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Propos sur le rapport "Pour un droit européen de la compliance", sous les auspices du Club des Juristes



Le rapporteur Antoine Gaudemet, professeur à l'Université Paris II, et le directeur de l'opération, Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre manifestement converti à la compliance, produisent, avec la commission ad hoc constituée, un important rapport. Il faut saluer ce travail.

Le Club des Juristes est un regroupement actif qui anime les esprits.

Le rapport s'intitule "Pour un droit européen de la compliance".

Le titre se note qui fait l'impasse sur le droit français. Il n'aura qu'à suivre.

Ainsi va le droit moderne, les innovations qui désormais seront durables tiendront au droit européen.

A cet égard, on ne cesse de dire que la notion de services déstructurent nos vielles matières (par exemple le Droit bancaire) et les restructurent en nouvelles matières (par exemple le Droit des services d'investissement, le Droit des services de paiement), et parfois outre la catégorie du contrat il faut le redire ici parce que ce n'est pas compris, au détriment des formations des étudiants.

On ne peut donc qu'approuver au plan de la stratégie opératoire - on avisera si Frexit il y a.

La seconde chose qui se note est l'orientation générale avec laquelle, là, nous sommes peu d'accord, pour une raison politique. Le rapport appelle à des mesures et des mesures et encore des mesures. Encore du droit, et du droit et du droit.

Or le premier problème du droit c'est le droit lui-même, titanesque et obèse. Naturellement, cette position, si elle n'est pas incarnée par un Homme d'Etat, exceptionnel, s'opposant au vote incessant de lois, tombe comme un château de cartes devant l'enthousiasme des juristes, leur art et la pertinence de chaque mesure envisagée. C'est ainsi qu'opère la technocratie qui convainc le parlementaire de voter et voter encore, lequel se croit pressé d'avoir un bilan en forme de liste de lois adoptées.

Le résultat donne des particuliers, des entreprises , des entités et des administrations qui se perdent dans le droit immense et profond et sont incapables de suivre et d'appliquer ce droit.

Alors, alors ? Que faire ? Soit arrêter de voter. Personne manifestement n'y a encore pensé. Soit par exemple inventer la compliance ou conformité qui va reporter sur des acteurs, que l'on imagine riches et plus capables que l'Etat lui-même, la tâche de comprendre et faire respecter le droit fiscal, le droit pénal, le droit commercial, le droit international...

L'histoire de la compliance est celle d'une vaste incompétence étatique voilée par la morale, d'ici ou d'outre atlantique, la modernité ou autre motifs.

Engager une politique de la compliance, c'est donc acter et accepter cette incompétence de l'Etat, des Etats et espérer qu'en redoublant le droit, en l'état peu efficace, l'action publique se réanimera. Voilà une aubaine pour des politiques en mal de doctrine politique et de parole claire. Et voilà une aubaine pour les juristes : la fuite juridique en avant exige toujours plus de juristes !

Philosophiquement on ne peut pas s'opposer à cela car notre monde vit sous le mythe du progrès (du droit, entre autre, ce doit notamment être hégelien). L'Occident est né sous l'étoile du progrès. Il opère sur tous (enfin presque).

Le Club des Juristes sait voir les aubaines des mouvements juridiques, comme d'ailleurs quelques conseils qui y trouvent des façons de tirer des notes d'honoraires substantielles sur des dirigeants d'entreprises dépassés par le magma juridique.

Magma intéressant pour le simple juriste qui écrit ces lignes. Donc, le rapport.

On ne prendra pas un exemple précis de la qualité de ce rapport qui comporte de multiples analyses intéressantes et brillantes. Et surtout approfondies, en droit, mais qui considèrent aussi d'autres réalités que le monstre de papier qu'est le droit. Si le rapport est assez lourd, il est en revanche d'une grande lisibilité que le point examiné soit institutionnel, conventionnel, ou répressif.

Le rapport débouche sur 23 propositions.

Leur diversité rappelle que la compliance est, selon nous, une annexe de la régulation, vue et terme promus on sait par qui en France, et que certains cénacles universitaires ont boudé par un conservatisme obstiné (ou peut-être pour ne pas savoir en faire un I et II). La compliance joue en session de rattrapage.

En tout cas, Antoine Gaudemet marie avec talent les plaisirs et voies les plus variés de la compliance future, par exemple :

- l'extension des recommandations de l'OCDE en obligations de droit européen par le truchement de ce dernier ; Marine Le Pen va s'emparer de cela pour attaquer le mondialisme économique qui asservit les peuples !

- a fusion de la HTPV et de l'AFA, la fusion d'autorités de la régulation est un marqueur de ce que nous appelons le "pouvoir de régulation", le véritable 4e pouvoir : oui compliance et régulation sont des notions qui s'entrecoupent.

- l'introduction de "clauses anticorruption" subordonnerait l'exercice des métiers à des autorisations (licence, agrément) ; on prend peur car les domaines visés sont déjà tellement contrôlés (banque, investissement, assurance).

- l'affaire manquerait de sel si l'on ne pensait pas au marché des collectivités territoriales pour lesquelles ont pourrait procéder à l'invention d'un "référentiel" anticorruption.

D'autres propositions sont de l'ordre du rappel : transposer la directive lanceurs d'alerte. Si elle protège d'une main de fer les (pauvres) lanceurs d'alerte... sinon, il ne nous reste qu'à prier pour eux.

On revient finalement à la politique juridique, expression qui a échappé au milieu politique (l'ignorance d'une discipline) autant qu'au milieu juridique (sans doute ici les risques de la transdisciplinarité).

Aucun parti, aucun Etat ne semble capable de parler en termes de "politique juridique", on le disait au-dessus. C'est un peu faux. Bernard Cazeneuve soutient que le paquet de règles européennes de compliance anticorruption protègerait "nos entreprises" ("les entreprises européennes" ?) des "procédures extraterritoriales" américaines (qui semblent bien situées aux States !).

La politique juridique de l'Europe aurait donc pour but d'être un (simple) contre-feu américain ? Dans ces semaines de novembre, où l'on agite l'image du Général de Gaulle, l'orientation interroge. On peut y voir un atlantisme mou en forme juridique.

Le rapport se focalise sur la politique juridique sur la question de la corruption alors que, dans notre idéologie (nous avouons...), la compliance a désormais une envergure générale. Le rapport porte finalement sur une Europe de la compliance anti-corruption. Accompagnons-le un peu : et pourquoi ne pas imaginer pas un Système européen de surveillance anti-corruption ? Même si l'organe administratif du "système" n'est peut-être pas encore théorisé ?

Rien que sur ce thème, le public pourrait être effrayé, et l'on revient à de la pure politique.

Comment des Etats modernes avec des milliers de dirigeants (sociaux) et administrateurs (publics), sortis des grandes écoles, ont-ils finalement pu se laisser déborder ou aguicher par la corruption avec, simultanément, des juges inefficaces ?

On entend bien les voies proposées, et on doit à nouveau féliciter les auteurs du rapports.

On craint cependant que ces propositions, in globo, ne sonnent que comme une attestation de l'effondrement des démocraties (dites occidentales) où rien ne semble plus tenir. Ni la finance. Ni l'économique. Ni le social. Ni le sanitaire. Pas même les interdits pénaux traditionnels et en vérité universels comme la corruption.

Le monde de l'effondrement ?* Ou du redressement par la compliance ? Un ange passe.


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* Le curieux collera le mot "effondrement" dans la barre de recherche ci-contre.





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