Les crédits sont des services : on ne l'a pas assez dit.



Les crédits sont des services : on ne l'a pas assez dit.
Une salle de Palais et... je m'imagine devoir plaider cette idée simple que les crédits sont des services : grand moment de solitude ! Les juges d'appel vous écoutent mais quelques airs goguenards des uns et des autres vous font deviner ce que sera l'arrêt. On croit entendre ce qu'ils pensent : "allez-y monsieur le professeur faites vous plaisir avec votre thèse".

Pour le juge, la démonstration que vous faites, et qui est en réalité "déjà" du droit positif, n'est qu'une thèse voire même qu'une spéculation éthérée. Combien de fois ai-je eu ce sentiment ? Trop sans doute. Je pense donc que je n'aurais pas davantage abouti que l'avocat qui n'est pas parvenu à faire juger, en appel, qu'un crédit est un service. Il y a ainsi de multiples évidences qu'on ne parvient pas à faire juger devant le juge du fond... Il faut alors non pas renoncer, mais l'alerter, et l'alerter encore sur les raisons pour lesquelles il est imperméable : et il est bien difficile de dire à quelqu'un sa rigidité !

Mais l'avocat tient ici sa revanche : la Cour de cassation le suit sur cette idée de principe qui n'est, crois-je, ni dans les manuels, ni dans les esprits et sans doute peu ou pas en jurisprudence. Et malgré cette décision, les choses resteront en l'état. Il ne suffit pas d'une lumière pour y voir clair, il en faut de multiples et qui disent la voie à prendre. Il faut que la piste soit balisée de mille feux pour que le droit puisse s'appliquer en pratique sous toute certitude, alors qu'on rêverait un ordre juridique ou la première lumière d'intelligence permet de changer les choses - moderniser le sens de la loi.

Vous l'avez compris, cet arrêt est signalé plus pour sa symbolique que sa solution de droit positif (ce qui n'est pas académique), alors que la question a de multiples conséquences, ce que nous n'esquissons même pas. Nous vous laissons découvrir la décision, gardée au chaud depuis quelques mois, et qui intéresse les emprunteurs et prêteurs, prouvant l'influence de cette position de principe qui permet d'affirmer que les crédits sont des services, notion qui en réalité commande la planète financière, à commencer par les banques.

Cour de cassation 1re civ., 28 novembre 2012, n° 11-26508

Les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels. Dès lors, l'action de ceux-ci pour de tels crédits se prescrit par deux ans en application de l'article L. 137-2 du code de la consommation.

Extrait de Legifrance

M. Charruault, président

Mme Kamara, conseiller apporteur

Mme Falletti, avocat général

Me Foussard, SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Arrêt n° 1374 FS-P+B+I
Pourvoi n° R 11-26.508
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par M. Nicolas X..., domicilié ...,
contre l’arrêt rendu le 11 octobre 2011 par la cour d’appel de Reims (chambre civile, juge de l’exécution), dans le litige l’opposant à la société Banque Kolb, dont le siège est 1-3 place du Général de Gaulle, 88500 Mirecourt,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 30 octobre 2012, où étaient présents : M. Charruault, président, Mme Kamara, conseiller rapporteur, MM. Bargue, Gridel, Mmes Crédeville, Marais, M. Garban, Mme Dreifuss-Netter, M. Girardet, Mme Verdun, conseillers, M. Jessel, Mmes Darret-Courgeon, Canas, M. Vitse, conseillers référendaires, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Kamara, conseiller, les observations de Me Foussard, avocat de M. X..., de la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de la société Banque Kolb, l’avis de Mme Falletti, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi
Sur le moyen unique
Vu l’article L. 137-2 du code de la consommation,
Attendu qu’en vertu de ce texte, l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, suivant acte authentique du 27 mai 2003, M. X... a souscrit deux emprunts auprès du Crédit du nord, devenu la Banque Kolb ; que la déchéance du terme a été prononcée le 10 février 2006, à la suite d’impayés ; que, le 12 juillet 2010, la banque lui a délivré un commandement de payer aux fins de saisie immobilière ;
Attendu que, pour débouter M. X... de sa demande tendant à voir constater la prescription de la créance et juger nul le commandement, l’arrêt retient que le texte précité ne concerne pas les crédits immobiliers et que les créances en cause seront prescrites en cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, soit en juin 2013 ;
Qu’en statuant ainsi, quand les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 11 octobre 2011, entre les parties, par la cour d’appel de Reims ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Banque Kolb ; la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille douze.
MOYEN DE CASSATION
Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour M. X...
L’arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU’il a refusé de constater la prescription de la créance et rejeté la demande visant à l’annulation du commandement du 12 juillet 2010 ;
AUX MOTIFS QU’ « ainsi que l’a rappelé le juge de l’exécution aux termes d’une motivation particulièrement pertinente, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance, sans égard pour la forme en laquelle elle est passée ; qu’il est constant que l’acte authentique en cause date de 2003 ; que l’article L 110-4 du code de commerce dans sa version antérieure à la loi du 17 juin 2008 dispose que les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ; que le même article dans sa rédaction actuelle prévoit que cette prescription est dorénavant de 5 ans ; que l’article 26 de la loi du 17 juin 2008 relatif à la mise en place des nouvelles règles de prescription précise que les dispositions de ladite loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; que, ensuite, contrairement à ce que soutient Monsieur X..., l’article L137-2 du code de la consommation qui prévoit que l’action de professionnels, pour les biens ou services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrivent par deux ans, ne concerne pas les crédits immobiliers ; que la réponse ministérielle publiée le 21 avril 2009 , versée aux débats, prend soin à cet égard de préciser “sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions” ; qu’en effet, il ressort des débats parlementaires et plus particulièrement du rapport fait par Monsieur Emile Y..., député, au nom de la Commission des Lois Constitutionnelles, de la Législation et de l’Administration Générale de la République, sur la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile, que cette disposition est venue remplacer l’article 2272 du code civil qui a été abrogé pour permettre l’insertion de ce délai dans le code de la consommation et en ajoutant les services pour prendre en compte la réalité économique contemporaine ; que l’article 2272 alinéa 4 précisait notamment que l’action des marchands, pour les marchandises qu’ils vendaient aux particuliers non marchands, se prescrivait par deux ans ; que tout indique qu’il n’était pas question dans l’esprit du législateur de prévoir un délai de 2 ans pour les crédits immobiliers qui ne sont pas visés comme étant un service moderne qu’il faudrait prendre en considération comme une nouveauté économique ; qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que les créances en cause seront prescrites en cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 soit en juin 2013 ; que partant, c’est à tort que Monsieur X... conteste la validité du commandement valant saisie immobilière délivré le 12 juillet 2010 par la Banque Kolb et de la procédure subséquente » (arrêt, p. 3-4) ;
ALORS QU’aux termes de l’article L. 137-2 du code de la consommation, issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 : « L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans » ; qu’inséré sous un titre III relatif aux « conditions générales des contrats », il pose une règle générale, sans l’assortir d’exceptions ou de restrictions, s’agissant des services fournis par un professionnel à un consommateur ; qu’en refusant d’appliquer ce texte, en soustrayant sans raison les crédits immobiliers pour refuser de constater la prescription née de l’inaction du créancier entre le 18 juin 2008 et le 18 juin 2010, les juges du fond ont violé l’article L. 137-2 du code de la consommation.

Publication : XX - Décision attaquée : Cour d’appel de Reims , du 11 octobre 2011

Titrages et résumés : PROTECTION DES CONSOMMATEURS - Crédit immobilier - Défaillance de l’emprunteur - Action - Prescription - Délai biennal prévu en matière de biens et services fournis aux consommateurs - Application

L’article L. 137-2 du code de la consommation, qui dispose que l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans, s’applique aux crédits immobiliers consentis par des organismes de crédit au consommateur, lesquels constituent des services financiers fournis par des professionnels
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