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"la monnaie scripturale s'entend du moyen de paiement que constitue le solde créditeur d'un compte en banque" (pourvoi annexé à : Cass. 24 janv. 2018) : "moyen de paiement" ? Eh bien non !



Le problème de la notion de monnaie est aujourd'hui éclatant. La blockchain donne l'occasion à de nombreuses plumes de le laisser entendre à défaut de le dire expressément, ce qui débuterait une analyse profonde. La difficulté surgit dans toute son épaisseur avec des idées économiques très générales. La définition économique de la monnaie est très large et inefficace en droit.

La difficulté d'appréhender la monnaie est structurelle et se voit dans des occasions plus classiques. Un arrêt d'appel peut le démontrer. Un arrêt de cassation qui le cite en atteste. Un simple extrait de moyen de pourvoi en cassation, par exemple celui précité, le souligne. Une banque écrit par son mandataire et son conseil : "la monnaie scripturale s'entend du moyen de paiement que constitue le solde créditeur d'un compte en banque" .

Problème ! Il est impossible en droit d'écrire cela en droit français et européen. C'est confondre monnaie et moyen de paiement, erreur fréquemment faite. La condamnation de cette idée doit expliquer pourquoi l'erreur est à la fois commise et toléré.
"la monnaie scripturale s'entend du moyen de paiement que constitue le solde créditeur d'un compte en banque" (pourvoi annexé à : Cass. 24 janv. 2018) : "moyen de paiement" ? Eh bien non !

On ne commente pas cette décision dans laquelle la Cour de cassation a dû expliquer un des aspects du Droit des services de paiement, lequel est noyé dans les schémas mentaux des "instruments de paiement et de crédit", matière inventée à la va-vite au tournant des années 1990 pour succéder au "Droit des effets de commerce", mort et bien mort, sans que l'on sache bien quand, pourquoi et comment. La succession était ainsi impossible.

Problème, disions-nous.

La monnaie scripturale n'est pas un moyen de paiement. La monnaie est la monnaie. Point.


La notion large de moyens de paiement, légale et claire*, n'inclut pas la monnaie !

L'idée, simple, a bien du mal à circuler. Y compris dans les banques (et même du côté du Système européen de banque centrale, on devrait le méditer car la rigueur terminologique vacille).

Pour la formule à utiliser... on verra plus tard : toutefois, pour désigner la monnaie le seul mot qui vaille est généralement ce seul terme (monnaie !) Ou argent, ou fonds. Ainsi, le compte créditeur permet de payer en monnaie, en argent, en numéraire ou avec des fonds.

Les mots ne manquent pas. Le solde créditeur vaut monnaie, argent, numéraire : il représente des fonds. On comprend alors que l'on peut payer avec sans parler de "moyen de paiement".

En revanche, si l'on coupe la phrase, s'entend bien l'idée que "la monnaie scripturale... constitue le solde créditeur d'un compte en banque". C'est justement parce que la monnaie n'est ni un moyen de paiement ni un instrument de paiement que l'on peut dire que le solde créditeur constitue, lui, purement et simplement, une forme de monnaie, unique : la monnaie scripturale.

Cette monnaie scripturale est informatique depuis belle lurette, la BCE étant à la tête de ce monument de dématérialisation que constitue le réseau monétaire. La monnaie scripturale est donc informatique, électronique et en vérité numérique, n'en déplaise à ceux croyant que Bitcoin a inventé la première monnaie électronique. L'euro fonctionne selon ce réseau informatique, fait des systèmes de paiement (que la BCE réglemente par son pouvoir d'adopter des règlements et des décisions). Le législateur lui-même a cru créer en 2013, suivant la voie peu pertinente d'une directive, une "monnaie électronique", laquelle existait déjà...

Revenons au solde créditeur du compte informatique bancaire (véritable monnaie décentralisée auprès de chaque établissement, aucun président de banque ne sera ravi tous ont perdu le poids de mots, mais l'expression fera pleurer quelques "blockchaineurs" - mon mot).

Naturellement, on connaît l'équivoque magistrale sous-jacente (traitée dans Droit bancaire et financier, éd. mare et martin. Ce solde créditeur vaut également créance du client sur l'établissement (François Grua le souligna naguère avec talent). La Cour de cassation elle-même consacre la vision, sans la moindre réserve, fût-elle allusive, que tantôt la monnaie est une chose objet d'un droit réel (la propriété) et tantôt que le client n'est plus propriétaire mais créancier. Voilà une illustration du "en même temps juridique".

Le moyen du pourvoi n'est qu'un moyen pour sauver une affaire, comme, sur un autre plan, la plupart des arrêts constituent des solutions concrètes à des litiges - et non des "rappels" que le juge fulminerait à telle communauté.

On peut donc tenir pour peu cette phrase fugace d'une branche de pourvoi, comme d'autres où la BCE confond coupablement "monnaie" et "moyen de paiement" **.

Cependant, au moment où les banques prétendent, avec les pouvoirs publics, que la monnaie est la seule monnaie, que les instruments de paiement qui permettent de la déplacer sont sûrs, il est curieux d'écrire une chose à ce point fausse qui, finalement, contribue au mélange permanent de toutes les notions élémentaires.

L'arrêt, cette fois lui, pose aussi problème. La Cour de cassation répond en citant une expression du juge du fond aussi surprenante que fausse, et le juge du droit aurait bien fait d'utiliser des guillemets pour bien notifier qu'elle se détachait de cette motivation, certes cassée. La cour d'appel avait pu écrire, porte l'arrêt de cassation : "de sorte qu'un service de paiement qui n'a pas été effectué au moyen d'une monnaie scripturale, tel un retrait d'espèces au guichet de l'agence" ; "d'une monnaie scripturale" est un style qui prouve une double erreur conceptuelle - qui emporte l'impossibilité d'appliquer toute règle relative au services de paiement.

On passe sur l'idée principale au coeur de l'arrêt et, par ailleurs, commentée vingt fois (un paiement au guichet est une opération de paiement soumise au droit des services de paiement).

On s'arrête en revanche sur l'expression "d'une monnaie scripturale" qui elle atteste que le juge d'appel, qui suggérait les titres, atteste qu'elle ne ignore ce qu'est la monnaie scripturale. Au fond comme la banque qu'elle avait à juger ? En effet, et d'un, il n'y a qu'une forme de monnaie scripturale c'est celle inscrite en compte, et de deux, les instruments tel le chèque ou autre ne sont pas de la "monnaie scripturale" mais des moyens de transporter la monnaie.

Dans ce genre de désagréments judiciaires, puisqu'il concerne le sujet majeur de la monnaie au centre de toutes les préoccupations depuis vingt ans (création de l'euro,crise bancaire, puis crise de l'euro),on doit se réjouir que la Cour de cassation, à défaut de redresser toutes les choses tordues par les parties et le juge d'appel, puisse rendre un arrêt respectable.

La solution de cette arrêt déjà commenté ; sans le dire, le Droit des services de paiement s'installe, dérangeant autant le juge que la doctrine qui travaille selon les axes selon nous invalides de "droit bancaire" ou de "droit financier". Toutes les analyses que l'on peut faire dans ce cadre reproduisent les schémas mentaux imposés par les deux ouvrages de droit bancaire des années 1970 et leurs suites. Ainsi de l'obligation de vigilance de la banque, un dogme pourtant privé d'arrêt de principe ! La présente décision invite à l'inverse à souligner le principe d'une obligation de vigilance du client qui doit surveiller son compte !


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* L’article L. 311-3 du Code monétaire et financier en pose (al. 1er) une définition très générale : « Sont considérés comme moyens de paiement tous les instruments qui permettent à toute personne de transférer des fonds, quel que soit le support ou le procédé technique utilisé. »

* * Fabio Panetta, membre du directoire de la Banque centrale européenne ajoute : "On souhaite que l'euro numérique soit utilisé comme moyen de paiement plutôt que comme forme d'investissement, en vue de préserver la stabilité financière." source : https://www.franceinter.fr/economie/avec-l-euro-numerique-la-banque-centrale-europeenne-veut-concurrencer-le-bitcoin (titre amusant, pour le moment ce sont les cryptomonnaies qui voudraient véritablement concurrencer les monnaies légales)
Voyez aussi : https://www.banque-france.fr/sites/default/files/media/2020/12/07/506tf20_report_on_a_digital_euro_version_finale.pdf ; dès les premiers mot de l'avant-propos Mme LAGARDE et M. PANETTA parlent des espèces" comme des moyens de paiement (sans aucune précaution d'emploi).


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Source Légifrance.

Cour de cassation, Chambre commerciale,
24 janvier 2018,
16-26.188, Publié au bulletin


Solution : Cassation
Audience publique du mercredi 24 janvier 2018
Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, du 14 septembre 2016
Président
M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
SCP Capron, SCP Monod, Colin et Stoclet
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à MM. Mickaël et Raphaël Z... de ce qu'ils reprennent l'instance, en leur qualité d'héritiers de Marie-Reine Y..., décédée le [...] ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 133-1, I, L. 133-3, L. 133-24 et L. 314-1 du code monétaire et financier ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que reprochant à la Caisse de crédit agricole mutuel Alsace Vosges (la Caisse) dans les livres de laquelle elle avait ouvert un compte, d'avoir accepté, sans vérification, qu'un tiers effectue à l'un de ses guichets des retraits d'espèces sur ce compte, Marie-Reine Y... l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que pour rejeter la demande de la Caisse opposant à Marie-Reine Y... la forclusion partielle de ses prétentions, l'arrêt retient que l'article L. 133-24 du code monétaire et financier est inséré dans un titre consacré aux instruments de la monnaie scripturale, de sorte qu'un service de paiement qui n'a pas été effectué au moyen d'une monnaie scripturale, tel un retrait d'espèces au guichet de l'agence, n'est pas soumis au délai de forclusion de treize mois ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le retrait d'espèces sur un compte de paiement, y compris au guichet d'une agence bancaire, constitue une opération de paiement que, faute d'autorisation ou en cas de mauvaise exécution, l'utilisateur de services de paiement doit signaler à son prestataire de services de paiement sans tarder et au plus tard dans les treize mois de la date de débit sous peine de forclusion, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne MM. Mickaël et Raphaël Z... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour le Crédit agricole Alsace-Vosges.

Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR condamné le Crédit agricole Alsace Vosges à payer à Mme Marie-Reine Y... la somme de 116 045 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2013 ;

AUX MOTIFS QUE « l'article L. 133-24 du code monétaire et financier dispose que l'utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion » (cf. arrêt attaqué, p. 4, 7e attendu) ; « qu'en effet l'article L. 314-24 du code monétaire et financier dresse une liste exhaustive de ce que sont les services de paiement, parmi lesquels figurent en 2° les services permettant les retraits d'espèces sur un compte de paiement » (cf. arrêt attaqué, p. 4, 8e attendu) ; « que, pour autant, l'article L. 133-24 est intégré au titre III du livre I du code monétaire et financier qui ne concerne que les instruments de monnaie scripturale, de sorte qu'un service de paiement qui n'a pas été effectué au moyen d'une monnaie scripturale, tel un retrait d'espèces au guichet de l'agence, n'est pas soumis au délai de forclusion » (cf. arrêt attaqué, p. 4, 9e attendu) ; qu'« en l'espèce, force est de constater que les cent trente-trois opérations frauduleuses effectuées par Mme C... ont pris la forme de retraits au guichet de l'agence du Crédit agricole de Molsheim sur les six comptes litigieux de Mme Z... [Mme Marie-Reine Y...] (avis d'opéré et tableaux récapitulatifs présents dans le dossier pénal) [; que,] dès lors ces opérations ne constituent pas des services de paiement au sens de l'article L. 314-1 du code monétaire et financier et ne relèvent pas par conséquent du champ d'application de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier » (cf. jugement entrepris, p. 6, 1er alinéa) ;

1. ALORS QUE, suivant l'article L. 133-24 du code monétaire et financier l'utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion ; que le retrait d'espèces sur un compte de paiement constitue, par application de l'article L. 314-1, § II, 2°, du même code, un service de paiement ; qu'enfin l'opération de paiement, suivant l'article L. 133-3, § I, du même code, est une action qui consiste à verser, transférer ou retirer des fonds indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire, ordonnée par le payeur ou le bénéficiaire ; qu'il s'ensuit que l'opération consistant à retirer des espèces sur un compte au guichet du banquier teneur de ce compte, constitue une opération de paiement soumise à la forclusion que prévoit l'article L. 133-24 du code monétaire et financier ; qu'en refusant de faire application de cette forclusion quand elle constate que Mme Marie-Reine Y... se plaint que des retraits d'espèces qu'elle n'a pas autorisés ont eu lieu sur les comptes ouverts à son nom au Crédit agricole Alsace Vosges, la cour d'appel a violé les articles L.133-3, L. 133-24 et L. 314-1 du code monétaire et financier ;

2. ALORS QUE la monnaie scripturale s'entend du moyen de paiement que constitue le solde créditeur d'un compte en banque ; qu'en décidant que le paiement accompli par le retrait d'espèces sur le solde créditeur d'un compte bancaire ne constitue pas un paiement fait au moyen d'une monnaie scripturale ou encore un service de paiement au sens de l'article L. 314-1 du code monétaire et financier, la cour d'appel, qui écarte pour cette raison la forclusion qu'institue l'article L. 133-24 du code monétaire et financier, a violé les articles L. 133-24 et L. 314-1 dudit code monétaire et financier. ECLI:FR:CCASS:2018:CO00039

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