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Du prétendu "monopole des prestataires de services de paiement"... et de ses "dérogations" qui n'en sont donc pas (Cass. com., 30 juin 2021, 19-21.418, Publié)



Du prétendu "monopole des prestataires de services de paiement"... et de ses "dérogations" qui n'en sont donc pas (Cass. com., 30 juin 2021, 19-21.418, Publié)
Il sera intéressant de voir si dans dix ans, ou vingt, les systèmes d'IA procéderont comme les humains qui, sur un consensus peu pensé, mais pétri d'altérité, décident d'utiliser un mot qui ne convient pas du tout pour écrire et décrire un... principe !

Le juge du droit s'y adonne dans la décision précitée (Cass. com., 30 juin 2021, 19-21.418, Publié au bulletin) ; il pourra sans doute se référer à "la doctrine" qui a, à notre sens, les mêmes travers. Voilà qui est topique pour l'art juridique... quand le juriste prétend à la rigueur linguistique.

Dans le secteur de la finance, il y a une vielle tradition qui pousse à parler de "monopole" quand des centaines de professionnels se livrent à une concurrence intense. La doctrine ne peut pas revenir sur son travers tant il est général, elle n'accepte pas d'opérer les revirements utiles. Le lecteur comprendra que nous prenons un point particulier de cette décision concernant le travers du monopole.

Le juge tombe dans ce travers.

"6. Si, selon le troisième de ces textes, par exception au monopole des prestataires de services de paiement, ..."

La décision en ligne, cliquez ici

Cet emploi mal à propos a aujourd'hui un avantage : il s'entrechoque avec un autre abus qui consiste à parler, encore, malgré des dizaines de réformes l'infirmant, de "monopole bancaire". On ne va pas détailler cette collision qui n'est pas frontale mais quand il va falloir admettre, un jour de clairvoyance, qu'il faut combiner 4 ou 5 monopoles, réservés à des groupes d'entreprises différentes mais, qui ont le droit de pratiquer les activités du monopole des voisins, on aura atteint un sommet dans le ridicule et il faudra présenter les choses autrement.

Monopole bancaire - Monopole des PSP - Monopole des Prestataires des services d'investissement - Monopole du financement participatif. Faut-il écrire "etc." ? Autant de monopole qui connaissent chacun au moins dix dérogations et que chaque professionnel peut plus ou moins méconnaître en exerçant (plus ou moins, il y a des nuances) le métier des autres monopoles. Bref, le mot monopole est complètement hors de propos. Ce travers tient peut être au refus de voir le "droit monétaire, bancaire et financier" en une matière relativement unitaire.

Justement, la difficulté tient manifestement à autre chose, à une difficulté : comment dire l'idée que véhicule ici le mot "monopole" par un autre terme plus exact... Le mot ne peut pas venir tout seul. Il faut une réflexion. Collective. Nous avons proposé le nôtre (V. Droit bancaire et financier, mare & martin, 2016). Mais est-il indispensable de donner un mot à cette situation.

N'est-il pas suffisant de parler par exemple des professionnels des paiements, des assurances ou du crédit pour désigner leur situation légale ? La Cour de cassation le fait, par une création bizarre dont elle éprouve le besoin, elle évoque régulièrement "les organismes de crédit" pour rappeler les obligations qu'elle ajuste régulièrement, expression que la loi ignore, du moins en tant qu'appellation majeure ; elle sous-entend les professionnel agréés pour faire du crédit, sans avoir besoin de dire les professionnels bénéficiant du monopole... ce serait inopportun).

L'arrêt illustre à sa façon le fait qu'il n'y a pas de "monopole". L'idée est simple. Dans divers cas, une personne est autorisée à rendre (et / ou vendre) un service portant sur paiement qui n'est pas soumis au bloc que l'on doit appeler "Droit des services de paiement". Certes ces cas font partie de ce droit ; mais le cœur de ce droit des services de paiement n'est pas dans ces cas, mais bel et bien dans le statut de ces PSP ou assimilés (banques) et les règles que ces prestataires doivent respecter (une sorte de "droit de la consommation bancaire" selon l'expression de Jean-Jacques Daigre).

Dans cette configuration juridique*, la personne échappe aux règles qui s'appliquent de principe :
- soit parce que sa prestation est limité dans la forme, dans le temps, dans l'espace, dans le public ; bref, ça ne vaut pas le coup de réglementer des opérations marginales ;
- soit parce que la prestation est une illusion et qu'elle est rendu à ses salariés, dirigeants, clients, sociétés de groupe... soit des personnes qui par hypothèse ne peuvent pas être mis en danger par ces opérations (pour ne pas dire "services").

De quoi s'agissait-il avec cet arrêt ?

D'une entreprise qui dispose du droit de rendre des services que l'on doit considérer comme portant sur des paiements, sans avoir besoin de prendre un des statuts de PSP (notamment EP, ou banque, ou autre). Si vous dites monopole, l'esprit pense alors que le droit substantiel applicable à ces personnes doit s'appliquer à celle qui n'a pas besoin de ce statut (ce propos est dit très vite et mériterait d'être expliqué). Voilà une opinion qui s'anime d'une sorte d'idée d'égalité ou de compensation : vous n'avez pas à avoir d'agrément mais tout de même vous allez respecter les règles. C'est oublier que ces règles sont souvent faites pour protéger le client du professionnel lui-même. Du prestataire. C'est oublier la prestation. Comme ne pas oublier cette bâtarde qui n'est pas même un contrat spécial !

C'est l'erreur que commet la cour d 'appel.

Ces services ne sont pas réglementés pour accorder un monopole, et la Cour de cassation s'égare en utilisant cette expression et ce mot "monopole" qui justement le laisse entendre ; cette réglementation régit seulement des opérations sensibles, sur argent, sur monnaie, rendus par des professionnels dépositaires (donc en situation de force) et des opérations qui doivent spécialement bien fonctionner (pour satisfaire l'économie réelle, dont il sont une partie).

Le droit de l'UE est l'inverse d'un Droit des monopoles ! Il est un Droit de la concurrence universalisé.

Voilà pourquoi lorsque l'un des statuts et agrément de PSP n'est pas requis, il n'y a pas lieu à d'office appliquer les 50 règles (image) applicables au PSP / clients. En effet, ce droit de ne pas se soumettre à ce statut implique que les clients du service (qui ne seront pas stricto sensu "services de paiement") n'ont pas besoin de cette protection.

La Cour de cassation applique bien la loi mais, à notre modeste sens, sans en bien saisir la ratione legis (un peu de latin fait toujours science...). Si tout le monde agissait autrement, des incomprhénsions seraient évitées, des procès avec et donc des cassations.




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Au plan pédagogique les étudiants éviteront les positions de cette note, au demeurant pas facile à comprendre (j'invite à la relire), et ils réciteront pour un commentaire de cette décision le discours sur le monopole :

I. La dérogation au monopole des PSP

A. Le domaine réservé aux PSP

B. Des PSP qui ne sont pas PSP !

II. La dérogation aux règles des PSP

A. Les responsabilités des véritables PSP teneurs de comptes

B. La responsabilité originale des autres "PSP exemptés"

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* Restons général, et non positiviste, pour faire passer l'idée ; idée générale, qui se retrouvera dans nombre de législation prévoyant une exclusivité de certaines opérations à des entités / personnes aptes à les rendre et ses dérogations (le justiciable respecte l'exclusivité de la défense accordée aux avocats, mais il a généralement le droit de se défendre seul et lui-même).

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