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L'Etat se transforme en société de garanties, de la loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020



La loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020 comporte un véritable article monétaire, bancaire et financier.

C'est une loi fiscale et, aussi, bancaire et monétaire. Les étudiants qui m'ont suivi cette année constateront, sur pièces (loi et arrêté), l'importance des mécanismes vus : statut des entreprises, types de crédits, valeur et qualification d'opérations de crédit des garanties (cautions ou autres).

Ce billet présente seulement le début de l'article 6 de la loi précitée, fort long. Il implique étroitement Bpi France... La Bpi est impliquée pour ce point des garanties mais, également, pour des prêts, qu'elle peut octroyer, ce qui n'est pas discuté ici (voir ci-dessous cet article 6). Cette note est juridique. Le dispositif complet des aides a été présenté par diverses institutions et professionnels.

L'intitulé de cette note est un brin décalé. La garantie est juridiquement et formellement octroyée par (la) Bpi, laquelle la créée selon les prescriptions des III et IV l'article 6, ci-dessous.

Le schéma est très simple. Une banque prête à une entreprise, on pourrait dire par des "prêts COVID", pour lui permettre de passer le cap du confinement et, à cette occasion, Bpi accorde sa garantie pour l' État.

En vérité, il est prévu que le mécanisme est précisé par arrêté (art. 6, III, IV et V, en lien ci-dessous) ; ce règlement mentionne les montants qui peuvent être garantis et les conditions d'octrois, ce qui vaut cahier des charges (on relève que l'article 6, VII évoque l'adoption d'un décret pour d’autres mesures d’application).

"Pour" l'État est un mot imprécis ; on peut néanmoins penser que Bpi porte effectivement les risques de non-remboursements. Si la garantie est demandée, Bpi devra payer ; l'État acquittera ensuite lui-même ces montants à Bpi.

Bpi assume une mission d'intérêt général, celle de la sauvegarde des entités économiques de l'économie française.

On avait noté (Droit bancaire et financier, éd. mare et martin, n° 30 et n° 148) la considération de l’intérêt public dans le secteur, avec notamment la possibilité pour l'État de donner une mission permanente d'intérêt public à un établissement (EC ou SF, art. L. 511-104 du CMF) ; c'est encore plus clair avec la BPI (n° 148). L'article 6 de l'ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005, relative à la Banque publique d'investissement, énumère les missions d'intérêt général de la BPI, mais sans caractère limitatif (de toute façon, la présente loi de finances vaut complément de l'ordonnance !).

L'article 6, I, porte que La garantie de l'État peut être accordée aux prêts consentis par les établissements de crédit (EC) et les sociétés de financement (SF), à compter du 16 mars 2020 et jusqu'au 31 décembre 2020 inclus, à des entreprises non financières immatriculées en France.

Ici, l'État se transforme en établissement de crédit... par signature ! Il va signer des garanties !? Pas exactement puisque Bpi le fera. Mais il payera bel et bien Bpi si les entreprises ne parviennent pas à rembourser, car Bpi aura elle même payé.

On dépasse une économie administrée, il faut parler d'économie financée... par les fonds publics. C'est un véritable dispositif de guerre économique. Transformation temporaire de l'État, pour l'année 2020 restant à courir, mais tout de même pour, à terme, un risque de dépenses publiques de 300 milliards d'euros !

Voilà pourquoi ces dispositions, qui évoquent le droit des contrats, sont dans une loi de finances. Elle est dite "rectificative" puisque ces quelques dépenses modifient le budget voté fin décembre.

Le crédit par signature que constitue cette garantie consiste seulement à signer un engagement. Il n'y a aucun débours. C'est une opération de crédit sans flux financier, raison pour laquelle la remise de monnaie n'est pas le critère du crédit. L'État ne payera que si les entreprises soutenues en période de crise ne remboursent pas les banquiers et que Bpi, après vérification, règle à la place de l'entreprise. L'État payera ensuite ce que le garant, Bpi, aura payé...

Une loi est une loi, peu importe qu'elle soit budgétaire et fiscale. Ses dispositions sont obligatoires quand aux dispositions utiles et civiles (droit des contrats) qu'elle comporte - unité du droit… disait-on dans l'analyse faite de l'autre loi du 23 mars 2020, celle sur l'état d'urgence sanitaire.

La garantie est réservée aux "prêts" et non aux autres crédits ou financements. Ainsi, les financiers qui interviennent et financeront les entreprises, en général de leurs propres clients..., doivent le faire nécessairement par des prêts.

On note, avec cette loi, que l'agrément EC (banques et ECS), ou société de financement (SF), a une signification politique et économique. Elle est à détailler. En visant les EC, le législateur semble viser également les Établissements de crédit spécialisés (ECS), des spécialistes du financement immobilier.

Le droit de crise fait dans l'urgence, du moins quand on n'y a pas pensé avant, n'est pas, par nature, un droit de qualité. Deux rapides observations l'indiquent.

La garantie qu'institue et permet la loi pourra être vue comme une nébuleuse juridique. Éblouissante et aveuglante. La "garantie" ne dispose pas d'un régime juridique légal en France. Fallait-il dire que cette garantie est soumise au régime de la caution ? Le site de la Bpi rend l'opération administrative, il parle de "l'attestation" de garantie (quand le fond n'est pas clair, on parle de l'instrumentum, non du fond, du negotium)

La garantie qu'institue et permet la loi est en outre exclue pour les "entreprises non-financières". On n'y verra pas une adhésion à notre manière à classer les diverses entreprises/sociétés agréées par l'ACPR en France. Pour notre livre, nous utilisons l'idée, mais c'est un classement pédagogique. Sous cette expression sont traitées des personnes fort variables, certaines disposant d'un agrément ACPR, d'autres non. C'est une division utile au plan pédagogique, non au plan scientifique : ce sont les subdivisions qui importent alors qui, elles, reposent sur des catégories légales disposant d'une régime juridique précis.

Ces mots sont un bref aperçu qui permettra aux étudiants de préparer un devoir à la maison... confinement oblige ; les bons professionnels habitués à ces opérations y verront seulement un lancement de discussion sur deux ou trois points techniques.

Un arrêté du ministre précise les conditions de la délivrance des prêts et de la garanties, les deux sont indivisibles. Il est très important, notamment parce qu'il distingue les entreprises bénéficiaires ; il indique aussi le montant de la garantie : elle ne porte pas sur la totalité du prêt accordé, mais sur 70, 80 ou 90 % du montant emprunté. Les professionnels de la banque vont donc courir un risque : ce financement n'est donc pas automatique, les banquiers gardent leur liberté de prêter ou pas.

Cet arrêté indique être pris sur le fondement de l'article 4 alors qu'il applique manifestement l'article 6 de la loi, l'erreur, grossière, est une erreur de plume (un arrêté rectificatif a été pris pour la correction).

Ces dispositions réglementaires sont donc très importantes pour appliquer la garantie étatique, il n'entre pas dans l'objet de cette brève note de les commenter. Non moins importantes sont les premiers mots de la loi !

Arrêté du 23 mars 2020 pris en application de la loi de finances rectificative

Malgré les dires du gouvernement (on ne personnalisera pas le propos), cette garantie permet encore et toujours aux banques de refuser un crédit. Mais le refus n'aura pas beaucoup de sens, puisque le budget étatique "régale". En outre, si tel est néanmoins le cas, le client déçu saura trouver une autre banque. On lui conseillera de ne pas perdre de temps en échanges douloureux avec sa future ex-banque.

Les banques, ce n'est pas ce qui manque, il faut le cas échéant faire jouer la concurrence : aucun monopole bancaire n'existe en droit français, sauf pour la garantie de la Nation via Bpi...




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Extrait de LEGIFRANCE, Base publique du Droit



PREMIÈRE PARTIE : CONDITIONS GÉNÉRALES DE L'ÉQUILIBRE FINANCIER

Titre UNIQUE DISPOSITIONS RELATIVES À L'ÉQUILIBRE DES RESSOURCES ET DES CHARGES

Article 1

Pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, un arrêté des ministres chargés du budget, de l'intérieur et de l'outre-mer, sur proposition des ministres concernés, fixe la liste des importations et des livraisons de biens nécessaires au secours aux populations ainsi qu'au rétablissement de la continuité des services publics et des infrastructures publiques, qui sont exonérés de taxes d'importation, droits de douane, octroi de mer, droits de circulation et taxes d'accise de l'octroi de mer défini par la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer dans la ou les parties du territoire visées par le décret pris pour la mise en œuvre de l'état d'urgence sanitaire.

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Article 6

I. - La garantie de l'Etat peut être accordée aux prêts consentis par les établissements de crédit et les sociétés de financement, à compter du 16 mars 2020 et jusqu'au 31 décembre 2020 inclus, à des entreprises non financières immatriculées en France.
II. - La garantie mentionnée au I s'exerce en principal, intérêts et accessoires dans la limite d'un encours total garanti de 300 milliards d'euros.
III. - Les prêts couverts par la garantie prévue au I doivent répondre à un cahier des charges défini par arrêté du ministre chargé de l'économie. Ils comportent un différé d'amortissement minimal de douze mois et une clause donnant à l'emprunteur la faculté, à l'issue de la première année, de les amortir sur une période additionnelle calculée en nombre d'années, selon son choix et dans la limite d'un nombre maximal d'années précisé par l'arrêté susmentionné. Les concours totaux apportés par l'établissement prêteur à l'entreprise concernée ne doivent pas avoir diminué, lors de l'octroi de la garantie, par rapport au niveau qui était le leur le 16 mars 2020.
IV. - Les caractéristiques de la garantie prévue au I, notamment le fait générateur de son appel et les diligences que les établissements prêteurs doivent accomplir avant de pouvoir prétendre au paiement des sommes dues par l'Etat à son titre, sont définies par l'arrêté prévu au III. La garantie est rémunérée et ne peut couvrir la totalité du prêt concerné. Elle n'est acquise qu'après un délai de carence, fixé par le cahier des charges. Elle ne peut être accordée à des prêts bénéficiant à des entreprises faisant l'objet de l'une des procédures prévues aux titres II, III et IV du livre VI du code de commerce.
V. - Pour les demandes de garanties portant sur des prêts consentis aux entreprises qui emploient, lors du dernier exercice clos, moins de cinq mille salariés ou qui ont un chiffre d'affaires inférieur à 1,5 milliard d'euros, l'établissement prêteur notifie à l'établissement mentionné au VI du présent article les créances qui répondent au cahier des charges prévu au III. Cette notification vaut octroi de la garantie, sous réserve du respect de ces conditions. Les garanties portant sur des prêts consentis aux entreprises qui emploient, lors du dernier exercice clos, au moins cinq mille salariés et qui ont un chiffre d'affaires supérieur à 1,5 milliard d'euros sont octroyées par arrêté du ministre chargé de l'économie.
VI. - L'établissement de crédit Bpifrance Financement SA est chargé par l'Etat, sous le contrôle, pour le compte et au nom de l'Etat, d'assurer, à titre gratuit, le suivi des encours des prêts garantis mentionnés au I, de percevoir et de reverser à l'Etat les commissions de garantie et de vérifier, en cas d'appel de la garantie, que les conditions définies dans le cahier des charges prévu au III sont remplies. Dans ce dernier cas, il procède au paiement des sommes dues en application du IV, remboursées par l'Etat dans des conditions fixées par une convention.
VII. - Les modalités d'application du présent article, notamment celles du contrôle exercé par l'Etat sur la mise en œuvre de ces dispositions par Bpifrance Financement SA, sont fixées par décret.
VIII. - Le présent article est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans îles Wallis et Futuna. Pour l'application du présent article en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, le seuil de 1,5 milliard d'euros mentionné au V est fixé à 178,95 milliards de francs CFP. La contrevaleur en euros des encours garantis en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna s'impute sur le plafond mentionné au II.
IX. - Un comité de suivi placé auprès du Premier ministre est chargé de veiller au suivi de la mise en œuvre et à l'évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l'épidémie de covid-19.
Il suit et évalue la mise en œuvre de la garantie de l'Etat relative aux prêts consentis par les établissements de crédit et les sociétés de financement, à compter du 16 mars 2020 et jusqu'au 31 décembre 2020 inclus, à des entreprises non financières immatriculées en France.
Il suit et évalue également l'action du fonds de solidarité créé sur le fondement de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
Le comité est présidé par une personnalité désignée par le Premier ministre. Il est composé :
1° De deux membres de l'Assemblée nationale et de deux membres du Sénat ;
2° De deux membres de la Cour des comptes, désignés par cette cour ;
3° De deux représentants de l'Etat, désignés au sein des administrations compétentes ;
4° De deux représentants des fédérations d'entreprises ;
5° D'un représentant de l'Association des maires de France, d'un représentant de l'Assemblée des départements de France et d'un représentant de Régions de France.
Les membres du comité exercent leurs fonctions à titre gratuit.
Le comité établit un rapport public un an après la promulgation de la présente loi.


Article 7

La caisse centrale de réassurance, agissant avec la garantie de l'Etat, est habilitée à pratiquer les opérations d'assurance ou de réassurance, intervenant avant le 31 décembre 2020, des risques d'assurance-crédit portant sur des petites et moyennes entreprises et sur des entreprises de taille intermédiaire situées en France ainsi que des engagements pris au titre du g de l'article L. 231-13 du code de la construction et de l'habitation.
Un décret précise les conditions d'exercice de cette garantie.
La garantie de l'Etat mentionnée au présent article est accordée pour un montant maximal de 10 milliards d'euros.
La présente loi entrera en vigueur immédiatement et sera exécutée comme loi de l'Etat.


ÉTATS LÉGISLATIFS ANNEXÉS

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