Attaquer le banquier, savoir ses chances et que demander : le dirigeant social averti et sans conseil.




Procès habituel entre, d'une part, un dirigeant, la société en liquidation et le liquidateur et, d'autre part, le prêteur (lato sensu) professionnel en défense.

Réponse attendue s'agissant d'un dirigeant connaissant la finance, les finances. Contester l'opération de crédit qu'il a lui-même demandée n'est alors pas facile. Sauf point très particulier à invoquer et, aussi, solide en jurisprudence.

Ici, le dirigeant, caution, n'avait pas grand choix d'armes. Sa capacité, ses compétences, ses connaissances sont celles de la société puisqu'il la dirige... Il en est le représentant légal. Elle, la société, c'est en pratique lui...

Le dirigeant a l'heur d'être également caution, mais deux qualités ne font ici qu'un problème à régler.

Plus subtilement, avec "mes" étudiants, on notera le sort de l'obligation de conseil dans ce contentieux. L'arrêt évoque le "devoir de mise en garde et de conseil". Devoir, obligation... mise en garde, conseil, tout cela est ici et en apparence bien confus ! On verra la clé (plate) du dénouement.

Voilà un phénomène qui se reproduit souvent. Les avocats engagent des procès en responsabilité qui ne sont pas très sérieux - même si en toute affaire il faut voir les faits. On renverra à notre ouvrage pour ceux qui veulent réfléchir aux diverses informations pouvant susciter un contentieux car il faudrait "réétager" toutes les obligations (conseil présentation, conseil-avertissement, conseil-orientation, conseil- déontologique : voir Droit bancaire et financier, 2016, p. 637, n° 1295).

On pourra ajouter "conseil-explication" en tenant compte du droit de la consommation (devoir d'explication dans le contrat), lequel ne peut pas absorber la mise en garde pour des raisons de forme et de fond - contrairement à ce que certains auteurs disent (par ex. G. Paisant, Doit de la consommation, 2019) ; mais la Cour de cassation peut ne pas être logique.

La jurisprudence autant que sa pratique est bien incertaine, la doctrine suit, souvent sans critique de principe, ce fatras de décisions suscitée par une conception très relative de chaque notion en cause (bon, la mise en garde, elle, est claire...).

Ce sont les faits qui appellent le droit, et non l'inverse (l'étudiant remettra les faits à leur importance véritable le jour où il pratiquera : un procès se fait d'abord sur les faits - qui sont donc essentiels dans un arrêt à commenter comme dans un cas pratique...).

"Mes" étudiants noteront le crédit-bail... Ils noteront également le contexte de procédure collective avec une intervention. Enfin ils noteront un moyen de cassation fantaisiste et irrecevable pour ne pas avoir été présenté au juge du fond.

Et tout ça pourquoi ? Quelle aurait été la réparation si une mise en garde avait été due. La réponse est bien connue, on peut néanmoins la réviser.

Une pauvre décision bien trop riche...


Extrait de Légifrance, base publique du droit

Cour de cassation - Chambre civile 3
N° de pourvoi : 18-15.398

Publié au bulletin
Solution : Rejet
Audience publique du jeudi 19 septembre 2019
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 22 février 2018
Président
M. Chauvin
Avocat(s)
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Caston
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 février 2018), que, le 28 décembre 2006, Mme A... S... et MM. Y..., V... et H... S... ont constitué la société civile immobilière de la Brie (la SCI) en vue de l'acquisition d'un terrain sur lequel devait être édifié un immeuble à usage industriel et de bureaux ;

que, par acte authentique du 11 juillet 2008, les sociétés OSEO financement, devenue Bpifrance financement, CMCIC lease, Natiocrédibail et Fortis lease ont conclu avec la SCI un contrat de crédit-bail destiné à financer l'acquisition du terrain et la construction de l'immeuble ;

que, par acte authentique du 4 décembre 2009, les parties ont conclu un avenant destiné à financer la réalisation de travaux supplémentaires, garanti par un engagement de caution solidaire souscrit par M. Y... S..., gérant de la SCI ; que, la SCI étant défaillante, une ordonnance de référé du 6 septembre 2013 a constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat ;

que la SCI et ses associés ont assigné les crédits-bailleurs en responsabilité pour manquement à leur devoir de mise en garde et de conseil lors de la conclusion du crédit-bail et de son avenant ; que la SCI a été mise en liquidation judiciaire ;

que les crédits-bailleurs ont appelé le liquidateur en intervention forcée et demandé reconventionnellement la fixation de leur créance au passif de la SCI, ainsi que la condamnation des associés et de la caution à leur payer les sommes dues à la suite de la résiliation du crédit-bail ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé : (point de procédure)

Sur le deuxième et le quatrième moyens, réunis, ci-après annexés :

Attendu que les consorts S..., la SCI et son mandataire liquidateur font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, de fixer la créance des sociétés Bpifrance financement, CMCIC lease, Natiocrédibail et Fortis lease au passif de la SCI, de condamner les associés à payer le montant de la dette sociale à proportion de leur part dans le capital social et de condamner M. Y... S... en sa qualité de caution ;

Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit que seules les personnes non averties peuvent bénéficier du devoir de mise en garde et que le caractère averti d'une personne morale s'apprécie, lors de la conclusion du contrat, en la personne de son représentant, et relevé que M. Y... S... avait créé le groupe Bergame en 1993 et était le dirigeant de toutes les sociétés de ce groupe, dont il connaissait la situation et les perspectives de développement, qu'il avait choisi le terrain, décidé des travaux et de l'opération dans son ensemble, qu'il avait auparavant réalisé une opération d'acquisition à effet de levier, dite de Leveraged by out (LBO), pour procéder au rachat d'une société en 2001, avant de réaliser une autre opération de croissance externe en 2005, qu'il avait déjà procédé à des financements similaires et disposait de connaissances et d'une expérience avérées dans le domaine de la gestion, lui permettant d'appréhender le crédit contracté ainsi que la teneur et la portée de ses propres obligations en qualité de caution, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, en a souverainement déduit que M. Y... S... était un emprunteur et une caution avertis et a ainsi, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ces chefs ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que les consorts S... font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que, lorsque le crédit-preneur est une société civile, au sein de laquelle chaque associé répond indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital social, le crédit-bailleur est tenu d'un devoir de mise en garde envers chaque associé non averti sur le risque d'endettement excessif qui résulte pour lui, pris individuellement, de l'opération ; qu'en l'espèce, les associés du crédit-preneur, la SCI, soutenaient que les crédits-bailleurs avaient manqué à leur devoir de mise en garde à leur égard, en ce qu'ils étaient des associés non avertis incapables de faire face au risque financier résultant de l'octroi des crédits litigieux à la SCI ; qu'en affirmant que seul le cocontractant du crédit-bailleur, à savoir la SCI, pouvait invoquer le manquement au devoir de mise en garde, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, l'article 1857 du même code, ensemble le principe selon lequel le crédit-bailleur est tenu d'un devoir de mise en garde envers chacun des associés non avertis d'une société civile du risque d'endettement excessif qui résulte pour chaque associé de la conclusion du contrat de crédit-bail avec la société, et l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'une part,

qu'il ne résulte pas de leurs conclusions d'appel que les consorts S..., la SCI et son liquidateur aient soutenu que la privation pour l'associé d'une société civile du droit à se prévaloir du fait qu'il est profane violait l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le moyen est de ce chef nouveau, mélangé de fait et de droit ;

Attendu, d'autre part,

que, lorsque l'emprunteur est une société civile immobilière, seule celle-ci est créancière de l'obligation de mise en garde et non ses associés, même si ceux-ci sont tenus indéfiniment des dettes sociales, et que le caractère averti de cet emprunteur s'apprécie en la seule personne de son représentant légal et non en celle de ses associés ;

D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le cinquième moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;


Condamne Mme A... S..., MM. Y..., V... et H... S... et M. B..., pris en sa qualité de liquidateur de la SCI de la Brie, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de Mme A... S..., de MM. Y..., V... et H... S... et de M. B..., ès qualités, et les condamne à payer aux sociétés Bpifrance financement, CMCIC lease, Natiocrédibail et Fortis lease la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour Mme A... S..., MM. Y..., V... et H... S..., M. B..., en sa qualité de mandataire liquidateur de la SCI de la Brie, et la SCI de la Brie

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

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