Comme les antibiotiques, la mise en garde c'est pas automatique. Une banque fait casser un arrêt d'appel (Cass. com., 24 mars 2021).



Le mécanisme de la mise en garde n'est pas automatique. Il faut redire qu'il n'a fondamentalement rien à voir avec d'autres devoirs ou obligations, ni quant au fond, ni quant à son fondement, ni quant à sa forme. Il est ainsi amusant de voir fleurir des pourvois en cassation qui désormais visent, pour un seul et même fait, à la fois l'obligation d'information, de mise en garde, de conseil... "en même temps" ?

Cela prouve que le grief est mal cerné dès l'assignation, qu'il n'est pas clarifié dans les conclusions d'appel et que le juge du second degré ne parvient pas à remettre en ordre la situation. Ainsi, certains pourvois reprochent un peu tout à la banque... Au nom de l'emprunteur voire de la caution.

La Cour de cassation elle-même, dans ce genre de litige, relate parfois deux griefs, ou trois, en résumant in limine le litige et la procédure et puis, finalement, elle ne répond que sur un point. Voilà qui signe la qualification la plus probable du grief qui aurait dû être fait. C'est assez spectaculaire de traiter la question avec des étudiants, car cela les saisit. Autrement dit entre l'information, rarement le renseignement, la mise en garde, parfois l'explication, le conseil... on a peine à s'y retrouver ; ces fautes (pré-) contractuelles deviennent parfois des objets mous de la connaissance juridique. Au point, d'ailleurs, que le moindre défaut suspecté est parfois invoqué en dol (question traitée sur ce blog). Tous les défauts d'information (lato sensu) du client ne sont pas des dols : cela sinon se verrait nettement en jurisprudence avec de nombreux contentieux !

Comprenez cette note : il n'est pas reproché d'utiliser divers moyens mais de les mélanger au point que l'on ne sait pas, en réalité, le moyen précis de droit qui est invoqué. Il faut dire que la Cour de cassation a introduit et institué le vers dans la pomme : "l'obligation d'information et de conseil" qu'elle utilise encore à l'occasion ; cette dernière mélange trop deux choses () qui sont différentes - pour une chose unique unique informe... Alors, on peut ensuite, en glissant sur la même pente de la confusion, parler du côté des clients de violation, en mélangeant tout, de "l'obligation d'information, de mise en garde, de vigilance et de conseil"....

Sur l'obligation de vigilance vous pouvez consulter ici diverses analyses (utiliser la barre de recherche ci-contre à gauche).

Le contentieux existe de la part des emprunteurs et des garants - généralement des cautions comme dans l'espèce citée (voir ci-dessous). Cet arrêt montre à sa façon ce qui est ici dit. La caution a critiqué une Caisse de crédit agricole "notamment pour manquement à son obligation de mise en garde" écrit la Cour de cassation. Les plaideurs ont l'impression que reprocher diverses choses à la banque est la bonne stratégie...

Ce cas n'est que l'occasion des quelques remarques ci-dessus, lesquelles dépassent l'erreur de la cour d'appel. Pour vérifier si l'engagement de la caution était adapté au capacité du garant, ce qui alors dispensait de faire une mise en garde, le juge d'appel n'avait pas considéré un actif (un immeuble) du patrimoine du garant. La mise en garde n'était donc pas une obligation de la banque. L'arrêt de la cour d'appel qui lui en faisait le reproche est donc cassé, la caution a probablement été régulièrement accordée.



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Source Légifrance.

Cour de cassation - Chambre commerciale
N° de pourvoi : 19-17.525

ECLI:FR:CCASS:2021:CO00268
Non publié au bulletin
Solution : Cassation

Audience publique du mercredi 24 mars 2021
Décision attaquée : Cour d'appel d'Orléans, du 24 janvier 2019

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 mars 2021
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 268 F-D
Pourvoi n° S 19-17.525
...

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 24 MARS 2021

La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) [...], société coopérative à capital et personnel variables, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° S 19-17.525 contre l'arrêt rendu le 24 janvier 2019 par la cour d'appel d'Orléans (chambre commerciale, économique et financière), dans le litige l'opposant à Mme P... Q..., épouse D..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Guerlot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel [...], de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme Q..., et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 février 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Guerlot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 24 janvier 2019), par un acte du 27 novembre 2009, la société Crédit agricole [...] (la banque) a consenti à la société Artefix un prêt de 45 000 euros, garanti par le cautionnement solidaire de M. et Mme D.... La société Artefix ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné M. et Mme D... en exécution de leurs engagements. Mme D... s'est opposée aux demandes de la banque, en sollicitant sa condamnation à lui payer des dommages-intérêts, notamment pour manquement à son obligation de mise en garde.

Examen du moyen

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a manqué à son l'obligation de mise en garde envers Mme D..., alors « que le banquier n'est pas débiteur d'une obligation de mise en garde envers la caution dont l'engagement est adapté à ses capacités financières, étant précisé que quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ; que la cour d'appel constate que Mme D... était propriétaire, à la date où elle s'est engagée et aujourd'hui encore, d'un immeuble dont la valeur lui permet de faire face aux conséquences du cautionnement qu'elle a souscrit ; qu'en énonçant, dans ces conditions, "que l'engagement de caution que la banque a fait souscrire à Mme D... était inadaptée à ses capacités financières", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, a violé les articles 1147 ancien, 1231-1 actuel et 2284 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

3. Il résulte de ce texte que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

4. En statuant ainsi, sans prendre en compte la valeur de l'immeuble appartenant à Mme D..., cependant que l'adaptation du cautionnement aux capacités financières de cette dernière, condition de l'existence de l'obligation de mise en garde du banquier dispensateur de crédit, devait être appréciée en considération de l'ensemble de ses biens et revenus, ainsi que de ses charges, la cour d'appel a violé le texte sus-visé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;

Condamne Mme D... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme D... et la condamne à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel [...] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mars deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel [...].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR :

. condamné Mme P... Q... D... à payer à la Crcam [...] la somme de 27 709 € 80, augmentée, à concurrence de 24 502 € 40, des intérêts au taux contractuel de 3,98 % l'an à compter du 15 août 2013 ;

. dit que la Crcam [...] a manqué à l'obligation de mise en garde dont elle était débitrice envers Mme P... Q... D... ;

. condamné la Crcam [...] à payer à Mme P... Q... D... une indemnité de 32 000 € ;

. ordonné la compensation entre, d'une part, la créance de la Crcam [...] au titre de l'engagement de caution pris par Mme P... Q... D..., et, d'autre part, la créance d'indemnité que Mme P... Q... D... détient contre la Crcam [...] ;

AUX MOTIFS QUE « la banque est tenue envers la caution non avertie d'un devoir de mise en garde à raison de ses capacités financières et des risques de l'endettement né de l'octroi d'un prêt » (cf. arrêt attaqué, p. 8, sur le manquement de la banque à son obligation de mise en garde, 1er attendu) ; « qu'il n'est pas discuté que Mme D... n'est pas une caution avertie » (cf. arrêt attaqué, p. 8, sur le manquement de la banque à son obligation de mise en garde, 2e attendu) ; « que Mme D... justifie qu'à la date à laquelle elle s'est engagée comme caution elle était retraitée et percevait une pension de 12 800 € » (cf. arrêt attaqué, p. 8, sur le manquement de la banque à son obligation de mise en garde, 4e attendu) ; « qu'au regard de ses modestes ressources, Mme D... ne pouvait faire face à son engagement de caution qu'en aliénant son patrimoine immobilier, ce qui l'exposait à un risque manifeste de surendettement, puisque dans une telle hypothèse elle devait inéluctablement assumer un loyer pour se loger, ce qui était de nature à aggraver ses charges alors que ses revenus n'étaient pas susceptibles d'évoluer, sa pension étant actuellement de 12 838 € par an » (cf. arrêt attaqué, p. 8, sur le manquement de la banque à son obligation de mise en garde, 5e attendu) ; « qu'il se trouve ainsi établi que l'engagement de caution que la banque a fait souscrire à Mme D... était inadaptée à ses capacités financières » (cf. arrêt attaqué, p. 8, sur le manquement de la banque à son obligation de mise en garde, 6e attendu) ;

1. ALORS QUE le banquier n'est pas débiteur d'une obligation de mise en garde envers la caution dont l'engagement est adapté à ses capacités financières, étant précisé que quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ; que la cour d'appel constate que Mme P... Q... D... était propriétaire, à la date où elle s'est engagée et aujourd'hui encore, d'un immeuble dont la valeur lui permet de faire face aux conséquences du cautionnement qu'elle a souscrit ; qu'en énonçant, dans ces conditions, « que l'engagement de caution que la banque a fait souscrire à Mme D... était inadaptée à ses capacités financières », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, a violé les articles 147 ancien, 1231-1 actuel et 2284 du code civil ;

2. ALORS QUE la Crcam [...] faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, p. 16, 2e alinéa, que, pour faire face à son engagement de caution (58 500 €), Mme P... Q... D... disposait, lorsqu'elle a souscrit son cautionnement, d'un immeuble qui a été évalué, en août 2013, à 143 000 €, et qui est évalué aujourd'hui, suivant les propres déclarations de Mme P... Q... D..., à au moins 92 000 € ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

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