Une idée, une voie en colloque :"Internet, espace d'interrégulation" (dir. M.-A. Frison-Roche, Dalloz & the Journal of Regulation)



Il y a la doctrine et les phénomènes doctrinaux. La doctrine suit son chemin tranquille. Les phénomènes doctrinaux sont des tourbillons de l'ordre du cyclone qui retournent tout sur leur passage.

La doctrine (tranquille) traite de telle ou telle question, un pourvoi donne un solution, une question contractuelle donne une clause. La doctrine tranquille. Celle qui est prête à subir "l'ubérisation" du moment... je veux dire celle qui est prête à subir le cycle économique (et social) du moment.

Les phénomènes doctrinaux ne suivent pas un chemin tranquille, ils sont imprévisibles quant à leur existence, leur teneur et leur évolution. Personne ne pouvait prévoir dans les années soixante (et même après) l'avènement de la régulation, personne ne peut prévoir son évolution.

Les phénomènes doctrinaux ne peuvent être traités que par des phénomènes doctrinaux. La régulation et, aujourd'hui, l'interrégulation ont trouvé le Prof. Marie-Anne Frison-Roche. Sur l'œil du cyclone de la régulation, un autre œil s'est posé, celui de notre collègue qui depuis de nombreuses années fixe l'objet d'étude, la régulation. Fixation dure. Ne pas lâcher l'objet d'étude tant qu'il ne sera pas étreint et purgé de toutes ses interrogations qui empêchent l'esprit d'opérer, pour le juriste, ou pour l'autre ; il s'agit de donner les armes pour comprendre la loi (lato sensu), dans sa plus lointaine profondeur et vigueur du lendemain (besoin d'anticipation), afin de l'appliquer.



Marie-Anne Frison-Roche, phénomène doctrinal bien connu, nous propose dans cet ouvrage, avec de nombreux autres (voir les photos du sommaire) d'envisager la question de l'interrégulation. Elle agace. La première, comme la seconde. La première parce qu'elle a l'audace, dans un mode tellement conforme, d'entreprendre la seconde qui, elle, n'opère plus dans un monde conforme mais dans un monde qui reconforme - qui reformate pour se rapprocher de l'informatique.

Autrement dit, le lecteur qui veut de la recherche conforme sur des sujets conformistes doit passer son chemin.

En effet, s'il tient le livre durant des dizaines de pages, il le lâchera inévitablement quand il subira la comparaison, osée par un des auteurs, de la régulation avec la réalité quantique, alors que le monde juridique ne semble connaître que la physique pré-newtonnienne - sans du reste guère assumer, en méthodologie, la comparaison avec certaines sciences dures (dites aussi "exactes").

Pour ceux qui ont le cuir dur et le regard au loin, mais l'âme ouverte et souple, encore qu'ils considèrent aussi les problèmes du moment, le colloque "Internet, espace d'interrégulation", mis en livre (éd. Dalloz, coll. Thèmes et commentaires), vaut le détour.

Sa richesse tient à l'angle précis et déroutant de la recherche, alors que tant de colloques portent sur des intitulés de chapitre de manuel... certes cela n'est ni interdit, ni systématiquement décevant, mais c'est au moins le signe d'un conformisme qui n'est pas le gage d'une recherche pleinement innovante).

Ici, les auteurs obéissent à une démarche scientifique contraignante : ils choississent le domaine de la régulation. En son sein, on les voit ensuite choisir la problématique de l'interrégulation. Enfin, pour ne pas se contenter de généralités, on entreprend le rôle, l'effet ou l'espace d'Internet. Mais ce n'est pas tout, dans ce cadre étroit (mais en vérité vaste), déjà mis entre deux lamelles, chaque œil se porte sur un point particulier à élucider. Un jeu. Un mécanisme. Un acteur. Une réalité. On se retrouve ainsi au cœur d'un problème, d'une question, d'une interrogation ou, si vous préférez, sur un problème dur.

Mais, on le voit, le sujet général est lui-même découverte, ce qui n'est pas étonnant en méthode pure : la réponse n'est-elle pas si souvent en partie dans la question ? Comprenons bien ; la bonne question amène la bonne réponse.


Le Professeur Frison-Roche a accentué la recherche sur la donnée, celle qui est-là, insaisissable mais saisissable, celle qui est là et ailleurs, qui peut s'effacer mais rester sur des mémoires cachées, qui peut s'effacer sans s'effacer puisqu'elle est ailleurs : la donnée, qui suggère le multiple et le mobile voire l'instabilité stable, toutes choses que l'on peut encore voir comme des signes de la réalité quantique (et je reprends à nouveau Nicolas Curien).

La réalité quantique, cette réalité de la dématérialisation que les juristes refusent alors qu'ils ont à l'affronter - je vois cela depuis 20 ans avec les titres, avec la monnaie (le bitcoin n'est qu'une pointe émergée), avec les contrats... Le refus est un refus poli, pas même formalisé, un refus qui prétend être une acceptation de ce qui résulte de la nouvelle économie : l'économie nouvelle (c'est ma formule : portera-t-elle bien l'idée ?).

L'économie nouvelle est un pan de l'internet et objet d'interrégulation. Une économie dématérialisée notamment à l'aide d'internet, du web, des données ; parfois, pour certains pans d'activité, dématérialisée de A à Z. Et pour laquelle on ose dire, par sussurements successifs, que, finalement, rien n'a changé. Et comme rien n'a changé, nos vieilles lois, nos vieilles catégories, nos vieilles méthodes, nos vieilles pratiques... conviennent encore. On connaît la thèse, la philosophie. Mais la thèse a son passif, le juge et le législateur, le droit et la justice, l'Etat et l'ordre... tous y perdent à ne pas se réformer pour affronter les réalités nouvelles : tout le monde s'en attriste ensuite.

On a dû penser cela aussi à Rome, avant que les barbares n'attaquent et ne déferlent durant quelques siècles. A ce cher droit romain, notre droit ! Presque notre organisation... Bon, on vous laisse continuer et lire la projection...

Concluons. Le colloque mis en livre, qu'on se le dise, peut-être par la bande, ou par une voie indirecte (encore que...), met le doigt sur une mutation qui laissera davantage de traces dans l'histoire juridique que les codifications. Peut-on être plus clair ? Merci aux auteurs et aux éditeurs.

Une idée, une voie en colloque :"Internet, espace d'interrégulation" (dir. M.-A. Frison-Roche, Dalloz & the Journal of Regulation)

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