
Jean-Marc MOUSSERON, Inventer, Montpellier, éditions Centre du droit de l'entreprise, 2001.
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Avec l'essai Le droit sous le règne de l'intelligence artificielle j'ai eu l'occasion de remettre sur le tapis (doctrinal) le thème de la valeur. Ce thème semble échapper à l'attention et peut-être dans toutes les branches du droit, y compris au droit des biens (mais sous réserve, je n'ai pas fait l'inventaire utile). Il n'est pas inconnu et, périodiquement - tous les 15 ans - il est signalé de façon plus nette.
La diffusion de cet essai sur le droit et l'IA (depuis le site HAL, cliquez ici !) va atteindre 7 000 téléchargements. Cela compte. La diffusion compte même dans les grilles d'évaluation des universitaires ! Une telle diffusion compte car elle permet un rayonnement des idées et au moins des questions, mais elle ne permet pas de lancer un débat. Il faut pour cela une difficulté pratique.
Dans le chapitre "La technique et la technologie" de cet essai, et j'ai dû encore exploiter ce point dans d'autres chapitres, j'écrivais que un grand mouvement juridique, historique, du droit des biens mais aussi du droit monétaire et financier, revenait aux "valeurs" qui indiquent, selon la loi, une chose ; cette chose n'est pas d'abord dite chose ou bien, elle est dite "valeur".
On le notait par exemple ainsi (p. 124 et 125) :
"Des considérations théoriques manquent. Un cycle tombe sous le sens : la valeur identifiée d’une chose implique l’idée de bien et ensuite celle de droit sur la chose. Valeur-bien-droit* est un processus parfois dépassé. Les valeurs mobilières offrirent la « valeur scripturale », valeur chosifiée ou valeur-bien confirmant l’analyse conservatrice confirmait le droit de propriété, l’observation ne fut pas plus poussée.
Le thème de la valeur scripturale - qui a désormais 40 ans - suggérait pourtant une mutation profonde de la réalité juridique. La valeur scripturale diffère de la valeur économique impliquant la qualification de bien ou celles de droits sur la chose. La valeur scripturale assimile les droits pour, paradoxe, les incorporer dans une valeur – immatérielle. Les réalités informatiques – des objets juridiques, objets financiers, objets informatiques – favorisent les valeurs en soi (l’en-soi de la chose, problème philosophique). Le cycle valeur-bien-droit réinterroge.
L’informatique inversant parfois ce cycle montre la valeur, la loi la cite donc, avec le bien mais moins le droit. Le mot valeur signe une idée de richesse qui plane depuis toujours sur le droit positif sans s’y insérer. Le développement informatique accuse cette réalité difficile : le concept de valeur stimule les notions (bien, chose, objet, droit et valeur !). Le moyen de preuve (la preuve) porte la question. (...)"
Et naturellement je citais* : "Mousseron, Inventer, CDE, 2003 : J.-M. Mousseron avec J. Raynard et Th. Revet, Valeurs, biens droits, p. 191."
A défaut d'une difficulté pratique qui attirerait de nombreuses plumes, il y a une difficulté théorique en plein droit positif. La loi se sert de plus en plus de la valeur, et même si le Code de commerce (au moins lui) a toujours usé du terme pour désigner des titres ou sortes de choses spéciales.
Je dois le redire plus brièvement, la valeur est probablement la nouvelle étape majeure du droit des biens. A la fois parce qu'elle se nourrit du passé mais parce qu'elle impose de nouvelles catégories de biens. Et il y a à connecter les notions traditionnelles avec celle d'objet, je n'en dis rien ici. Comme souvent, le droit commun est nourri du droit spécial.
Dans le Code monétaire financier, de nombreux objets, objets financiers, ont amené le législateur a consacré la notion de valeur au-delà de ses deux ou trois sens usuels (et jusqu'alors marginaux). Le phénomène est européen, le règlement MICA porte notamment, le terme valeur étant encore utilisé plus loin :
"5) «crypto-actif» : une représentation numérique d’une valeur ou d’un droit pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire ; "
Sur l'article 3 du règlement MICA, hymne à la "valeur" ! Cliquez ici !
Rien n'a changé dira l'amateur de droit des biens. Cependant, la "représentation numérique d’une valeur" n'est pas la seule expression de la valeur, laquelle est évidemment portée par la pure monnaie (vous savez, la monnaie électronique que toute la doctrine analyse en un créance sur la banque en suivant une partie du discours obscur du législateur, nationale et européen). Toujours est-il qu'elle aussi est soutenue par la notion de valeur.
Pour le moment, la nouvelle "valeur" a pour principal intérêt d'obliger le juriste à reconnaitre des choses qui apparaissent, soit pour les assimiler à d'autres sens de la valeur, soit pour les distinguer. Ce que ce billet souligne, sous réserve, mais le soulignement est ferme sinon, est que la valeur est en train d'être érigée en une sorte de chose nouvelle à la faveur de la financiarisation et de la numérisation. A partir de là, à partir du moment où la valeur sera une grande catégorie de richesse, chose ou bien, de multiples intérêts surgiront. Bien entendu ils surgissent déjà : les frémissements de notaires pour ces objets financiers à nul autre pareil, qui peuvent s'appeler "valeur" sans rien représenter (...), en dit long.
Cela méritait un court billet.
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Avec l'essai Le droit sous le règne de l'intelligence artificielle j'ai eu l'occasion de remettre sur le tapis (doctrinal) le thème de la valeur. Ce thème semble échapper à l'attention et peut-être dans toutes les branches du droit, y compris au droit des biens (mais sous réserve, je n'ai pas fait l'inventaire utile). Il n'est pas inconnu et, périodiquement - tous les 15 ans - il est signalé de façon plus nette.
La diffusion de cet essai sur le droit et l'IA (depuis le site HAL, cliquez ici !) va atteindre 7 000 téléchargements. Cela compte. La diffusion compte même dans les grilles d'évaluation des universitaires ! Une telle diffusion compte car elle permet un rayonnement des idées et au moins des questions, mais elle ne permet pas de lancer un débat. Il faut pour cela une difficulté pratique.
Dans le chapitre "La technique et la technologie" de cet essai, et j'ai dû encore exploiter ce point dans d'autres chapitres, j'écrivais que un grand mouvement juridique, historique, du droit des biens mais aussi du droit monétaire et financier, revenait aux "valeurs" qui indiquent, selon la loi, une chose ; cette chose n'est pas d'abord dite chose ou bien, elle est dite "valeur".
On le notait par exemple ainsi (p. 124 et 125) :
"Des considérations théoriques manquent. Un cycle tombe sous le sens : la valeur identifiée d’une chose implique l’idée de bien et ensuite celle de droit sur la chose. Valeur-bien-droit* est un processus parfois dépassé. Les valeurs mobilières offrirent la « valeur scripturale », valeur chosifiée ou valeur-bien confirmant l’analyse conservatrice confirmait le droit de propriété, l’observation ne fut pas plus poussée.
Le thème de la valeur scripturale - qui a désormais 40 ans - suggérait pourtant une mutation profonde de la réalité juridique. La valeur scripturale diffère de la valeur économique impliquant la qualification de bien ou celles de droits sur la chose. La valeur scripturale assimile les droits pour, paradoxe, les incorporer dans une valeur – immatérielle. Les réalités informatiques – des objets juridiques, objets financiers, objets informatiques – favorisent les valeurs en soi (l’en-soi de la chose, problème philosophique). Le cycle valeur-bien-droit réinterroge.
L’informatique inversant parfois ce cycle montre la valeur, la loi la cite donc, avec le bien mais moins le droit. Le mot valeur signe une idée de richesse qui plane depuis toujours sur le droit positif sans s’y insérer. Le développement informatique accuse cette réalité difficile : le concept de valeur stimule les notions (bien, chose, objet, droit et valeur !). Le moyen de preuve (la preuve) porte la question. (...)"
Et naturellement je citais* : "Mousseron, Inventer, CDE, 2003 : J.-M. Mousseron avec J. Raynard et Th. Revet, Valeurs, biens droits, p. 191."
A défaut d'une difficulté pratique qui attirerait de nombreuses plumes, il y a une difficulté théorique en plein droit positif. La loi se sert de plus en plus de la valeur, et même si le Code de commerce (au moins lui) a toujours usé du terme pour désigner des titres ou sortes de choses spéciales.
Je dois le redire plus brièvement, la valeur est probablement la nouvelle étape majeure du droit des biens. A la fois parce qu'elle se nourrit du passé mais parce qu'elle impose de nouvelles catégories de biens. Et il y a à connecter les notions traditionnelles avec celle d'objet, je n'en dis rien ici. Comme souvent, le droit commun est nourri du droit spécial.
Dans le Code monétaire financier, de nombreux objets, objets financiers, ont amené le législateur a consacré la notion de valeur au-delà de ses deux ou trois sens usuels (et jusqu'alors marginaux). Le phénomène est européen, le règlement MICA porte notamment, le terme valeur étant encore utilisé plus loin :
"5) «crypto-actif» : une représentation numérique d’une valeur ou d’un droit pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire ; "
Sur l'article 3 du règlement MICA, hymne à la "valeur" ! Cliquez ici !
Rien n'a changé dira l'amateur de droit des biens. Cependant, la "représentation numérique d’une valeur" n'est pas la seule expression de la valeur, laquelle est évidemment portée par la pure monnaie (vous savez, la monnaie électronique que toute la doctrine analyse en un créance sur la banque en suivant une partie du discours obscur du législateur, nationale et européen). Toujours est-il qu'elle aussi est soutenue par la notion de valeur.
Pour le moment, la nouvelle "valeur" a pour principal intérêt d'obliger le juriste à reconnaitre des choses qui apparaissent, soit pour les assimiler à d'autres sens de la valeur, soit pour les distinguer. Ce que ce billet souligne, sous réserve, mais le soulignement est ferme sinon, est que la valeur est en train d'être érigée en une sorte de chose nouvelle à la faveur de la financiarisation et de la numérisation. A partir de là, à partir du moment où la valeur sera une grande catégorie de richesse, chose ou bien, de multiples intérêts surgiront. Bien entendu ils surgissent déjà : les frémissements de notaires pour ces objets financiers à nul autre pareil, qui peuvent s'appeler "valeur" sans rien représenter (...), en dit long.
Cela méritait un court billet.