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Bouygues ignore ce qu'est un crédit : Free obtient 308 millions de dommages et intérêts. Suite de : Cass. com., 7 mars 2018, n°16-16645.



Bouygues ignore ce qu'est un crédit : Free obtient 308 millions de dommages et intérêts. Suite de : Cass. com., 7 mars 2018, n°16-16645.
Un arrêt de Cassation avait jugé que, pour Bouygues, donner un téléphone (subventionner le client) à l'occasion d'un abonnement internet-téléphone plus cher que les autres abonnements qu'il proposait constituait un crédit (Cass. com., 7 mars 2018, n°16-16645). Free l'avait fait juger pour pointer un crédit à la consommation accordé irrégulièrement, ce qui ipso facto constituait donc un acte interdit de concurrence (ce que Bouygues conteste, appel est interjeté), c'est sur cela que le tribunal de commerce vient de statuer avec cette condamnation à 308 millions d'euros.

De nombreuses analyses, à cette occasion, livrèrent une position indiquant ce qu'elles considéraient être un crédit. Du moins a-t-on un avis sur le point de savoir s'il y avait ou non, en l'espèce, un crédit. Une opération promotionnelle un crédit ? Cela pouvait choquer. Or tout ou presque peut être crédit... ce pourquoi par exemple (et en passant) le concept de crédit n'est pas un genre mais correspond seulement à des espèces).

Les analyses ne pouvaient le faire qu'à partir d'une doctrine d'un "classique classicisme" qui essentiellement répète les termes de la loi bancaire de 1984 (strictement reprise au Code monétaire et financier depuis 2000). Quant au code de la consommation, il met quelques notions en valeur et au clair sans pouvoir faire pivoter la conception de ce qu'est un crédit. Mais il en résulte qu'on croit que l'archétype du crédit est le prêt et son critère la remise de fonds. La Cour de cassation a envoyé ce poncif aux abysses.

On sait énumérer les crédits, on ne sait pas ce qu'est un crédit.

Le contentieux avait cependant été engagé sur le fondement du code de la consommation sans en appeler ; cela a pu aider au succès de Free qui n'a pas eu l'air de vouloir expliquer ce qu'est un crédit, notamment au parquet ou aux autorités monétaires (tout en y parvenant in fine...). La stratégie était la bonne car, à notre sens, les deux autorités auraient eu une vision étriquée du crédit (à notre sens...).

On sait énumérer les crédits, comme la loi le fait, les décrire à l'infini, comme la loi ne le fait pas, jusqu'à épuisement des étudiants... mais on ne sait pas ce qu'est un crédit, comme la loi qui ne donne pas une définition de synthèse construite sur un (un !) critère.

Avec l'arrêt de 2018, au moins et désormais, on sait qu'on ne sait pas ! Et on sait que la catégorie est (malicieusement et dangereusement) ouverte.

En miroir de cette question de définition, ou plutôt de définitions qui tournent en rond, de façon plus analytique, nous avons plusieurs fois signalé le besoin d'un critère. Ce manque (formel) et donc ce besoin confirment l'ignorance de ce qu'est un crédit, on trouve quelques discussions sur le critère du crédit mais elles sont brèves et généralement on s'abstient de proposer un critère ou celui proposé est nettement inadapté.

Ainsi et en effet, le critère de la mise à disposition ne va pas dans de nombreux cas, voire dans la majorité des crédits car il n'y a pas de transfert de monnaie. En nombre le prêt domine et il y a donc remise de monnaie ; en type de crédit une caution ou une autre garantie inconditionnelle est un crédit (par signature) sans qu'il y ait de remise de monnaie, pas plus que dans le crédit-bail...*

Nous avons travaillé l'idée (parfois avancée sinon systématisée : Jean Stoufflet) de "l'avance de moyens" ; mais cela habille la remise de fonds plus que cela propose une idée neuve ; en revanche, l'idée d'avance sonne bien et utile, ainsi nous avons proposé une expression neuve dans le critère plus large "d'engagement d'avance". Nous tournons l'idée à une autre idée qui surplombe le crédit, avec la confiance..., celle de risque. Un auteur a proposée le risque (G. Ansaloni, sa thèse et Revue Banque, mai 2012), mais l'idée de risque est un peu partout et ne séduit gère quand d'autres la proposent comme critère des contrats financiers ou du contrat d'assurance et qu'il caractérise le contrat d'assurance.

D'autres ne parlent pas du critère et la liste des crédits suit son prétendu cors naturel : l'idéal pour un cours ! Parfois, certains en parlent sur des supports souples alors qu'ils l'ignorent sur leurs nobles supports doctrinaux.

Si la question a été commentée trente fois, généralement sans parler de critère du crédit, et si tel a été le cas, c'est bien parce que, notamment, le critère de la remise de fonds ne tient pas. Et il tient plus du tout en droit positif avec l'arrêt de 2018 (Cass. com., 7 mars 2018, n°16-16645). L'arrêt admet que cette opération iconoclaste est un crédit dans la tradition française du jeu serré des réponses au pourvoi mais sans donner de critère ; la décision se termine du reste avec le terme "emprunteur" alors qu'il n'y a aucun prêt, c'est dire que les hautes juridictions profiteraient elles aussi de l'invention-création-identification doctrinale d'un critère.

https://www.hervecausse.info/Xavier-NIEL-fait-gagner-Free-les-telephones-offerts-par-les-concurrents-constituent-des-facilites-de-paiement-et-donc_a1494.html

https://www.hervecausse.info/Fournir-un-telephone-paye-via-un-abonnement-vaut-operation-de-credit-facilite-de-paiement-Cass-com--7-mars-201816_a1505.html


La présente décision du tribunal de commerce est la suite logique de l'arrêt de la Cour de cassation de 2018 et de l'arrêt de la cour d'appel de renvoi (au passage : ce jugement concrétise l'unité oubliée de "l'oublié droit commercial").

https://www.lefigaro.fr/flash-eco/bouygues-telecom-condamne-a-verser-308-millions-a-free-20230210

Pour nous, après avoir retravaillé l'idée d'avance de moyen que nous avions portée dans Droit bancaire et financier (qui devrait être republié), nous avons évolué. Nous avons écrit à deux ou trois reprises que le critère pourrait celui d'un "engagement d'avance". L'idée de cette expression, créée, mais non de toute pièce, est de donner un critère qui réunisse les cas de remises de fonds aux cas où l'avance est faite de façon dérivée où, aussi, quand l'avance est simplement promise : crédit par signature et promesse de prêt). Vous noterez que l'expression sonne. Elle a ce côté poétique qui transcende les mots et leur banal sens pour désigner des concepts neufs (pour ceux qui me suivent juste à l'occasion, voyez notamment la conclusion de mon essai "le droit sous le règne de l'IA, ici en ligne, pour approcher cette dimension du droit).

Le critère du crédit ! Et non de l'opération de crédit... voilà une indication qui vaut direction, il y en a dix majeures à donner.

Voilà qui serait un beau sujet de thèse avec une portée au-delà des frontières car l'ignorance est, de ce que l'on en a vu, mondiale. Pourquoi cela serait-il un bon sujet de thèse ? Parce que toute proposition de critère mérite vingt vérifications "scientifiques", soit quatre ans à temps plein !




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* je tiens pour secondaire et sans intérêt la pseudo assimilation du crédit-bail aux crédits ; c'est un artifice de la loi de 1984, les rédacteurs n'ayant pas su trouver le critère...b[

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