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Faire du droit. Vers la théorie. Vers la pratique.



Faire du droit. Vers la théorie. Vers la pratique.
Il est commun de poser la question "qu'est-ce que le droit ?". Il est tout aussi commun de lire que personne ne peut sérieusement répondre. Outre la réponse de professionnels qui disent, simplement, le droit est une pyramide de normes obligatoires doublée d'un système judiciaire de contraintes. Le problème dépasse cependant de beaucoup cette observation qui limite le droit au droit positif net et affirmé (le droit très visible, soit la loi).

En effet, de multiple phénomènes sont juridiques en établissant ou jouant sur des réalités que l'on découvre comme étant des normes ou suggérant ou suscitant des normes qui, peu ou prou, deviennent obligatoires ; ces phénomènes portent des règles écrites nulle part ou jamais réellement pensées avant qu'un jour, un juge (notamment lui), ou un autre (une autre autorité), les invoque et les applique. Les avis, recommandation, usages, pratiques, chartes, déclarations, codes moraux... stimulés par la conscience ou la volonté assez générale sont parfois vus comme du droit.

En somme, il y a du droit là où il y en a manifestement (la loi, le décret), et également en dehors de cette sphère manifeste.

Ce propos a un rapport avec la question, moins fréquente (enfin je crois), qu'il introduit : "qu'est-ce faire du droit ?".

La réponse peut pencher vers la théorie, comme suggéré juste à l'instant, et, alors, faire du droit est rechercher ce qu'est le droit et notamment d'où il vient. Voilà qui tourne alors - souvent - à la philosophie ou à diverses autres sciences sociales (anthropologie, sociologie, économie...). On peut alors faire du droit en étudiant des phénomènes marginaux (et non plus le contenu des lois et décrets, ou bien peu) ; on le fera, du reste, par des propos souvent théoriques, jusqu'à être incompréhensibles pour les juristes professionnels (...).

La réponse peut pencher vers la pratique et, alors, faire du droit consiste à chercher et à trouver les réponses aux questions juridiques que les gens se posent. Et pour le juriste : que les gens vous posent ! C'est aussi faire ou savoir faire les papiers utiles à ces personnes (lettres, actes, contrats...). Rédiger des lettres (de démission), des contrats, des testaments (soit l'intéressé soit le notaire), rédiger une demande en justice (assignation, conclussions, mémoire), rédiger des statuts de société et par exemple la constituer en accomplissant les formalités utiles (encore des papiers... souvent sous forme électronique...).

Pour 99 % des étudiants des Facultés de droit et Écoles de droit (c'est pareil pour ne pas être différent...), ce sera cela "faire du droit". Ce sera faire du droit positif ; la plupart des cours engagent dans cette voie ; quelques cours ouvriront l'esprit et le champ du droit positif net et affirmé, très visible (les codes et la jurisprudence), mais la sociologie juridique, l'analyse économique du droit, la philosophie du droit... laisseront seulement quelques traces dans la plupart des esprits. Les têtes seront remplies de règles.

Le juriste est donc formé pour former / donner des juristes opérationnels (me pardonnera-t-on ce truisme ; en effet il y a truisme car tout juriste a vocation à répondre à des questions juridiques). A l'école (de droit), même si certains exercices (la dissertation ?) semble éloignés de cet objectif.

Il est d'usage, dans les Facultés de droit, de s'inquiéter de la domination du droit positif (et des positivistes) car les universitaires sont par nature (quoique...) des théoriciens ; le justiciable ou le citoyen qui ignore le droit sera, lui, probablement, rassuré que l'on apprenne le droit dans les facs de droit... un peu comme l'on apprend l'essentiel des maladies et des traitements (on fait sa médecine...) dans les facs de médecine.

On voit alors ce que c'est que "faire du droit".

On peut concrétiser le propos. Lire la loi, les codes, les décrets et désormais, une fois sur deux, les règlements européens et directives européennes.

Comprendre le tout !

Lire les décisions de justice, notamment les arrêts des cours supérieures (les arrêts de pur droit de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat), et quelques autres de juridictions internationales...

Comprendre le tout en le rapprochant idéalement de la règle (souvent la loi) en cause et ainsi appliquée !

Lire les autres sources du droit notamment celles des administrations, des autorités de régulation, leurs décisions (particulières ou générales), parfois leurs décisions de sanction, et aussi leurs autres documents où les autorités expliquent ce qu'elles font et disent (tendance actuelle de la plupart des autorités qui bavardent sur ce qu'elles sont, sur ce qu'elles font et qui sont à détailler, hors des actes officiels, leurs positions : montrer une doctrine ! Exister...).

La complexité du monde a suscité une complexité scandaleuse et en vérité anti-démocratique du Droit.

Il est banal de le dire, même si le propos se limite à souhaiter des simplifications du droit. La plupart des autorités les souhaitent, la plupart continuent à produire de la norme. Ces piles de normes éloignent le citoyen du Droit, l'inflation législative et normative est un puissant facteur de populisme.

Un tableau général de telle ou telle matière (le droit social, le droit fiscal...) peut encore se faire, mais faire du droit de façon chirurgicale à partir de cette compétence générale devient difficile. Il faut marier des décisions de cours internationales (de 40 pages...) avec les dizaines de décisions de cassation, avec trois lois de 50 articles, modifiées deux fois en dix ans et trois ou quatre normes UE, lesquelles sont modifiées chaque 5 ans et qui comportent dix pages de considérants et 50 d'articles...

On comprend que les autorités veuillent s'expliquer sur ce qu'elles font : elles doivent avoir le sentiment d'être mal comprises quand elle tirent de ce magma de sources du droit leurs solutions, alors elles publient des rapports, des notes ou communiqué de presse (en ligne et en instantané !), des revues, des lettres, des études et des posts sur les réseaux sociaux...

Lecteur citoyen, vous n'avez pas compris les 5 000 pages juridiques de tel domaine qui vous intéresse, eh bien en voilà quelques centaines encore !

L'étudiant peut être découragé puisque les professionnels peuvent l'être et que le citoyen l'est. Le combat est de mise.

Concluons. De façon basique, il faut dire que faire du droit suppose d'acquérir une méthode plus que des milliers de connaissances (très évolutives...). Cette conclusion ou observation est millénaire mais insuffisante.

En effet, et en premier lieu, les méthodes peuvent elles-mêmes évoluer. La simple recherche de documentation a évolué et va encore évoluer (avec les systèmes d'intelligences artificielles, SIA). Les grands cabinets juridiques (...) sont appuyés par des documentalistes... Ces SIA vont faire bien plus... voyez mon Essai sur HAL. La méthode dépend largement de l'information disponible et des moyens que l'on a de la traiter.

Il faut ajouter, en second lieu, que la méthode sans matière est une illusion. La méthode est une chose, un art, qui colle à un domaine, à une matière, à une discipline ; elle ne s'apprend pas en dehors d'un secteur disciplinaire. Pourquoi ? Parce que la méthode s'applique à du fond, à des connaissances. Il faut donc lire (ou écouter, des cours...) pour avoir de nombreuses connaissances, du fond, pur pouvoir appliquer les meilleures méthodes praticables.

Pour le droit, pour le Droit, la difficulté actuelle - des étudiants - est la méconnaissance de la langue française (et des autres... prétendre parler une langue étrangère quand on ne manie pas la sienne est une escroquerie de l'époque). Les étudiants ne disposent pas des armes du français, écrit et oral, pour comprendre la plupart des textes de lois, d'où une tendance à apprendre un livre (court) et à le répéter. Cela marche, dans la pratique universitaire, pour de nombreuses matières où la récitation du cours suffit à avoir une note correcte. On sait le résultat de cette pratique. Après un bac + 5, l'étudiant qui rentre dans la vie professionnelle réalise qu'il ne comprend guère le droit et qu'il est encore moins capable de rédiger les actes juridiques utiles.

Si vous voulez faire du droit, vous devez travailler votre français pour comprendre et produire demain des textes juridiques - soit des textes écrits dans un bon français. Le Droit est à 90 % de la norme écrite ! Faire du droit suppose ensuite d'écrire...

Si vous cherchez "faire du droit" dans Google, le SIA du moteur de recherche vous proposera un peu tout, dont la question idiote "faire du droit en islam" (l'islam n'est pas un lieu ou territoire même si, bien sûr, on peut étudier le droit islamique ou le droit d'un pays revendiquant un droit soumis à une religion). Et hop ! Voilà un problème de maniement de la langue française.



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