Tenir des propos un peu objectifs sur Tapie, c'était presque devenu intenable !



Pendant quelques années, faire une analyse un peu objective de l'affaire Bernard Tapie, c'était difficile et puis finalement impossible. Après avoir tenu un blog pendant deux ou trois ans, la réprobation que je sentais, et les événements successifs de l'affaire, m'ont épuisé. J'ai abandonné le blog tapie.info que j'avais dédié à l'affaire Bernard Tapie / Crédit Lyonnais et SDR.

Il fallait être avec les socialistes (et quelques autres) et faire de la bien-pensance médiatique : Tapie est un voyou, vulgaire, sans foi ni loi, braillard, un bandit, déjà condamné, un enfant du peuple qui ne sera jamais au niveau de la bourgeoisie éduquée dans les grandes écoles... les faits de la culpabilité découlaient presque de cela seul... et l'ancien président du Crédit Lyonnais, partie à l'instance, venait témoigner, lui, sur toutes les plateaux télés - et en toute objectivité bien sûr.

Au théâtre médiatique, Tapie a toujours été seul pour se défendre et, comme il s'énerve vite, il s'est souvent mal défendu, contrairement à ce qu'il croit.

Pour être sûr de faire tomber l'arbitrage, il fallait transformer cette affaire, ni de droit public (eh oui...) ni pénale, en procédure pénale. Il fallait transformer une affaire civile en un objet pénal : aller fouiller jusque dans les caves et archives de tous les intervenants, avec nombre de gendarmes et policiers, et des demandes d'explications en garde à vue de 72 heures, pour gratter des preuves d'infractions pénales.

Brève réaction sur Linkedin

Au fond, il n'y a que la force aérienne tactique et le Charles-de-Gaulle que l'on n'a pas mis sur le dos de Bernard Tapie et de quelques autres - mais curieusement pas de tous, et je serai assez délicat pour ne pas citer ceux qui n'étaient pas poursuivis. Cela a tout de même beaucoup ressemblé à de la justice "à la gueule" : tu me plais, tu n'es pas poursuivi, tu ne me plais pas, tu es poursuivi. Pénalement !

La justice française, qui semble plus à la dérive qu'autre chose, permet cela, par des connivences politiques fortes, une culture du bienséant et du bon ton, et des médias qui ne vont jamais au fond des choses et qui sont incapables de mettre en défaut les acteurs fallacieux. Les réseaux du conformisme sont très solides et profonds, culturels, noués dans les salons en vue, les grandes écoles, les ordres de décorations, les clubs parisiens, les grands corps administratifs, les partis politiques...

Il faudrait que le parquet dispose du courage pour arrêter ce massacre et ne pas faire appel.

Quoique connaissant bien l'affaire, j'ai même renoncé à commenter les décisions civiles qui ont remis en cause l'arbitrage (qui au demeurant n'était pas parfait, je n'ai jamais soutenu cela). A partir du moment ou cent pièces pénales viennent dans le procès civil, les faits ne sont plus compréhensibles de l'extérieur du dossier. Et, à la différence de certains, qui avaient l'air de connaître les actes de la procédure pénale et leurs cadres, je ne me sentais pas autorisé à me prononcer...

En outre, le pénal qu'on est allé chercher est impressionnant : cette suspicion d'une escroquerie en bande organisée de la part d'une dizaine de personnes était digne d'un pyramide égyptienne. Juste au-dessus, il n'y a que des crimes (je dis cela de tête).

Mais bon, si on réécrit à l'encre pénale épaisse les faits civils, avec des tampons de policiers, de juges d'instruction... l'histoire n'est plus la même et la solution civile sur la responsabilité de la banque peut changer ! Le banquier qui a avait été vu en faute à plusieurs reprises, était presque devenu un saint. Au plan juridique, il n'y a rien à commenter...

Ainsi ai-je appris qu'une procédure pénale entière pouvait être un moyen neuf de preuve au civil ! Pour avoir longtemps plaidé, je n'ai guère de naïveté sur les rapports entre le pénal et le civil, le premier écrase à l'occasion le second. Mais je n'avais jamais perçu à quel point le pénal - en cours d'instruction - pouvait venir se loger dans le procès civil et en vérité transformer les faits !

Pour finir, sur cette affaire qui ne va jamais finir... Jamais cela n'a été dit, mais je suis persuadé que sur deux ou trois points, devant la Cour européenne des droits de l'homme, la France pourrait être condamnée pour 25 ans de procédures diverses et variées, ce qui est largement suffisant pour gâcher une vie, voire plusieurs.

Cette relaxe du tribunal correctionnel ne compense pas les défaillances de la justice française, car le conflit initial assez banal en vérité (Hervé CAUSSE, Droit bancaire et financier, mare et martin, 2016, n° 1186) n'a que trop duré, au moins permet-elle de ne pas en aggraver le lourd passif accumulé - ne serait-ce qu'avec le temps pris pour juger un mandat de vente donné à une banque de vendre une société.

Il ne faut pas oublier que le litige Tapie a perduré parce que la banque qu'était le Crédit Lyonnais avait été mise en faillite et qu'elle a fait l'objet d'une loi spéciale pour traiter cette faillite (loi de defeasance...). L'affaire Tapie a donc prospéré sur une faute de l'Etat complice des abus des dirigeants du Crédit Lyonnais...

Bernard Tapie aura été intenable, mais beaucoup ne se seront pas bien tenus non plus dans cette affaire.

Il y a ici sur Direct Droit quelques traces de l'affaire Bernard Tapie, dont cette analyse, cliquez ici ; voyez sinon avec la barre de recherche





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