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Le conseil en investissement financier (CIF) ou le « droit commun » d’une profession

Le statut légal de « conseillers en investissements financiers » (CIF) s’impose à tout professionnel qui conseille en matière de patrimoine et de finance. Seuls les personnels des établissements financiers et assureurs échappent à ce statut qui est une garantie pour les investisseurs. Les obligations de ces professionnels ont été alourdies en avril 2005 au profit de leurs clients qui attendront désormais autant de diligences des banquiers.



La loi de sécurité financière du 1er août 2003 a créé le statut de CIF qui s’impose quand on fait profession du conseil en patrimoine et finance. Cette nouvelle profession marque la distribution des produits financiers parce que le règlement de l’Autorité des marchés financiers (RG AMF, ex-COB) leur impose des obligations remarquables qui protègent leurs clients et leur offre des garanties que ne présentent pas toujours les employés de banque ou d’entreprise d’investissement (société de bourse).

« Les CIF sont les personnes exerçant à titre de profession habituelle une activité de conseil portant sur : 1º La réalisation d'opérations sur les instruments financiers définis à l'article L. 211-1 (tous les titres de capital et titres de créances) ; 2º La réalisation d'opérations de banque ou d'opérations connexes définies aux articles L. 311-1 et L. 311-2 ; 3º La fourniture de services d'investissement ou de services connexes définis aux articles L. 321-1 et L. 321-2 ; 4º La réalisation d'opérations sur biens divers définis à l'article L. 550-1 » (Code monétaire et financier, art. L. 541-1, I).

Le législateur ne pouvait donner domaine plus large à cette profession. Ce statut ne concerne toutefois pas : 1º Les établissements de crédit et les organismes mentionnés à l'article L. 518-1, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance ; 2º Les professionnels soumis à une réglementation spécifique qui exercent une activité de conseil en investissements financiers dans les limites de cette réglementation. Tout autre professionnel devra être CIF ce qui donne plusieurs garanties aux clients.


Un domaine professionnel très large

Le large domaine de la profession tient au mot de conseil et aux quatre points d’application. Exigent d’être CIF les conseils sur la réalisation d'opérations sur instruments financiers (notion qui désigne en synthèse tout actif financier sauf l’argent ), sur la réalisation d'opérations de banque ou d'opérations connexes (art. L. 311-1 et L. 311-2 du Code monétaire) ou sur la fourniture de services d'investissement (ordres de bourses, tenue de comptes de titres, gestion de portefeuille sous mandat…) ou de leurs services connexes (art. L. 321-1 et L. 321-2).

Ces quatre séries d’opérations (opérations de banque, opérations bancaires connexes, services d'investissement et services connexes à ces derniers) se recoupent tout en donnant un champ immense. Prenons deux exemples révélant le caractère extrême de la loi :
- les opérations de banque comprennent la réception de fonds du public, les opérations de crédit et la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement (CMF, art. L. 311-1, chaque expression comporte diverses opérations) ; conseiller de faire un prêt immobilier (au lieu d’utiliser des liquidités) constitue aujourd’hui un conseil sur une opération de crédit, ce qui impose donc que celui qui le prodigue soit CIF s’il le fait habituellement à titre onéreux ;

- second exemple, frisant l’absurde : conseiller à un client de s’abonner à une carte de crédit et de délaisser son chéquier… exige d’être CIF (sauf un autre statut légal).

Mais le métier s’étend au conseil sur les opérations bancaires connexes (Soit : opérations de change, sur or, métaux précieux et pièces, de placement, souscription, achat, gestion, garde et vente de valeurs mobilières ou produit financier ; conseil et assistance en matière de gestion de patrimoine et en matière de gestion financière, d'ingénierie financière et d'une manière générale tous les services destinés à faciliter la création et le développement des entreprises ; opérations de location simple de biens mobiliers ou immobiliers pour les établissements habilités à effectuer des opérations de crédit-bail (art. L. 311-2).


En pratique, ce sont néanmoins les services d'investissement (ordres de bourse, négociation, placement …) qui seront vus comme le cœur du métier (et leurs services connexes : art. L. 321-1 et L. 321-2). Donner des conseils sur ces services implique encore le statut de CIF. Tout « conseiller financier » (langage lâche) doit donc être CIF !


Des garanties professionnelles renforcées

Aussi large, le statut de CIF est devenu le « droit commun » des professions de conseil en patrimoine. Celui qui agit hors ce statut risque une sanction pénale (art. L. 573-9 et s. : peines de l’escroquerie). Les conditions légales d’accès à la profession se rapportent à leur compétence professionnelle (RG AMF, art. 335-1), à leur casier judiciaire (art. L. 541-7), à leur enregistrement auprès d’une association professionnelle (rattachée à l’AMF) ayant un Code de bonne conduite et chargée de l’admission, des sanctions et de la formation de ses membres (RG AMF, art. 335-14), à des conditions d’assurances professionnelles et à des conditions d’honneur et de probité.

L’arrêté du 15 avril 2005 précise le règlement général de l’AMF. Les méthodes de travail des CIF sont meilleures que nombre de pratiques de banques dont on sait que leur responsabilité en matière boursière est difficile à engager car souvent le client ne peut pas prouver ce qui s’est passé. Les CIF devront spontanément indiquer s’ils sont démarcheurs (ce qui est source de droits pour l’investisseur), et leurs caractéristiques professionnelles (statut de Cif et n° d’immatriculation, association professionnelle, liens commerciaux ou capitalistiques avec les banquiers et assureurs promoteurs des produits financiers qu’il recommande : RG AMF, art. 335-3).

Le plus remarquable est cependant l’obligation d’un rapport écrit précisant les propositions d’investissements (RG AMF, art. 335-4). Cela se fera au vu de l’objectif du client (on l’imagine fixé par écrit) et de ses compétences (écrites également, et compréhensible pour ledit client). Cette obligation est d’autant plus remarquable qu’une lettre de mission aura dû être envoyée au client.

Cette belle transparence permet à l’AMF de se parer des atours de la bonne régulation quand elle a peu protégé les investisseurs dans les années folles (H. Causse, L’investisseur, Mélanges Calais-Auloy, éd. Dalloz, 2001).

L’avocat sait pourtant qu’il est difficile d’exploiter la violation de textes non sanctionnés par une nullité expresse de la loi. Le bla-bla déontologique de la régulation plaît aux technocrates parisiens des ministères, banques et autorités de régulation. L’avocat, qui lui doit plaider la nullité d’une opération pour dol ou pour violation d’une autre obligation d’information, sait la difficulté de sa tâche pour que justice soit rendue à son client investisseur.

Le juge du fond, guidé par la Cour de cassation, sanctionne à notre sens trop rarement les errements juridiques des professionnels de la finance 3. Bref, le CIF a des obligations lourdes dont il n’est pas sûr que la violation conduise à de lourdes sanctions judiciaires. Mais il pourrait en revanche être sanctionné professionnellement par l’AMF ou son association professionnelle : la radiation de la liste des CIF et une amende administrative de 300 000 euros étant encourues. L’investisseur mécontent devra se souvenir de cette arme fatale.



Notes

1 La loi a dû vouloir dire (…) que les préposés des banques n’avaient pas à être CIF, mais elle ne l’a pas dit ! Les « indépendants » pourraient s’en indigner : pourquoi le client d’un établissement de crédit n’a-t-il pas comme conseiller personne physique un salarié ayant personnellement les mêmes qualités que les CIF ? La critique dénoncerait une distorsion dans la concurrence…

2 …délicate notion : H. Causse, L’utilité des instruments financiers, L’Agefi, 2 janvier 2002 et, Titres et instruments financiers : quelle concurrence ? Les Petites Affiches, n° Spécial Colloque 30 mars 2002. En font partie les billets de trésorerie et certificats de dépôt, sur ces notions : H. CAUSSE, Titres de créances négociables (TCN), Juris Classeur commercial, fasc. 535

3 H. Causse, Impertinences sur l’obligation d’information et la responsabilité de l’intermédiaire financier, Mélanges D. Schmidt, éd. Joly, 2005 ; l'annonce d'une "New responsabilité boursière" (article ci-dessous) n'avait des raisons d'être prudente ; après les arrêts Benefic La Poste (autre article ci-dessous), certains autres auteurs considèrent que la responsabilité boursières n'est pas élargie


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