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Le plaideur, la nébuleuse des obligations de la banque, l'assurance et le mystère des juges (Civ. 2e, 20 mai 2020)



Sur la solution de l'arrêt, il n'y a pas à discuter, sauf à élaborer une théorie... Le client d'une banque mal éclairé sur la couverture que lui procure une assurance (jointe à son crédit) subit un préjudice et la banque doit l'éclairer. Il y a un effet automatique qui le dispense de prouver qu'il aurait effectivement conclut une autre assurance. C'est un peu de l'ordre de l'impossible.

La décision est intéressante pour autre chose, un mystère ; un mystère produit par un mélange assez usuel selon nous, qui est injustifié en soi et plus encore car il est de nature à perdre le plaideur, celui qui lit certains arrêts (client justiciable ou même avocat ! Ne parlons donc pas des étudiants...).

Informer, conseiller, éclairer et souvent mettre en garde... tout est à l'occasion mélangé.
Le plaideur, la nébuleuse des obligations de la banque, l'assurance et le mystère des juges (Civ. 2e, 20 mai 2020)

Mais sinon, que lit-on ?

"...M. A... a assigné la banque en réparation d'un manquement à ses devoirs d'information, de conseil et de mise en garde ;

Attendu que...

Qu'en statuant ainsi, alors que toute perte de chance ouvre droit à réparation, la cour d'appel, qui a exigé de l'assuré qu'il démontre que s'il avait été parfaitement informé par la banque sur l'adéquation ou non de l'assurance offerte à sa situation
..."

Le récit de l'affaire commence par un rutilant "manquement à ses devoirs d'information, de conseil et de mise en garde" mais se termine dans un maigrelet défaut d'information. Magie de la Cour de cassation !

Mais où sont donc passées l'obligation de mise en garde et l'obligation de conseil qui étaient invoquées ? Il n'y a rien à juger sur ce cumul un peu dérangeant (le client de la banque lui reproche tout ce qu'il peut...!).

On s'étonne d'autant plus de voir le florilège de reproches se réduire alors qu'on pensait que c'était en terme d'obligations d'éclairer qu'il fallait (peut-être) raisonner. Mais non, la Cour répond et motive la censure sur la simple obligation d'information.

Comment comprendre que le client fasse un reproche à trois branches - la Cour de cassation l'écrit - et que, sans mot dire, on ne motive que sur le défaut d'information. Comment comprendre que l'obligation d'éclairer, jolie expression, qui est plus que l'information basique, un peu de l'avertissement de la mise en garde et un peu moins que du conseil, ne serve pas la motivation ?

J'entends déjà, et souscris, à l'idée de : le pourvoi, tout le pourvoi, rien que le... Mais enfin ce qui reste c'est l'arrêt, écrit par le juge, et il n'y a pas beaucoup de raison pour mélanger tous les moyens de droit comme s'ils n'en faisaient qu'un alors que souvent (pas toujours) le juge les distingue.

La question se pose car la violation de l'obligation d'éclairer, délaissée, source d'un préjudice quand elle est violée, est toujours et encore dans l'actualité.

Un arrêt récent statue sur l'inadéquation d'une assurance en cassant un arrêt d'appel au motif que ce dommage, lié au fait de ne pas "éclairer", se réalise au moment du refus de garantie opposé par l'assureur (Cass. com., 6 janv. 2021, 18-24.954, publié ; Cass. 2e civ., 17 juin 2021, nº 19-24.467, B+R, ce dernier arrêt est publié pour une question d'exclusion de garantie, mais la cassation intervient également, par un 3e moyen, sur la perte de chance impliquée par un défaut d'éclairer le client de l'assurance, ce qui donne cette fois un arrêt clair).

La chambre commerciale, pour sa part, motive pour une même question d'assurance de groupe juge sur l'obligation d'éclairer et équipe l'arrêt de la référence suivante, inévitable :
"Sur la violation de l'obligation d'éclairer du banquier en matière d'assurance de groupe, à rapprocher:
Ass. plén., 2 mars 2007, pourvoi n° 06-15.267, Bull. 2007, Ass. plén., n° 4 (cassation)."

Pourquoi ne pas éclairer avec l'obligation d'éclairer ? Pourquoi ramener l'obligation d'éclairer, que la Cour a elle-même inventé, en Assemblée plénière, à une simple obligation d'informer ? Cette terminologie flottante laisse pour sentiment que les établissements n'ont pas droit à des obligations strictement définies et cohérentes. Il leur faut se débrouiller et décrypter.

Mais ce n'est pas tout, les plaideurs peu avertis ont la même contrainte. Cette décision de 2020 a du reste donné lieu à de nombreux commentaires, et plusieurs n'évoquent pas l'obligation d'éclairer - les commentateurs sont donc également malmenés (à vouloir tout commenter et très vite...). Au fond, il nous est à nouveau donné l'occasion de dire qu'il est temps de reclasser les obligations de renseignement (disons cela comme ça) et de s'y tenir pour éviter à tous une bonne dose d'insécurité juridique (et souvent d'illusion).

Pourquoi, finalement, dans cet arrêt de 2020, ne pas se servir de l'obligation d'éclairer qui a une belle spécificité et qui ne doit pas inspirer tout recours dans tous sens au nom de la trop flottante et en partie contradictoire "obligation d'informer et de conseil" ?

Sans doute la faute aux avocats.

(et personne ne saura si cette dernière phrase est ou non un trait d'humour)

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Extrait de la base publique Légifrance.


Audience publique du 20 mai 2020

Cassation


M. PIREYRE, président
Arrêt n° 418 FS-P+B+I
Pourvoi n° 18-25.440

...

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2020

M. S... A..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° 18-25.440 contre l'arrêt rendu le 8 novembre 2018 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige l'opposant à la société Crédit foncier de France, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guého, conseiller référendaire, les observations de la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat de M. A..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Crédit foncier de France, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 février 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Guého, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, M. Besson, Mme Bouvier, conseillers, Mme Touati, M. Talabardon, Mme Bohnert, M. Ittah, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et Mme Cos, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Sur le moyen unique :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 22 janvier 2007, M. A... a adhéré, pour garantir un prêt immobilier consenti par la société Crédit foncier de France (la banque), au contrat d'assurance de groupe souscrit par cette dernière auprès de la société Axa France vie (l'assureur) afin de couvrir les risques décès, invalidité et incapacité ; que le 14 mars 2008, M. A... a été victime d'un accident du travail ; qu'après avoir pris en charge les échéances du prêt, l'assureur a notifié à M. A... un refus de maintenir la garantie, son taux d'incapacité fonctionnelle ne dépassant pas le minimum contractuel prévu ; que M. A... a assigné la banque en réparation d'un manquement à ses devoirs d'information, de conseil et de mise en garde ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt, après avoir retenu la responsabilité de la banque pour n'avoir pas appelé l'attention sur les limites de la garantie souscrite, énonce que M. A... ne démontre pas que, complètement informé, il aurait contracté une autre assurance qui l'aurait couvert contre l'incapacité de travail qui lui avait été reconnue, ce d'autant que les assurances ne couvrent pas l'incapacité de travail dans les termes de l'incapacité reconnue par la sécurité sociale, et en déduit l'absence de perte de chance de souscrire une assurance lui garantissant le risque d'une incapacité totale de travail ;

Qu'en statuant ainsi, alors que toute perte de chance ouvre droit à réparation, la cour d'appel, qui a exigé de l'assuré qu'il démontre que s'il avait été parfaitement informé par la banque sur l'adéquation ou non de l'assurance offerte à sa situation, il aurait souscrit, de manière certaine, un contrat mieux adapté, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

...

Titrages et résumés
RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Dommage - Réparation - Caractères du préjudice - Perte d'une chance - Adhésion à un contrat d'assurance de groupe - Manquement de la banque à son devoir d'information - Contrat plus adapté à la situation personnelle de l'assuré n'ayant pu être souscrit

Toute perte de chance ouvre droit à réparation. Viole l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 une cour d'appel qui, après avoir retenu la responsabilité d'une banque pour ne pas avoir appelé l'attention d'un emprunteur sur les limites de la garantie résultant du contrat d'assurance de groupe qu'elle avait souscrit et auquel il avait adhéré, énonce qu'il ne démontre pas que, complètement informé, il aurait contracté une autre assurance qui aurait couvert l'incapacité de travail qui lui a été reconnue et exige ainsi qu'il prouve que, s'il avait été parfaitement informé par la banque sur l'adéquation ou non de l'assurance offerte à sa situation, il aurait souscrit, de manière certaine, un contrat mieux adapté

ASSURANCE DE PERSONNES - Assurance de groupe - Souscripteur - Obligations - Information de l'assuré - Information sur l'adéquation des risques couverts par le contrat à la situation personnelle de l'assuré - Manquement - Conséquences - Responsabilité - Dommage - Réparation - Perte de chance
Textes appliqués
article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016

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