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La liberté de céder les créances, le bordereau Dailly, son formalisme dur, mou et liquide (Cass. com., 11 octobre 2017).



Cet arrêt, en trois motivations du juge du droit, intransigeant avec le débiteur cédé (Air France), rejette certaines de ses critiques et ne répond pas aux autres branches du pourvoi. On a plaisir à commenter en synthèse cette décision qui fera sans doute couler plus d'encre que nécessaire. La décision peut faire relever divers visages du formalisme, pensée inconvenante. Le formalisme est un ! Non ?

Cet arrêt, relatif à une cession de créances professionnelles (par bordereau Dailly), comporte trois points, avec Air France comme débiteur cédé qui perd son procès.

I. Mais attendu, d'une part, qu'après avoir constaté que le bordereau comportait la mention des articles L. 313-23 à L. 313-34 du code monétaire et financier, exigée par l'article L. 313-23, 2° dudit code, mais aussi celle, non exigée, des articles R. 313-15 à R. 313-18, l'arrêt retient à bon droit que l'ajout de ces textes réglementaires, fussent-il abrogés, n'a pas d'incidence sur la validité de la cession ;

Voilà deux choses.

Voilà du formalisme dur, ou du formalisme dans une version dure : citer les textes imposés, ce que le juge vérifie ;

Voilà du formalisme mou, l'ajout de textes abrogés est indifférent (c'est la motivation !), la conséquence étant que cela "n'a pas d'incidence sur la validité de la cession". Oui, si c'est indifférent... c'est indifférent. On ne connaît pas une motivation plus légère...

II. Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que la société Air France avait eu une connaissance effective de la notification de la cession et ne pouvait se méprendre sur les conséquences de celle-ci, la cour d'appel a pu en déduire qu'il importait peu que cette notification n'ait pas été effectuée au domicile élu par la société Air France dans le marché de travaux ;

Voilà une seconde chose, le point le plus discutable : le débiteur donne une adresse pour la notification et elle n'est pas respectée. Au nom du bordereau, soit quelques articles de lois, loi qui certes impose des formes... mais qui ne refont pas tout le droit... la motivation est à nouveau faible.

La véritable motivation semble dissimulée pour relever d'un ordre que le juge n'ose pas invoquer : la vie économique et commerciale à laquelle vous appartenez, dit le juge du droit à Air France, vous impose de respecter l'efficacité de ce type de cession simplifiée. On est dans du fait, général mais du fait.

On peut - ou pas - s'en étonner.

Si on peut admettre le formalisme dur ou mou, on est là en présence d'un formalisme liquide ! Voire liquidé. Si le bordereau comportait cette adresse (indiquée dans le contrat source de la créance), elle aurait dû être respectée. La Cour de cassation n'est pas à l'aise, obligée de jouer le juge du fond en tenant compte de la "connaissance effective" du débiteur cédé ; mais le fait de la connaissance effective est a priori écarté en matière de formalisme engageant l'opposabilité. L'idée de formalisme, si elle a un sens, est d'exclure le fait et les circonstances pour pouvoir ne s'en tenir qu'à la forme.

Une motivation sur la connaissance effective méconnaît la nature profonde du formalisme.

III. Et attendu, enfin, qu'une cession de créance professionnelle effectuée selon les modalités prévues par les articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier produit ses effets et est opposable aux tiers ainsi qu'au débiteur cédé dans les conditions prévues par ces dispositions légales, auxquelles aucune autre condition ne peut être ajoutée dans le contrat générateur de la créance ; que, par ce motif de pur droit, substitué, après avertissement délivré aux parties, à ceux critiqués, la décision se trouve justifiée ;

Ici, la Cour de cassation juge que la créance est cessible et qu'elle doit le rester. C'est le droit positif imposé par l'article L. 446-2 du code de commerce qui n'était pas au pourvoi. Cette fois, la Haute Juridiction mérite une approbation sans réserve.

La créance est et doit rester cessible. Aucune clause ne peut remettre en cause cette qualité de la créance. C'est un problème de droit commercial, et non un problème de bordereau.

La clause, interne au bordereau, ou placée dans un acte autre, antérieur ou concomitant, ne doit pas pouvoir changer la position de droit positif, les créances sont librement cessibles (Code de commerce, art. 442-6). On peut combattre cette situation, au nom de la nécessité de refroidir la finance qui est en ébullition de millions de cessions (...), mais la discussion, d'un autre ordre, vaut alors analyse de droit prospectif.

Une simple clause semblant dire que la créance est moins cessible ou moins facilement cessible (avec des préalables formels, ici un avertissement prévu dans un marché, dans un contrat) pose un problème de fond. Le pourvoi invoquait les dispositions sur le bordereau pour faire valider quelques conditions restrictives de ; c'était une façon malicieuse de présenter le pourvoi car ces dispositions ne permettent pas de juger de la qualité de la créance, de sa libre cessibilité. Le pourvoi a fait mime d'ignorer le principe légal du Code de commerce qui, pourtant, seul, gouverne le principe de la liberté de cession.

On peut certes mélanger les deux questions de liberté de fond et de contraintes de forme du bordereau. Mais à partir de quelle hypothèse pratique ? On évitera dans ce commentaire court de spéculer.

Sinon, les dispositions sur le bordereau, procédé de cession simplifiée, interdisent de créer des complications sur les cessions, ce qui est en harmonie avec le principe du Code de commerce.

Cela concerne aussi le nantissement de créance.



Cour de cassation, chambre commerciale
Audience publique du mercredi 11 octobre 2017
N° de pourvoi: 15-18372, Publié au bulletin Rejet

Mme Mouillard (président), président
SCP François-Henri Briard, SCP Jean-Philippe Caston, avocat(s)

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et cinquième branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mars 2015), qu'en application d'une convention d'escompte de créances professionnelles, la société SMLS a, par bordereau de cession de créances du 31 mars 2009, cédé à la société Crédit du Nord (le cessionnaire) les créances qu'elle détenait sur la société Air France correspondant à trois factures du 16 mars 2009, cette cession étant notifiée à cette dernière par lettres recommandées du 1er avril 2009 ; qu'après avoir, le 15 mai 2009, payé les factures à la société SMLS, la société Air France a été assignée en paiement par le cessionnaire ; qu'elle a invoqué la nullité de la cession et soutenu, à titre subsidiaire, que lui était inopposable cette cession effectuée en méconnaissance des stipulations du marché conclu avec la société SMLS selon lesquelles "toute cession de créance à une banque ou à une société de factoring intervenant et présentée sans le préavis minimal d'un mois sera réputée nulle et non avenue" et qui ne lui a pas été notifiée au domicile qu'elle avait élu selon d'autres stipulations de ce marché ;

Attendu que la société Air France fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme au cessionnaire alors, selon le moyen :

1°/ que le bordereau de cession doit comporter certaines mentions à défaut desquelles l'acte, qui ne vaut pas cession ou nantissement de créances professionnelles, est inopposable au débiteur cédé ; qu'en retenant, pour condamner la société Air France à payer au cessionnaire la somme de 131 576,27 euros, que les mentions erronées contenues dans le bordereau de cession de créances quant aux textes applicables étaient indifférentes, la cour d'appel a violé l'article L. 313-23 du code monétaire et financier ;

2°/ qu'en cas de cession de créance, le débiteur peut invoquer contre le cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette ; qu'en opposant à la société Air France qu'il importait peu que la notification de la cession n'ait pas été faite à son siège dès lors qu'elle en avait eu nécessairement connaissance, quand elle se prévalait de l'article 5-4 du marché conclu avec la société SMLS selon lequel « pour l'exécution des présentes, les parties font élection de domicile en leurs sièges respectifs », la cour d'appel a violé l'article L. 313-27 du code monétaire et financier ;

3°/ qu'en cas de cession de créance, le débiteur peut invoquer contre le cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette ; qu'en ajoutant enfin qu'il importait tout aussi peu que la société SMLS n'ait pas respecté les stipulations du marché prévoyant que toute cession de créance devait être précédée d'un préavis à peine de nullité dès lors que la société Air France avait réglé les créances litigieuses, la cour d'appel a violé L. 313-27 du code monétaire et financier ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir constaté que le bordereau comportait la mention des articles L. 313-23 à L. 313-34 du code monétaire et financier, exigée par l'article L. 313-23, 2° dudit code, mais aussi celle, non exigée, des articles R. 313-15 à R. 313-18, l'arrêt retient à bon droit que l'ajout de ces textes réglementaires, fussent-il abrogés, n'a pas d'incidence sur la validité de la cession ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que la société Air France avait eu une connaissance effective de la notification de la cession et ne pouvait se méprendre sur les conséquences de celle-ci, la cour d'appel a pu en déduire qu'il importait peu que cette notification n'ait pas été effectuée au domicile élu par la société Air France dans le marché de travaux ;

Et attendu, enfin, qu'une cession de créance professionnelle effectuée selon les modalités prévues par les articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier produit ses effets et est opposable aux tiers ainsi qu'au débiteur cédé dans les conditions prévues par ces dispositions légales, auxquelles aucune autre condition ne peut être ajoutée dans le contrat générateur de la créance ; que, par ce motif de pur droit, substitué, après avertissement délivré aux parties, à ceux critiqués, la décision se trouve justifiée ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Air France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Crédit du Nord la somme de 3 000 euros ;

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