Un motif de cassation sur le seul défaut d'information de la banque, rare !



Un motif de cassation sur le seul défaut d'information de la banque, rare !
Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 24 mars 2021, 19-14.307 19-14.404, Publié au bulletin.

Cette décision comporte deux motivations justifiant la cassation.

La première raison de cassation est une "erreur" dans la sanction du TEG, cela aura été très commenté puisque le juge revire, en détaillant sa pensée, pour arriver à une cassation pour violation de la loi (voir notamment § 18, infra l'arrêt).

La seconde raison de cassation, quoique fondée sur une violation de l'article 455 du CPC, le défaut de réponse à conclusions, se remarque par sa rareté. La banque est effet souvent condamnée pour violation de diverses obligations, mais il est assez rare que ce soit sur le seul défaut d'information qui justifie la cassation.

Le fait de ne pas communiquer un document contractuel... le professionnel évite en principe ce grief car il communique "toute sa doc", et plutôt deux fois qu'une. Reste à savoir si la doc suffisait à assumer l'obligation d'information, je vous laisse arpenter l'arrêt et les moyens de pourvoi. En interne, selon le cas, c'est soit c'est celui qui fait signer, soit celui qui a établi la "doc" qui est responsable.

Bon, sinon, le type de cassation va peut-être donner à la banque l'occasion de prouver sa bonne information !

Un vrai commentaire direct droit !


Vers commerciale, 24 mars 2021



Extrait de la base publique Legifrance.


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 24 MARS 2021

I - La société Dexia crédit local, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° 19-14.307 contre un arrêt rendu le 27 novembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant à la Société de construction de la ville de Lyon (SACVL), société anonyme, dont le siège est [...] ,

défenderesse à la cassation.

II - La Société de construction de la ville de Lyon (SACVL), a formé le pourvoi n° 19-14.404 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant à la société Dexia crédit local,

défenderesse à la cassation.

La demanderesse au pourvoi n° 19-14.307 invoque, à l'appui de son recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi n° 19-14.404 invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la Société de construction de la ville de Lyon, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Dexia crédit local, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 16 février 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Graff-Daudret, Vaissette, Bélaval, Fontaine, Fevre, M. Riffaud, conseillers, M. Guerlot, Mmes Barbot, Kass-Danno, Comte, M. Boutié, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-14.307 et n° 19-14.404 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 novembre 2018), courant 2007, la société Dexia crédit local (la société Dexia) a consenti trois prêts à la Société anonyme de construction de la ville de Lyon (la SACVL), numérotés [...], [...] et [...].

3. Les trois contrats de prêts stipulaient que, pour une partie de leur durée, le taux d'intérêt serait un taux fixe de 3,68 % par an pour le premier prêt et de 3,20 % par an pour les deux derniers si le taux du change de l'euro en franc suisse était supérieur au taux du change de l'euro en dollar américain et que, dans le cas contraire, le taux d'intérêt serait égal au taux fixe stipulé pour chacun des contrats, augmenté de 30 % de la différence entre ces taux de change pour le premier prêt et de 26 % de cette différence pour les deux derniers.

4. Les contrats des prêts n° […] et […] ont été réitérés par deux actes notariés du 29 avril 2008, tandis que le contrat du prêt n° [...] a fait l'objet d'un avenant courant 2012 et a été renuméroté […].

5. Le 1er mars 2013, la SACVL a assigné la société Dexia pour obtenir notamment, à titre principal, l'annulation des stipulations d'intérêt des trois contrats de prêt et, à titre subsidiaire, la réparation d'un préjudice résultant d'un manquement de la banque à son obligation d'information.

Examen des moyens

Sur les premier et quatrième moyens du pourvoi n° 19-14.307, les premier et deuxième moyens du pourvoi n° 19-14.404 et le troisième moyen de ce pourvoi, pris en sa première branche, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le troisième moyen du pourvoi n° 19-14.307, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société Dexia fait grief à l'arrêt d'annuler la stipulation d'intérêts conventionnels du contrat n° […] renuméroté […], de dire que le taux d'intérêt légal est applicable à compter du 22 juin 2012 et de la condamner à rembourser à la SACVL les intérêts perçus en excès du taux d'intérêt légal depuis cette date, alors « que la mention du taux effectif global ne constitue pas, dans un contrat de prêt structuré, une condition de validité de la stipulation du taux d'intérêt contractuel ; qu'en annulant néanmoins la stipulation du taux d'intérêt contractuel litigieuse en raison de l'inexactitude du taux effectif global indiqué dans l'avenant régularisé par les parties les 30 juillet et 13 août 2012, quand il résultait de ses propres constatations que le contrat de prêt était assorti d'une formule de détermination du taux d'intérêt à la fois indexée et structurée, la cour d'appel a violé l'article L. 313-2 du code de la consommation dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 1907 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. La SACVL conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci développe une thèse contraire à celle soutenue devant la cour d'appel par la société Dexia, selon laquelle le taux effectif global indiqué dans le contrat de prêt suffisait à informer la SACVL de l'évolution possible du taux d'intérêt de l'emprunt.

9. Cependant, cette thèse, qui ne présupposait pas que l'indication du taux effectif global était nécessaire, n'apparaît pas incompatible avec celle du moyen, qui conteste que la mention du taux effectif global constitue, dans un contrat de prêt structuré, une condition de validité de la stipulation du taux d'intérêt contractuel.

10. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 313-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 :

11. En application de ce texte, le taux effectif global, déterminé selon les modalités prévues par les dispositions du code de la consommation communes au crédit à la consommation et au crédit immobilier, doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de crédit.

12. En l'absence de sanction prévue par la loi, la Cour de cassation jugeait depuis de nombreuses années que l'inexactitude de la mention du taux effectif global dans l'écrit constatant tout contrat de crédit, de même que l'omission de la mention de ce taux, emportaient l'annulation de la clause stipulant l'intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l'intérêt légal (1re Civ., 24 juin 1981, n° 80-12.903, Bull. n° 234 ; Com., 29 nov. 2017, n° 16-17.802 ; 1re Civ., 5 juin 2019, n° 18-16.360).

13. Toutefois, cette sanction, qui n'est susceptible d'aucune modération par le juge, ne permet pas de prendre en considération le préjudice subi par l'emprunteur, privé d'une chance de souscrire le contrat de crédit en connaissance du taux effectif global de celui-ci, et ce, en dépit de la jurisprudence selon laquelle cette sanction n'est pas encourue lorsque le taux effectif global est en réalité inférieur à celui mentionné (1re Civ., 12 oct. 2016, n° 15-25.034, Bull. n° 194, Com., 22 nov. 2017, n° 16-15.756) ou lorsque l'erreur affectant le taux effectif global mentionné est inférieure à un dixième de point de pourcentage (1re Civ., 26 novembre 2014, pourvoi n° 13-23.033 ; Com., 18 mai 2017, n° 16-11.147, Bull. n° 75).

14. En outre, dès lors que son incidence financière dépend de l'évolution du taux légal, cette sanction, dans le contexte d'une baisse tendancielle de ce taux, se révèle sans commune mesure avec le préjudice subi par l'emprunteur, tandis qu'à l'inverse, en cas de hausse de ce taux, elle peut se trouver privée de tout effet.

15. Le législateur est intervenu, dans un premier temps par la loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014, pour écarter l'application de cette sanction aux contrats de prêt conclus, avant l'entrée en vigueur de cette loi, entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public, la stipulation d'intérêts étant validée, sous certaines conditions, que le taux effectif global ne soit pas mentionné sur l'écrit constatant le contrat de prêt ou que le taux mentionné soit inférieur au taux déterminé conformément aux prescriptions du code de la consommation, l'emprunteur ayant droit, dans cette dernière hypothèse, au versement par le prêteur de la différence entre ces deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance.

16. Le législateur a, ensuite, aux termes de l'article 55 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018, habilité le gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la consommation et du code monétaire et financier relatives au taux effectif global en vue de clarifier et d'harmoniser le régime des sanctions civiles applicables en cas d'erreur ou de défaut de ce taux.

17. Il résulte de l'ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d'erreur du taux effectif global, prise en application de ce texte et qui généralise la sanction jusqu'alors applicable en cas d'irrégularité affectant la mention du taux effectif global dans une offre de crédit immobilier, qu'en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n'encourt pas l'annulation de la stipulation de l'intérêt conventionnel mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans une proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l'emprunteur.

18. Si, conformément au droit commun, les dispositions de cette ordonnance ne sont applicables qu'aux contrats souscrits postérieurement à son entrée en vigueur, il apparaît nécessaire, compte tenu de l'évolution de ce contentieux et du droit du crédit, de modifier la jurisprudence de la Cour pour juger, désormais, à l'instar la première chambre civile (1re Civ., 10 juin 2020, n° 18-24.287, en cours de publication) qu'en cas d'omission du taux effectif global dans l'écrit constatant un contrat de crédit conclu avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 17 juillet 2019, comme en cas d'erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l'emprunteur.

19. Pour annuler la stipulation d'intérêts conventionnels du contrat n° […] et dire que le taux d'intérêt légal est applicable pour ce contrat à compter du 22 juin 2012, après avoir énoncé que le non-respect des dispositions des articles 1907, alinéa 2, du code civil et L. 313-2 (lire L. 313-4) du code monétaire et financier est sanctionné par la nullité relative de la stipulation d'intérêts, l'arrêt retient que la SACVL est fondée à prétendre que le taux effectif global indiqué dans l'avenant du 22 juin 2012 est erroné.

20. En statuant ainsi, alors que l'inexactitude du taux effectif global mentionné dans l'avenant au contrat de prêt emportait, non l'annulation de la stipulation du taux de l'intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l'intérêt légal, mais la déchéance de la banque de son droit aux intérêts dans la proportion qu'il lui appartenait de fixer au regard, notamment, du préjudice subi par la SACVL, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 19-14.404, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

21. La SACVL fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation, alors « que le banquier est tenu de délivrer à son client, même averti, une information sincère et complète quant à l'opération envisagée, en ce compris ses inconvénients et ses caractéristiques les moins favorables ; qu'en retenant que "la banque Dexia avait remis à la SACVL des documents précis, notamment datés du 19 juin et 25 octobre 2007, comportant les formules de calcul des intérêts, qui, pour être complexes, n'en étaient pas moins compréhensibles pour un emprunteur averti tel que la SACVL, expérimenté, capable de constater le mode de calcul des intérêts à un taux variable selon les périodes de remboursement et d'en saisir le sens et la portée à l'aide notamment des graphiques présentant l'historique des indices connus à l'époque de conclusion des contrats", sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Dexia n'avait pas manqué à son obligation d'information en s'abstenant de communiquer sur le risque de variabilité du coût de sortie des contrats et sur le risque de dégradation des taux variables et en se bornant à faire état de données historiques, sans préciser que ces données n'avaient aucune valeur prédictive, et sans présenter de données prospectives, notamment les moins favorables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code civil :

22. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Un défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

23. Pour rejeter la demande d'indemnisation de la SACVL, l'arrêt retient que la banque avait pour seule obligation d'informer complètement cette société sur les caractéristiques des prêts afin d'éclairer sa décision et qu'à cet égard, la banque lui a remis des documents précis comportant les formules de calcul des intérêts qui, pour être complexes, n'en étaient pas moins compréhensibles pour un emprunteur averti tel que la SACVL, expérimenté, capable de constater le mode de calcul des intérêts à un taux variable selon les périodes de remboursement et d'en saisir le sens et la portée à l'aide notamment des graphiques présentant l'historique des indices connus à l'époque de la conclusion des contrats.

24. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la SACVL qui soutenait que la banque avait manqué à son obligation d'information en s'abstenant de lui communiquer les éléments susceptibles d'influer sur le coût de sortie des contrats, afin de lui permettre de s'engager en connaissance des risques affectant les conditions de leur résiliation anticipée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE,

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