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Le siège réel de la société sans personnalité morale... quand un doute vous prend (Cass. com., 17 septembre 2025, n° 23-17.595, Publié).



La société créée de fait (SCDF) est une société qui n'est recherchée et ainsi qualifiée que pour être dissoute. L'arrêt rapporté illustre au moins cette chose simple à dire, et sur laquelle il faut insister. L'hypothèse de la SCDF est celle où il n'y a pas eu de statuts rédigés, il n'a parfois même pas été évoqué une société entre les protagonistes, personne n'a jamais parlé d'apports, etc. Et soudain un des protagonistes parlent en termes de "société" : il entend faire qualifier ce qui s'est passé, l'affaire qui a été conduite à plusieurs personnes, en une société.

La personne qui a soudain cela en tête - qui se dit associée -, et qui parfois agit en justice, n'a en principe plus les moyens de maîtriser les biens et l'activité qui commencée, en général à trois ou 4 comparses. Il n'a plus la main sur ce qui se faisait ensemble et sur les biens ou matériels qui le permettaient. Alors elle assigne en demandant la reconnaissance d'une SDF.

Le présent arrêt le rappelle, il a aussi la vertu de rappeler la distinction entre siège statutaire et siège réel. Enfin... Distinction générale et reçue par tous, et à l'utilité indiscutable mais marginale quand la situation est ordinaire (pouvoir assigner au siège réelle au lieu du siège statutaire ressortant au Kbis).

Le rappel lu en filigrane de cette décision est cependant fait dans un contexte saugrenu.

Par nature, ceux qui ont fait la SCDF, n'ont pas défini de siège social, et notamment parce qu'ils n'ont pas dressés de statuts. Ils ont fait une société comme le bourgeois gentilhomme de Molière faisait de la prose : sans s'en rendre compte ! Donc ils ne pouvaient pas respecter l'exigence d'un siège social et aucun n'a été choisi : il n'y a donc pas de siège social statutaire, pas de siège social convenu, pas de siège social officiel car il aurait été indique dans un document quelconque... En effet, si on ne peut pas parler de siège social statutaire, il ne devrait pas y être opposé un siège social réel".

Donc, avec ou sans cette distinction, la SCDF pose la question d'un siège social car les parties ont voulu une société (sans le savoir) ; il est à retrouver ou trouver comme les divers apports et autres éléments du contrat de société. Or, des règles, ici de DIP, disent que le siège social réel c'est là où se prennent habituellement les décisions.

Dans ces circonstances, parler d'une siège social réel, notion pensée et construite en appui du siège social officiel (statutaire), alors qu'en l'espèce ce dernier n'existe pas, est en partie un non-sens.

Quoique la question soit tirée par les cheveux, ubuesque si vous voulez, la poser permet d'en sortir quelque chose. Du moins en y répondant.

Le formel est chassé par le réel.

En vérité, cette affaire est tordue. Pour des raisons de procédures (situer le lieu de la société), la question de procédure exige d'identifier le siège social, là où l'affaire se discutera. C'est une nouvelle fois ubuesque : par nature la société n'existera éventuellement qu'après le procès, si la SCDF est reconnue, ce qui est toujours aléatoire.

Attribuer une compétence à raison d'un siège d'une société parfaitement hypothétique est un non-sens.

Il est donc probable que cette décision solutionne un problème de DIP, et plus spécialement de compétence territoriale, mais qu'elle ne soit pas une contribution au droit des sociétés qui n'en sort pas éclairé...

La règle peut cependant venir aider ou conforter la SCDF qui est une entité (...) qui a du mal à exister en droit.



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Texte tiré de la base publique Légifrance.

Cass. com., 17 septembre 2025, 23-17.595, Publié

... la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 mai 2023), en décembre 2018, MM. [S] et [B] ont entrepris des discussions afin de créer une société dénommée Pos Bakerz, dont ils ont démarré l'activité sociale, et ont été rejoints par M. [D], domicilié au Portugal, et M. [E], domicilié au Royaume-Uni, puis par une société de droit britannique, dénommée désormais la SAS The Family.

2. Le 16 mars 2020, aucun accord n'ayant été trouvé sur la répartition du capital, et soutenant avoir été révoqué de façon vexatoire et non contradictoire de ses fonctions de directeur d'exploitation de la société créée de fait soumise à la loi française, Pos Bakerz, M. [S] a avisé MM. [B] et [E] de son intention d'engager une procédure de dissolution judiciaire.

3. Le 30 mars 2020, M. [E] a immatriculé une société commerciale sous la dénomination « Stakin Oü » au registre du commerce et des sociétés de Tallin en Estonie.

4. Le 11 août 2021, M. [S] a assigné MM. [B], [D], [E] ainsi que les sociétés Stakin Oü et The Family devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de dissolution de la société Pos Bakerz.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. MM. [B], [E], [D], ainsi que la société Stakin Oü font grief à l'arrêt de les dire mal fondés en leur exception d'incompétence au profit des juridictions estoniennes et de juger que le tribunal de commerce de Nanterre était compétent pour connaître du litige, alors « que l'article 24, § 2, du règlement (UE) n° 1512/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, prévoit la compétence exclusive des juridictions de l'État membre du siège de la société ou de la personne morale en matière de validité ou de dissolution des sociétés et personnes morales ou de validité des décisions de leurs organes et que, pour déterminer le siège de la société ou de la personne morale en cause, le juge applique les règles de son droit international privé ; que, selon les règles du droit international privé français, le siège réel d'une société s'entend du lieu où se trouve la direction effective de la société, c'est-à-dire du lieu de réunion des assemblées et des conseils d'administration et du lieu de signature des principaux contrats ; qu'en énonçant que la compétence du tribunal ne pouvait pas être déterminée par les dispositions impératives de l'article 24 du règlement, qui supposaient de pouvoir déterminer le siège de la société litigieuse et en en déduisant, qu'il y avait lieu de faire application de l'article 8, § 1, du dit règlement quand, en application des dispositions de l'article 24, § 2, du même règlement elle devait déterminer le siège social de la personne morale en cause selon les règles du droit international privé français, la cour d'appel a violé, par fausse application, les dispositions de l'article 8, § 1, du règlement (UE) n° 1512/2012 du 12 décembre 2012 et, par refus d'application, les dispositions de l'article 24, § 2, du règlement (UE) n° 1512/2012 du 12 décembre 2012. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 24, point 2), du règlement (UE) n° 1512/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en matière de dissolution des sociétés, sont seules compétentes, sans considération de domicile des parties, les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel celles-ci ont leur siège. Pour déterminer le siège, le juge applique les règles de son droit international privé.

8. Selon les principes qui régissent la compétence juridictionnelle internationale des tribunaux français (1re Civ., 4 mars 2020, pourvoi n° 18-24.646), celle-ci se détermine par l'extension des règles de compétence interne, sous réserve d'adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations internationales.

9. L'arrêt relève qu'en décembre 2018, MM. [S] et [B] ont entrepris des discussions afin de créer une société dénommée Pos Bakerz, dont ils ont débuté l'activité sociale, M. [S] effectuant notamment des missions ponctuelles de marketing et de « business développement ». Il ajoute que la société était animée par MM. [B] et [S], respectivement « chief executive officer » (directeur général) et « chief operating officer » (directeur des opérations) et que M. [S] a estimé avoir été évincé de ses fonctions courant mars 2020.

10. L'arrêt retient encore que si les factures d'électricité, de gaz et les quittances de loyer de M. [B] démontrent que celui-ci avait été domicilié à Londres d'août 2018 à l'été 2019, aucune pièce ne justifie d'une résidence à l'étranger au-delà, hormis la déclaration d'appel dont il ressort qu'il réside désormais au Portugal, tandis que les pièces produites établissent qu'il résidait jusqu'alors au domicile de sa mère, à [Localité 5], en France. L'arrêt retient enfin, par motifs adoptés, qu'au cours de ces années, M. [S] demeurait en France.

11. Il résulte de ces énonciations, constatations et appréciations qu'en l'absence de siège statutaire, le siège réel, entendu comme le lieu de la direction effective de la société dépourvue de la personnalité morale Pos Bakerz dont il était demandé la dissolution, ce qui rendait applicable l'article 24 règlement (UE) n° 1512/2012 du 12 décembre 2012, était situé en France.

12. Par ce motif de pur droit , substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

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