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Financement participatif (FP) : ni du droit bancaire, ni du droit des marchés financiers. Conclusion ?



Le droit bancaire n'existe plus, ni du reste l'éphémère droit des marchés financiers. Voilà la conclusion à laquelle conduit un examen raisonnable (et non culturel) du financement participatif (FP). Ainsi sont les choses, il est des mondes auxquels on croit et qui n'existent pas. L'IA, demain corrigera les biais cognitifs des sciences et des scientifiques - c'est le sujet du siècle, avec les virus ? Bien sûr le substrat existe encore (il a parfois été modifié 3 fois en 30 ans), mais les enveloppes les contenant ont été changées et en vérité multipliées, les deux vieilles enveloppes ne tiennent plus.

Pour notre sujet, il suffit pour s'en convaincre de mettre sous lame le financement participatif (FP) (ord. 2014, CMF, art. L. 541-7 et s.). Il n'est manifestement ni "bancaire" ni "marché financier". Il est un peu des deux* et pas seulement. Il renie également implicitement le cadre parfois employé du "droit du crédit". Le FP est, pour coller au Code monétaire et financier, du "droit bancaire et financier". L'appellation est encore imparfaite : le "financement participatif est du droit monétaire et financier.

On l'admettra peut-être dans 50 ans lorsqu'il n'y aura plus lieu de le faire. On enseignera dans 25 ans le droit monétaire et financier quand la finance sera bitcoinisée (avec cent milles monnaies privées) et que la monnaie d'Etat et les banques ne pèseront plus rien (certains en rêvent de ces cryptomonnaies : on a les fantasmes des arcanes de sa psychologie). Enfin, si tel est le destin de l'humanité les cryptomonnaies vivront (on en doute sans le redouter), passons.

Le FP rêvé comme une désintermédiation permise par internet est finalement, schéma habituel, une nouvelle intermédiation. Voyez un autre exemple récent. On applaudissait à tout rompre la désintermédiation via les blockchains et actifs numériques. Eh bien maintenant, après la loi PACTE, on applaudit à tout rompre les prestataires de services d'actifs numériques (PSAN)... qui sont des intermédiaires ! Les intermédiaires ont été très étudiés et en profondeur ces dernières années (notamment par Nicolas Dissaux et aussi par David Gantschnig dans "La qualification générique de contrat d'entremise").

Pour le FP, la loi a brisé les fantasmes des internautes qui croyaient pouvoir solliciter le public et son argent en quelques clics. Finalement, les intermédiaires du FP sont très réglementés et la personne à financer ne rencontre pas la foule par les seuls échanges numériques ! Cela dit, le FP échappe aux schémas mentaux du droit bancaire et droit des marchés financiers (rhabillé du seul mot "financier" sans changer le contenu convenu il y a 25 ans).

Il faut insister sur ce point qui est le départ de toute analyse de JP ou du moindre alinéa. Il y a dans le CMF de multiples activités qui relèvent du "bancaire et du financier" (ou "monétaire et financier) sans relever du "Droit bancaire" ou du "Droit des marchés financiers" ; et puis il a aussi la monnaie - une pensée pour la monnaie s'impose : c'est que l'on parle trop des cryptomonnaies sans exposer les monnaies.

Le FP est très réglementé et ni comme la banque, ni comme un émetteur de titres, et pour cause, il n'est ni l'un ni l'autre. Le FP est donc par voie de conséquence une technique disruptive des visions académiques opposant le bancaire aux marchés. D'autres indépendant comme les conseillers en investissements financiers ou les changeurs dits manuels témoigne de ce phénomène de professionnels atypiques. L'exemple récent de la résurgence (pratique) des intermédiaires en bien divers est également un exemple de ce que des professionnels sont exclus par le découpage du CMF et / ou de la finance en "bancaire" / "marché financier".

Le FP s'inspire plutôt du "Droit des services d'investissement", matière qui recoupe les marchés financiers au point de pouvoir englober le thème - mais ça se discute. Cependant, ce droit fort large (et assez inconnu) est nettement délimité ; il a inauguré en finance le concept de "services" et donc le "droit des services" : le droit européen fait la loi en interne. On rappellera les fameuses règles de bonne conduite inaugurée en 1996 pour les PSI et que l'on retrouve sur la tête de l'intermédiaire en FP. On ne reviendra pas là-dessus, on a écrit 50 fois sur le sujet en 20 ans, sur la note de la responsabilité civile, jusqu'à suivre systématiquement la JP sur les investissements et placements (des recherches sur le blog sont faciles).

Comprendre le FP exige de ne pas avoir le schéma du "bancaire" ou des "marchés", exigence qui permet de traiter le sujet sans le découper en deux, ce que le code ne fait pas. Cela prépare à un nouveau service européen : le "service de FP" - mais le règlement de 2018 semble au point mort (l'UE réglemente trop et trop complètement). Il ne vaudra pas moins que les services d'investissement, de paiement...

Regardez alentours le retard ahurissant : les cours dits "Instruments de paiement et de crédit". L'appellation est une invention des années 90 destinée - généralement sans justification - à combler en urgence la fonte, comme neige au soleil, du "Droit des effets de commerce". La matière a disparu d'une mort qui pût être resplendissante si on l'avait vue autrement, à sa racine. Entendez : on sait aujourd'hui qu'un instrument est à la racine une convention (le CMF le dit de façon insolente... abstraite... dépouillée, c'est du Mondrian !).

Ainsi donc, par exemple, "Droit des services de paiement" est désormais, pour ces "instruments", la seule matière actuellement concevable pour respecter le droit positif mais, on l'a compris, son respect est jugé à l'aune d'un comportement sociologique et non scientifique - malgré ce qui se dit.

Ces défauts de structures sont préjudiciables aux étudiants dont les matières universitaires les conduisent à des jugements erronés sur les perspectives d'emplois et sur les évolutions acquises qui se développeront dans les premières années de leur exercice professionnel.

Savoir se repérer dans les grands mouvements juridiques est une aide pour s'orienter dans les remous professionnels.

Techniquement, le juriste ne peut pas confondre les services du CMF s'impose ; l'analyse pour l'un ne vaut généralement pas pour l'autre, l'exact inverse de ce qui se fait dans un grand nombre de publications.

Méthodologiquement, cette compréhension permet de rentrer dans le CMF et d'en ressortir(vivant) avec la solution, et non avec un idée générale complétée d'un texte général du Code civil. Ce bricolage ne marche pas : ainsi de la plupart des assignations pour défaut de vigilance ou de conseil qui font perdre de l'argent au justiciable.

On continuera ici à plaider pour un réalisme juridique plus grand en proposant le droit bancaire et financier esquissé. Néanmoins, pour aller au bout de notre doctrine, on espère mettre à jour pour 2022 notre ouvrage Droit bancaire et financier .






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Octobre 2020 : je remercie les 9 500 visiteurs pour leurs 13 000 visites et les 37 000 pages affichées en ce triste mois d'attentats, de confinement, d'obscurantismes.


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* Un établissement de crédit dont un banque peut exercer les FP à charge de se structurer ; le sujet peut donc se rattacher au droit bancaire, comme la vente de logiciel puisque toute banque peut exercer 10 % de ces activités hors les domaines financiers ; elle peut aussi créer un personne morale qui sera CIP ou IFP. Donc c'est bancaire sans être bancaire. Pareil s'agissant des marchés financier, le lien existe mais il est encore plus amoindri. L'émission d'obligations ou d'actions par un intermédiaire en financement participatif est bien un appel public à l'épargne, mais le régime de l'offre publique au coeur des marchés financiers est remplacé par le régime du FP.

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