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Jean STOUFFLET n'est plus, le Droit est en deuil, le Droit bancaire est orphelin



Jean STOUFFLET n'est plus, le Droit est en deuil, le Droit bancaire est orphelin
Alors qu'il avait gardé une belle forme jusqu'alors, Jean STOUFFLET vient de disparaître après avoir été victime d'un grave ennui de santé il y a quelques semaines. A son épouse, à ses enfants et à toute sa famille nous adressons nos condoléances émues.

Le Doyen STOUFFLET a, avec Christian GAVALDA, inventé le Droit bancaire - ce qu'il a alors appelé le Droit de la banque (éd. PUF, Thémis, 1970). Les étudiants sont encore émerveillés quand, comme je le fais chaque année, ledit précis en main, je narre cette histoire qui est une des plus belles épopées contemporaines du droit français. Nous avons dans la ligne retracé cet aspect dans notre ouvrage qui cite tous les autres acteurs majeurs... la doctrine juridique est toujours plurielle. Mais le fait est que la contribution des deux amis et collègues a été absolument majeure.

Nous avons, depuis longtemps, à partir du manuel de PUF ou d'autres publications, relaté le travail et l'œuvre de Jean STOUFFLET. Cela ne prenait pas toujours le tour de narrations scientifiques. Ainsi, ici même, il y a quelques années, nous relations le plaisir qu'il avait de rencontrer les étudiants du Master 2 Droit des Affaires et de la Banque - son ancien DEA de Droit des affaires.

Jean STOUFFLET dans son / notre bureau à Clermont avec les étudiants

Une autre année, il participait à une cérémonie de remise de diplômes à la Faculté de droit après une conférence sur la mystérieuse régulation où, sans concession, nous allions au fond de nos pensées. Le Doyen STOUFFLET s'intéressait aux toutes dernières évolutions, il faut dire qu'il avait décidé de tenir sa matière et il ne s'est jamais départi de cette ligne, faite de cohérence, de détermination et d'un gigantesque travail. On a pu s'inspirer - ici ou là - de cette ligne et nombre d'étudiants ont assez bien compris la démarche, cela ne le mécontentait pas alors qu'il avait quitté la Faculté depuis longtemps.


Remise de diplômes en présence du Doyen STOUFFLET


La matière ainsi travaillée était axée sur la banque puisque l'institution, dans l'après-guerre, captait l'immense majorité des techniques de financement. Le décloisonnement des marchés et la montée en puissance des activités de marché ne concurrençait guère les banques. Dans cette construction, restée presqu'intacte jusqu'à la fin des années 90, les instruments traditionnels tenaient une grande place (lettre de change, billet à ordre, chèque...).

Pour cette raison, le Doyen STOUFFLET exploitait le domaine en considérant spécialement la matière des effets de commerce. L'évolution des choses l'a amené à publier l'ouvrage appelé initialement (Droit commercial, Chèques et effets de commerce, PUF ) sous l'appellation rénovée de "Droit des instruments de paiement et de crédit" (éd. LexisNexis). Ce thème l'a passionné. Il est aujourd'hui chamboulé dans un "Droit des services de paiement") mais le passé est indispensable à bien saisir le présent et les multiples éditions sont à consulter pour parfois saisir un point : la succession d'éditions est une belle richesse.

Ces deux ouvrages, qui ont servi à former de nombreuses générations de juristes, étaient deux soleils autour desquels tournoyaient diverses publications en France et à l'étranger et sur divers supports.

Le sillon creusé était travaillé et retravaillé en permanence.

Le sillon était aussi sous surveillance.

La Chronique de Droit bancaire publiée semestriellement à la Semaine Juridique (le "JCP E") a ainsi mis le droit bancaire sous surveillance depuis des décennies, il l'a aussi créée avec son collègue Christian GAVALDA. Jusqu'à sa dernière édition semestrielle de 2015 (publiée dans les premiers jours de 2016), il a dirigé ce travail. En rejoignant la Chronique de Droit bancaire, il y a près de huit ans, je pouvais éprouver le sentiment - un peu curieux il est vrai - de rentrer dans une institution.

Pour aider sa Faculté, encore une fois, il avait la gentillesse de mentionner que cette chronique était réalisée par le Centre de droit des affaires de la Faculté de Droit ; il nous a appris à choisir une ligne et à la tenir et, avec quelques collègues, nous nous sommes attachés à retenir la leçon et donc à perpétuer la tradition de la chronique ; ainsi, la prochaine chronique est déjà écrite et en forme et, si elle sera triste, sans sa contribution, en deuil, elle sera déjà comme une lumière de perpétuation des décennies de travail du Doyen STOUFFLET.


Jean STOUFFLET n'est plus, le Droit est en deuil, le Droit bancaire est orphelin
Le sillon prenait aussi l'allure d'un édifice avec l'encyclopédie de Droit bancaire, institution des éditions LexisNexis.

Le sillon prenait enfin l'allure d'un vaste réseau humain par les dizaines de doctorants que Jean STOUFFLET a conduit jusqu'à la soutenance de thèse, étudiants d'ici, des alentours ou d'ailleurs. Méprisé par le privé et le public, la thèse reste dans la plupart du monde le seul titre qui vaille, et le Doyen a ainsi donné à l'Afrique, au Moyen-Orient et à l'Asie de nombreux docteurs qui sont devenues des acteurs importants de leur pays.

La Faculté de Droit de Clermont est alors devenue un carrefour du droit des affaires et spécialement du droit bancaire. La salle de droit des affaires et le centre de recherche en droit des affaires (que l'on m'a demandé de fermer en 2008) étaient le cadre naturel et évident de ces activités et travaux. C'était une contribution remarquable au droit commercial.

C'est respectueux de cette tradition et conscient de son intérêt - public, que nous avons suggéré que le Master Droit des affaires soit, il y a huit ans, transformé en un master Droit des affaires et de la Banque, ce qui renouait avec une tradition de fait. On faisait pas mal de droit bancaire en droit des affaires avec Jean STOUFFLET, mais pas uniquement. On tente aujourd'hui de surmonter les difficultés pour perpétuer la tradition qui suppose des efforts de tous, y compris des étudiants ; le Doyen STOUFFLET était surpris de voir les étudiants délaisser l'exercice du mémoire et, mais c'est autre chose, un autre engagement, la voie de la thèse.

A plusieurs reprises il m'a demandé d'insister sur le mémoire que peuvent écrire les étudiants de 5e année alors que, je l'avoue, je baissais un peu les bras face à des étudiants privé de tout discernement. L'écriture de "60 bonnes pages" est un excellent exercice pour se préparer à écrire toute la journée (le métier de juriste y contraint), même s'il n'est pas le seul exercice utile... Les nombreux stages que diverses grandes entreprises offrent aux étudiants du Master Droit des Affaires, parfois rémunérés au SMIC, dans un esprit de collaboration et non de sujétion, témoignent de l'adaptation opérée mais aussi du respect du travail accompli pendant des décennies, ce que l'on a tenu à souligner jour après jour.

Et aujourd'hui n'est qu'un de ces jours.

Mais c'est, cette fois, un jour d'une profonde tristesse.

Monsieur le Doyen, Monsieur le Professeur, Mon très Cher maître, Cher collègue, Cher ami, Cher Jean, au revoir.





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