Les vignerons indépendants de Champagne (papier après intervention orale).



La FRVIC m'a demandé de réfléchir et de réagir à la légitimité d'une fédération régionale, sujet délicat à aborder (la légitimité est une notion épineuse).

Cependant, le droit positif, le droit en vigueur, permet de purger en affichant, simultanément, les possibles difficultés ou questionnements d'entreprises qui, outre le droit classique, se retrouvent dans un contexte original de régulation - de droit de la régulation.

J'ai déjà été confronté, en pratique et en théorie, à la défense d'une catégorie d'entreprises et de métiers spécifiques, notamment à travers une organisation professionnelle.

Le papier ci-après a été monté pour ne exécution orale, il a été conservé dans cette forme.

Les vignerons indépendants de Champagne (papier après intervention orale).

La légitimité d'une fédération de vignerons indépendants

Un spécialiste du droit de l’entreprise et du droit de la régulation se prépare bien à rencontrer des chefs d’entreprises viticoles, outre un historique inutile à préciser ici. De façon très pratique, je vois qui, en Champagne, de l’Aube jusqu’à l’Aisne, tisse la Champagne et ses villages, je vois qui embellit ces villages spécialement par des exploitations locales qui font que la Champagne et ses villages sont de toute beauté : tout le monde a intérêt à ce que cela dure et longtemps.

J’ai cela au cœur – comme tant de champenois et de Français. Mon sujet m’en éloigne un peu, encore que, le droit rejoint et absorbe tout ! La légitimité d’une Fédération, tel est mon sujet.

Ici ou ailleurs, à l’extérieur, on peut dire deux choses : vous n’avez pas le droit, notamment parce que vous n’êtes pas une institution. On peut aussi dire vous n’êtes pas légitime. On dira parfois les deux ! Voilà pourquoi le sujet est intéressant.
Là, vous voyez deux questions, une de droit, une sociale. La première est assez facile car en droit il y a toujours une réponse (certes + ou – facile à trouver).

La seconde est difficile, la légitimité n’est écrite nulle part. Elle est un fait ou phénomène social apprécié différemment en sociologie, en psychologie, en science politique, etc. On peut le dire avec des mots compliqués, je vais le dire avec un cas simple.

Les REGIONALES ! Pour éviter les primaires, certains ont décrété que s’ils étaient élus aux régionales ils seraient légitimes pour devenir pré-si-dent de la République (…). On fait souvent dire et faire n’importe quoi à la légitimité qui devient floue !

Tout fait / phénomène social, comme la légitimité, se forme par dix ou quinze facteurs parfois subtils. Il faut trouver et comprendre ces facteurs et non pas en faire une infâme mayonnaise (comme parfois en politique).

Ici, on a à faire cette analyse pour comprendre le droit – le droit ne se comprend pas seulement en récitant comme un perroquet des articles des lois.
Alors ? la légitimité ? La légitimité vient de vous individuellement / vient de vous collectivement.

Individuellement.

Vous êtes des personnes, des entreprises et très spéciales :
- vous tenez le métier de bout en bout, de la vigne plantée à la bouteille vendue : merveilleux.
- ce métier de bout en bout consiste à faire sortir de la terre de Champagne un produit, d’où ce concept d’appellation d’origine, un produit qui est le Champagne.

Certes de grandes entreprises font aussi ce métier, mais personne dans ces entreprises ne conduit seul l’opération du plant de vigne à l’expédition. Mais… en outre, et ça change tout, ces grandes entreprises le font avec l’appui de capitaux qui, souvent, viennent de l’étranger ; ils sont respectables, mais ils n’ont rien à voir avec vous. Et ces capitaux n’ont rien à fiche de la rue de l’église de Rilly, de la rue des Vendanges d’Ambonnay, de la rue de Champagne de Venteuil…

Le fait social de la légitimité, je le vois là, dans votre singulière indépendance que dit parfaitement l’expression « vigneron indépendant ». Etre indépendant, c’est tenir le métier par les deux bouts, soit de « A à Z ».

Votre légitimité individuelle vient de ce fait social essentiel et remarquable de l’indépendance exigeant de multiples savoirs : votre total art et savoir du métier !

Collectivement.

La légitimité collective s’irrigue naturellement de la légitimité individuelle. Si un seul est légitime, 500 le sont a fortiori. L’existence de la Fédération confirme que vous êtes dans une situation spéciale : c’est le moteur ou la raison de l’indépendance qui vous fait vous regrouper, depuis bien des années, en association professionnelle. Et ce fait est d’autant plus sûr qu’il existe partout dans l’Hexagone.

La légitimité de votre collectivité tient aussi à la fédération, personne morale (la Fédération). En pur droit, une association existe, avant même la rédaction de tous statuts, déposés ou pas, quand un groupement de personnes avec un président qui la représente, a des intérêts légitimes : il peut alors agir en justice en tant que personne morale (arrêt de principe de 1954 ; Comité de Saint-Chamond). En pratique, cette décision de principe est un détail. En théorie du droit, pour le sens profond du droit, elle est essentielle. Elle autorise à agir pour défendre un intérêt légitime !

Cela veut dire en raison pure qu’à ce stade, avec votre regroupement, au stade du du collectif, le droit prend le relais du processus de légitimation, la légitimité étant sinon purement sociale (sociologique).

La légitimité se fait en quelque sorte absorber par le Droit, en l’espèce : le droit de votre association professionnelle, le droit de la Fédération des Vignerons Indépendants de Champagne. Je résume ce propos introductif de façon abrupte : que personne n’insinue que vous n’êtes pas légitimes, le droit prouve l’inverse.

C’est pour cela qu’il était important que vous pensiez à vos statuts. Votre légitimité au sens philosophique s’inscrit dans ces statuts sociaux. Que permettent techniquement ces statuts sociaux nouveaux ? Techniquement, pour moi, c’est « juridiquement » :

Juridiquement vous pourrez dorénavant plus clairement : défendre, attaquer, participer. Trois points.

Juridiquement : défendre.

Un syndicat est légitime au plan juridique, en droit, par ses statuts et son existence. Il peut défendre tous les Vignerons indépendants, comme il peut en défendre UN seul, dans un cas.

Un syndicat ou une association professionnelle est fait pour défendre, soit protéger l’un ou tous, et protéger l’un c’est souvent les protéger tous.

A/ Protéger un des membres de la FRVIC, ou même un exploitant qui n’est pas membre si sa cause vous paraît très digne d’intérêt. Intervenir au procès ou vous manifester par lettre (auprès d’une administration par exemple) pour appuyer un vigneron indépendant en difficulté.

Un procès ou une bataille administrative « à deux » cela est deux fois plus léger et peut aller deux fois plus vite !

Défendre ainsi, c’est assister un membre, le soutenir : le soutien juridique emporte un soutien psychologique.

B/ Protéger l’ensemble des droits de vos exploitations, vous avez vos avocats et notaires. Toutefois, quand un problème personnel risque de devenir le problème d’une série de vignerons (un problème général), il faut penser à le faire traiter ou examiner au plan collectif.

Cela permet aussi d’avoir deux regards juridiques, deux sensibilités, pour défendre l’un tout de suite, la collectivité ensuite.

Juridiquement : attaquer.

Deux cas – l’idée d’attaquer ayant un sens précis visant à former des recours. Les institutions. Les concurrents.

A/ Les institutions.

Celles qui dépassent leurs pouvoirs. Attaquer les décisions illégales, les normes illégales – du décret jusqu’à la réglementation du CIVC… ou la décision de l’ODG.
Bien connu avec l’actualité des arrêtés préfectoraux imposant le port du masque partout, ils ont souvent été annulés par les tribunaux administratifs !

Celles qui n’assument pas leurs pouvoirs. Il y a un arrêt du Conseil d’Etat qui impose à un régulateur financier (AMF / ACPR) d’agir : le régulateur d’un secteur donné, défini par la loi, a l’obligation d’agir… s’il y a une irrégularité dans le secteur qu’il régule. Il ne peut pas fermer les yeux.

Finance / Numérique / Vin, différent du droit classique : le droit de la régulation ! Voir mon Blog.

Le ministre, le gvt peut plus facilement fermer les yeux… la sanction sera politique.
Si une grande maison de champagne enfreint les règles et que par ex. le CIVC est passif, vous pouvez lui imposer (via le juge) d’agir pour faire respecter les règles du C. Rur. et forestier / de la champagne viticole / du droit européen.

Pareillement si l’ODG ou si l’INOQ – ex INAO – est passif.

Un juriste traditionnel n’a pas toujours cela bien en tête. Ce rôle des régulateurs, souvent très subtil, c’est cela qu’on appelle le droit de la régulation. Avec quelques autres auteurs, nous travaillons à cette situation juridique nouvelle qui altère toutes les relations économiques.

B/ Les concurrents. Les concurrents sont des collègues de la Champagne ou pas.

Un concurrent, petit ou grand et puissant, qui est dans l’illégalité, peut ne pas être inquiété par le régulateur de la Champagne ou par le procureur de la République (s’il y a du pénal en cause).

Vous pouvez, vous Fédération, agir ou au civil ou au pénal (assignation ou plainte avec Constitution de partie civile) – avec vos nouveaux statuts. Vous pouvez imposer l’ouverture de procédures pour que justice soit rendue.

Vous pouvez a fortiori, à plus forte raison, agir contre quelqu’un qui ne fait pas partie des collègues et qui est dans l’illicéité la plus grave - Voir mon blog (arrêt syndicat des cafetiers de Douai).

Cette légitimité juridique et judiciaire se dédouble d’un droit plus discret, mais néanmoins essentiel, participer. C’est à cet instant e droit que vous exercez en par-ti-ci-pant à l’AG et aussi en votant.

Juridiquement : participer.

Participer pour apporter votre point de vue (lequel fixe votre intérêt), vos connaissances (lesquelles font profiter de vos acquis) et vos idées (des suggestions à débattre avec tous pour le futur).

Le Droit vous rend légitime parce que vous avez le droit, en tant que professionnel, tous en régularité administrative, de vous exprimer pour défendre par vos droits – fût-ce par anticipation.

Le Droit dit vos « intérêts légitimes » ! Le système juridique absorbe et concrétise la légitimité en de multiples droits personnels (on parle en droit des droits subjectifs, les droits attachés à une personne).

Participer à… ou participer aux…

A/ À tous les organismes professionnels ou réunions ou consultations.
Le rappeler aux ministres et préfets… La seule rédaction de lettres, de demandes écrites très rigoureusement, sur le ton administratif ferme qu’il convient, peut réveiller le destinataire… et lui faire admettre que votre position économique, sociale et viticole n’est réductible à aucune autre. En somme, faire admettre que vos devez être représentés dans toutes les instances en qualité de VI.

Ceci se fait sans avoir à attaquer en justice ou menacer de la faire.

Ceci est néanmoins un travail notable exigeant que tous les VI de Champagne se réunissent désormais et œuvrent dans et par votre Fédération, il s’agit peut-être à terme, par cet effort collectif, de sauver vos exploitations.
Une liste de noms à passer… des noms de votre Fédération, de votre AG ! Vos statuts sont / seront modifiés en ce sens avec une procédure pour savoir désigner des confrères ou collègues avisés.
La collectivité pourra désigner ceux qui, selon la mission, sont les plus performants.

B/ Aux organismes spécifiques, et notamment à l’organisme de gestion et de défense dit OGD.

Cette création européenne et française – l’ODG – dérange l’organigramme habituel, celui des interprofessions et syndicats… Les ODG apparaissent dans une ordonnance de 2006 un peu comme un OVNI (ou plutôt OJNI : objet juridique non identifié) qui fait mal aux syndicats et aux Interprofessions.

Extrait du Rapport au président de la République sur l’Ord. de 2006.
« Enfin, les organismes de défense et de gestion regroupant l'ensemble des opérateurs impliqués dans les cahiers des charges des produits bénéficiant d'un signe d'identification de la qualité et de l'origine feront l'objet d'une reconnaissance par l'autorité administrative, consacrant leur représentativité et leur fonctionnement démocratique ainsi que l'intérêt général de leurs missions, notamment en matière de définition et de suivi des règles de production des produits bénéficiant de ces signes ».


Ces mots vagues préludent la loi adoptée, dont la précision ne saisit pas immédiatement l’esprit. La lecture du Code rural et f. ne permet pas de bien comprendre comment cela doit marcher. Et de fait, enfin de droit, en droit, j’ai le sentiment que souvent ça fonctionne de façon curieuse.

Et même quand une association nouvelle (situation plus claire) a été créée pour être spécialement et seulement l’ODG ! Ce qui évite les confusions avec les missions spéciale d’une interprofession ou les missions syndicales partisanes d’un syndicat.
Idée ?

Exemple de curiosité : une JP de 2017 relate le droit pour un membre de rester dans l’ODG alors que la majorité du CA (de l’ODG) avait cru pouvoir l’exclure (le mettre à la porte) ; il notable que cette décision soit parfois oubliée (voir ma note de blog remise en haut de blog en ce mois de juillet).

La Cour de cassation répare une décision prise par un ODG qui manifestement n’a pas sérieusement réfléchi à sa condition juridique et aux droits (fondamentaux ?) de ses membres : tous les opérateurs de la filière…

On peut alors s’interroger. L’ODG : un sujet trop peu intéressant ou trop intéressant et délicat ?

Certes pour les esprits juridiques académiques, qui manquent d’éléments pratiques sur ce qui se passe, il est difficile d’analyser sans les faits. Pour les juristes qui sont dans le système, il peut y avoir un effet hiérarchie qui empêche de bien saisir la révolution de l’ODG – qui dans l’affaire russe n’a pas réagi en tant que tel (je crois).

Bref le sujet n’est pas simple. A preuve : la page Wikipédia sur l’ODG est fausse dès sa première ligne qui dit que l’ODG est une Association, alors qu’un syndicat ou une interprofession peuvent aussi être ODG (certes dans des conditions qui ne relèvent pas toujours de la précision chirurgicale).

Ainsi, les atouts juridiques d’une Fédération qui entend agir sont nombreux et sa force notable, ce qui pose probablement la question des priorités, et là le sujet n’est plus juridique.

Conclusion.

Le « Juridique », ci-dessus diversifié en 6 points (3 pts de 2 pts), est un seul angle. Le sujet impliquait le seul juridique mais il est plus large. Le droit absorbe la légitimité qui le dépasse : les faits qui la fondent demeurent une condition de son existence. TOUS vos gestes (professionnels, et notamment médiatiques sur tous les canaux et réseaux) sont précieux ET renforcent votre « poids juridique », votre crédit général.

Le droit « absorbe » la légitimité : c’est cela qu’apprend – fondamentalement – cette réflexion sur la légitimité !

Si la légitimité se construit dans divers comportements (la compétence, le sérieux, le savoir-faire, etc.), elle finit toujours, dans l’Etat de droit, dans une réalité juridique. Le droit des personnes morales, comme l’est une association professionnelle telle votre Fédération, le certifie.


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