qui deviendra « Droit bancaire », suivi juste après du « Droit bancaire » de René Rodière et Jean-Louis Rives-Lange (chez Dalloz).
(3) Droit bancaire et financier, préc., p. 42 , n° 32 et par exemple : p. 413, n° 798. Pour un cas précis où l’on souligne la qualification de crédit en un service : La prescription des actions du professionnel dans les crédits immobiliers à un consommateur, La Lettre juridique Lexbase, 10 mars 2016, n° 646 et Hebdo édition affaires n°457, 10 mars 2016, N° LXB : N1673BWU.
(4) Les recherches sur l’investissement ne cadrent pas avec celle de l’épargnant effectuant un placement (J. Ledan, L’investisseur en droit privé et droit fiscal français, PUAM, préf. H. Causse, avant-propos D. Tricot, 2009 ; G. Grundeller, L’investissement, Presses Université Aix-Marseille, 2017, préf. J. Mestre, l’auteur élargit l’investissement ; sous l’influence du droit des services d’investissement : A. Tehrani, Les investisseurs protégés en droit financier, Lexisnexis, 2015, Préf. Th. Bonneau.
(5) A. Tehrani et autres, préc. ; Le concept d’investissement, Bruylant, 2011, dir H. Causse et M. Sinkondo.
(6) Cette phrase n’est donc pas écrite sans mesurer l’espace linguistique sur lequel elle ouvre. Dans un prochain ouvrage, une réflexion libre sur l’intelligence artificielle et le droit, on note le jeu de mots qui font des complexes, des groupes de mots, au sens d’organisation ou de système. Camillo José Cela, au faîte de sa majestueuse carrière, couronnée du Prix Nobel de littérature en 1989, rappelle de façon accusée la distinction opposant, dans le Cratyle de Platon, le langage naturel de Cratyle au langage de Hermogène, artificiel. Cet expert de la pensée, de l’écriture, de l’écriture littéraire et de la nature humaine use d’un groupe de mots, aux liens mystérieux, pour désigner ce qui semble bien être la liberté de l’humanité. « Vérité, pensée, liberté et fable sont ainsi liées dans une relation difficile » : Tous les discours de réception des prix Nobel de littérature, Flammarion, prés. Eglal Errera, 2013, p. 404. Les groupes de mots existent qui sont plus que des additions ! Ajoutons que l’exergue de Victor Henry, fameux linguiste et penseur, a été reprise de ce discours de Camillo José Cela – emprunt sûr !
(7) Droit bancaire et financier, Mare & Martin, 2016, p. 446, n° 864 (« L’idée de placement de cette épargne réglementée et administrée (A) se retrouve dans des comptes purement conventionnels, commerciaux, concoctés par certains banquiers (B) », et p. 128, n° 212 où l’on suggère de distinguer l’investisseur et l’épargnant ; dans cette perspective, le contrat de capitalisation permis aux entreprises d’assurances serait un moyen d’épargne, car sans risque, pouvant être qualifié de placement.
(8) Un autre arrêt du même jour intéresse aussi le délit de blanchiment (Crim. 18 mars 2020, n° 18-86.491) ; au terme de la décision, le transfert de fonds, sans qu’ait été respectée l’obligation déclarative résultant des articles 464 du code des douanes et L. 152-1 du code monétaire et financier, doit être considéré comme une opération de dissimulation au sens de l’article 324-1 du code pénal.
(9) Nous ne pensons pas que cette précision était utile à la décision ; une vérification pourrait être faire en examinant les moyens du pourvoi, que nous n’avons pas pu consulter, pas plus que l’arrêt d’appel (nous ne les avons pas en ligne au moment de la rédaction de cette étude. Il y a peut-être, dans les faits, une justification sur cette référence au virement. L’arrêt est toutefois édifiant quant aux critiques de principe ici développées.
(10) La notion de dépôt bancaire est quasiment une tradition en mettant en cause une opération au régime juridique très spécifique : Droit bancaire et financier, 2016, p. 438, n° 844. Mais qu’importe ici – devant le juge pénal – quinze arrêts de principe déterminant le dépôt bancaire que l’usage n’appelle pas placement – réserve faite de ce qui suit.
(11) Sur les dernières réflexions sur le langage juridique : A. Sériaux, Le droit comme langage juridique, LexisNexis, 2020.
(12) On en arrive à retrouver la blockchain au cœur de tous les ouvrages et études de droit bancaire quand la monnaie l’a si peu été. Le droit bancaire oublie parfois la monnaie, mais désormais pas la blockchain ?! Ainsi, l’expression – des mots – « instrument monétaire » peut ne pas être étudiée quand sera omniprésent le token ou jeton de blockchain – pourtant si rare en 2020.
(13) On consultera par exemple le Larousse encyclopédique (1994, t. II) qui demeure léger mais en faveur de notre discours ; dans son troisième sens : « Action de placer de l’argent ; capital ainsi placé, investissement ». Le Littré en troisième sens nous rapproche du sens usuel actuel (celui de 1996, date d’adoption de la loi qui institua le délit de blanchiment) : « Action de placer de l'argent. Il a fait un bon placement. Argent placé. Son placement lui est rentré. ». Ce sens est ailleurs renforcé : O. Coispeau, Dictionnaire de la bourse et des termes financiers, Séfi, 2001, p. 365 : « Investissement ayant pour objectif la valorisation du capital investi… ». Les autres expressions désignent la technique du placement par un professionnel (placement garantie, placement privé, placement domestique ou international).
(14) Code pénal, « article 324-1. Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. »
(15) Le blanchiment au 1er trimestre 2020 : l’extension continue du domaine de la lutte, Lexbase, N3677BYT,
par M. Mayel et É. Morain : « L’opération de placement est donc en soit constitutive de l’infraction à condition qu’elle s’effectue sur un compte appartenant à un tiers, ou sur un compte dissimulé aux autorités, de façon à rendre opaque l’origine des fonds avant de les réintégrer dans le circuit de l’économie légale.
Ici les juges, soutenus par la Haute cour, caractérisent l’opération de blanchiment pour le seul placement des fonds sur le propre compte bancaire de l’auteur de l’infraction préalable, sans aucune dissimulation de leur origine et sans réintégration.
Sans blanchiment donc. »
(16) Autre angle de critique, sujet titanesque au-delà de nos forces, celui de la faveur de la doctrine pour un droit commercial et des affaires : une sorte de doctrine majoritaire sans doctrine mais qui dit mal le droit économique et les autres branches commerciales, dont le droit de l’argent, le droit de la finance.
(17) Art. L. 321-1, CMF : « 6-2. Le placement garanti ; 7. Le placement non garanti ; ». Une référence parmi vingt autres possibles : J. Lasserre-Capdeville, M. Mignot, J.-P. Kovar et N. Éréseo, Droit bancaire, 2019, p. 1274, n° 2777 et s.
(18) Que pour des raisons de sophistication des règles on considère désormais et généralement comme un investissement.
(19) On verra les opérations, dites de placement, visées par les personnes devant, du fait ce cette activité, se soumettre au régime professionnel des intermédiaires en biens divers (CMF, art. L. 551-3).
(20) Dans « Les circuits financiers » (Dalloz, 1989), le Professeur Lehmann traite aussi des placements à vue, ce qui semble viser des dépôts assez classiques, mais à l’époque le compte de dépôt rémunéré n’était pas légal. Enfin, pour un emploi qui fait douter de la notion de placements, la plupart des emplois évoque du placement visant à une rentabilité, ce qui éloigne la notion du seul dépôt juridique.
(21) Les récents dépôts structurés reconnus par l’ordonnance n° 2016-827du 26 juin 2016 constituent également un type de convention spéciale (CMF, art. L. 312-22 et s.). C’est un dépôt intégralement remboursable à l’échéance (ce qui sous-entend qu’il est à terme) assorti d’un intérêt ou d’une prime déterminés selon une formule faisant intervenir des facteurs divers. Ils peuvent être constitués par : « 1° Un indice ou une combinaison d’indices, à l’exclusion des dépôts à taux variables dont la rentabilité est directement liée à l’évolution d’un indice de taux d’intérêt ; 2° Un instrument financier, une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ou une combinaison de ces instruments financiers ou unités ; 3° Une matière première ou une combinaison de matières premières ou d’autres actifs physiques ou non physiques qui ne sont pas fongibles ; 4° Un taux de change ou une combinaison de taux de change. »
Ainsi, ces dépôts peuvent rapporter de l’argent au client, ou lui en coûter…, en conjuguant l’opération bancaire la plus classique à l’ingénierie financière des marchés, ce qui est inédit.
(22) Des auteurs le disent en comparant l’infraction de blanchiment au recel (A. Lepage, P. Maistre du Chambon et R. Salomon, Droit pénal spécial, 2010, p. 145, n° 412) ; or, ici, on peut blanchir le fruit de son trafic. Sur cette jurisprudence : Crim. 14 janv. 2004, n° 03-81165 : Bull. n° 12. Ainsi, cette infraction de blanchiment est applicable à l’auteur d’une infraction qu’il a lui-même commise et qui lui a procuré les fonds illicites. Ces auteurs appellent l’infraction commise dans ce contexte « autoblanchiment » (n° 419). L’arrêt de 2004 est une pure pétition de principe que le premier attendu, de principe, formule sans le moindre mot de motivation :
« Vu l'article 324-1, alinéa 2, du Code pénal ; Attendu que ce texte est applicable à l'auteur du blanchiment du produit d'une infraction qu'il a lui-même commise ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M'Hamed X... est poursuivi pour avoir apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect des délits de travail clandestin et fraude fiscale ; Attendu que, pour le relaxer, la cour d'appel énonce que l'auteur principal d'une infraction ne peut être poursuivi pour blanchiment des sommes produites par sa propre activité illicite et qu'en l'espèce il n'est pas établi que les fonds proviennent d'infractions commises par d'autres personnes ; Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ; D'où il suit que la cassation est encourue… »
(23) Article 324-1. Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.
(24) L’auteur de l’infraction initiale est puni par celle-ci ; instituer le délit d’autoblanchiment revient à ignorer l’argument du caractère complet du système juridique, le juge étant illégitime pour le compléter. Ainsi, le juge chargé des libertés individuelles confond l’être et le geste pour autrui. La formation juridique doit manifestement être complétée par une formation philosophique.
(25) Loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Cette loi a amendé les dispositions de diverses institutions de régulation sans en changer véritablement le fonctionnement, ni en donner une vue d’ensemble pour traiter de l’inter-régulation.
(26) Voyez nos considérations : La lettre de l'AFGE n° 43. Ou ici : https://www.hervecausse.info/Le-pouvoir-de-regulation-in-La-lettre-de-l-AFGE-n-43-PJ_a1173.html
(27) Art. 1er, de ladite loi : J.O., 14 mai 1996 – le délit n’a pas été institué par une ordonnance de 2000 comme pourrait le laisser penser la lecture rapide du Code pénal sur le site Légifrance.
(28) http://www.senat.fr/rap/l95-018/l95-0184.html#toc5
(29) Mettre l’infraction à l’envers a une conséquence presque amusante. Pour les cas de « placement », la banque, qu’on imaginait en auteur principal de l’infraction, car elle assiste ou apporte son concours, semble par contrecoup perdre ce rôle (mais il est vrai qu’on se place dans une logique élémentaire dont le juge peut se départir – jusqu’à quand ?). Si, en effet, le délinquant qui, par exemple, dépose en banque son chiffre d’affaires de « dealer » est l’auteur, la banque est alors plutôt et seulement un complice ?
(30) Cass. 1re civ., 10 mai 1960, Bull. n° 250, en l’espèce évoquée en « hypothétique intention législative » car le texte est clair et qu’elle est inutile.
(31) Ch. Perelman, Logique juridique, Nouvelle rhétorique, Dalloz, 1979, p. 58, n° 33.
(32) Revue Droit & Affaires, Dossier la prévisibilité, Association Droit & Affaires, 2017 : avec notre contribution « La prévisibilité des sanctions, libre survol », p. 54.
(33) Ch. Perelman, Logique juridique, p. 58, n° 33.
(34) En revanche et finalement, l’argument a coherentia ne peut pas jouer en effet, le législateur aurait pu (comme c’est fait) incriminer l’assistance en un blanchiment et, en outre, la réalisation du placement ou conversion par l’auteur initial (et d’aucuns penseront à quoi bon puisque le juge a fait l’incrimination ?). Utiliser cet argument de cohérence revient à invoquer l’évidence, à savoir qu’une infraction (d’autoblanchiment) a été fabriquée pour l’auteur qui dispose de produits illicites. Sur cet argument : Ch. Perelman, Logique juridique, p. 57, n° 33.
(35) Wilfrid Jeandidier, Droit pénal des affaires, Dalloz, 2013.
(36) Voyez encore et par exemple : A.-D. Merville, Droit financier, Gualino, 2017, n° 254 et n° 618.
(37) H. Launais, Y. de La Villeguérin et L. Acarias, Droit pénal financier, Dalloz, 1947. L’ouvrage contient pour moitié les textes normatifs utiles, on trouve par exemple l’ordonnance du 19 octobre 1945 portant statut de la mutualité dont l’article 20 et 21 prévoient les placements autorisés (p. 429).
(38) Ce souci de l’unité du fait monétaire et financier est une conviction profonde qui, dans un premier temps, pouvait selon nous s’appuyer sur l’idée de « droit financier » (H. Causse, Pour un droit financier, L’Agefi 23 février 2000) puis sur l’idée d’un droit bancaire et financier (voir l’ouvrage précité). Cette expression de « droit de la finance » est une innovation qui est une chance que la matière doit saisir.
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Ed. Université de Toulouse
Le placement, technique à la botte de l’infraction de blanchiment, À l’ombre du « Droit de la finance »
Hervé CAUSSE,
Professeur des universités à l’École de Droit,
Université Clermont Auvergne, CMH EA 4232
L'homme peut donner un nom aux choses mais pas le leur ôter.
Victor Henry
Des mots et d’une matière. Les mots et expressions d’une matière signent son identité : ses traits, ses manques, ses originalités, parfois son retard sur les réalités. Les intitulés des matières n’échappent pas à la loi des langues. La langue juridique dit l’identité, les qualités et difficultés d’une matière juridique. Pourtant, l’époque (juridique) est peut-être au reflux de l’intérêt prêté au langage juridique, aux mots et de proche en proche, là est le problème, aux notions et concepts. On cède à l’ingénierie juridique jusqu’à s’y perdre (l’exception de l’exception de l’exception…), ingénierie dont les châteaux sont faits de cartes légères et non de concepts en forme de briques solides, lourdes et bien taillées. Des mots d’une matière juridique aux mots de l’alinéa de la loi, le chemin est parfois court. Un exemple pris de l’actualité peut le démontrer. Si la vie des particuliers et des familles exige des placements, en vue d’épargne et investissements, la notion est pourtant inconnue du Code civil (1). Le droit civil ne profite pas toujours des nouveautés des matières spéciales.
D’une matière. Depuis le début des années 1970, l’affichage du « Droit bancaire » demeure pour les ouvrages ou chroniques. Nous avons rendu hommage aux auteurs de manuels portant cette expression qui inventèrent la matière (2). Le meilleur hommage ne consiste cependant pas à perpétuer mais à continuer à construire. Ce choix méthodologique et de fond (distinction solide ?) axé sur l’idée « bancaire » perdure. Il continue de laisser de côté des mots et expressions initialement oubliés, parfois des sections nouvelles de codes ou de lois. On nous lira ailleurs sur la composition du droit bancaire (une dizaine de services européens : la matière ne repose plus sur les divers contrats, sur le contrat…) (3). Le jeu de cette matière juridique se note à partir d’un seul terme. Une recherche rapide des thèses soutenues ne semble pas indiquer une recherche juridique sur le placement – ni sur l’épargne (4). Si tout citoyen pense (entre autres) à la banque pour réaliser des placements, les ouvrages de droit bancaire ne comportent pas le mot en index, ni en section (sauf les précisions ultérieures). En somme, le placement est un détail.
Un complexe de mots. Après avoir longtemps travaillé la notion d’investisseur, avec de nombreux auteurs (5), on confirme que le placement se voit mal. L’investissement, que renforce l’investisseur, et vice-versa, est plus visible – et dans ce jeu de mots où un mot renforce l’autre, on pense à Camillo José Cela (6). L’ombre du consommateur aura paradoxalement permis quelques coups de projecteurs sur l’investisseur – et donc sur l’investissement. La notion, la technique et l’opération de placement n’ont pas bénéficié de la même attention. Peut-être parce qu’on considère – sans le dire ? – que l’investissement est un placement – et vice-versa. Cette vue ne tient pas car il est un des services bancaires et non d’investissement : ainsi le placement ne figure pas sur l’étagère très fournie des notions inutiles. En somme, l’investisseur a l’investissement, le consommateur a la consommation ; le placement n’a au mieux que l’épargnant, un illustre inconnu. Esquissant le fameux « placement », nous avons pensé (à suivre le législateur) qu’il correspondait à l’épargne, à savoir une mise à l’abri d’argent rémunératrice mais sans risque (7).
Un mot, le juge, un arrêt. Pris dans un maelström de milliers d’affaires aux demandes approximativement calibrées, spécialement quand il s’agit de droit de l’argent, le juge réplique les défauts de l’école. Si la doctrine ignore ou tait le placement, opération économique trop évidente, il ne faut pas compter sur le juge pour le faire. Et si, d’aventure, le concept est proposé ailleurs que dans la pureté civile ou l’impureté commerciale (bancaire), la justice est alors promise à un pur aléa.
Le placement peut alors n’être rien pour être tout. Ainsi vient-il d’être jugé, en matière pénale, que "... l'opération de dépôt ou de virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte, y compris s'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine, qui conduit à faire entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire, constitue une opération de placement caractérisant le délit de blanchiment." (Crim., 18 mars 2020, n° 18-85542, publié : « PBRI ») (8).
Cette position, selon laquelle un dépôt vaut placement, mérite une discussion générale, sans prétendre établir la notion de placement – voilà qui pourrait inspirer des études approfondies. En souligner les traits sera déjà édifiant. On effleurera la question du virement, également vu comme un placement : cela pousserait trop loin et dont l’emploi est a fortiori étonnant (9).
Le mot d’un code. Le terme « placement » est essentiel dans la législation financière : dans le Code monétaire et financier (on passe coupablement sur le domaine fiscal). Un simple arrêt ne peut pas, à notre sens, ramener le placement, à une autre notion légale non moins essentielle du même code, le dépôt. En vérité, il faudrait dire « dépôt bancaire » car ce dernier a des caractéristiques juridiques très spéciales (10). Certes, et après tout, le droit pénal est un domaine spécial, et on pourrait considérer le fait indifférent… l’indifférence permet probablement de statuer ainsi. Cependant, la langue naturelle qui définit le mot placement est pourtant l’instrument de la législation pénale(11). A ce titre, préserver le sens du mot vaut garantie du citoyen.
Cette structure logique élémentaire, et donc fondamentale, dépasse le droit positif exprimé dans un milliard de lignes de lois. On le dit peu car cela ne s’exprime pas dans une philosophie juridique utile. La philosophie du droit traditionnelle, dans son altière position, ne prend en charge que des questions très théoriques. Il faudrait qu’une philosophie juridique opère de façon intermédiaire. Elle rappellerait au juriste que tordre la langue naturelle, confortée et source d’une attente légitime, porte atteinte aux droits de l’homme.
Sans aller aussi loin, on cheminera en tentant de prendre un peu de hauteur, à partir du mot placement, pour mettre en jeu les codes et matières en question. Le jeu de deux législations – droit pénal / « droit bancaire » - doit opérer à égalité tenant à la même source : la même loi de la même République… sauf si on laisse se déployer l’indifférence.
L’axiome des matières. L’idée de matière ou de discipline est constitutive de celle même du droit – la science juridique est elle-même une discipline parmi d’autres. L’analyse juridique en abuse parfois quand il est estimé, derechef, que ceci ou cela n’est pas valable dans telle matière – en droit fiscal, en droit commercial, etc. Le droit français connaît au principal les dispositions légales ; ce sont elles que l’on applique, le cas échéant en les conciliant entre-elles.
Ainsi, les matières sont faites de frontières poreuses. Flexibles. Sinueuses. Néanmoins l’idée de matière a, depuis trente ans, été confortée par de nombreuses codifications – toutes n’ont certes pas la même valeur.
On devrait en convaincre le dédicataire de ces lignes qui a œuvré en droit privé (une discipline), en droit commercial (une spécialité) et sur ses branches (dont le droit des sociétés). Pour une autre, à savoir ce qui était le droit de la faillite, il a su passer à une version moderne de la matière. L’ouvrage Droit des entreprises en difficulté, que le professeur Deen Gibirila a publié chez Defrénois, en 2009, en témoigne. L’ancienne appellation de faillite, même entendue lato sensu car assise sur la cessation des paiements, était une chose. L’idée des « entreprises en difficulté », plus accueillante, en est une autre. Elle propose des notions et champs nouveaux, des mots.
La langue et le droit. A son échelle, le mot « placement », mot employé par de multiples lois et l’arrêt précité, ouvre sur des terres peu parcourues qu’il n’est pas exagéré d’appeler la finance (quelques commodités tendent à l’enfermer dans un droit des marchés). Voilà qui pose, pourrait-on dire, la question de l’essentialisme du droit que le juge voudrait ignorer pour un existentialisme juridique à sa seule main. Le droit est une science du langage et de la langue. Le juge doit la respecter ; à défaut, il renie la fonction qui lui a été confiée justement en considération des principes de cette science ! Sa fonction elle-même, a été conçue au vu de cette science juridique. Dans un système démocratique, le non-respect de cette science juridique atteint mécaniquement la démocratie.
Précisons les charmes du Droit. S’ils font qu’on le situe dans les sciences sociales, il peut illustrer les sciences humaines et s’y s’acclimater : pour l’humain qu’il protège, la langue qu’il manie en pure linguistique, pour l’écriture plus ou moins littéraire qu’il requiert ; Gérard Cornu le rappelle dans son ouvrage Linguistique juridique, « La poésie et le droit entretiennent des liens étroits » – l’océan des adages.
Le propos sur la langue et les matières, loin de la coquetterie intellectuelle, est une condition opérationnelle d’application de la règle. Il discute une condition préalable de toute connaissance juridique et de ses compartiments désignés par des mots. Le plus brillant esprit scientifique du XVIIIe siècle, François Lavoisier, avait explicité le lien irréductible entre langue et science. La question déborde la science juridique – le juriste doit se soucier d’épistémologie. C’est cependant l’abbé Condillac qui sut le mieux dire (encore la langue et les mots !) ce qu’il y avait à dire. Il proclama, que « Toute science est une langue bien faite » : pour sa gloire éternelle et peut-être aussi pour que l’on en retienne l’idée.
Du droit bancaire et financier. La science juridique, et le Droit avec, entendons sa pratique, doivent vérifier périodiquement les cadres dans lesquels ils opèrent. Ces cadres pèsent sur les mots : ils courbent le verbe. Pour le droit de l’argent, disons comme cela à titre provisoire, la vérification du domaine s’impose et l’emploi indifférent du mot « placement » témoigne la difficulté, renouvelée, de saisir le domaine de l’économie.
On ne précise guère ce qu’est le droit bancaire, le droit financier, parfois le droit du crédit (?), le droit des instruments de paiement (qui succéda à l’illustre et séculaire « Droit des effets de commerce » qui mourut dans les années 1990). L’effort n’est pas plus net pour le droit des marchés financiers ou le droit de la monnaie(12). Il y a des thèmes et des mots qui valent à tort évidence, la science n’est parfois qu’une convention grossière sur un domaine et quelques méthodes… or le terme « placement » opère dans tous ces domaines faits de cadres indécis ! Considérer généralement une matière conduit à examiner ses mots, et vice-versa dès lors que la réflexion est un peu sérieuse. Selon nous, rester sur l’idée du droit bancaire aide à rater le terme placement, et d’autres.
Du tout et de l’un. Seule la considération d’un ensemble, celui du code monétaire et financier, celui du droit monétaire et financier, permet de réviser les vues de la matière. Pour composer, on a pu penser l’appeler « droit bancaire et financier », expression pourtant probablement dépassée.
La matière juridique pertinente sort de la loi et du code, lequel divise par son intitulé la monnaie et la finance… La matière, au plan pédagogique et scientifique, doit en être extirpée avec assez d’unité pour ne pas délaisser des notions, mécanismes ou règles majeures. On peut penser que tel a été le cas et le mot placement l’indique.
Comment Thaller peut-il expliquer dans son éternel Traité de droit commercial, en 1904 (p. 470, n° 921), que la bourse au comptant est l’occasion de faire des « opérations de placements » et que l’idée partout propagée pendant des décennies se dissipe en science juridique ? Alors surtout que le terme hante le Code monétaire et financier ? Mal considérer le « tout » fait à l’occasion perdre « l’un ».
Un mot, un fait. Négliger les mots de la loi reflétant la vie revient à négliger les faits sociaux et économiques. Le juge tranche alors les litiges en étant fort éloigné de la vie. Dans ces circonstances, les outils technologiques pourraient offrir des garanties que les biais actuels du juge n’assurent pas. L’analyse des mots de la loi restituera parfois le fait, la vie sociale, les faits. Ce sont ces travers que souligneront les systèmes d’intelligence artificielle qui, quoique biaisés, les seront moins que les esprits juridiques suivant des habitudes ancestrales jamais revues… Quand ces systèmes d’IA repèreront la place éminente des mots dans les lois et codes, ils les mettront en tête de chapitres qui restitueront ainsi le droit positif. Si, dans une affaire, un placement semble constituer un délit de blanchiment, il faut relever la richesse et les nuances de la notion de placement. Le juge n’est pas fondé à la réduire, sans un mot de motivation, à un dépôt bancaire.
Un placement, un blanchiment. Aujourd’hui, le juriste peut encore négliger le mot « placement » quoique reçu dans la langue française et financière comme étant un acte d’épargne ou d’investissement (13). L’occasion en a été donnée à la chambre criminelle de la Cour de cassation en jugeant du délit de blanchiment. Il peut être commis en effectuant une « opération de placement »(14), soit un placement. Répétons la phrase cruciale du juge : "... l'opération de dépôt ou de virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte, y compris s'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine, qui conduit à faire entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire, constitue une opération de placement caractérisant le délit de blanchiment." (Crim., 18 mars 2020, préc.). L’occasion d’une réflexion générale sur le placement est donnée.
Le sens d’un mot. Le dépôt et le virement sont, en vertu de cette décision, des placements. Voilà qui élargit le délit de blanchiment. La solution écarte sans mot dire l’interprétation stricte de la loi pénale. L’interprétation large de la loi est du reste double – avec outre le dépôt le virement. L’arrêt est condamnable à la seule lecture du Vocabulaire juridique de Gérard Cornu et de l’Association Henri Capitant (PUF, Quadrige, 2014, p. 766, V° Placement ; adde : p. 767, V° Placer). « Opération consistant à employer de l’argent pour l’acquisition d’un bien dont on espère qu’il prendra de la valeur » et, par extension, le placement est aussi « le bien acquis ». Un dépôt en banque n’est pas une acquisition mais, en quelque sorte, l’inverse. Il n’y a pas de « placement » avec un (simple) dépôt. Des praticiens ont relevé l’étonnant de cette décision. Sans expliciter la notion de placement, ils voient la difficulté et ont ainsi pu dire qu’il y avait délit pénal de blanchiment sans blanchiment (15).
Des mots économiques. La notion, technique ou opération de placement n’a pas bénéficié de la même attention, on le disait, que celle de l’investissement et de l’investisseur. Le droit économique est fondamentalement en échec, culturellement avorté. Gérard Farjat en avait esquissé une vue qui eût un succès relatif tant elle était pénétrante pour mordre, outre les frontières disciplinaires, notamment sur l’économie et le droit public. Cela indique et implique le dédain des notions économiques – attitude schizophrénique quand toute la société se morfond pour « l’économique »(16). Ignorer une matière conduit à ignorer ses mots, ses concepts. Une hésitation linguistique juridique, économique et commerciale a pu aider la Cour de cassation à négliger la notion de placement, la réalité économique et, hier, celle d’investissement (dans les années 1960-1990). La décision peut aussi tenir au choix de la Haute juridiction d’une politique répressive au détriment de la protection des libertés – quitte à aller au-delà de la loi. En tout cas, la Cour de cassation a publié à raison son arrêt du 18 mars 2020 à son Bulletin tant la décision ajoute au texte d’incrimination.
Le placement, une activité. Détaillons le mot placement mal considéré dans cette question de blanchiment. Il est une notion traditionnelle de droit commercial – du feu « droit boursier » et, désormais, une notion cardinale du droit des services d’investissement. Le placement est l’une des activités des prestataires de services d’investissement (PSI) imposant d’obtenir un agrément leur conférant, justement, cette qualité de « PSI ». Le placement consiste alors, pour un émetteur de titres financiers (SA ou autres personnes, le cas échéant publiques), à confier au PSI la mission de placer les titres auprès de souscripteurs (dits clients, investisseurs, épargnants…). Paul Didier le disait dans son ouvrage « Droit commercial » (t. 3, 1999) en des mots agréables, sans le technolecte européen des services d’investissement : « Le placement des titres consiste dans la collecte des souscriptions. Cette collecte peut-être le fait de la société elle-même. Elle est le plus souvent prise en charge par des banques, des maisons de titres ou des sociétés de bourse, qui prospectent la clientèle de leurs guichets et de leurs services de titres… ». Le placement peut être garanti ou pas : ce qui existait continue d’exister (17).
Réversibilité. Le placement est une forme réversible. L’opération de placement montre un émetteur de titres financiers, un intermédiaire professionnel (PSI) et des souscripteurs (ou clients, investisseurs, épargnants). Le PSI facilite et concrétise l’émission des titres. Il fait le placement. Les souscripteurs aussi : ils font un placement ! L’idée d’une « opération » généralise au-delà du placeur professionnel ; la personne qui souscrit des titres financiers – vous et moi – fait aussi un placement (18). A preuve : sans cette personne le placement n’existerait pas ! Ce que fait la personne du public, c’est souscrire. Le placement, lui, est comme la vente ou le bail, doué de réversibilité : les deux parties le font. L’épargnant ou investisseur fait un placement autant que les PSI font des placements. Unique, l’opération a un sens double. Il n’est pas d’usage de parler de contrat de placement, sauf entre l’émetteur et le PSI. On a historiquement parlé de contrat de souscription (la forme chassait le fond, l’écrit chassait le negotium). La personne qui fait un placement est celle qui souscrit des titres financiers – ou d’autres instruments financiers, ou désormais des actifs numériques… Le concept se distingue d’un dépôt bancaire.
Un acronyme : OPCVM. Un autre aspect titanesque confirme le sens de ce terme. Depuis les années 1970 une politique en faveur des placements du public a donné lieu à l’adoption de diverses lois qui ont inventé et réformé les organismes de placement collectif (c’est le domaine de la « gestion collective », celui des « OPC » dont les « OPCVM »). C’est aujourd’hui une part importante du secteur financier dont l’intérêt dépasse les descriptions techniques infinies qu’on peut en faire.
Cette finance assez nouvelle dénie la classification économique, encore utilisée, qui oppose financements bancaires et financements de marchés. Ainsi, entre investissements et dépôts bancaires, les placements du public dans ces organismes sont devenus une part importante de l’industrie financière, une réalité économique importante pour les Français. Un morceau de choix du droit bancaire et financier – du droit de la finance ! Le choix du mot « placement » est fondé et important : désignant à la fois une technique, une activité, un service…
Ainsi, les « parts ou actions d’organismes de placement collectif » sont devenues une catégorie de titres financiers (CMF, art. L. 211-1, II). Ces organismes sont devenus un inédit et remarquable modèle d’entité, parfois sans personnalité morale (mais autorisé à émettre des titres négociables ; sur le fonds commun de placement, ordinaire ou immobilier, voir CMF, art. L. 211-2, II ; sont également institutionnalisés leurs initiateurs et gestionnaires : les sociétés de gestion de placements collectifs : CMF, art. L. 543-1, II). Le Code monétaire et financier utilise plus de deux mille fois le terme « placement ».
Emplois et remplois. La notion de placement a été confortée : employée et remployée. Parfois, elle se renforce dans un sens significatif (19). Ainsi avec l’idée de « placement financier » qui sert à assimiler à un titre financier de droit français les « instruments » émis sur le fondement d’un droit étranger (CMF, art. L. 211-41, II). D’un intérêt majeur, la règle fait du placement une opération qui ne peut pas être ramenée au simple dépôt. Ainsi encore, la mission de l’Autorité des marchés financiers dépasse les titres pour concerner « tous autres placements » (CMF, art. L. 621-1, II), ce qui ne suggère pas les dépôts bancaires ordinaires. L’AMF n’a pas de compétence en matière de dépôts bancaires (ceux faits au titre d’un service de paiement : on l’a dit, l’idée de droit bancaire succombe faces aux divers services européens). Ces derniers mots distinguent le placement en opération qui rapportera quelque chose au contractant, comme l’entendent les dictionnaires et le Vocabulaire juridique. Langue naturelle et langue juridique sont en harmonie.
L’ombre d’un doute. Toute évidence s’assombrit de la critique honnête. Le placement peut retrouver le dépôt : voilà l’ombre d’un doute. Sans ingénierie financière aucune, la seule idée de dépôt rémunéré pose question. Cependant, la Cour de cassation n’a pas évoqué, dans sa motivation, fruit d’une rédaction qui se veut moderne, claire et transparente, le fait que les dépôts sont un type de placements comme des lois ou pratiques peuvent le suggérer. Le ratio decidendi réside étonnement dans une pure et radicale assimilation du placement au dépôt. L’ombre du doute sera détaillée outre l’idée naïve (quoique constitutive) que donne le code civil du dépôt, loin de son ingénierie dont nous ne donnons qu’un aperçu.
L’ingénierie des dépôts. Le souci de clarté et d’exhaustivité conduit à rappeler trois réalités juridiques. Certaines confirment le doute et rapprochent le dépôt du placement (20). Mais l’identité et la singularité du placement progresse aussi.
En premier lieu, la loi a consacré des dépôts structurés pour distinguer d’importants dépôts de professionnels auprès des banques ; il s’agit alors de les exclure du bénéfice de la protection de l’argent déposé par le public sur un compte (et ce dans le désormais célèbre plafond de 100 000 €). Passons, c’est de la haute finance (21). Cela dit implicitement que le simple dépôt se distingue du dépôt qui vaut placement, notion plus élaborée !
En second lieu, les dépôts les plus classiques peuvent être rémunérés depuis quelques années et, depuis toujours, les dépôts à terme. Les seconds se distinguent par des techniques spéciales (compte bloqué, calcul complexe et conditionnel des intérêts, délais de restitution…) par lesquelles le dépôt devient un placement. Les premiers, les dépôts classiques, à vue se distinguent en revanche mal du placement (c’est à leur sujet que le juge européen avait condamné la jurisprudence du Conseil d’État validant l’interdiction de rémunérer les dépôts à vue). Si la proximité entre dépôts et placements existe, on voit que le second, plus élaboré, s’extirpe du premier.
L’épargne administrée confirme en troisième lieu cette proximité (on sait tous : Livret A, PEL, CEL, Livret jeune…). Le contexte juridique et fiscal est cependant encore très spécial. Ainsi, on a pu écrire, identifiant des « placements spéciaux d’épargne » et des « comptes de placements » – nos expressions – que ces comptes stimulent l’épargne et les placements : « Ils aident à faire des dépôts durables : loi et décret instaurent des avantages civils (bonification des intérêts rémunérateurs, intérêts diminués d’emprunt, droit à un prêt) et fiscaux (exonération d’impôt pour les intérêts produits). La gestion de ces comptes et placements requiert la collaboration du banquier. Ils se distinguent des comptes ordinaires voués aux services de paiement ; le dernier né est le livret d'épargne pour le permis de conduire (art. L. 221-34-2). » En synthèse, le placement est le mot qui vise parfois des dépôts, mais particuliers, ou d’autres contrats ou sinon des titres financiers (ou produits financiers dit-on), l’opération visant une rémunération.
Si riche placement. La Cour de cassation passe sous silence la complexité et la richesse du mot placement – et celle exactement visée par l’incrimination : « l’opération de placement ». Le juge oublie de considérer le législateur qui, pour identifier le blanchiment, emploie le mot « placement » dans son sens usuel. Il n’a pas voulu intégrer la plus complexe ingénierie contractuelle et légale qui révèle une relative proximité dépôt/placement et, ainsi, viser les simples dépôts. Du reste, si un juge demande à son banquier de lui proposer un placement, on se doute que le magistrat ferait une drôle de tête si on lui proposait de laisser son argent sur un compte de dépôt (dit courant). L’incrimination légale se fonde sur le mot placement que le sens commun saisit exactement, en cohérence avec les règles du droit de la finance.
Placement, dissimulation et conversion. Le placement que le législateur vise est une opération spéciale, non le dépôt ordinaire.
Le plus simple argument vaut encore. Si tel n’avait pas été le cas, il aurait ajouté le terme dépôt. C’est autrement que le terme « placement » élargit l’incrimination, en visant ce que l’on imagine être des opérations dans diverses affaires (de l’immobilier, du commerce, des biens divers…). La rédaction de l’alinéa 2 discuté le confirme : « Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. »
Le placement est mis au plan de la « dissimulation » ou de la « conversion » du produit de l’infraction. Le législateur n’était pas à viser le placement en tant que technique contractuelle de dépôt bancaire, mais bien en tant qu’opération à laquelle un tiers prête la main ; ce dispositif est tordu par le juge de cassation pour incriminer ce que les spécialistes de droit pénal appellent l’autoblanchiment, la jurisprudence l’ayant consacré a été citée ; ainsi, une torsion en appelle une autre.
De l’autoblanchiment. En décidant que tout dépôt est un placement, les juges appliquent la jurisprudence de 2004 consacrant l’autoblanchiment, jurisprudence considérée comme illogique (22). On la rappelle brièvement en précisant l’article L. 324-1 du Code pénal instituant le délit de blanchiment (23). L’alinéa 2 dudit article incrimine « le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion… ». C’est un non-sens que de parler du concours que l’on s’apporte à soi-même. Le juge judiciaire ne peut pas transformer un non-sens en rationalité judiciaire( 24). Ainsi, l’infraction de blanchiment est applicable à l’auteur de l’infraction qui lui a procuré les fonds illicites qu’il dépose sur un compte. Des pénalistes reprendront cette question. On comprend l’intérêt d’une infraction élargie, justement pour cela discutable, mais au cas d’espèce le blanchiment reproché était une troisième prévention ce qui montre la limite de l’élargissement.
Le système de régulation. Rédigé avec la nouvelle forme, l’arrêt de la Cour de cassation souligne sa motivation en pétition de principe. Ce qui était hier un attendu dense devient une série de phrases légères égrenées au flanqué d’un numéro. On voit net que le juge manque d’informer sur ce qu'est un placement alors que, par fonction, il doit posséder et expliciter la notion.
Le délit de blanchiment complète la régulation, vaste mouvement juridique de politique législative et institutionnelle. S’agissant de la monnaie et de placements, le juge judiciaire statue sur des réalités intéressant de multiples institutions. Un défaut de motivation pertinente vaut manque de dialogue avec les autorités monétaires, bancaires et financières, nationales et européennes. L’office du juge pénal doit se concilier avec le phénomène de régulation et compliance qui, depuis trente ans, sévit dans le secteur bancaire et financier.
Toutes ces autorités ont intérêt à connaître et comprendre la répression pénale qui garde son empire sans pouvoir à remplacer, en droit positif, la régulation. Elle est un mouvement juridique et vaut « droit de la régulation ». Le législateur l’a compris, sans désormais pouvoir contrer ce véritable quatrième pouvoir institutionnel (25). Il l’a lui-même mis en place avec vingt autorités indépendantes qui concentrent tous les pouvoirs possibles sous l’empire constitutionnel actuel – l’inverse de la séparation des pouvoirs (26).
L’intention législative. L’article 324-1 résulte de la loi n°96-392 du 13 mai 1996(27) : « Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect » dispose l’alinéa 1er. Selon son alinéa 2 : « Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. ». L’interprétation contextuelle des deux alinéas confirme ce qui est en cause : l’assistance qu’une personne apporte à l’auteur ce qu’attestent les mots « faciliter » et « apporter un concours ». Relever une intention législative aussi claire en est presque gênant. On peut pourtant enfoncer le clou. L’alinéa 2 se situe dans la suite (…) du premier alinéa, ce qu’atteste le mot « également ». Or l’alinéa 1er traite explicitement de faciliter la justification de l’origine de fonds « de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit ». L’infraction vise explicitement une facilitation en faveur « de l’auteur », l’un se distingue de l’autre ; on confirme le caractère abusif de l’autoblanchiment et on va plus loin. Le législateur a entendu créer une infraction générale, le rapport au Sénat de Paul Girod assoyant les débats parlementaires en dit le sens (28). Ce caractère général tient à l’indifférence du type d’infraction initiale ayant procuré le produit illicite (vol, escroquerie, trafics divers…), et non à l’indifférence des personnes visées (l’auteur de l’infraction ou celui apportant son concours à un placement, par exemple) (29).
Le virement. Le juge du droit indique encore qu'un virement est une opération de placement au sens de l’incrimination du délit de blanchiment. Si l’on parle de l'ordre de virement, lequel peut être nul ou invalide et n’aboutir à aucun déplacement de sommes, voilà que le placement imaginaire le devient encore plus (cela évoque la tentative, délit autonome, autre sujet). Si l’on parle de l’ordre exécuté, on en revient au dépôt. On comprend donc mal la mention du virement qui affaiblit une motivation déjà frêle, sauf à y voir une pulsion de troisième extension du délit de blanchiment. Pour le juriste, en l’état du droit positif, un virement ou ordre de virement se qualifie mieux en opération de paiement (dans toute l’Union européenne) qu’en placement. La discussion fait perdre l’idée de départ tant est éloignée l’intention législative que le juge voit probablement sous un aspect spécial.
Système financier. L’intention législative semble réapparaître, sans que le juge ne le dise – chose sans doute courante à la Cour de cassation (30). Avant d’énoncer sa solution, la chambre criminelle estime que « L'opération de placement consiste notamment à mettre en circulation dans le système financier des biens provenant de la commission d'un crime ou d'un délit. »
Ainsi, le juge du droit écrase la notion de placement par une réalité plus globale : introduire de l’argent sale dans les systèmes de paiement des établissements agréés. L’idée sera reprise dans la phrase décisive, précitée : la haute juridiction note qu’il s’agissait de faire « entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire ». L’expression floue de « circuit bancaire », utilisée cette fois, est en l’espèce neutre et vaut celle de « système bancaire ».
Cependant, cela indique l’intention du juge est de faire de l’incrimination une barrière à l’introduction d’argent illicite dans les comptes d’un établissement agréé parce qu’il y voit l’intention législative. Or la loi de 1996 porte cet objectif pour les assistants, ceux qui facilitent… Car la barrière pour les dépôts est ailleurs, ex-ante ; les établissements agréés ont toute une organisation pour refuser de tels dépôts, les signaler ou les bloquer ; le tout est régi par cent articles ! Le juge pénal ne voudrait-il pas redorer son blason, consciemment ou pas, lui qui sent que ce que nous appelons le « pouvoir de régulation », le quatrième pouvoir, tient la corde ?
Le piège téléologique. Précisons que l’argument téléologique (31) qui inspire ici la cour, à savoir juger en considérant le but de la loi, n’est pas opportun en droit pénal. Il est de nature à heurter le principe d’interprétation stricte qui garantit la prévisibilité de la règle pénale et assure le respect du principe de la légalité. Il porte purement et simplement atteinte aux droits et libertés fondamentaux.
En visant le « circuit bancaire » ou le « système financier », le juge transforme l’objectif de la loi qui résulte de ses termes : incriminer ceux qui (entre autres dans les banques) vont assister et faciliter le placement. Le fait de l’entrée de la somme dans un bien ne figure pas dans la loi en tant qu’élément matériel. Le « circuit bancaire » ou le « système financier » devient la chose à ne pas pénétrer… C’est vrai dans une analyse globale, de régulation et de compliance, ou sur un plan pédagogique, pour une compréhension contextuelle de la définition (stricte) de l’infraction. C’est faux en droit positif. L’incrimination n’indique pas « quiconque (…) aura, d’une manière ou d’une autre, par un moyen de droit ou de fait, introduit de l’argent consistant dans un produit illicite, dans le système bancaire ». Si tel était le cas, la motivation de l’arrêt du 18 mars 2020 conviendrait.
Un dernier point. La Chambre criminelle considère peut-être le placement comme un fait juridique, non un acte juridique. Que l’incrimination porte sur « l’opération de placement » suggère plutôt une opération valant acte juridique. Il n’y a pas de motivation en ce sens ; elle aurait pu être : « l’opération de placement doit s’entendre non de l’acte juridique mais du fait pratique consistant à introduire des sommes dans le circuit bancaire ». Ce dernier point cherche un peu en vain à comprendre la décision. Si le juge le pensait, il pouvait aisément l’exprimer. Voilà qui aurait affiché la mise à l’écart d’une notion juridique précise pensons-nous – notre cher placement. N’était-ce pas alors une autre façon de malmener le principe d’interprétation stricte de la loi répressive alors que la prévisibilité (32) de ce type de lois interroge ?
Le type d’argument. Le terme « placement » est bien l’essentiel de la question posée par la poursuite pénale et l’arrêt discuté. Il exige de développer l’argument psychologique, technique d’interprétation qui « consiste dans la recherche de la volonté du législateur » (33). C’est ce que nous avons fait en essayant de comprendre le terme sous pas moins de dix aspects (34). Laissons dire aux processualistes et pénalistes avertis comment, demain, entraver l’extension d’un délit en exigeant du juge un raisonnement juridique – id est une motivation.
Du droit pénal des affaires. L’université affectionne l’idée d’un droit pénal des affaires dont divers ouvrages sont une grâce. Ils peuvent souligner le droit économique voire même le droit de l’argent dans une unité que le droit commercial néglige un peu (35). Car, pas plus que le « droit bancaire » ou le « droit financier » d’autres ne prennent bien en charge le placement – sinon en activité de PSI, on l’a dit (36). Ainsi, le monde de l’argent démontre que quatre ou cinq matières qui en traitent traduisent mal le Code monétaire et financier où s’ancre la notion de placement. La doctrine ou le juge peut alors la négliger.
Le placement ne se comprend que si l’on passe aisément des activités bancaires aux activités d’investissements, des activités monétaires aux activités de paiement, des activités de titrisation aux activités d’émissions, des activités de financement aux offres publiques, etc. Comme d’autres notions (ou mécanismes ou règles), le « placement » démontre le besoin d’unité d’une matière – rationalisation qui ne sera pas miraculeuse mais qui sera un progrès, ou une amélioration. Le droit pénal fait réfléchir à la chose. Il est une manière d’appréhender la finance (37).
Voilà où la matière juridique doit puiser son unité, alors même que la codification y invite : dans les faits, dans la réalité sociale, dans ce vaste phénomène que l’on appelle unanimement, « la finance ». Par nature, elle couvre toutes les autres activités économiques, publiques ou privées, et l’idée même d’un « droit bancaire et financier » la traduit insuffisamment. Seule peut désormais le faire, dans l’intérêt de l’appréhension du code monétaire et financier, des juristes et de la Justice, l’idée d’un « Droit de la finance » (38).
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(1) A peine connaît-il, image naïve et fugace, les économies dont il est question dans les dispositions relatives aux régimes matrimoniaux.
(2) Droit bancaire et financier, Mare & Martin, 2016, p. 23, n° 6-1 : « La puissante intermédiation bancaire de l’après-guerre vit les banques concentrer les financements de la reconstruction, d’où allait être tiré le droit bancaire. Christian Gavalda et Jean Stoufflet publient ainsi, en 1970, un ouvrage « Droit de la banque » (éd. PUF) qui deviendra « Droit bancaire », suivi juste après du « Droit bancaire » de René Rodière et Jean-Louis Rives-Lange (chez Dalloz).
(3) Droit bancaire et financier, préc., p. 42 , n° 32 et par exemple : p. 413, n° 798. Pour un cas précis où l’on souligne la qualification de crédit en un service : La prescription des actions du professionnel dans les crédits immobiliers à un consommateur, La Lettre juridique Lexbase, 10 mars 2016, n° 646 et Hebdo édition affaires n°457, 10 mars 2016, N° LXB : N1673BWU.
(4) Les recherches sur l’investissement ne cadrent pas avec celle de l’épargnant effectuant un placement (J. Ledan, L’investisseur en droit privé et droit fiscal français, PUAM, préf. H. Causse, avant-propos D. Tricot, 2009 ; G. Grundeller, L’investissement, Presses Université Aix-Marseille, 2017, préf. J. Mestre, l’auteur élargit l’investissement ; sous l’influence du droit des services d’investissement : A. Tehrani, Les investisseurs protégés en droit financier, Lexisnexis, 2015, Préf. Th. Bonneau.
(5) A. Tehrani et autres, préc. ; Le concept d’investissement, Bruylant, 2011, dir H. Causse et M. Sinkondo.
(6) Cette phrase n’est donc pas écrite sans mesurer l’espace linguistique sur lequel elle ouvre. Dans un prochain ouvrage, une réflexion libre sur l’intelligence artificielle et le droit, on note le jeu de mots qui font des complexes, des groupes de mots, au sens d’organisation ou de système. Camillo José Cela, au faîte de sa majestueuse carrière, couronnée du Prix Nobel de littérature en 1989, rappelle de façon accusée la distinction opposant, dans le Cratyle de Platon, le langage naturel de Cratyle au langage de Hermogène, artificiel. Cet expert de la pensée, de l’écriture, de l’écriture littéraire et de la nature humaine use d’un groupe de mots, aux liens mystérieux, pour désigner ce qui semble bien être la liberté de l’humanité. « Vérité, pensée, liberté et fable sont ainsi liées dans une relation difficile » : Tous les discours de réception des prix Nobel de littérature, Flammarion, prés. Eglal Errera, 2013, p. 404. Les groupes de mots existent qui sont plus que des additions ! Ajoutons que l’exergue de Victor Henry, fameux linguiste et penseur, a été reprise de ce discours de Camillo José Cela – emprunt sûr !
(7) Droit bancaire et financier, Mare & Martin, 2016, p. 446, n° 864 (« L’idée de placement de cette épargne réglementée et administrée (A) se retrouve dans des comptes purement conventionnels, commerciaux, concoctés par certains banquiers (B) », et p. 128, n° 212 où l’on suggère de distinguer l’investisseur et l’épargnant ; dans cette perspective, le contrat de capitalisation permis aux entreprises d’assurances serait un moyen d’épargne, car sans risque, pouvant être qualifié de placement.
(8) Un autre arrêt du même jour intéresse aussi le délit de blanchiment (Crim. 18 mars 2020, n° 18-86.491) ; au terme de la décision, le transfert de fonds, sans qu’ait été respectée l’obligation déclarative résultant des articles 464 du code des douanes et L. 152-1 du code monétaire et financier, doit être considéré comme une opération de dissimulation au sens de l’article 324-1 du code pénal.
(9) Nous ne pensons pas que cette précision était utile à la décision ; une vérification pourrait être faire en examinant les moyens du pourvoi, que nous n’avons pas pu consulter, pas plus que l’arrêt d’appel (nous ne les avons pas en ligne au moment de la rédaction de cette étude. Il y a peut-être, dans les faits, une justification sur cette référence au virement. L’arrêt est toutefois édifiant quant aux critiques de principe ici développées.
(10) La notion de dépôt bancaire est quasiment une tradition en mettant en cause une opération au régime juridique très spécifique : Droit bancaire et financier, 2016, p. 438, n° 844. Mais qu’importe ici – devant le juge pénal – quinze arrêts de principe déterminant le dépôt bancaire que l’usage n’appelle pas placement – réserve faite de ce qui suit.
(11) Sur les dernières réflexions sur le langage juridique : A. Sériaux, Le droit comme langage juridique, LexisNexis, 2020.
(12) On en arrive à retrouver la blockchain au cœur de tous les ouvrages et études de droit bancaire quand la monnaie l’a si peu été. Le droit bancaire oublie parfois la monnaie, mais désormais pas la blockchain ?! Ainsi, l’expression – des mots – « instrument monétaire » peut ne pas être étudiée quand sera omniprésent le token ou jeton de blockchain – pourtant si rare en 2020.
(13) On consultera par exemple le Larousse encyclopédique (1994, t. II) qui demeure léger mais en faveur de notre discours ; dans son troisième sens : « Action de placer de l’argent ; capital ainsi placé, investissement ». Le Littré en troisième sens nous rapproche du sens usuel actuel (celui de 1996, date d’adoption de la loi qui institua le délit de blanchiment) : « Action de placer de l'argent. Il a fait un bon placement. Argent placé. Son placement lui est rentré. ». Ce sens est ailleurs renforcé : O. Coispeau, Dictionnaire de la bourse et des termes financiers, Séfi, 2001, p. 365 : « Investissement ayant pour objectif la valorisation du capital investi… ». Les autres expressions désignent la technique du placement par un professionnel (placement garantie, placement privé, placement domestique ou international).
(14) Code pénal, « article 324-1. Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. »
(15) Le blanchiment au 1er trimestre 2020 : l’extension continue du domaine de la lutte, Lexbase, N3677BYT,
par M. Mayel et É. Morain : « L’opération de placement est donc en soit constitutive de l’infraction à condition qu’elle s’effectue sur un compte appartenant à un tiers, ou sur un compte dissimulé aux autorités, de façon à rendre opaque l’origine des fonds avant de les réintégrer dans le circuit de l’économie légale.
Ici les juges, soutenus par la Haute cour, caractérisent l’opération de blanchiment pour le seul placement des fonds sur le propre compte bancaire de l’auteur de l’infraction préalable, sans aucune dissimulation de leur origine et sans réintégration.
Sans blanchiment donc. »
(16) Autre angle de critique, sujet titanesque au-delà de nos forces, celui de la faveur de la doctrine pour un droit commercial et des affaires : une sorte de doctrine majoritaire sans doctrine mais qui dit mal le droit économique et les autres branches commerciales, dont le droit de l’argent, le droit de la finance.
(17) Art. L. 321-1, CMF : « 6-2. Le placement garanti ; 7. Le placement non garanti ; ». Une référence parmi vingt autres possibles : J. Lasserre-Capdeville, M. Mignot, J.-P. Kovar et N. Éréseo, Droit bancaire, 2019, p. 1274, n° 2777 et s.
(18) Que pour des raisons de sophistication des règles on considère désormais et généralement comme un investissement.
(19) On verra les opérations, dites de placement, visées par les personnes devant, du fait ce cette activité, se soumettre au régime professionnel des intermédiaires en biens divers (CMF, art. L. 551-3).
(20) Dans « Les circuits financiers » (Dalloz, 1989), le Professeur Lehmann traite aussi des placements à vue, ce qui semble viser des dépôts assez classiques, mais à l’époque le compte de dépôt rémunéré n’était pas légal. Enfin, pour un emploi qui fait douter de la notion de placements, la plupart des emplois évoque du placement visant à une rentabilité, ce qui éloigne la notion du seul dépôt juridique.
(21) Les récents dépôts structurés reconnus par l’ordonnance n° 2016-827du 26 juin 2016 constituent également un type de convention spéciale (CMF, art. L. 312-22 et s.). C’est un dépôt intégralement remboursable à l’échéance (ce qui sous-entend qu’il est à terme) assorti d’un intérêt ou d’une prime déterminés selon une formule faisant intervenir des facteurs divers. Ils peuvent être constitués par : « 1° Un indice ou une combinaison d’indices, à l’exclusion des dépôts à taux variables dont la rentabilité est directement liée à l’évolution d’un indice de taux d’intérêt ; 2° Un instrument financier, une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ou une combinaison de ces instruments financiers ou unités ; 3° Une matière première ou une combinaison de matières premières ou d’autres actifs physiques ou non physiques qui ne sont pas fongibles ; 4° Un taux de change ou une combinaison de taux de change. »
Ainsi, ces dépôts peuvent rapporter de l’argent au client, ou lui en coûter…, en conjuguant l’opération bancaire la plus classique à l’ingénierie financière des marchés, ce qui est inédit.
(22) Des auteurs le disent en comparant l’infraction de blanchiment au recel (A. Lepage, P. Maistre du Chambon et R. Salomon, Droit pénal spécial, 2010, p. 145, n° 412) ; or, ici, on peut blanchir le fruit de son trafic. Sur cette jurisprudence : Crim. 14 janv. 2004, n° 03-81165 : Bull. n° 12. Ainsi, cette infraction de blanchiment est applicable à l’auteur d’une infraction qu’il a lui-même commise et qui lui a procuré les fonds illicites. Ces auteurs appellent l’infraction commise dans ce contexte « autoblanchiment » (n° 419). L’arrêt de 2004 est une pure pétition de principe que le premier attendu, de principe, formule sans le moindre mot de motivation :
« Vu l'article 324-1, alinéa 2, du Code pénal ; Attendu que ce texte est applicable à l'auteur du blanchiment du produit d'une infraction qu'il a lui-même commise ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M'Hamed X... est poursuivi pour avoir apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect des délits de travail clandestin et fraude fiscale ; Attendu que, pour le relaxer, la cour d'appel énonce que l'auteur principal d'une infraction ne peut être poursuivi pour blanchiment des sommes produites par sa propre activité illicite et qu'en l'espèce il n'est pas établi que les fonds proviennent d'infractions commises par d'autres personnes ; Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ; D'où il suit que la cassation est encourue… »
(23) Article 324-1. Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.
(24) L’auteur de l’infraction initiale est puni par celle-ci ; instituer le délit d’autoblanchiment revient à ignorer l’argument du caractère complet du système juridique, le juge étant illégitime pour le compléter. Ainsi, le juge chargé des libertés individuelles confond l’être et le geste pour autrui. La formation juridique doit manifestement être complétée par une formation philosophique.
(25) Loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Cette loi a amendé les dispositions de diverses institutions de régulation sans en changer véritablement le fonctionnement, ni en donner une vue d’ensemble pour traiter de l’inter-régulation.
(26) Voyez nos considérations : La lettre de l'AFGE n° 43. Ou ici : https://www.hervecausse.info/Le-pouvoir-de-regulation-in-La-lettre-de-l-AFGE-n-43-PJ_a1173.html
(27) Art. 1er, de ladite loi : J.O., 14 mai 1996 – le délit n’a pas été institué par une ordonnance de 2000 comme pourrait le laisser penser la lecture rapide du Code pénal sur le site Légifrance.
(28) http://www.senat.fr/rap/l95-018/l95-0184.html#toc5
(29) Mettre l’infraction à l’envers a une conséquence presque amusante. Pour les cas de « placement », la banque, qu’on imaginait en auteur principal de l’infraction, car elle assiste ou apporte son concours, semble par contrecoup perdre ce rôle (mais il est vrai qu’on se place dans une logique élémentaire dont le juge peut se départir – jusqu’à quand ?). Si, en effet, le délinquant qui, par exemple, dépose en banque son chiffre d’affaires de « dealer » est l’auteur, la banque est alors plutôt et seulement un complice ?
(30) Cass. 1re civ., 10 mai 1960, Bull. n° 250, en l’espèce évoquée en « hypothétique intention législative » car le texte est clair et qu’elle est inutile.
(31) Ch. Perelman, Logique juridique, Nouvelle rhétorique, Dalloz, 1979, p. 58, n° 33.
(32) Revue Droit & Affaires, Dossier la prévisibilité, Association Droit & Affaires, 2017 : avec notre contribution « La prévisibilité des sanctions, libre survol », p. 54.
(33) Ch. Perelman, Logique juridique, p. 58, n° 33.
(34) En revanche et finalement, l’argument a coherentia ne peut pas jouer en effet, le législateur aurait pu (comme c’est fait) incriminer l’assistance en un blanchiment et, en outre, la réalisation du placement ou conversion par l’auteur initial (et d’aucuns penseront à quoi bon puisque le juge a fait l’incrimination ?). Utiliser cet argument de cohérence revient à invoquer l’évidence, à savoir qu’une infraction (d’autoblanchiment) a été fabriquée pour l’auteur qui dispose de produits illicites. Sur cet argument : Ch. Perelman, Logique juridique, p. 57, n° 33.
(35) Wilfrid Jeandidier, Droit pénal des affaires, Dalloz, 2013.
(36) Voyez encore et par exemple : A.-D. Merville, Droit financier, Gualino, 2017, n° 254 et n° 618.
(37) H. Launais, Y. de La Villeguérin et L. Acarias, Droit pénal financier, Dalloz, 1947. L’ouvrage contient pour moitié les textes normatifs utiles, on trouve par exemple l’ordonnance du 19 octobre 1945 portant statut de la mutualité dont l’article 20 et 21 prévoient les placements autorisés (p. 429).
(38) Ce souci de l’unité du fait monétaire et financier est une conviction profonde qui, dans un premier temps, pouvait selon nous s’appuyer sur l’idée de « droit financier » (H. Causse, Pour un droit financier, L’Agefi 23 février 2000) puis sur l’idée d’un droit bancaire et financier (voir l’ouvrage précité). Cette expression de « droit de la finance » est une innovation qui est une chance que la matière doit saisir.
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Texte emprunté à la base publique Légifrance
N° de pourvoi : 22-81.808
ECLI:FR:CCASS:2024:CR00903
Publié au bulletin
Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 19 juin 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 16 décembre 2021
Président
M. Bonnal
Avocat(s)
SCP Boucard-Maman, Me Carbonnier
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 22-81.808 FS-B
N° 00903
RB5
19 JUIN 2024
CASSATION PARTIELLE
REJET
IRRECEVABILITÉ
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 JUIN 2024
La société [2] et Mmes [SB] [P], [ZK] [E], [XC] [J], [KC] [LO], [LK] [VS], [C] [TS], [ZC] [FB] [EF], [GN] [LI], [TB] [ME], [KC] [GL], [FS] [UP], [BU] [XA], [IW] [DC], [DA] [EA], [IS] [VY], [AL] [JC], [KY] [YI], [XU] [O], épouse [UU], [AC] [OO], [RX] [AB], [HN] [SL], [ZO] [WA], tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière de [AD] [NV] et [V] [GF], [IS] [BN], [FJ] [W], [UL] [Y] [BT], [ZO] [K], [TD] [HS], [ZI] [UN], [OV] [DZ], [GH] [LE], [PZ] [VP], [UL] [EA], [ZI] [KI], [KY] [NZ], [AC] [CU], épouse [CZ], [PX] [LG] [NO], [PX] [GP], [HY] [MO], [YE] [VN], [I] [PV], [PX] [RZ], [GS] [ZM], [XC] [LM], [T] [GU], [CT] [LA], [IY] [UH], [IS] [AR] [FL], [XE] [ZA], [PX] [CB], [FF] [BM], [G] [YK], [PB] [PD], [GN] [OM], [PZ] [IA], [N] [MM], [KY] [NM], [B] [DG], [A] [U], [KG] [MR], [KA] [NI], [PZ] [MT], [XY] [SN], [TH] [NI], [WP] [X], [AV] [FH], [BU] [DF], [M] [HU], [PR] [MK], [BH] [HP], [WP] [EA], [FD] [XW], épouse [MG], [XE] [PT], épouse [TP], [OX] [JU], [EG] [CR], [R] [EM], [ZI] [XG] [YA] [NT], MM. [HW] [KK], [WY] [GW], [RF] [OT], [WY] [LC], [DH] [YI], [DH] [WA], [Z] [JW], [IP] [ZG], [GJ] [TJ], [IU] [BT], [VW] [KE], [D] [US] [NR], [FP] [HJ], [RD]
[NK] [VL], [YC] [CC], [SJ] [NM], [UW] [X], [WS] [H], [WU] [NX], [JE] [EM], les consorts [EL], les consorts [ED], les consorts [S] et la société [1], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 16 décembre 2021, qui, pour blanchiment aggravé, a condamné la première à 700 000 euros d'amende dont 350 000 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de la société [2], les observations des parties représentées par Me Carbonnier, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, MM. Ascensi, Gillis, Mmes Chafaï, Bloch, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par un rapport du 25 septembre 2014, [7] a porté à la connaissance du procureur de la République des faits susceptibles de qualifications pénales concernant l'activité du groupe de sociétés [8] dirigé par MM. [SH] et [WW] [CG]. Etaient décrits des flux financiers enregistrés sur les comptes des différentes entités composant ce groupe laissant suspecter une escroquerie de type « chaîne de Ponzi » qui consiste à inviter des clients à investir dans un projet et à les rémunérer, non avec les fruits du capital investi, mais avec des fonds apportés par de nouveaux arrivants.
3. A l'issue de l'information judiciaire ouverte sur ces faits, MM. [SH] et [WW] [CG] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour y être jugés des chefs d'escroquerie en bande organisée, abus de biens sociaux, abus de confiance, exercice de l'activité de conseil en investissements financiers sans remplir les conditions prévues et blanchiment.
4. La société [2] (la [2]), auprès de laquelle la société [8] détenait un compte bancaire, a été renvoyée devant la même juridiction du chef de blanchiment aggravé, pour avoir apporté son concours à des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect des délits reprochés à MM. [SH] et [WW] [CG], en l'espèce en leur permettant d'effectuer au moyen dudit compte des virements à destination de comptes bancaires étrangers, domiciliés notamment à Hong Kong et en Indonésie, portant sur des sommes conséquentes alors que la banque, en raison de sa qualité de professionnelle et des contrôles qu'elle se devait de faire, ne pouvait ignorer l'origine délictuelle des sommes portées sur ce compte qu'elle gérait, eu égard notamment au mode de fonctionnement de celui-ci et à ses obligations de vigilance et de surveillance renforcée s'agissant de l'Indonésie au titre des articles L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier, avec les circonstances que les faits ont été commis de façon habituelle et en utilisant des facilités procurées par l'exercice de l'activité professionnelle de banquier.
5. Par jugement du 26 février 2021, le tribunal correctionnel de Paris a condamné MM. [SH] et [WW] [CG] des chefs susvisés et relaxé la [2].
6. Sur l'action civile, les premiers juges ont reçu certaines constitutions de parties civiles et condamné solidairement MM. [WW] et [SH] [CG] à les indemniser de leur préjudice. Les parties civiles ont été déboutées de leurs demandes à l'égard la [2].
7. MM. [WW] et [SH] [CG], le procureur de la République et plusieurs parties civiles ont interjeté appel du jugement.
Examen de la recevabilité des pourvois formés par Mme [XC] [J] et M. [HW] [KK]
8. Il résulte des pièces de procédure que Mme [XC] [J] et M. [HW] [KK] n'ont pas interjeté appel du jugement.
9. Ainsi, n'ayant pas été partie à l'instance d'appel, ils n'avaient pas qualité pour se pouvoir en cassation.
10. En conséquence leurs pourvois ne sont pas recevables.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé pour la succession de Mme [IW] [DC]
11. Il résulte des pièces de procédure qu'un pourvoi a été formé pour la « succession de Mme [IW] [DC] », partie civile, par déclaration au greffe d'un avocat.
12. Une succession, qui ne possède pas de personnalité juridique, n'a pas la capacité de se pourvoir en cassation, seuls les héritiers de la partie civile, nommément désignés, étant susceptibles d'exercer ce droit.
13. En conséquence le pourvoi est irrecevable.
Examen de la recevabilité du mémoire de M. [VU] [F]
14. Il résulte des pièces de procédure que M. [VU] [F] n'a pas formé de pourvoi, aucune déclaration n'ayant été souscrite à son nom.
15. En conséquence, le mémoire ampliatif est irrecevable en ce qu'il a été déposé en son nom.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses cinquième et sixième branches, proposé pour la [2] et les premier et troisième moyens proposés pour les parties civiles
16. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches, proposé pour la [2]
Enoncé des moyens
17. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la [2] coupable du chef de blanchiment aggravé pour la période comprise entre juillet 2012 et juillet 2014, alors :
« 1°/ que l'élément matériel du délit de blanchiment est caractérisé par un acte matériel de concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ; que la méconnaissance des obligations professionnelles relatives à la lutte contre le blanchiment, de vigilance et de déclaration, faute de constituer un concours, ne suffit pas à caractériser l'élément matériel du blanchiment ; qu'en se bornant, pour déclarer l'exposante coupable de blanchiment, à relever divers manquements de l'exposante à ses obligations professionnelles en matière de lutte contre le blanchiment, sans constater l'existence d'un acte matériel de concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion, la cour d'appel a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale ensemble l'article 324-1 du code pénal ;
2°/ que le délit de blanchiment suppose une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit d'un crime ou d'un délit ; qu'en se fondant, pour déclarer la banque coupable de blanchiment sur les manquements de cette dernière à ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment et un « concours aux prévenus, assimilable à un soutien abusif », sans constater une quelconque opération de placement, de dissimulation ou de conversion des sommes ayant transité par le compte de la société [8], la cour d'appel a violé l'article 324-1 du code pénal ;
3°/ qu'en considérant qu'à compter de 2012 la banque aurait manqué à son obligation de vigilance renforcée ainsi qu'à son devoir de procéder à une déclaration de soupçon, et que son attitude pourrait s'analyser comme constituant l'apport, en connaissance de cause, d'un concours aux prévenus, après avoir constaté que lorsqu'elle avait reçu « des signaux d'alarme pluriels », l'exposante, en la personne de Mme [MI] [JW], avait sollicité un grand nombre de justificatifs à M. [WW] [CG], contrats et convention de trésorerie notamment, qui avaient été scannés pour être mis à disposition de ses organes de contrôle dont le service de lutte contre le blanchiment, que ces informations avaient fait l'objet d'un traitement, et que l'exposante avait procédé à une déclaration de soupçon le 23 juin 2014, ce dont il résulte nécessairement qu'elle avait satisfait à ses obligations de vigilance et de déclaration de soupçon, telles qu'elles résultaient des articles L. 561-5 et suivants du code monétaire et financier, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 324-1 du code pénal, L. 561-22, IV, du code monétaire et financier et 591 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'il n'y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre ; qu'un manquement, même manifeste et répété d'une banque à ses obligations de vigilance et de déclaration ne peut caractériser à lui seul l'élément intentionnel du délit de blanchiment ; qu'en se bornant à retenir, pour considérer qu'à partir de l'année 2012, l'exposante ne pouvait pas ignorer que des flux frauduleux circulaient sur le compte qu'elle gérait, que le score du compte litigieux était passé à l'orange à la fin de l'année 2012, que les flux à destination ou en provenance de l'Indonésie avaient sensiblement augmenté, que le [3] avait inscrit l'Indonésie sur la liste grise des pays suspects en matière de lutte contre le blanchiment et que les rapports d'activité [7] 2010, 2011, et 2012 avaient alerté les professionnels du crédit sur des risques liés à des chaînes de Ponzi avec l'intervention de personnes se présentant comme conseillers financiers, cependant que ni la circonstance que le [3] avait inscrit l'Indonésie au nombre des pays figurant sur la liste grise, ni celle que des rapports d'activité [7] relevant l'existence de « chaînes Ponzi » n'établissaient qu'au cas précis, l'exposante aurait eu connaissance de l'origine frauduleuse des fonds et après avoir constaté qu'il était avéré que Mme [JW] avait sollicité un grand nombre de justificatifs à M. [WW] [CG], notamment les contrats et conventions de trésorerie qui avaient été scannés et mis à la disposition des services de contrôle anti-blanchiment, et que l'ACPR avait conclu que les alertes informatiques mises en place par l'exposante étaient efficaces, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction de blanchiment et a méconnu les articles 324-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
18. Pour déclarer la [2] coupable de blanchiment aggravé entre juillet 2012 et juillet 2014 et prononcer à son encontre notamment des condamnations civiles, l'arrêt attaqué énonce que l'établissement bancaire a reçu durant plusieurs années des signaux d'alarme pluriels, qu'il détaille, qui auraient dû l'intriguer et l'inquiéter, puis l'amener à faire part de ses soupçons.
19. Les juges constatent que la gestionnaire du compte a sollicité un grand nombre de justificatifs auprès de M. [WW] [CG], qui ont été mis à disposition des organes de contrôle, notamment le service de lutte anti-blanchiment ([6]), mais que le traitement de ces informations n'a pas été approfondi avec la vigilance attendue, les experts juridiques du [6] n'ayant manifestement pas mis leurs compétences au service d'une analyse des contrats, pourtant suspects.
20. Ils constatent également que les spécialistes du chiffre n'ont pas effectué des investigations sur le caractère réaliste ou illusoire des taux de rendement promis.
21. Ils affirment que se contenter de la profession des investisseurs, pour en déduire qu'ils étaient nécessairement éclairés, participe d'un manque de vigilance coupable.
22. Ils retiennent que, lors de l'audience, le représentant de la banque, interpellé sur ce cloisonnement entre les gestionnaires de clientèle d'une part, et le [6] d'autre part, l'a justifié comme étant un moyen de protection, mais relèvent qu'une analyse partagée d'informations de nature à l'alerter aurait abouti à une articulation plus efficace de la réponse, précisant que, d'une part, la gestionnaire du compte aurait été moins isolée pour mesurer la gravité des agissements de son client, d'autre part, le [6], mieux informé, aurait déployé des moyens d'investigation plus poussés. Ils soulignent qu'il est manifeste que le manque de vigilance ainsi démontré résulte d'une faute collective.
23. Ils relèvent également que si la banque insiste sur le fait qu'elle n'a pas les moyens d'investigation des officiers de police judiciaire et qu'elle ne peut s'immiscer dans la vie privée de ses clients ou dans la gestion des entreprises, l'étude minutieuse des documents contractuels remis, et les investigations sur les taux susceptibles d'être pratiqués dans le Sud-Est asiatique entraient dans les pouvoirs de l'établissement sans constituer une atteinte au droit au respect de la vie privée du client et que d'ailleurs, la déclaration de soupçon du 23 juin 2014 visait des informations que la banque détenait depuis plusieurs mois.
24. Ils indiquent que l'établissement bancaire ne peut se prévaloir des conclusions du contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, pour affirmer qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, et que ces conclusions, d'ordre très général, portant sur le dispositif mis en place dans la lutte contre le blanchiment et non pas sur la façon que la banque a eu de gérer le compte de la société [8], ne peuvent donc s'analyser comme un blanc-seing sur ce point.
25. Ils ajoutent que ces conclusions, qui contiennent quelques réserves, soulignent que des progrès restent à accomplir notamment dans la justification de l'activité professionnelle, du patrimoine et des revenus des clients, et que les outils informatiques sont robustes mais insuffisamment intégrés et assez peu conviviaux.
26. Ils observent que ces réserves concernent précisément les reproches susvisés dans la gestion du compte intéressant la présente procédure, à savoir un objet social flou de la société [8], évoquant patrimoine et bien-être, l'évocation dans l'objet social de la notion de « Conseil en investissement, gestion patrimoniale » avec des doutes sur la réunion des conditions permettant de dispenser des conseils sous le statut de conseil en investissements financiers, des flux disproportionnés par rapport au chiffre d'affaires et ne pouvant manifestement pas correspondre à des rémunérations de conseiller en investissement et gestion du patrimoine, des alertes informatiques efficaces mais constitutives de contrôles mécaniques non suivies des nécessaires approches humaines, expertes, croisées et distanciées permettant une approche globale du fonctionnement du compte.
27. La cour d'appel en conclut que des manquements en matière de lutte contre le blanchiment sont démontrés à l'encontre de la [2].
28. Elle ajoute que la notion de concours apporté aux prévenus suppose la connaissance de l'origine illicite des fonds par la personne morale et que la question qui se pose, alors même que la période de prévention s'étend de janvier 2009 à juillet 2014, est celle de savoir à partir de quelle date l'établissement n'a pas pu ignorer que des flux frauduleux circulaient sur le compte qu'elle gérait.
29. Elle relève que l'année 2012 est une année cruciale à plusieurs égards, le score du compte litigieux étant passé en alerte orange à la fin de cette année, les flux en provenance ou à destination de l'Indonésie ayant sensiblement augmenté, le Groupe d'action financière ayant inscrit l'Indonésie sur la liste grise des pays suspects en matière de lutte contre le blanchiment et les rapports d'activité [7] ayant notamment alerté les professionnels du crédit sur les risques liés à l'existence de chaînes de Ponzi.
30. Elle en déduit que c'est au cours de l'année 2012 que la [2] a pleinement disposé de l'information, sous la forme d'un faisceau d'indices, permettant de caractériser la conscience que l'établissement avait de l'origine frauduleuse des fonds, que c'est donc à partir de ce moment que la banque a manqué à son obligation de vigilance renforcée ainsi qu'à son devoir de procéder à une déclaration de soupçon et que son attitude peut s'analyser comme constituant l'apport, en connaissance de cause, d'un « concours » aux prévenus, la déclaration de soupçon effectuée le 23 juin 2014 étant nécessairement tardive.
31. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
32. En premier lieu, c'est à tort qu'elle a considéré que le seul manquement de la banque aux obligations de vigilance, imposées par les articles L. 561-5 à L. 561-10-2 du code monétaire et financier, constitue un concours apporté à une opération de blanchiment du produit des infractions commises par son client.
33. Pour autant, l'arrêt n'encourt pas la censure de ce chef dès lors que la mise à disposition d'un compte bancaire dans l'un de ses établissements et l'exécution d'ordres de virement des sommes y figurant vers des comptes à l'étranger, tels que constatés par l'arrêt, sont susceptibles de caractériser la participation de la banque à des opérations de blanchiment.
34. En deuxième lieu, les juges, qui, par des motifs relevant de leur appréciation souveraine, ont considéré qu'en l'espèce, au regard des informations dont elle disposait à compter de 2012 concernant le fonctionnement du compte litigieux, la banque ne pouvait ignorer l'origine frauduleuse des fonds figurant sur les comptes de la société [8], ont caractérisé l'élément moral du délit de blanchiment.
35. En troisième lieu, la cour d'appel, qui a constaté que, malgré cette connaissance, la banque et ses représentants n'ont pas fait en temps et en heure les déclarations de soupçon exigées, a, à bon droit, écarté la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article L. 561-22, IV, du code monétaire et financier, qui instaure une immunité pénale pour les personnes ayant fait de bonne foi la déclaration prévue à l'article L. 561-15 du même code.
36. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen proposé pour la [2]
Enoncé du moyen
37. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à son encontre des condamnations civiles présentées dans un tableau synoptique, alors « que les obligations mises à la charge des établissements financiers au titre de la lutte contre le blanchiment, obligation de vigilance, y compris renforcée, et obligation de déclaration de soupçon, ont pour finalité la détection du blanchiment et ne peuvent être invoquées par les victimes d'agissements frauduleux, escroquerie, abus de biens sociaux, exercice illégal d'une activité de conseil pour réclamer des dommages-intérêts à un établissement financier ; qu'en considérant que l'exposante devrait être condamnée solidairement à hauteur de 50 % au paiement des indemnisations accordées à certaines parties civiles, après avoir retenu la culpabilité de l'exposante sur le fondement d'un manquement prétendu à son obligation de vigilance renforcée ainsi qu'à son devoir de procéder à une déclaration de soupçon, la cour d'appel a violé les articles L. 561-4, L. 561-6, L. 561-10 et L. 561-15 du code monétaire et financier, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009. »
Réponse de la Cour
38. Le moyen est inopérant dès lors que la banque a été condamnée pour le délit de blanchiment et non pour manquement aux obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier.
Mais sur le deuxième moyen proposé pour les parties civiles
Enoncé du moyen
39. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé les condamnations civiles telles que présentées dans un tableau synoptique et, en conséquence, a débouté certaines parties civiles de leur demande de condamnation solidaire de la [2], a partiellement débouté d'autres parties civiles de leurs demandes à hauteur des sommes versées sur des comptes étrangers, et a limité la condamnation solidaire de la [2] à hauteur de 50 % des indemnités allouées, alors :
« 1°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes ; Que la cour d'appel a débouté plusieurs parties civiles de leurs demandes de condamnation solidaire de la [2], pour des considérations tenant à ce que leurs contributions ont directement et exclusivement transité par le compte [5] de la holding [4] du groupe [8] (arrêt, p. 146 in fine) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes ; Que la cour d'appel a encore partiellement débouté d'autres parties civiles de leurs demandes de condamnation solidaire de la [2], à hauteur des fonds qui ont transité par le compte [5] de la holding [4] du groupe [8] (arrêt, p. 147 in medio) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a encore violé les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes ; Que la cour d'appel a débouté plusieurs parties civiles de leurs demandes de condamnation solidaire de la [2], pour des considérations tenant à ce qu'elle n'ont pas été en mesure de rapporter la preuve que leurs fonds ont transité par l'intermédiaire de la [2] (arrêt, p. 147 in fine) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs encore impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a violé de plus fort les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes et il n'appartient pas à la juridiction pénale de prononcer un partage de responsabilité entre les auteurs du dommage, qui peuvent exercer entre eux une action récursoire ; Que la cour d'appel a limité de manière générale et arbitraire de la condamnation solidaire de la [2] à hauteur de 50 % des indemnités allouées aux parties civiles, pour des motifs tenant à ce que « la [2] a été retenue dans les liens de la prévention pour la période comprise entre le juillet 2012 et juillet 2014 » qu'« elle a été relaxée pour la période comprise entre janvier 2009 et le 30 juin 2012 » (arrêt, p. 147 in limine) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs toujours impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a violé de plus fort les articles 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la cour
Vu l'article 480-1 du code de procédure pénale :
40. La solidarité édictée par ce texte entre les individus condamnés pour un même délit s'applique à ceux qui ont été déclarés coupables d'infractions connexes sans que le degré ou la nature de leur participation personnelle permette au juge de limiter les effets de cette solidarité.
41. Pour limiter la condamnation solidaire de la banque à l'indemnisation d'une partie du préjudice subi par certaines parties civiles, l'arrêt attaqué, après avoir constaté que le principe n'est pas discuté de la solidarité entre l'auteur du délit support du blanchiment, d'une part, et celui du délit de blanchiment, d'autre part, énonce que la [2] ne peut être tenue solidairement avec MM. [WW] et [SH] [CG] qu'à hauteur des sommes que les parties civiles ont effectivement versées sur le compte bancaire de la société [8] ouvert dans les livres de l'établissement poursuivi.
42. Il retient que s'agissant du préjudice moral subi par les parties civiles, dès lors qu'une condamnation au titre de la solidarité aura été prononcée contre la [2] du chef du préjudice matériel, l'établissement bancaire sera tenu solidairement avec MM. [WW] et [SH] [CG] à hauteur de la moitié de l'indemnisation du préjudice moral subi.
43. Les juges ajoutent que la [2] a été retenue dans les liens de la prévention pour la période comprise entre juillet 2012 et juillet 2014, a été relaxée pour la période comprise entre janvier 2009 et le 30 juin 2012 et que cette relaxe partielle doit se traduire sur le plan des intérêts civils.
44. Ils en déduisent qu'en application de la règle du prorata temporis, la solidarité au paiement de l'établissement bancaire avec MM. [WW] et [SH] [CG] sera réduite de 50 % sur les sommes dont les parties civiles auront démontré qu'elles ont bien été versées sur le compte Caisse d'épargne de la société [8].
45. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé.
46. La cassation est donc encourue.
Portée et conséquences de la cassation
47. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions par lesquelles l'arrêt attaqué a débouté totalement ou partiellement certaines parties civiles de leur demande de condamnation solidaire de la [2] et limité cette condamnation à hauteur de 50 % des indemnités allouées. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés par Mme [J], M. [KK] et la succession de [IW] [DC] :
Les DÉCLARE IRRECEVABLES ;
Sur le pourvoi formé par la société [2] :
Le REJETTE ;
Sur les pourvois formés par les parties civiles :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 16 décembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant débouté totalement ou partiellement certaines parties civiles de leur demande de condamnation solidaire de la société [2] et limitant cette condamnation à hauteur de 50 % des indemnités allouées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 4 500 euros la somme globale que la société [2] devra payer aux parties représentées par Me Carbonnier, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:CR00903
Analyse
Titrages et résumés
Cassation criminelle - BLANCHIMENT - Blanchiment par concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion d'un produit d'un crime ou d'un délit - Caractérisation - Seul manquement à l'obligation de vigilance d'une banque (non) - Mise à disposition d'un compte bancaire et exécution d'ordres de virement à l'étranger en connaissance de l'origine illicite des fonds (oui) - Appréciation souveraine
Le seul manquement d'une banque aux obligations de vigilance, imposées par les articles L. 561-5 à L. 561-10-2 du code monétaire et financier, ne constitue pas un concours apporté à une opération de blanchiment du produit des infractions commises par son client. En revanche, la mise à disposition par une banque d'un compte bancaire dans l'un de ses établissements et l'exécution d'ordres de virement des sommes y figurant vers des comptes à l'étranger caractérisent la participation de la banque à des opérations de blanchiment, lorsque cette dernière avait connaissance de l'origine illicite des fonds. N'encourt pas la censure la cour d'appel qui, pour condamner une banque du chef de blanchiment, statue par des motifs, relevant de son appréciation souveraine, dont il résulte d'une part, qu'un compte a été mis à la disposition des auteurs d'agissements frauduleux et des ordres de virements vers des comptes à l'étranger exécutés, d'autre part, qu'au regard des informations dont elle disposait concernant le fonctionnement de ce compte, la banque ne pouvait ignorer l'origine frauduleuse des fonds y figurant, enfin, que, malgré cette connaissance, la banque et ses représentants n'ont pas fait en temps et en heure les déclarations de soupçon exigées afin de bénéficier de la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article L. 561-22, IV, du code monétaire et financier, qui instaure une immunité pénale pour les personnes ayant fait de bonne foi la déclaration prévue à l'article L. 561-15 du même code
Précédents jurisprudentiels
Sur la caractérisation d'une opération de placement par le simple dépôt ou virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte bancaire y compris lorsqu'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine : Crim., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-85.542, Bull. crim. (rejet).
Textes appliqués
Articles L. 561-5 à L. 561-10-2, L. 561-22, IV et L. 561-15 du code monétaire et financier.
Texte emprunté à la base publique Légifrance
N° de pourvoi : 22-81.808
ECLI:FR:CCASS:2024:CR00903
Publié au bulletin
Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 19 juin 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 16 décembre 2021
Président
M. Bonnal
Avocat(s)
SCP Boucard-Maman, Me Carbonnier
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 22-81.808 FS-B
N° 00903
RB5
19 JUIN 2024
CASSATION PARTIELLE
REJET
IRRECEVABILITÉ
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 JUIN 2024
La société [2] et Mmes [SB] [P], [ZK] [E], [XC] [J], [KC] [LO], [LK] [VS], [C] [TS], [ZC] [FB] [EF], [GN] [LI], [TB] [ME], [KC] [GL], [FS] [UP], [BU] [XA], [IW] [DC], [DA] [EA], [IS] [VY], [AL] [JC], [KY] [YI], [XU] [O], épouse [UU], [AC] [OO], [RX] [AB], [HN] [SL], [ZO] [WA], tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière de [AD] [NV] et [V] [GF], [IS] [BN], [FJ] [W], [UL] [Y] [BT], [ZO] [K], [TD] [HS], [ZI] [UN], [OV] [DZ], [GH] [LE], [PZ] [VP], [UL] [EA], [ZI] [KI], [KY] [NZ], [AC] [CU], épouse [CZ], [PX] [LG] [NO], [PX] [GP], [HY] [MO], [YE] [VN], [I] [PV], [PX] [RZ], [GS] [ZM], [XC] [LM], [T] [GU], [CT] [LA], [IY] [UH], [IS] [AR] [FL], [XE] [ZA], [PX] [CB], [FF] [BM], [G] [YK], [PB] [PD], [GN] [OM], [PZ] [IA], [N] [MM], [KY] [NM], [B] [DG], [A] [U], [KG] [MR], [KA] [NI], [PZ] [MT], [XY] [SN], [TH] [NI], [WP] [X], [AV] [FH], [BU] [DF], [M] [HU], [PR] [MK], [BH] [HP], [WP] [EA], [FD] [XW], épouse [MG], [XE] [PT], épouse [TP], [OX] [JU], [EG] [CR], [R] [EM], [ZI] [XG] [YA] [NT], MM. [HW] [KK], [WY] [GW], [RF] [OT], [WY] [LC], [DH] [YI], [DH] [WA], [Z] [JW], [IP] [ZG], [GJ] [TJ], [IU] [BT], [VW] [KE], [D] [US] [NR], [FP] [HJ], [RD]
- ,
[NK] [VL], [YC] [CC], [SJ] [NM], [UW] [X], [WS] [H], [WU] [NX], [JE] [EM], les consorts [EL], les consorts [ED], les consorts [S] et la société [1], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 16 décembre 2021, qui, pour blanchiment aggravé, a condamné la première à 700 000 euros d'amende dont 350 000 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de la société [2], les observations des parties représentées par Me Carbonnier, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, MM. Ascensi, Gillis, Mmes Chafaï, Bloch, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par un rapport du 25 septembre 2014, [7] a porté à la connaissance du procureur de la République des faits susceptibles de qualifications pénales concernant l'activité du groupe de sociétés [8] dirigé par MM. [SH] et [WW] [CG]. Etaient décrits des flux financiers enregistrés sur les comptes des différentes entités composant ce groupe laissant suspecter une escroquerie de type « chaîne de Ponzi » qui consiste à inviter des clients à investir dans un projet et à les rémunérer, non avec les fruits du capital investi, mais avec des fonds apportés par de nouveaux arrivants.
3. A l'issue de l'information judiciaire ouverte sur ces faits, MM. [SH] et [WW] [CG] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour y être jugés des chefs d'escroquerie en bande organisée, abus de biens sociaux, abus de confiance, exercice de l'activité de conseil en investissements financiers sans remplir les conditions prévues et blanchiment.
4. La société [2] (la [2]), auprès de laquelle la société [8] détenait un compte bancaire, a été renvoyée devant la même juridiction du chef de blanchiment aggravé, pour avoir apporté son concours à des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect des délits reprochés à MM. [SH] et [WW] [CG], en l'espèce en leur permettant d'effectuer au moyen dudit compte des virements à destination de comptes bancaires étrangers, domiciliés notamment à Hong Kong et en Indonésie, portant sur des sommes conséquentes alors que la banque, en raison de sa qualité de professionnelle et des contrôles qu'elle se devait de faire, ne pouvait ignorer l'origine délictuelle des sommes portées sur ce compte qu'elle gérait, eu égard notamment au mode de fonctionnement de celui-ci et à ses obligations de vigilance et de surveillance renforcée s'agissant de l'Indonésie au titre des articles L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier, avec les circonstances que les faits ont été commis de façon habituelle et en utilisant des facilités procurées par l'exercice de l'activité professionnelle de banquier.
5. Par jugement du 26 février 2021, le tribunal correctionnel de Paris a condamné MM. [SH] et [WW] [CG] des chefs susvisés et relaxé la [2].
6. Sur l'action civile, les premiers juges ont reçu certaines constitutions de parties civiles et condamné solidairement MM. [WW] et [SH] [CG] à les indemniser de leur préjudice. Les parties civiles ont été déboutées de leurs demandes à l'égard la [2].
7. MM. [WW] et [SH] [CG], le procureur de la République et plusieurs parties civiles ont interjeté appel du jugement.
Examen de la recevabilité des pourvois formés par Mme [XC] [J] et M. [HW] [KK]
8. Il résulte des pièces de procédure que Mme [XC] [J] et M. [HW] [KK] n'ont pas interjeté appel du jugement.
9. Ainsi, n'ayant pas été partie à l'instance d'appel, ils n'avaient pas qualité pour se pouvoir en cassation.
10. En conséquence leurs pourvois ne sont pas recevables.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé pour la succession de Mme [IW] [DC]
11. Il résulte des pièces de procédure qu'un pourvoi a été formé pour la « succession de Mme [IW] [DC] », partie civile, par déclaration au greffe d'un avocat.
12. Une succession, qui ne possède pas de personnalité juridique, n'a pas la capacité de se pourvoir en cassation, seuls les héritiers de la partie civile, nommément désignés, étant susceptibles d'exercer ce droit.
13. En conséquence le pourvoi est irrecevable.
Examen de la recevabilité du mémoire de M. [VU] [F]
14. Il résulte des pièces de procédure que M. [VU] [F] n'a pas formé de pourvoi, aucune déclaration n'ayant été souscrite à son nom.
15. En conséquence, le mémoire ampliatif est irrecevable en ce qu'il a été déposé en son nom.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses cinquième et sixième branches, proposé pour la [2] et les premier et troisième moyens proposés pour les parties civiles
16. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches, proposé pour la [2]
Enoncé des moyens
17. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la [2] coupable du chef de blanchiment aggravé pour la période comprise entre juillet 2012 et juillet 2014, alors :
« 1°/ que l'élément matériel du délit de blanchiment est caractérisé par un acte matériel de concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ; que la méconnaissance des obligations professionnelles relatives à la lutte contre le blanchiment, de vigilance et de déclaration, faute de constituer un concours, ne suffit pas à caractériser l'élément matériel du blanchiment ; qu'en se bornant, pour déclarer l'exposante coupable de blanchiment, à relever divers manquements de l'exposante à ses obligations professionnelles en matière de lutte contre le blanchiment, sans constater l'existence d'un acte matériel de concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion, la cour d'appel a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale ensemble l'article 324-1 du code pénal ;
2°/ que le délit de blanchiment suppose une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit d'un crime ou d'un délit ; qu'en se fondant, pour déclarer la banque coupable de blanchiment sur les manquements de cette dernière à ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment et un « concours aux prévenus, assimilable à un soutien abusif », sans constater une quelconque opération de placement, de dissimulation ou de conversion des sommes ayant transité par le compte de la société [8], la cour d'appel a violé l'article 324-1 du code pénal ;
3°/ qu'en considérant qu'à compter de 2012 la banque aurait manqué à son obligation de vigilance renforcée ainsi qu'à son devoir de procéder à une déclaration de soupçon, et que son attitude pourrait s'analyser comme constituant l'apport, en connaissance de cause, d'un concours aux prévenus, après avoir constaté que lorsqu'elle avait reçu « des signaux d'alarme pluriels », l'exposante, en la personne de Mme [MI] [JW], avait sollicité un grand nombre de justificatifs à M. [WW] [CG], contrats et convention de trésorerie notamment, qui avaient été scannés pour être mis à disposition de ses organes de contrôle dont le service de lutte contre le blanchiment, que ces informations avaient fait l'objet d'un traitement, et que l'exposante avait procédé à une déclaration de soupçon le 23 juin 2014, ce dont il résulte nécessairement qu'elle avait satisfait à ses obligations de vigilance et de déclaration de soupçon, telles qu'elles résultaient des articles L. 561-5 et suivants du code monétaire et financier, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 324-1 du code pénal, L. 561-22, IV, du code monétaire et financier et 591 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'il n'y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre ; qu'un manquement, même manifeste et répété d'une banque à ses obligations de vigilance et de déclaration ne peut caractériser à lui seul l'élément intentionnel du délit de blanchiment ; qu'en se bornant à retenir, pour considérer qu'à partir de l'année 2012, l'exposante ne pouvait pas ignorer que des flux frauduleux circulaient sur le compte qu'elle gérait, que le score du compte litigieux était passé à l'orange à la fin de l'année 2012, que les flux à destination ou en provenance de l'Indonésie avaient sensiblement augmenté, que le [3] avait inscrit l'Indonésie sur la liste grise des pays suspects en matière de lutte contre le blanchiment et que les rapports d'activité [7] 2010, 2011, et 2012 avaient alerté les professionnels du crédit sur des risques liés à des chaînes de Ponzi avec l'intervention de personnes se présentant comme conseillers financiers, cependant que ni la circonstance que le [3] avait inscrit l'Indonésie au nombre des pays figurant sur la liste grise, ni celle que des rapports d'activité [7] relevant l'existence de « chaînes Ponzi » n'établissaient qu'au cas précis, l'exposante aurait eu connaissance de l'origine frauduleuse des fonds et après avoir constaté qu'il était avéré que Mme [JW] avait sollicité un grand nombre de justificatifs à M. [WW] [CG], notamment les contrats et conventions de trésorerie qui avaient été scannés et mis à la disposition des services de contrôle anti-blanchiment, et que l'ACPR avait conclu que les alertes informatiques mises en place par l'exposante étaient efficaces, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction de blanchiment et a méconnu les articles 324-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
18. Pour déclarer la [2] coupable de blanchiment aggravé entre juillet 2012 et juillet 2014 et prononcer à son encontre notamment des condamnations civiles, l'arrêt attaqué énonce que l'établissement bancaire a reçu durant plusieurs années des signaux d'alarme pluriels, qu'il détaille, qui auraient dû l'intriguer et l'inquiéter, puis l'amener à faire part de ses soupçons.
19. Les juges constatent que la gestionnaire du compte a sollicité un grand nombre de justificatifs auprès de M. [WW] [CG], qui ont été mis à disposition des organes de contrôle, notamment le service de lutte anti-blanchiment ([6]), mais que le traitement de ces informations n'a pas été approfondi avec la vigilance attendue, les experts juridiques du [6] n'ayant manifestement pas mis leurs compétences au service d'une analyse des contrats, pourtant suspects.
20. Ils constatent également que les spécialistes du chiffre n'ont pas effectué des investigations sur le caractère réaliste ou illusoire des taux de rendement promis.
21. Ils affirment que se contenter de la profession des investisseurs, pour en déduire qu'ils étaient nécessairement éclairés, participe d'un manque de vigilance coupable.
22. Ils retiennent que, lors de l'audience, le représentant de la banque, interpellé sur ce cloisonnement entre les gestionnaires de clientèle d'une part, et le [6] d'autre part, l'a justifié comme étant un moyen de protection, mais relèvent qu'une analyse partagée d'informations de nature à l'alerter aurait abouti à une articulation plus efficace de la réponse, précisant que, d'une part, la gestionnaire du compte aurait été moins isolée pour mesurer la gravité des agissements de son client, d'autre part, le [6], mieux informé, aurait déployé des moyens d'investigation plus poussés. Ils soulignent qu'il est manifeste que le manque de vigilance ainsi démontré résulte d'une faute collective.
23. Ils relèvent également que si la banque insiste sur le fait qu'elle n'a pas les moyens d'investigation des officiers de police judiciaire et qu'elle ne peut s'immiscer dans la vie privée de ses clients ou dans la gestion des entreprises, l'étude minutieuse des documents contractuels remis, et les investigations sur les taux susceptibles d'être pratiqués dans le Sud-Est asiatique entraient dans les pouvoirs de l'établissement sans constituer une atteinte au droit au respect de la vie privée du client et que d'ailleurs, la déclaration de soupçon du 23 juin 2014 visait des informations que la banque détenait depuis plusieurs mois.
24. Ils indiquent que l'établissement bancaire ne peut se prévaloir des conclusions du contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, pour affirmer qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, et que ces conclusions, d'ordre très général, portant sur le dispositif mis en place dans la lutte contre le blanchiment et non pas sur la façon que la banque a eu de gérer le compte de la société [8], ne peuvent donc s'analyser comme un blanc-seing sur ce point.
25. Ils ajoutent que ces conclusions, qui contiennent quelques réserves, soulignent que des progrès restent à accomplir notamment dans la justification de l'activité professionnelle, du patrimoine et des revenus des clients, et que les outils informatiques sont robustes mais insuffisamment intégrés et assez peu conviviaux.
26. Ils observent que ces réserves concernent précisément les reproches susvisés dans la gestion du compte intéressant la présente procédure, à savoir un objet social flou de la société [8], évoquant patrimoine et bien-être, l'évocation dans l'objet social de la notion de « Conseil en investissement, gestion patrimoniale » avec des doutes sur la réunion des conditions permettant de dispenser des conseils sous le statut de conseil en investissements financiers, des flux disproportionnés par rapport au chiffre d'affaires et ne pouvant manifestement pas correspondre à des rémunérations de conseiller en investissement et gestion du patrimoine, des alertes informatiques efficaces mais constitutives de contrôles mécaniques non suivies des nécessaires approches humaines, expertes, croisées et distanciées permettant une approche globale du fonctionnement du compte.
27. La cour d'appel en conclut que des manquements en matière de lutte contre le blanchiment sont démontrés à l'encontre de la [2].
28. Elle ajoute que la notion de concours apporté aux prévenus suppose la connaissance de l'origine illicite des fonds par la personne morale et que la question qui se pose, alors même que la période de prévention s'étend de janvier 2009 à juillet 2014, est celle de savoir à partir de quelle date l'établissement n'a pas pu ignorer que des flux frauduleux circulaient sur le compte qu'elle gérait.
29. Elle relève que l'année 2012 est une année cruciale à plusieurs égards, le score du compte litigieux étant passé en alerte orange à la fin de cette année, les flux en provenance ou à destination de l'Indonésie ayant sensiblement augmenté, le Groupe d'action financière ayant inscrit l'Indonésie sur la liste grise des pays suspects en matière de lutte contre le blanchiment et les rapports d'activité [7] ayant notamment alerté les professionnels du crédit sur les risques liés à l'existence de chaînes de Ponzi.
30. Elle en déduit que c'est au cours de l'année 2012 que la [2] a pleinement disposé de l'information, sous la forme d'un faisceau d'indices, permettant de caractériser la conscience que l'établissement avait de l'origine frauduleuse des fonds, que c'est donc à partir de ce moment que la banque a manqué à son obligation de vigilance renforcée ainsi qu'à son devoir de procéder à une déclaration de soupçon et que son attitude peut s'analyser comme constituant l'apport, en connaissance de cause, d'un « concours » aux prévenus, la déclaration de soupçon effectuée le 23 juin 2014 étant nécessairement tardive.
31. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
32. En premier lieu, c'est à tort qu'elle a considéré que le seul manquement de la banque aux obligations de vigilance, imposées par les articles L. 561-5 à L. 561-10-2 du code monétaire et financier, constitue un concours apporté à une opération de blanchiment du produit des infractions commises par son client.
33. Pour autant, l'arrêt n'encourt pas la censure de ce chef dès lors que la mise à disposition d'un compte bancaire dans l'un de ses établissements et l'exécution d'ordres de virement des sommes y figurant vers des comptes à l'étranger, tels que constatés par l'arrêt, sont susceptibles de caractériser la participation de la banque à des opérations de blanchiment.
34. En deuxième lieu, les juges, qui, par des motifs relevant de leur appréciation souveraine, ont considéré qu'en l'espèce, au regard des informations dont elle disposait à compter de 2012 concernant le fonctionnement du compte litigieux, la banque ne pouvait ignorer l'origine frauduleuse des fonds figurant sur les comptes de la société [8], ont caractérisé l'élément moral du délit de blanchiment.
35. En troisième lieu, la cour d'appel, qui a constaté que, malgré cette connaissance, la banque et ses représentants n'ont pas fait en temps et en heure les déclarations de soupçon exigées, a, à bon droit, écarté la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article L. 561-22, IV, du code monétaire et financier, qui instaure une immunité pénale pour les personnes ayant fait de bonne foi la déclaration prévue à l'article L. 561-15 du même code.
36. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen proposé pour la [2]
Enoncé du moyen
37. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à son encontre des condamnations civiles présentées dans un tableau synoptique, alors « que les obligations mises à la charge des établissements financiers au titre de la lutte contre le blanchiment, obligation de vigilance, y compris renforcée, et obligation de déclaration de soupçon, ont pour finalité la détection du blanchiment et ne peuvent être invoquées par les victimes d'agissements frauduleux, escroquerie, abus de biens sociaux, exercice illégal d'une activité de conseil pour réclamer des dommages-intérêts à un établissement financier ; qu'en considérant que l'exposante devrait être condamnée solidairement à hauteur de 50 % au paiement des indemnisations accordées à certaines parties civiles, après avoir retenu la culpabilité de l'exposante sur le fondement d'un manquement prétendu à son obligation de vigilance renforcée ainsi qu'à son devoir de procéder à une déclaration de soupçon, la cour d'appel a violé les articles L. 561-4, L. 561-6, L. 561-10 et L. 561-15 du code monétaire et financier, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009. »
Réponse de la Cour
38. Le moyen est inopérant dès lors que la banque a été condamnée pour le délit de blanchiment et non pour manquement aux obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier.
Mais sur le deuxième moyen proposé pour les parties civiles
Enoncé du moyen
39. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé les condamnations civiles telles que présentées dans un tableau synoptique et, en conséquence, a débouté certaines parties civiles de leur demande de condamnation solidaire de la [2], a partiellement débouté d'autres parties civiles de leurs demandes à hauteur des sommes versées sur des comptes étrangers, et a limité la condamnation solidaire de la [2] à hauteur de 50 % des indemnités allouées, alors :
« 1°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes ; Que la cour d'appel a débouté plusieurs parties civiles de leurs demandes de condamnation solidaire de la [2], pour des considérations tenant à ce que leurs contributions ont directement et exclusivement transité par le compte [5] de la holding [4] du groupe [8] (arrêt, p. 146 in fine) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes ; Que la cour d'appel a encore partiellement débouté d'autres parties civiles de leurs demandes de condamnation solidaire de la [2], à hauteur des fonds qui ont transité par le compte [5] de la holding [4] du groupe [8] (arrêt, p. 147 in medio) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a encore violé les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes ; Que la cour d'appel a débouté plusieurs parties civiles de leurs demandes de condamnation solidaire de la [2], pour des considérations tenant à ce qu'elle n'ont pas été en mesure de rapporter la preuve que leurs fonds ont transité par l'intermédiaire de la [2] (arrêt, p. 147 in fine) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs encore impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a violé de plus fort les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'applique aux auteurs de délits connexes et il n'appartient pas à la juridiction pénale de prononcer un partage de responsabilité entre les auteurs du dommage, qui peuvent exercer entre eux une action récursoire ; Que la cour d'appel a limité de manière générale et arbitraire de la condamnation solidaire de la [2] à hauteur de 50 % des indemnités allouées aux parties civiles, pour des motifs tenant à ce que « la [2] a été retenue dans les liens de la prévention pour la période comprise entre le juillet 2012 et juillet 2014 » qu'« elle a été relaxée pour la période comprise entre janvier 2009 et le 30 juin 2012 » (arrêt, p. 147 in limine) ; Qu'en statuant de la sorte, par des motifs toujours impropres à faire échec à la condamnation solidaire de l'auteur du délit de blanchiment avec les auteurs des délits support, la cour d'appel a violé de plus fort les articles 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1382 devenu 1240 du code civil, préliminaire, 2, 3, 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la cour
Vu l'article 480-1 du code de procédure pénale :
40. La solidarité édictée par ce texte entre les individus condamnés pour un même délit s'applique à ceux qui ont été déclarés coupables d'infractions connexes sans que le degré ou la nature de leur participation personnelle permette au juge de limiter les effets de cette solidarité.
41. Pour limiter la condamnation solidaire de la banque à l'indemnisation d'une partie du préjudice subi par certaines parties civiles, l'arrêt attaqué, après avoir constaté que le principe n'est pas discuté de la solidarité entre l'auteur du délit support du blanchiment, d'une part, et celui du délit de blanchiment, d'autre part, énonce que la [2] ne peut être tenue solidairement avec MM. [WW] et [SH] [CG] qu'à hauteur des sommes que les parties civiles ont effectivement versées sur le compte bancaire de la société [8] ouvert dans les livres de l'établissement poursuivi.
42. Il retient que s'agissant du préjudice moral subi par les parties civiles, dès lors qu'une condamnation au titre de la solidarité aura été prononcée contre la [2] du chef du préjudice matériel, l'établissement bancaire sera tenu solidairement avec MM. [WW] et [SH] [CG] à hauteur de la moitié de l'indemnisation du préjudice moral subi.
43. Les juges ajoutent que la [2] a été retenue dans les liens de la prévention pour la période comprise entre juillet 2012 et juillet 2014, a été relaxée pour la période comprise entre janvier 2009 et le 30 juin 2012 et que cette relaxe partielle doit se traduire sur le plan des intérêts civils.
44. Ils en déduisent qu'en application de la règle du prorata temporis, la solidarité au paiement de l'établissement bancaire avec MM. [WW] et [SH] [CG] sera réduite de 50 % sur les sommes dont les parties civiles auront démontré qu'elles ont bien été versées sur le compte Caisse d'épargne de la société [8].
45. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé.
46. La cassation est donc encourue.
Portée et conséquences de la cassation
47. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions par lesquelles l'arrêt attaqué a débouté totalement ou partiellement certaines parties civiles de leur demande de condamnation solidaire de la [2] et limité cette condamnation à hauteur de 50 % des indemnités allouées. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés par Mme [J], M. [KK] et la succession de [IW] [DC] :
Les DÉCLARE IRRECEVABLES ;
Sur le pourvoi formé par la société [2] :
Le REJETTE ;
Sur les pourvois formés par les parties civiles :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 16 décembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant débouté totalement ou partiellement certaines parties civiles de leur demande de condamnation solidaire de la société [2] et limitant cette condamnation à hauteur de 50 % des indemnités allouées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 4 500 euros la somme globale que la société [2] devra payer aux parties représentées par Me Carbonnier, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:CR00903
Analyse
Titrages et résumés
Cassation criminelle - BLANCHIMENT - Blanchiment par concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion d'un produit d'un crime ou d'un délit - Caractérisation - Seul manquement à l'obligation de vigilance d'une banque (non) - Mise à disposition d'un compte bancaire et exécution d'ordres de virement à l'étranger en connaissance de l'origine illicite des fonds (oui) - Appréciation souveraine
Le seul manquement d'une banque aux obligations de vigilance, imposées par les articles L. 561-5 à L. 561-10-2 du code monétaire et financier, ne constitue pas un concours apporté à une opération de blanchiment du produit des infractions commises par son client. En revanche, la mise à disposition par une banque d'un compte bancaire dans l'un de ses établissements et l'exécution d'ordres de virement des sommes y figurant vers des comptes à l'étranger caractérisent la participation de la banque à des opérations de blanchiment, lorsque cette dernière avait connaissance de l'origine illicite des fonds. N'encourt pas la censure la cour d'appel qui, pour condamner une banque du chef de blanchiment, statue par des motifs, relevant de son appréciation souveraine, dont il résulte d'une part, qu'un compte a été mis à la disposition des auteurs d'agissements frauduleux et des ordres de virements vers des comptes à l'étranger exécutés, d'autre part, qu'au regard des informations dont elle disposait concernant le fonctionnement de ce compte, la banque ne pouvait ignorer l'origine frauduleuse des fonds y figurant, enfin, que, malgré cette connaissance, la banque et ses représentants n'ont pas fait en temps et en heure les déclarations de soupçon exigées afin de bénéficier de la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article L. 561-22, IV, du code monétaire et financier, qui instaure une immunité pénale pour les personnes ayant fait de bonne foi la déclaration prévue à l'article L. 561-15 du même code
Précédents jurisprudentiels
Sur la caractérisation d'une opération de placement par le simple dépôt ou virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte bancaire y compris lorsqu'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine : Crim., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-85.542, Bull. crim. (rejet).
Textes appliqués
Articles L. 561-5 à L. 561-10-2, L. 561-22, IV et L. 561-15 du code monétaire et financier.