Le juristocrate, un néologisme pour signifier un état (I)



Le "juristocrate" a probablement tué le juriste. Le résultat est là : personne ne s'intéresse à ce que font, écrivent et disent les juristes. Ils sont pourtant nombreux et occupent souvent des postes importants. Là où l'on sollicite cent économistes, cent philosophes ou cent sociologues, on demande son avis ou une intervention à un (seul) juriste. C'est probablement que le juriste est devenu un juristocrate.

On note des phénomènes parallèles. Le discrédit du droit est tel que l'on crée "une nuit du droit" et un "Grenelle du droit". Ces deux appellations équivoques marquent le décalage des juristes avec certaines réalités sociales. Une situation d'obscurité et une de crise majeure (un Grenelle, cela est inspiré de mai 68, mention pour les plus jeunes), voilà qui devrait ou pourrait réparer le droit ?

Le redressement ne viendra pas de corps ou de grandes messes, mais de comportements personnels. Aucune Eglise ne tient pas ses messes et ses hiérarques, elle tient par la foi de ses croyants en une doctrine. Le problème vient justement de la doctrine, si tant est qu'il y ait un problème, après tout...

Pour participer au débat social de façon crédible (en vérité au débat public, politique : Platon ne connaît pas le "social"), il faut dire des choses éclairantes, intéressantes, structurantes, innovantes, originales, adaptées à la société "en marche"... Or les juristes, notamment la doctrine, n'est pas dans cette voie, nous semble-t-il, mais l'on peut s'égarer, ni dans cet état d'esprit (il faudrait une enquête sociologie scientifique).

La doctrine semble davantage répéter la loi.

La doctrine dit, redit, classe et répète la loi (et la jurisprudence), avec l'appui des éditeurs qui fournissent un service aux praticiens du droit) que dire des choses juridiques utiles à la société.

Ainsi, la doctrine produite, au service du Pouvoir qui énonce la loi, a aujourd'hui pour agent principal le juristocrate. C'est qu'on commence à l'adorer même dans les facultés, ce juristocrate qui énonce un cours magistral qui n'a rien de... magistral.

Le juristocrate est un juriste qui a de multiples qualités : il est sérieux, à jour de son droit, complet, synthétique et techniquement explicatif.

Le juristocrate ravit - au moins un temps - l'avocat qui le lit, le magistrat qui y conforte son opinion sur le sens de la loi, le juriste d'entreprise qui a besoin d'un repère. Même l'étudiant peut y trouver son compte, à court terme. Mais l'exercice a une portée limitée à la bulle des juristes. Sauf que le juristocrate se transforme parfois en "employé de droit", un "travailleur du droit", à faire à répétition des actes, déclarations et contrats pour un employeur (qui n'est parfois pas juriste) ; je n'ose pas parler de la rémunération de ce diplômé...

Mais, sur le désintérêt que suscite le droit. Ainsi, le non-juriste ne peut déjà pas lire un manuel de droit, aussi simple soit-il, car la terminologie juridique est la marque d'une science à l'oeuvre. Mais, plus grave, il ne peut pas non plus le lire pour ses publications de synthèse, de 3500 signes. Elles ne portent que du droit, elles ne portent qu'en droit - et encore.

Le problème est que le juristocrate fait une recherche qui ne trouve rien de fondamental, d'essentiel, de vital, de transcendantal : il ennuie non pas une majorité de personnes, mais une immense majorité de personnes.

Le juristocrate met de côté la science politique, peut-être parfois au nom de l'impartialité (?!), car il se prend souvent pour un juge.

Le juristocrate ignore l'économie.

Il feint de mépriser la philosophie et il ignore que le droit est autant une science sociale qu'humaine (qu'est-ce que cela veut dire un juriste qui n'est pas philologue ?).

En somme, ses analyses sont hors-société, contrairement à ce que pensent 85 % de ses lecteurs, et les éditeur avec. Mais l'analyse peut être en phase avec tel acteur du moment (on trouve actuellement nombre de juristes qui adorent l'écosystème de la blockchain).

Ce droit pratique ne dit pas la société, ses contraintes, la réalité, les douleurs.... Ses analyses changeront dans six mois, quand le décret changera, ou même l'instruction administrative. Le juristocrate est emporté par le dernier vent que soufflent les autres sciences. Du reste, là, un contre-phénomène existe : le juristocrate militant politique, le juristocrate militant catholique, le juristocrate écologique...

Quand le juristocrate dit quelque chose de la société, il tombe dans l'excès et l'attitude partisane !

Le Droit est tellement fade, que les grandes écoles s'en empare pour faire qui du droit des affaires, qui du droit des RH, qui du droit général et préparer à la magistrature (avec quel succès !), qui du droit du numérique... Partout le vrai juriste perd du terrain, sans doute parce qu'il est moins juriste et trop juristocrate.

Le juristocrate tient sa place parce qu'il est un technocrate qui manie la règle que les autres ne manient pas, mais le procédé récitatif qui innerve toute sa démarche, décevant, pourrait être remis en cause par l'intelligence artificielle, j'en parlerais bien si... j'en ai la force (III), démarche qui le rend très (trop ?) proche du pouvoir, des pouvoirs et non du peuple (IV).

Mais avant cela, il faut expliquer la belle vie du juristocrate ! Il tient un rang grâce à quelques techniques (organiser, rédiger, juger) et fonctions sociales (des professions inaltérables qui sont cependant désormais altérées : avocat, notaire, juges, mandataires de justice, huissier...), et à la robe.... on en parle un peu plus tard si... (II). Tous les concours administratifs qui donnent autant de corps de cadres sont de la partie.

Voilà le monde des juristes. C'est la confortable bulle des juristes dans laquelle 90 % de mes lecteurs évoluent - et moi avec.

Je ne pronostique pas ici que la bulle va éclater. Ce serait une analyse à dix balles digne de la grande presse. La bulle a traversé les siècles, et il n'est pas impossible qu'elle en traverse d'autres. Je souligne simplement l'état de la bulle.

Je dis pourquoi la bulle se rétracte quand un juge se sert du réalisme sans savoir de quoi il parle (note plus bas). Je dis pourquoi elle brille moins quand tout juriste s'improvise spécialiste de la monnaie. Je dis pourquoi elle perd de son enveloppe quand le juriste d'entreprise se prend pour un manager qui court partout et ne réfléchit à rien. Je dis pourquoi son éclat faiblit quand l'avocat vide son âme en bavardages médiatiques.

Je dis pourquoi la bulle peut éclater si la doctrine récite la loi sans en dire l'âme.

Le risque est très pratique, on sera passé du juriste au juristocrate et l'on passera du juristocrate à l'employé juridique (c'est déjà souvent le cas). Mais qui alors aura en charge le Droit ? Ce n'est plus un problème de bulle, mais de démocratie.

A suivre !
(enfin, à suivre si j'ai la force d'écrire la suite...)




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NB Le mot "juristocrate" est une invention de l'auteur, il est vivement déconseillé aux étudiants de l'utiliser dans des copies ou au cours d'oraux. Il est en effet bien connu qu'un blog ne peut pas être de la doctrine, raison pour laquelle on ne doit pas citer les blogs (le numérique n'existe pas encore).

A propos des sources, remarque plus générale, les étudiants établiront leur bibliographie (notamment de mémoire) en utilisant la base DOCTRINAL PLUS qui ne se limite pas à deux ou trois éditeurs, une tendance nette faisant émerger des bibliographies spécialement étroites, les étudiants ne reproduisant que ce que les directeurs de recherche pratiquent.

DOCTRINAL PLUS permet des recherche de thèmes, d'auteurs, et de commentaires de décisions. C'est le seul outil qui donne des bibliographies objectives.






un néologisme pour signifier un problème (I)

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