Technique contractuelle : la "clause annule et remplace" n'a pas une force universelle.



Technique contractuelle : la "clause annule et remplace" n'a pas une force universelle.
La clause annule et remplace n'a pas une force universelle bien que son utilité soit presque, elle, presque universelle. Refaire une convention passe en effet souvent par cette clause "le présent contrat annule et remplace le contrat antérieur conclu le ... entre X et Y...". Cette clause, dans sa radicalité et sa simplicité, laisse entendre des effets juridiques clairs et donc incontestables. Il faut se méfier de cette apparence.

En vérité, la situation juridique antérieure ne peut pas toujours être rayée d'un trait de plume, ou du trait de cette clause que l'on peut appeler "clause annule et remplace". L'arrêt ci-dessous le montre, de façon presque caricaturale, il s'agissait d'un contrat de travail et on devine alors quelques difficultés liées à ce domaine.

Cette clause, qui évoque une technique contractuelle (un mécanisme ?), suggère le changement du contrat par un autre, une substitution ; au plus profond, elle évoque la savante technique juridique de la novation : le changement d'une situation juridique par une autre. Ainsi et a priori, cette clause vise le changement de contrat et non le changement des parties ; la simplicité du concept de changement peut pousser les parties à changer le contenu du contrat, à en adapter les obligations, mais aussi l'une des parties.

L'arrêt du 10 mai 2012, que nous citons in extenso ci-dessous, montre ce cas, que l'on doit pouvoir trouver dans un groupe de sociétés (le contrat est conclu tantôt avec le holding, tantôt avec l'une des filiales, bien content et heureux le contractant qui conserve son contrat voire seulement un emploi...). Cet arrêt est ici exploité au-delà du point de droit précis qui y est tranché, à savoir la preuve d'un contrat de travail au moyen d'une attestation (comme le montre le titrage de la Cour de cassation réalisé par le service de la documentation de la Cour). Cependant, le départ du litige tient dans une mention de son nouveau contrat de travail qui "... énonçait expressément qu'il « annule et remplace tous documents antérieurs »..."

En vérité, la novation recherchée n'est pas librement atteinte si des droits antérieurs sont nés d'une situation d'ordre public et qu'ils ne sont pas cités et anéantis en considérant les caractère(s) et régime(s) juridiques d'ordre public de ces droits.

De nombreuses législations d'ordre public interdisent donc l'effacement radical d'un contrat par une "clause annule et remplace". Ainsi, les droits résultant du contrat de travail ne peuvent pas s'éteindre à raison d'un effacement du contrat dont ils naissent, effacement lié à cette simple clause, alors que ce type de contrat a des formes d'extinction très réglementées pour protéger le salarié (licenciements, rupture conventionnelle, départ en retraite).

Mais il en est ainsi, et nous le répétons, pour de nombreux autres conventions ou contrats qui sont très réglementés et dont les règles sont d'ordre public. Cette clause qui a vocation à prendre place dans les "dispositions terminales" (sur cette idée : J.-M. MOUSSERON et alii, Technique contractuelle, éd. EFL) du contrat doit donc être utilisée avec précaution.

La technique contractuelle exige art et savoir, bien plus que ne le laisse penser l'appellation pratique de "clause annule et remplace", dont le seul nom, clair et en phase avec une certaine pratique, pourrait laisser croire en sa force et un domaine universel, soit une clause toujours insérable. La clause annule et remplace pose donc spécialement difficulté quand la novation porte sur une convention entière, et non seulement sur une clause. La modification contractuelle opérée a alors vocation à avoir un effet très vaste qui, dans l'ordre juridique, est de nature à heurter tel ou tel principe juridique tant sont nombreuses les règles impliquées.

La clause annule et remplace est donc un bel outil, souvent mais pas toujours utilisable. Le monde (juridique) est compliqué !


Arrêt extrait de LEGIFRANCE

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du jeudi 10 mai 2012
N° de pourvoi: 11-18681
Publié au bulletin Rejet


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant sur contredit (Aix-en-Provence, 29 mars 2011), que M. X... a été engagé selon contrat de travail écrit à durée indéterminée du 26 septembre 2001 par la société Universal Sodexo Afrique, devenue Sodexo Afrique, filiale de la société Sodexo Alliance, devenue Sodexo, pour exercer les fonctions de " camp boss ", responsable de la production culinaire ; qu'il a été licencié le 8 septembre 2008 par la société de droit nigérian Universal Sodexo Nigeria Ltd, autre filiale de la société Sodexo ; que revendiquant la qualité de salarié des sociétés Sodexo Afrique et Sodexo, il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de diverses sommes ;

Attendu que les sociétés Sodexo et Sodexo Afrique font grief à l'arrêt de dire compétent le conseil de prud'hommes pour connaître du litige les opposant à M. X..., alors, selon le moyen :

1°/ que les obligations unissant un employeur à un salarié peuvent s'éteindre par transfert volontaire du contrat de travail au profit d'un nouvel employeur, une telle motivation requérant seulement l'acceptation expresse du salarié ; qu'en l'espèce, la société Sodexo Afrique faisait valoir qu'elle n'était plus l'employeur de M. X... à compter du 23 octobre 2007 au plus tard, date à laquelle il avait accepté de poursuivre son contrat de travail au profit exclusif de la société Universal Sodexo Nigeria limited en signant un contrat, avec cette dernière, qui énonçait expressément qu'il « annule et remplace tous documents antérieurs » ; qu'en retenant que la société Sodexo Afrique n'indiquait pas de quelle manière le contrat de travail qui la liait à M. X... aurait été rompu, sans rechercher si le salarié n'avait pas ainsi accepté un transfert par novation de son contrat auprès d'un nouvel employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1273 du code civil ;

2°/ que si les conventions n'ont par principe d'effet qu'entre les parties, elles constituent des faits juridiques dont tout tiers intéressé peut en déduire des conséquences de droit à son égard ; qu'en relevant que la mention selon laquelle le contrat conclu avec la société Universal Sodexo Nigeria limited « annule et remplace tous les documents antérieurs » ne peut produire effet qu'entre les parties, quand cette mention pouvait être invoquée par la société Sodexo Afrique, tiers audit contrat, pour établir l'acceptation donnée par le salarié pour poursuivre son contrat de travail au profit d'un seul et unique nouvel employeur, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du code civil ;

3°/ que les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; que dans son courrier du 19 août 2008, M. X... écrivait : « Je viens d'apprendre que pour l'instant je ne retournais pas sur le Nigéria et j'aimerais savoir si je dépends toujours de votre pays ou d'Universal Sodexo » ; qu'ainsi, M. X... n'affirmait pas qu'il considérait que la relation de travail qu'il avait nouée avec la société Universal Sodexo Afrique n'avait jamais été rompue, mais s'inquiétait de savoir si la relation de travail avec la société nigérienne allait perdurer ou s'il allait désormais dépendre, pour l'avenir, « d'Universal Sodexo », c'est-à-dire d'une autre société du groupe sans même viser spécifiquement la société Universal Sodexo Afrique ; qu'en affirmant cependant que « pour sa part, M. X..., en arrêt de travail d'avril à fin juillet 2008, ne considérait pas que cette relation avait été rompue, puisqu'il a demandé, dans sa lettre du 19 août 2008 ayant précédé de peu son licenciement, s'il dépendait toujours du Nigéria " ou d'Universal Sodexo''», la cour d'appel a donné au courrier du 19 août 2008 un sens incompatible avec sa lettre et a violé le principe susvisé ;

4°/ qu'une société-mère et ses filiales constituent des entités juridiquement distinctes, si bien que l'on ne peut déduire de la conclusion de plusieurs contrats de travail successifs entre un salarié et différentes filiales d'un même groupe l'existence d'un contrat de travail entre ce salarié et la société-mère ; qu'en affirmant en l'espèce que la société Sodexo Alliance devenue Sodexo, dont il était constant qu'elle n'avait jamais conclu de contrat de travail avec M. X..., aurait été employeur de M. X... aux motifs inopérants qu'il aurait été employé par des filiales de la société Sodexo et avait été « muté en Nouvelle-Calédonie, puis réintégré en Afrique et affecté au Nigéria », la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérant a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et suivants du Code du travail et de l'article 1134 du code civil ;

5°/ que le fait pour une société-mère d'un groupe d'établir une attestation d'assurance chômage au profit d'un salarié de l'une de ses filiales ne suffit pas à caractériser l'existence d'un contrat de travail entre cette première société et le salarié, ce d'autant que le salarié était employé à l'étranger par une filiale étrangère dans le cadre d'un contrat de droit étranger et que, bien que cette situation n'offre normalement aucun droit au titre de l'assurance chômage française, l'affiliation a été maintenue par la société-mère au bénéfice du salarié comme de tous les salariés français du groupe employés à l'étranger par des sociétés de droit étranger ; qu'en retenant cependant que, peu important qu'elle ait fait valoir qu'elle avait voulu assuré au salarié employé par une filiale étrangère dans le cadre d'un contrat de droit étranger une couverture sociale et une indemnisation chômage, la société Sodexo aurait admis avoir employé et licencié M. X... en établissant une attestation d'assurance chômage à son profit pour la période du 1er juin 2006 au 8 octobre 2008, la cour d'appel, qui a de nouveau statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et suivants du code du travail et de l'article 1134 du code civil ;

6°/ que l'aveu ne peut porter que sur un point de fait, et non sur un point de droit ; qu'en déduisant l'existence d'un contrat de travail entre M. X... et la société Sodexo de l'attestation établie par cette dernière le 3 novembre 2008 aux termes de laquelle elle admettait avoir employé l'intéressé, la cour d'appel a violé les articles 1354, 1355 et 1356 du code civil ;

Mais attendu, d'abord, que la société Sodexo Afrique n'ayant pas soutenu, dans ses conclusions devant la cour d'appel reprises oralement à l'audience, que le contrat de travail conclu entre elle et M. X... avait été transféré par novation à la société Universal Sodexo Nigeria Ltd, la cour d'appel n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel a, pour conclure à la qualité d'employeur de la société Sodexo Afrique, d'une part, relevé qu'un contrat de travail avait été conclu entre elle et M. X... le 26 septembre 2001, d'autre part, retenu, par des motifs suffisants non critiqués par le moyen, qu'elle ne démontrait pas qu'il avait été mis fin le 31 mai 2006 à ce contrat ;

Attendu, enfin, que la cour d'appel a relevé que la société Sodexo avait délivré à M. X... l'attestation Assedic prévue par l'article R. 1234-9 du code du travail, aux termes de laquelle elle déclarait l'avoir employé du 1er juin 2006 au 8 octobre 2008 et l'avoir licencié pour motif personnel, et qu'elle se bornait à dire qu'elle avait voulu seulement assurer à l'intéressé une couverture sociale et son indemnisation en cas de chômage ; qu'elle a ainsi fait ressortir l'existence d'un contrat de travail apparent dont la société Sodexo n'établissait pas le caractère fictif ; qu'elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié la qualité d'employeur de la société Sodexo à l'égard de M. X... ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Sodexo et Sodexo Afrique aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne solidairement les sociétés Sodexo et Sodexo Afrique à payer à M. X... la somme globale de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, (...)

Analyse
Publication :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence , du 29 mars 2011

Titrages et résumés : CONTRAT DE TRAVAIL, FORMATION - Définition - Contrat de travail apparent - Caractérisation - Appréciation - Applications diverses - Délivrance d'une attestation ASSEDIC - Portée

En présence d'un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve. La délivrance de l'attestation ASSEDIC, prévue par l'article R. 1234-9 du code du travail, crée l'apparence d'un contrat de travail.

En conséquence justifie légalement sa décision, la cour d'appel qui ayant constaté que le salarié s'était vu remettre par une société une attestation ASSEDIC aux termes de laquelle elle déclarait l'avoir employée et l'avoir licenciée pour motif personnel, et se bornait à dire qu'elle avait voulu seulement assurer à l'intéressé une couverture sociale et son indemnisation en cas de chômage, décide que n'ayant pas établi le caractère fictif du contrat de travail apparent, cette société a la qualité d'employeur

Précédents jurisprudentiels : Sur le principe qu'en présence d'un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d'en apporter la preuve, dans le même sens que : Soc., 25 octobre 1990, pourvoi n° 88-12.868, Bull. 1990, V, n° 500 (rejet). Sur les éléments permettant de créer ou non l'apparence d'un contrat de travail, à rapprocher : Soc., 10 juin 2008, pourvoi n° 07-42.165, Bull. 2008, V, n° 127 (rejet) ; Soc., 29 octobre 2008, pourvoi n° 07-44.766, Bull. 2008, V, n° 206 (rejet)

Textes appliqués : articles L. 1221-1 et R. 1234-9 du code du travail



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