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Le devoir de vigilance de la banque : 100 fois invoqué et rejeté (Com. 22 janvier 2020)... sur fond de confusion avec la compliance.



Le devoir de vigilance de la banque : 100 fois invoqué et rejeté (Com. 22 janvier 2020)... sur fond de confusion avec la compliance.
La Cour de cassation, même si elle approuve le juge du fond de reprocher quelque chose au banquier, ne sacralise pas une "obligation de vigilance". La doctrine, elle, s'y emploie ; souvent sans nuance. Pourtant, lorsque la Cour de cassation juge qu'il y a une exécution fautive de la banque, elle ne prétend pas appliquer une "obligation de vigilance" ou un "devoir de vigilance" (voyez quelques explications : L’évanescente obligation de vigilance, La lettre juridique, 12 juin 2014, N° Lexbase N2591BUI).

Ainsi, même lorsque la banque a commis une faute, une négligence, ce mot va bien, la Cour de cassation n'utilise pas - ou guère - l'expression "obligation de vigilance" - ou bien alors de façon exceptionnelle et dans des cas peu représentatifs du contentieux le plus courant. Des commentaires ont tendance à faire l'inverse. Pour des cas où cette obligation est niée, les auteurs s'emploient à insister sur l'importance ou l'existence de cette obligation par ailleurs déniée. Après tout, cela n'est peut-être qu'un problème de présentation, ce qui rend libre une présentation autre.

Ainsi, peut-on dire, pour accuser le trait, que le devoir de vigilance de la banque 100 fois invoqué est finalement 100 fois rejeté... Ce n'est pas nier l'obligation de ne pas opérer sans au préalable avoir vérifier tel point en cas d'anomalie visible, apparente, mais cette obligation ne se mue pas en une sorte d'obligation titanesque, générale et rigoureuse !

On doit le dire puisque certains auteurs cite un principe général sans pouvoir citer un arrête de principe et encore moins un arrêt portant un principe générale du droit (un PGD ?!). Le principe est même parfois référencé avec de vieux arrêts qui n'ont pas condamné l'établissement et n'ont pas posé une telle règle.

Lorsque la vigilance est invoquée, le juge du droit répond en termes d'obligations très précises sans la couverture générale de l'expression "devoir / obligation de vigilance". Tel est le cas dans l'arrêt ci-dessous. L'expression est bien dans les arrêts, mais souvent au titre de la reprise du pourvoi et du résumé de la procédure - à nouveau, comme ci-dessous.

Les pourvois en cassation se font néanmoins plaisir, après les demandes au fond, à invoquer cette obligation dont la doctrine fait des sections entières... montrant ainsi l'état du droit positif sous un angle finalement trompeur, raison pour laquelle on comprend mal ce choix.

Le résultat pratique est clair. Des plaideurs se lancent dans des recours illusoires au nom de la vigilance. Les procès menés pour rien pendant des années, exemple ci-dessous, sont le résultat de cette façon de voir. Tel est le cas avec cet arrêt où la banque avait procéder à des vérification et alertes mais où, au nom d'une obligation qui n'existe pas mais qui bénéficie d'une présentation souvent dilatée, le procès est lancé.

La première branche du moyen y va avec enthousiasme : "sans rechercher, comme elle y était invitée, si la banque n'avait pas manqué à son devoir de vigilance en encaissant ces chèques" ; c'est bien sur la prétendue obligation de vigilance que le procès se fonde (on veut bien dire en partie, car une demande pouvait être formulée, encore que de façon plus nuancée).

Quel devoir ? Quelle disposition légale ? Quel arrêt de principe ?

Quelle disposition internationale, européenne ou autre ?

On passe sur la relative confusion, mais en la dénonçant, de cette prétendue obligation de vigilance (accessoire et contractuelle) avec l'obligation de vigilance, qui elle existe légalement, et qui profite aux pouvoirs publics (notamment TRACFIN). On parle de LAB-FT ou LCB-FT. Elle s'impose à 20 professionnels et non seulement aux établissements de crédit et en vertu du Code monétaire et financier le code de l'argent, le code des opérations sur monnaie.

La conformité qui a pour reposoir la LAB-FT est a priori mal construite puisque cette confusion perdure. Ce que pourtant le juge du droit a réglé ; c'est brièvement dit dans mon ouvrage Droit bancaire et financier dans ses modestes pages sur la LAB. J'ai renforcé le propos pour la prochaine édition. On trouve même la confusion dans des ouvrages de recherche approfondis (...).

Cette situation est regrettable pour une autre raison, prospective cette fois.

Il y aurait à travailler ce point car la compliance peut à terme, sous diverses conditions, influencer diverses solutions du droit positif. La perspective est inaccessible au débat puisque on récite en parallèle les images du "droit bancaire", l'obligation de vigilance qui n'existe (plutôt) pas et, désormais, des tonnes de règles abrutissantes de compliance (avec pour pilier l'obligation légale de vigilance qui, elle, existe) ; règles dont on se demande qu'elle est la nature profonde et l'effet sur tout le système juridique.

Bon, retournons au point technique.

L'arrêt ci-dessous illustre que, lorsque une anomalie apparente existe, le banquier, comme tout professionnel, doit procéder à une ou à des vérifications. Voilà qui est un point peu discutable. En vérité, tout professionnel qui voit une anomalie se voit généralement imposer une obligation d'investigation, de vérification, d'interrogation... selon le cas.

Illustration du propos avec, vous l'avez compris, cet arrêt de 2020...


Extrait de la base publique Legifrance

Cour de cassation
chambre commerciale

Audience publique du mercredi 22 janvier 2020
N° de pourvoi: 18-12237
Non publié au bulletin Rejet

Mme Mouillard (président), président
Me Le Prado, SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat(s)

...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JANVIER 2020

M. G... C..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° Y 18-12.237 contre l'arrêt rendu le 26 octobre 2017 par la cour d'appel de Lyon (6e chambre), dans le litige l'opposant à la société Lyonnaise de banque, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Guerlot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat de M. C..., de Me Le Prado, avocat de la société Lyonnaise de banque, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2019 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Guerlot, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 26 octobre 2017), que la société Lyonnaise de Banque (la banque) a inscrit au crédit du compte de M. C... diverses sommes correspondant au montant de plusieurs chèques déposés, en décembre 2014, sur ce compte ; qu'alertée par leur montant inhabituel, la banque a adressé, les 13, 16 et 26 décembre 2014, à M. C... des lettres l'informant que les montants des chèques inscrits sur son compte ne pouvaient être considérés comme un avoir disponible à défaut d'encaissement effectif ; que M. C... a disposé par virement et mandat cash d'une partie des sommes inscrites sur son compte, entraînant, au 5 mai 2015, un solde débiteur de 16 928,95 euros ; que la banque a contre-passé l'inscription en compte des chèques, qui s'étaient avérés volés ; que la banque a assigné M. C... en paiement du solde de son compte ; que M. C... a recherché la responsabilité de la banque ;

Attendu que M. C... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque la somme principale de 16 928,95 euros, et de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :

1°/ que le banquier récepteur, chargé de l'encaissement d'un chèque, est tenu de vérifier la régularité apparente de l'endos apposé sur le titre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la banque n'avait commis aucune faute de négligence en se bornant à relever que celle-ci avait adressé à M. C... deux courriers les 16 et 27 décembre 2014 lui rappelant que l'inscription des chèques au crédit de son compte n'avait lieu que sous réserve de leur encaissement effectif, conformément aux conditions générales annexées à la convention de compte, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la banque n'avait pas manqué à son devoir de vigilance en encaissant ces chèques, dont elle avait elle-même constaté par motifs adoptés qu'ils avaient été endossés par une personne dénommée C..., et non par M. C... ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, dans sa rédaction applicable au litige, et 1992 du code civil, ainsi que des articles L. 131-19 et suivants du code monétaire et financier ;

2°/ que le banquier, auquel un chèque est remis à l'encaissement, n'est pas tenu de procéder à son inscription en compte immédiatement et peut, sous réserve d'en informer le client, ne créditer le chèque qu'après son paiement effectif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu par motifs adoptés qu'il ne pouvait être reproché à la banque d'avoir inscrit le montant des chèques au crédit du compte de M. C... dès lors que ce dernier ne contestait pas avoir été destinataire des conditions générales stipulant l'obligation d'attendre l'encaissement définitif avant l'utilisation, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la banque n'aurait pas dû attendre le paiement effectif des chèques avant d'inscrire leur montant au crédit du compte de M. C... dès lors qu'elle avait décelé leur montant inhabituel et, partant, le risque qu'ils ne soient pas provisionnés ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, dans sa rédaction applicable au litige, et 1992 du code civil, ainsi que de l'article L. 131-4 du code monétaire et financier ;

3°/ que le banquier doit refuser d'exécuter l'ordre de virement si les fonds figurant au compte du donneur d'ordre sont indisponibles ; qu'en l'espèce, ayant elle-même constaté que la banque avait indiqué à M. C... que le montant des chèques inscrit au crédit de son compte ne pouvait pas être considéré comme un avoir disponible tant qu'il n'y avait pas eu d'encaissement effectif, la cour d'appel ne pouvait retenir que l'origine du découvert relevait de la responsabilité exclusive du client en ce qu'il avait procédé à des virements sans attendre l'encaissement effectif des chèques, quand la banque aurait dû refuser d'exécuter les ordres de virements de M. C... en raison de l'indisponibilité des fonds figurant à son compte tant que les chèques n'avaient pas été effectivement encaissés ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;

4°/ que la cour d'appel ne pouvait retenir que l'origine du découvert relevait de la responsabilité exclusive de M. C... en ce qu'il avait procédé à des virements et à un retrait alors que la banque lui avait adressé des lettres l'avertissant que le montant des chèques inscrit au crédit de son compte ne deviendrait liquide qu'à l'encaissement effectif de ces chèques, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. C... n'avait pas effectué ces virements et ce retrait le 13 décembre 2014, soit avant que la banque lui adresse les lettres d'avertissement en date des 16 et 27 décembre 2014, et si celle-ci n'avait pas commis une faute en s'abstenant d'utiliser des moyens plus rapides (téléphone, emails, SMS) que des courriers simples – au surplus, inefficaces, car adressés à une mauvaise adresse – pour l'alerter et le mettre en garde ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;

5°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer les conclusions des parties ; que dans ses conclusions, M. C... contestait avoir reçu les lettres d'avertissement de la banque en faisant valoir que celles-ci lui avaient été adressées à son ancienne adresse à Gex alors qu'il était domicilié à Y..., changement d'adresse dont il avait informé la banque ; qu'en affirmant par motifs adoptés qu'il ne contestait pas avoir reçu les lettres d'avertissement que lui avait adressées la banque à son adresse Gex, pour en déduire que l'origine du découvert lui était exclusivement imputable, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions précitées et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que les chèques étaient endossés par une personne dénommée « C... », l'arrêt relève que la banque, alertée par leur montant inhabituel, a demandé des avis de conformité auprès des établissements concernés, le 16 décembre 2014, pour les trois premiers chèques et le 31 décembre 2014, pour les deux derniers chèques ; qu'il ajoute que la banque a adressé à M. C... deux lettres, respectivement le 16 et le 27 décembre 2014, lui rappelant les stipulations de la convention de compte relatives à la disponibilité, sous réserve d'encaissement, des chèques inscrits au crédit de son compte ; qu'il en déduit que la banque n'a pas commis de faute de négligence, ayant averti son client sur les chèques déposés sur son compte dont le montant était inhabituel ; que par ces constatations et appréciations rendant inopérante la recherche invoquée, la cour d'appel, qui a fait effectué la recherche prétendument omise, invoquée par la première branche, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que la banque avait réagi rapidement, conformément à ses obligations contractuelles et au vu du caractère douteux des chèques, l'arrêt ajoute que M. C... est à l'origine du découvert, puisqu'il a procédé à des virements par son accès à distance depuis son ordinateur bien qu'il fût averti que les sommes correspondant aux chèques ne deviendraient liquides qu'à l'encaissement effectif de ces chèques « douteux » ; qu'il retient qu'il ne peut être reproché à la banque l'inscription au crédit du compte de M. C... du montant des chèques litigieux dès lors que ce dernier ne conteste pas avoir été destinataire des conditions générales lui faisant obligation d'attendre l'encaissement définitif des chèques avant d'utiliser les fonds inscrits au crédit de son compte ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les quatrième et cinquième branches, a pu retenir l'absence de faute de la banque ;

D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

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