Abus de faiblesse par l’octroi d’une procuration bancaire et d’une carte bancaire ? Pas si évident (Cass. Crim., 8 janvier 2008, non publié).



Abus de faiblesse par l’octroi d’une procuration bancaire et d’une carte bancaire ? Pas si évident (Cass. Crim., 8 janvier 2008, non publié).
L'actualité sur l'abus de faiblesse reproché à Nicolas SARKOZY me fait placer cette note, publiée en 2008, en tête de blog. L'arrêt qui y est brièvement commenté est assez intéressant des facilités et difficultés de prouver/qualifier le délit pénal d'abus de faiblesse.

Il montre aussi que la qualification repose inévitablement sur un jugement factuel de l'état psychologique de la personne prétendument abusée et de celui qu'on suspecte d'abus. Les mêmes actes, papiers, remises, agissements peuvent recevoir ou non la qualification pénale d'abus de faiblesse selon la psychologie des acteurs (savaient-ils ou non, ont-ils voulu ou pas).

Ici, la Cour de cassation estime que la juridiction pénale est allée trop vite en besogne : une qualification doit être minutieuse et rapprocher des faits pertinents des termes précis de la loi. La chambre criminelle avait donc cassé la décision de condamnation, sa mention avait été justifiée puisque la note a été lue près de 9 000 fois.

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L’affaire ci-dessous n’a pas fait l’objet d’une décision qui apporte en droit, qui apporte au droit. Elle se contente d’appliquer la règle de droit telle qu’elle est posée, assez clairement, dans la loi. La Cour de cassation n'a donc pas jugé bon de "publier" l'arrêt dans son bulletin, quoiqu'il soit accessible sur Legifrance.

En revanche, sur le plan de l’illustration, l’arrêt ci-dessous reproduit, de la chambre criminelle, éclaire sur les difficultés que les questions de gestion d’argent posent, singulièrement via les comptes bancaires et pour des personnes âgées. Ces questions de gestion d'argent et de comptes en banque, civiles au premier plan, deviennent parfois pénales.

Les interdits pénaux protègent les crédules, les abusés et les faibles. Voyons en trois mots les trois situations, maladroitement confondues dans la vie courante ou dans la presse.

On ne peut tromper personnes, faible ou pas, avec des moyens spéciaux et faux : ce serait de l’escroquerie.

On ne peut détourner de leur emploi clairement attendu une ou des procurations bancaires : ce serait de l’abus de confiance, comme tout "détournement" de contrat.

On ne peut enfin abuser de la faiblesse d’une personne (malade, incapable, physiquement très affaiblie...) : ce serait le délit pénal d’abus de faiblesse si l'auteur des faits a conscience de cette faiblesse.

Dans ces trois cas, ces termes revêtent une signification pénale propre et précise, l'infraction est à chaque fois distincte.

L’escroquerie ne veut pas dire « se faire avoir », l’abus de confiance ne veut pas dire « mon partenaire a exagéré » et l’abus de faiblesse de la loi pénale conduit à une idée de la faiblesse très méticuleuse.

En l’espèce, les juges d’appel ont vu un peu vite (on dit, en droit, sans caractériser), d’une part un abus et, d’autre part, une faiblesse.

Sur l’abus, on peut estimer insuffisante cette motivation de la cour d’appel d’Agen : «qu’enfin, l’abus frauduleux consiste dans le fait de s’être, pour Marie-Josée X..., fait remettre une procuration et une carte de retrait d’espèces par sa mère pour en bénéficier… » ; nous ne voyons pas en quoi obtenir une procuration est frauduleux, sauf si des moyens frauduleux sont déployés… Le même raisonnement vaut pour la carte bancaire.

L’observation vaut d’autant plus que ces actes étaient faits par une mère au profit de sa fille. Si, dans chaque cas de ce type, il y a une fraude pénale… les juridictions vont être encombrées…

C’est cependant sur la faiblesse que la cour de cassation casse.

La motivation est incisive : « il ne résulte pas que l’état d’ignorance ou la situation de faiblesse de Fernande Y... étaient apparents et connus de Marie-Josée X..., la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ». La faiblesse doit être certaine et d’une gravité certaine conduisant à une altération des facultés de la personne prétendument abusée ; or il ressort des attendus de la cour d’appel que cette faiblesse était modérée… La faiblesse doit en être connue de celui qui est prévenu d’une telle infraction pénale.

Que le public se rassure, les baisses d’acuité de leurs proches, qui leur ont confié soit une carte ou signé une procuration ne les amènera pas devant un juge pénal et, si, par malchance, c’est le cas, il n’y aura pas de grands risques pour elles d’être condamnées.

Voilà donc une affaire, des faits, qui ne peut pas amener à une condamnation pénale.



Source LEGIFRANCE :

Cour de cassation chambre criminelle Audience publique du 8 janvier 2008
N° de pourvoi: 07-84317

Non publié au bulletin
Cassation
M. Cotte (président), président
SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :
X... Marie-Josée,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AGEN , chambre correctionnelle, en date du 23 avril 2007, qui, pour abus de faiblesse, l’a condamnée à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 223-15-2, alinéa 1er, du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Marie-Josée X... coupable d’abus de l’ignorance ou de la faiblesse d’une personne vulnérable pour l’obliger à un acte ou à une abstention néfaste, l’a condamnée à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans et a prononcé sur les intérêts civils ;

”aux motifs que le délit d’abus de faiblesse est caractérisé, selon les termes de l’article 223-15-2 du code pénal comme “l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur... pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables” ; qu’en l’espèce, l’examen des comptes bancaires de Fernande Y... montre que les virements de sa pension et des allocations caisse d’allocations familiales qui venaient en crédit ont été systématiquement suivis d’opérations de retraits effectués avec une carte bancaire, de telle sorte que les comptes bancaires n’étaient plus créditeurs que de quelques euros ou négatifs ; que l’examen de ces retraits montre que le compte Caisse d’épargne faisait l’objet de très fréquents retraits par petites sommes, parfois plusieurs fois par jour, pour exemple : deux retraits le 1er avril 2004, deux retraits le 30 avril, quatre retraits le 3 mai dont l’un à 20 H 07 ; que la prévenue a indiqué qu’elle accompagnait sa mère dans chacun de ses retraits ; que par ailleurs, le compte Banque populaire a fait l’objet d’un retrait de 1 560 euros le 10 mai 2004 ; que Marie-Josée X... conteste avoir géré les comptes bancaires de sa mère ; que pourtant, elle reconnaît l’avoir accompagnée lors de l’ouverture des comptes en banque et avoir obtenu une procuration sur ces comptes ; que l’opération d’ouverture du compte à la Caisse d’épargne a été effectuée le 16 janvier 2004 et s’est accompagnée de la délivrance d’une carte libre service écureuil ; qu’enfin Marie-Josée X... a reconnu, lors de sa déposition, avoir bénéficié elle-même des retraits d’espèces effectués, et a justifié du non-paiement de la maison de retraite par le fait qu’elles en avaient trop fait usage ; que Fernande Y... était âgée de 85 ans au moment des faits ; que l’expert qui l’a examinée a constaté une baisse modérée de ses capacités intellectuelles et physiques en 2005 ; qu’il s’agit donc bien d’une personne en situation de faiblesse au sens de l’article 223-15-2 du code pénal ; qu’il est par ailleurs établi que les retraits effectués correspondaient au montant de ses ressources, et qu’ils ont gravement compromis sa situation financière puisque la maison de retraite dans laquelle elle était placée n’a jamais été réglée ; qu’il est donc établi qu’ils lui ont été gravement préjudiciables sans qu’il soit besoin d’ordonner un supplément d’information ; qu’enfin, l’abus frauduleux consiste dans le fait de s’être, pour Marie-Josée X..., fait remettre une procuration et une carte de retrait d’espèces par sa mère pour en bénéficier personnellement ; qu’en effet, sur ce point, la prévenue ne peut justifier de l’ensemble des retraits effectués par les besoins de sa mère ; qu’il est par ailleurs paradoxal de l’aider dans ses démarches bancaires et de se désintéresser de la manière dont elle s’acquittait des charges liées à son hébergement en maison de retraite alors qu’elle indique l’avoir accompagnée dans chaque retrait ; qu’enfin, elle a reconnu avoir profité des largesses de sa mère pour revenir ensuite sur ses déclarations, alors qu’il n’apparaît d’aucun élément qu’elle aurait fait l’objet de pressions particulières qui auraient dicté ses propos ; qu’il convient, en conséquence, de constater que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis et d’entrer en voie de condamnation; que la décision déférée sera infirmée ;

”1°) alors que le délit d’abus de faiblesse n’est constitué que pour autant que son auteur prétendu a eu un comportement caractérisant un abus frauduleux de nature à conduire la personne vulnérable à un acte préjudiciable ; que la cour d’appel, qui s’est bornée à relever que la prévenue était présente lors des retraits et avait profité d’une partie des sommes litigieuses, sans relever que ces retraits et remises d’argent résultaient du comportement de Marie-Josée X... constitutif d’un abus frauduleux n’a pas caractérisé les éléments constitutifs de l’infraction ;

”2°) alors que le délit d’abus de faiblesse suppose pour être constitué que la particulière vulnérabilité de la victime prétendue soit apparente ou connue de l’auteur de l’abus ; que la cour d’appel qui n’a pas constaté que la diminution de facultés intellectuelles de Fernande Y... était apparente ou connue de Marie-Josée X..., n’a pas caractérisé les éléments constitutifs de l’infraction” ;

Vu l’article 593 du code de procédure pénale, ensemble l’article 223-15-2 du code pénal ;

Attendu que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l’infraction qu’il réprime ;

Attendu que, pour déclarer Marie-Josée X... coupable d’abus de faiblesse, l’arrêt attaqué prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu’en l’état de ces seules énonciations, d’où il ne résulte pas que l’état d’ignorance ou la situation de faiblesse de Fernande Y... étaient apparents et connus de Marie-Josée X..., la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin d’examiner le second moyen de cassation proposé :


CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Agen,
en date du 23 avril 2007, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de BORDEAUX, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Agen et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, M. Le Corroller conseiller rapporteur, M. Farge conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
Décision attaquée : Cour d’appel d’Agen du 23 avril 2007






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